<== Retour

RELIQUES DES ÉGLISES DE ROME

L'une des joies de voyageurs était de faire l'inventaire des fausses reliques les plus improbables conservées dans les églises de Rome.

DU VAL
[Dans l'église Saint-Pierre de Rome] on garde le voile de la Véronique avec la face du Christ imprimée (et on le montre tous les ans pendant la Semaine sainte), le fer avec lequel fut ouvert le côté de Notre-Seigneur, la chaire de bois de saint Pierre, la moitié des corps de saint Pierre et de saint Paul (sous le grand autel), un autel de marbre où est l'image et la tête de saint André portée à Rome par un des despotes de la Morée, les corps de saint Simon et de saint Jude, les corps de dix papes martyrs proches successeurs de Pierre, les têtes de saint Jacques le Mineur, de saint Luc l'Évangéliste, de saint Jean et de saint Thomas de Cantorbery, les bras de Joseph d'Arimathie et de Longin qui donna le coup de lance à Notre-Seigneur, et grand nombre d'autres corps saints et reliques dont il serait difficile de faire le dénombrement.

ROGISSART
Dans Saint-Jean-de-Latran on garde, dans un tabernacle de marbre qui est sur l'autel de la chapelle de Sainte-Madeleine, le chef du sacrificateur Zacharie et celui du martyr saint Pancrace, dont on raconte des prodiges merveilleux. On y conserve le calice de l'apôtre saint Jean dans lequel il but le poison qui ne lui fit aucun mal et la chaîne dont il était lié quand il fut amené à Rome ; on y montre aussi sa tunique, que l'on dit avoir eu autrefois la vertu de faire ressusciter plusieurs morts ; une petite chemise que la Vierge aurait faite autrefois pour Jésus-Christ ; et la serviette dont Notre-Seigneur essuya les pieds à ses apôtres ; le roseau dont on se servit pour lui mettre la couronne d'épines sur la tête, et le manteau de pourpre dont Pilate le revêtit pour le présenter aux Juifs. On montre enfin l'éponge avec laquelle Notre-Sauveur, pendant à l'arbre de la Croix, fut abreuvé de vinaigre ; et un peu du sang et de l'eau qui sortit de son côté ; de plus le linge dont sa face fut couverte dans le sépulchre, un autre dont il fut couvert sur la Croix ; des habits et des cheveux de la Vierge ; du sang de saint Jean-Baptiste et une partie de son cilice, fait de poil de chameau ; l'épaule de saint Laurent ; la robe de saint Etienne teinte de son sang et déchirée ; une dent de saint Pierre, dont le chef et celui de saint Paul est conservé, presque sans corruption, dans un petit tabernacle de marbre, entouré d'un treillis de fer doré. Sur ce même autel on garde une table de bois presque carrée que l'on assure être celle sur laquelle Jésus-Christ fit la Cène avec ses disciples ; on dit aussi que l'on conserve sous ce même autel l'Arche de l'Alliance avec les deux Tables du Testament, la verge de Moïse, et celle d'Aaron, et tous les autres vaisseaux sacrés que l'Empereur Tite apporta de Jérusalem à Rome. On y montre encor, outre, cela un autel de bois dont on dit que saint Pierre s'est servi pour dire la messe, et sur lequel il n'y a que le Pape qui y puisse officier. On y voit de plus une certaine table de marbre, enchassée dans la muraille proche de la principale porte, sur laquelle on dit que les soldats ont tiré au sort les habits du Sauveur.

MISSON
Il faut que je vous dise quelque chose de Saint-Jacques-Secoue-Chevaux. On y voit la pierre sur laquelle Jésus-Christ fut circoncis, avec l'impression qu'un de ses talons fit sur ce marbre. Et l'on y montre encore une autre table de marbre qui avait été destinée pour faire le sacrifice d'Isaac. L'impératrice Hélène envoyait, dit-on, ces grosses reliques pour être mises à Saint-Pierre, mais, quand la charrette se rencontra vis-à-vis Saint-Jacques, les chevaux ne voulurent jamais aller plus loin et l'on s'aperçut même que les pierres s'appesantissaient, ce qui fit juger qu'elles avaient quelque secrète inclination pour Saint-Jacques plutôt que pour Saint-Pierre. D'abord cela ne parut pas très raisonnable ; mais, le hasard ayant fait rencontrer là quelqu'un qui se souvint que saint Jacques était appelé par saint Paul "Colonne de l'Église" aussi bien que saint Pierre, on se confirma dans la pensée qu'il y avait du mystère. De plus, quand on aurait eu tous les buffles d'Italie, les reliques auraient plutôt reculé qu'avancé ; il fallut donc les mettre là. En mémoire du fait, on donna à Saint-Jacques le sobriquet de Scolla-Cacalli.

• Du Val (P.), Le Voyage et la description d'Italie, 1656, p. 236.
• Rogissart (Alexandre de), Les Délices de l'Italie, éd. Leyde, 1706, t. II, p. 327-329.
• Misson (Maximilien), Nouveau Voyage d'Italie, 3e édition, 1698, t. II, lettre XXVI, p.149.