SERMON DE PÂQUES |
Le jour de Pâques, l'usage était que les prêtres transforment leur sermon en bouffonnerie, tournant en ridicule tel passage des saintes Écritures. |
Une coutume s'est introduite le saint jour de Pâques en Italie au sujet de la Prédication. Ils disent que le jour de Pâques est un jour de réjouissance pour les chrétiens. Pour leur donner plus de divertissement, il faut, ce jour-là, que tous les prédicateurs fassent les bouffons en chaire et comme une espèce de petite comédie, racontant tout ce qu'ils peuvent de plus ridicule. M'étant trouvé un jour de Pâques à Bologne, j'allai entendre le sermon à l'église de S. Pierre qui en est la cathédrale. L'archevêque y était présent. Le prédicateur était un Père Succulante. Après avoir tourné plusieurs passages de l'Écriture Sainte en ridicule, il rapporta le verset du chapitre de S. Marc où il est dit que les Maries arrivèrent au Sépulcre « après soleil levé, orto jam sole », comme il est écrit dans leur vulgate. Ensuite il l'opposa au premier verset du chapitre 20 de l'évangile de S. Jean, où il est dit qu'elles y arrivèrent de grand matin, lorsqu'il n'était pas encore jour. Il demanda ensuite comment il était possible d'accorder ces deux Évangélistes qui semblaient se contredire. Pour lui, il dit que sa pensée était que les Maries ne s'étaient levées que bien longtemps après soleil levé, et même bien après midi. Car nous voyons, disait-il , que c'est encore bien matin pour nos dames italiennes, qui ne viennent jamais à la messe les dimanches qu'il ne soit onze heures et demie ou midi. Là-dessus il décrivit tout le réveil d'une dame dans son lit, comme il lui faut beaucoup de temps pour s'essuyer les yeux et se détirer les bras et cent autres choses impertinentes qui faisaient extrêmement rire. Ensuite, comme ce Père était fort fécond en belles pensées, il se reprit et dit que véritablement les Maries s'étaient levées de fort grand matin, mais qu'il leur avait fallu tant de temps pour s'habiller et s'ajuster qu'elles n'avaient pu sortir de leur logis que fort tard, et arriver au Sépulchre orto jam sole. Il décrivit l'habiller des dames : combien il faut de temps pour se coiffer, se farder, se mettre des mouches et faire cent grimaces devant un miroir. Il les contrefaisait admirablement bien par ses gestes. Cette belle pensée fut suivie encore d'une autre. Je me reprends, dit-il: les Maries n'étaient pas si vaines que je viens de le décrire, mais c'étaient des causeuses. Elles se levèrent et sortirent de leur logis de grand matin ; mais auparavant qu'elles eussent dit adieu à tous leurs voisins et voisines, il se passa un temps fort considérable, et elles n'arrivèrent que fort tard au Sépulcre, orto jam sole. Là il s'étendit fort amplement sur le caquet des femmes, et dit des choses si ridicules que le Cardinal archevêque qui y était présent riait lui-même à gorge déployée. |
• Emiliane (Gabriel d'), Histoire des tromperies des prêtres et des moines décrites dans un voyage d'Italie, éd. 1719, t. II, p. 143-145. |