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RELIQUES CONSERVÉES À VENISE ET PADOUE

A Venise et à Padoue, on conserve d'improbables reliques.

MISSON
Je laisse toutes les reliques, les images miraculeuses et les autres raretés saintes qui sont dans la basilique Saint-Marc, pour vous dire seulement un mot de celle qui m'a semblé la plus curieuse. C'est le rocher que Moïse frappa au désert. Il est dans la chapelle de Madona della Scarpa, qu'on appelle aussi du cardinal Zénon, au bout du Baptistère. C'est une espèce de marbre grisâtre. Rien n'est plus joli que les quatre petits trous par où l'on assure que l'eau sortit ; ils sont disposés à deux doigts l'un de l'autre et l'ouverture de chaque trou n'est grande que pour admettre un tuyau de plume d'oie. Assurément c'est une chose doublement merveilleuse qu'il ait sorti en peu de temps de ces petits canaux une assez grande abondance d'eau pour désaltérer une armée de six cent mille hommes, sans les femmes, les enfants et tout le bétail !

DUMONT
A Venise, dans la chapelle dite le Baptistère, on montre la pierre sur laquelle Jésus-Christ était assis lorsqu'il prêchait au peuple entre Tyr et Sidon, à quoi quelques-uns ajoutent que c'est la même sur laquelle Abraham voulut sacrifier son fils Isaac, et sur laquelle aussi Moïse était quand il reçut la Loi de Dieu. Cette pierre est en grande vénération à Venise, aussi bien qu'une autre qui se voit dans la même chapelle, et sur laquelle on croit que saint Jean-Baptiste eut la tête coupée. Je ne saurais dire d'où celle-ci est venue, mais, pour l'autre, elle fut apportée en 1125 par le doge Dominique Michaëli, lui étant encore capitaine dans la guerre de la Terre Sainte.

MISSON
[A Venise], dans Saint-Moïse, on garde des reliques qui sont, dit-on, des plus certaines et des mieux opérantes. Mais comme ce ne sont que des bras, des jambes, des mâchoires, je n'en parlerai point. Quand je rencontrerai quelque chose de plus curieux, quelque prépuce de Philistin, quelque pois de cautère de saint François, quelque fer du cheval de Troie (car tout est bon pour faire des reliques) je vous en donnerai des nouvelles.

CAYLUS
A Padoue, je vis dans la sacristie le trésor de l'église. On y montre des reliques de toute espèce. L'on avait montré d'une manière indifférente du lait de la Vierge, des épines de la couronne de Notre-Seigneur, tout cela, dis-je, comme par manière d'acquit. Quand vint la langue de saint Antoine, le prêtre, en surplis et en étole, descendit du gradin sur lesquel il était monté, se mit à genoux. Tous les asssitants du pays en firent autant et, après une prière qui ne fut pas longue à la vérité, il tira un rideau, sur lequel était écrit O lingua miracolosa, qui laissa voir un reliquaire, plus grand et plus beau que tous les autres et à la place d'honneur, dans lequel est la langue de saint Antoine, bien mieux traitée que tout le reste. Je sortis de la sacristie en riant de ces bouffonneries.

CAYLUS
La chapelle a une extraordinaire relique. C'est un morceau de marbre, qui paraît avoir été blanc, dans lequel l'on voit quatre petits trous, assez grands pour passer une plume et distants l'un de l'autre d'un travers de doigts. Une inscription assez mauvaise apprend que c'est par ces trous que Moïse abreuva les Juifs dans le désert. C'est un double miracle que celui d'avoir pu, par quatre aussi petits trous, fournir de l'eau pour tout un peuple. Ah! si vous voulez me tromper, trompez-moi mieux que vous ne faites !

• Misson (François-Maximilien), Voyage d'Italie, 5e édition, t.I, 1722, lettre XVI, p. 207-208.
• Dumont (Jean), Voyages en France, en Italie, en Allemagne, à Malthe et en Turquie, t. IV, La Haye, 1699, IV, 194.
• Misson (François-Maximilien), Voyage d'Italie, 5e édition, Utrecht, 1722, t. I, p. 266.
• Caylus (Comte de), Voyage d'Italie, 1714-1715, éd. Paris, 1914, p. 72.
• Caylus (Comte de), Voyage d'Italie, 1714-1715, éd. Paris, 1914, p. 77.