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SERMONS À L'ITALIENNE

Les sermons sont avant tout des spectacles que donne le prédicateur, avec force cris, gestes et mimiques.

MISSON
A parler généralement, les Prédicateurs de ce pays sont des grimaciers. Ils ont bien quelques talents naturels, qui tendent à quelque partie de l'éloquence, mais ils ignorent absolument l'Eloquence sublime. Leurs gestes sont des gesticulations outrées. Leur variation de voix les jette du fausset à la basse vingt fois en un quart d'heure. Et leurs discours n'ont ni force, ni gravité. Ils crient, il se tourmentent. La plupart de leurs chaires sont comme des balcon, où ils se promènent avec chaleur et avec bruit. Mais tout cela ne prouve rien, ni ne signifie rien. Ils n'ont pas le secret de cette énonciation tantôt douce et tantôt véhémente qui charme, qui émeut et qui enlève l'auditeur. Et d'ailleurs ils ne débitent que des contes, & des sornettes. J'entendis l'autre jour un Carme qui prêchait sur la Madeleine, aux Repenties de Sainte-Croix, et qui donnait carrière à son imagination. Pour exalter davantage le sacrifice que sa Pénitente fit des plaisirs du monde, il insista pendant un quart d'heure à la dépeindre comme la plus charmante créture qui fut sous le ciel. Il ny a point de trait de beauté sur le corps le plus accompli qu'il ne représentât ; il parlait en peintre savant plutôt qu'en prédicateur et je ne sais s'il ne ressemblait point à Perrin del Vague, qui faisait presque toujours le portrait de sa maîtresse quand il avait quelque belle femme à peindre.

LABAT
[À Tivoli], il y eut sermon le lendemain après vêpres dans la même église. Quoique j'entendisse encore assez peu l'italien, je ne laissai pas d'y aller. Le prédicateur était un Cordelier qu'on disait habile homme. […] Il entra en chaire avec un air renfrogné, comme s'il eût été en colère contre tout le monde. Il s'assit, tira son mouchoir, se frotta longtemps le visage, le nez et les oreilles, se moucha deux ou trois fois, sans manquer à chaque fois de regarder dans son mouchoir, prit du tabac, se leva et, après avoir regardé de tous côtés comme s'il eût cherché quelqu'un, il se découvrit, se mit à genoux et dit l'Ave Maria, se leva pour la seconde fois, éternua fortement deux ou trois fois, se moucha encore, considéra son mouchoir avec attention, se leva, fit avec le pouce de la main droite une petite croix sur son front, une autre sur sa bouche, une troisième sur sa poitrine et, d'une voix aussi élevée que s'il avait crié au feu, il commença ainsi son discours : « Hors de ce lieu sacré, impies qui doutez de la vertu et des merveilles du très saint Scapulaire de la sainte Vierge. » J'entendis ces paroles sans interprète et je ne me le fis pas dire deux fois : je sortis au plus vite, un tel début me faisant craindre des suites plus fâcheuses.

DUMAS
[Quelques tremblements de terre s'étant fait sentir à Cosenza, le peuple s'est précipité dans l'église du couvent des Capucins.] Vu la solennité de la circonstance, la chaire avait été convertie en une espèce de théâtre, d'une dizaine de pieds de long sur trois ou quatre de large, qui faisait absolument l'effet d'un balcon accroché à une colonne. Ce balcon était drapé de noir, comme pour les services funèbres, et à l'une des extrémités était planté un grand christ de bois. Le moment venu, l'officiant interrompit la messe, et un des frères sortit du chœur et monta en chaire. C'était un homme de trente à trente-cinq ans, avec une barbe et des cheveux noirs, qui faisaient encore ressortir son extrême pâleur. Ses grands yeux caves semblaient brûlés par la fièvre, et lorsqu'il mit le pied sur la première marche de l'escalier, ce fut avec une démarche si débile et si chancelante qu'on n'aurait pas cru qu'il eût la force d'arriver jusqu'en haut ; cependant il y parvint, mais avec lenteur, et en se traînant plutôt qu'en marchant. Arrivé là, il s'appuya sur la balustrade, comme épuisé de l'effort qu'il venait de faire ; puis, après avoir promené un long regard sur l'auditoire, il commença à parler d'une voix tellement faible qu'à peine ceux qui étaient les plus rapprochés de lui pouvaient-ils l'entendre. Mais peu à peu sa voix prit de la force, ses gestes s'animèrent, sa tête se releva, et, sans doute excité par la fièvre même qui semblait le dévorer, ses yeux commencèrent à lancer des éclairs, tandis que ses paroles, rapides, pressées, incisives, reprochaient à l'auditoire cette corruption générale où le monde était arrivé, corruption qui attirait la colère de Dieu sur la terre, colère dont la catastrophe qui désolait Cosenza était l'expression visible et immédiate. Ce fut alors que je compris ce développement donné à la chaire. Ce n'était plus cet homme faible et souffrant, pouvant se traîner à peine, qui avait besoin de la balustrade pour s'y soutenir ; c'était le prédicateur emporté par son sujet, s'adressant à la fois à toutes les parties de l'auditoire, jetant ses apostrophes, tantôt à la masse, tantôt aux individus ; bondissant d'un bout à l'autre de sa chaire, se lamentant comme Jérémie, ou menaçant comme Ezéchiel ; puis, de temps en temps, s'adressant au christ, baisant ses pieds, se jetant à ses genoux, le suppliant ; puis, tout à coup, le saisissant dans ses bras et l'élevant plein de menace au-dessus de la foule terrifiée. Je ne pouvais point entendre tout ce qu'il disait, mais cependant je comprenais l'influence que cette parole puissante devait, dans des circonstances pareilles, avoir sur la multitude. Aussi l'effet produit était universel, profond, terrible ; hommes et femmes étaient tombés à genoux, baisant la terre, se frappant la poitrine, criant merci ; tandis que le prédicateur, dominant toute cette foule, courait sans relâche, atteignant du geste et de la voix jusqu'à ceux qui l'écoutaient de la rue. Bientôt les cris, les larmes et les sanglots de l'auditoire furent si violents qu'ils couvrirent la voix qui les excitait ; alors cette voix s'adoucit peu à peu : il passa de la menace à la miséricorde, de la vengeance au pardon. Enfin, il finit par annoncer que la communauté prenait sur elle les péchés de la ville tout entière; et il annonça que si, le surlendemain, le tremblement de terre n'avait pas cessé, lui et ses frères feraient par la ville une procession expiatoire qui, il en avait l'espérance, achèverait de désarmer Dieu. Alors, comme un feu qui a consumé tout l'aliment qu'on lui a donné, il sembla s'éteindre ; la rougeur maladive qui avait un instant enflammé ses joues disparut pour faire place à sa pâleur habituelle, une faiblesse plus grande encore que la première sembla briser ses membres, on fut forcé de le soutenir pour descendre de la chaire, et on le porta plutôt qu'on ne le conduisit sur sa stalle, où il s'évanouit.

MISSON
[A Venise, le Père Marc d'Aviano est considéré comme thaumaturge depuis qu'il aurait guéri une religieuse de Padoue.] J'ai été deux ou trois fois pour l'entendre prêcher, mais il n'y a pas eu moyen d'entrer ; il faudrait être là quatre heures auparavant, afin de trouver place. La dévotion du peuple est si grande, pour ce prétendu faiseur de miracles, qu'au commencement ils déchiraient son froc et lui arrachaient les poils de la barbe ; et ils n'auraient pas manqué de le démembrer tout à fait, afin d'en avoir des reliques si l'on ne le fût avisé de percer la muraille de l'église et de le faire entrer en chaire par une galerie qui y conduit tout droit d'une maison voisine et qui le dérobe ainsi aux dévots indiscrets.

• Misson (François-Maximilien), Nouveau voyage d'Italie, 3e éd., 1698, t. II, p. 150-151.
• Labat (Jean-Baptiste), Voyages en Espagne et en Italie, t. III, 1730, p. 398-399.
• Dumas (Alexandre), Le Capitaine Aréna, chap. XV, "Cosenza".
• Misson (François-Maxiilien), Voyage d'Italie, 5e édition, t.I, 1722, lettre XVII, p. 263.