LE SEXE DES ANGES DE LA STELLA |
À Civita-Vecchia, on se dispute à propos du sexe des anges; |
A Civita-Vecchia, une chapelle qui appartient à la plus ancienne confrérie de la Ville s'appelle la Stella. Elle est dédiée à la Sainte-Vierge. Les Confrères ont le sac et le capuchon de toile blanche. On n'y reçoit que les personnes distinguées ; les ouvriers, les soldats, les matelots en sont exclus. […] La chapelle de la Stella est de médiocre grandeur. Elle a pourtant trois autels fort propres et quelques peintures assez bonnes. Il y avait à un de ses autels, entre autres ornements, deux anges de marbre blanc, que l'on estimait presqu'autant que s'ils avaient été de Michel-Ange. Ils étaient nus et bien plus entiers que ne le sont les Gardiens des Sultanes. Cela déplut à un jeune prêtre qui disait la messe dans cette église. Son zèle l'emporta jusqu'au point d'apporter un marteau et un ciseau, et de mutiler ces statues pendant qu'il était seul dans la chapelle. Il emporta même les pièces qui marquaient leur sexe, de crainte qu'on ne les rejoignît [recollât] si on les trouvait. Le sacristain étant venu pour fermer la chapelle et ayant aperçu cet horrible sacrilège cria comme un désespéré, sonna la cloche et fit bientôt assembler tous les confrères. On trouva, par des indices suffisants, celui qui avait fait le coup et la pluralité des suffrages allait à le dénoncer comme un sacrilège qui, ne pouvant porter ses mains sur les saints, les portait sur leurs images. Et en attendant un jugement final, avec une punition et une réparation convenable, on résolut de ne plus permettre que ce prêtre, ni ceux à qui il appartenait, approchassent de la chapelle. Le docteur Paul Biancardi dit que ce qu'on avait proposé n'était point une satisfaction convenable, qu'il fallait un châtiment proportionné à l'offense, que la peine du Talion était due selon l'Ancien Testament à celui qui avait maltraité les anges et, qu'étant seul coupable, il n'était point juste de faire porter à ses confrères une peine qu'ils n'avaient pas méritée. Cette conclusion fit rire toute l'assemblée. En attendant qu'on pût exécuter sans scandale le décret du docteur, on laissa les bons ecclésiastiques officier comme à l'ordinaire dans la chapelle, et les anges mutilés furent couverts d'une écharpe qui, en cachant leur désordre, empêchait les désirs de vengeance de ces zélés confrères de se réveiller. |
• Labat (Jean-Baptiste), Voyages en Espagne et en Italie, t. IV, 1731, p. 168-170. |