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PRÉDICATEURS DE RUES

Les voyageurs s'étonnent souvent de voir que, sur les place des villes, des moines prêcheurs se mêlent aux bateleurs, le public allant alternativement vers les uns et les autres et riant autant des paroles du moine que des pitreries du bateleur.

ÉMILIANE
Il y a une autre sorte de prédicateurs en Italie, ce sont des prédicateurs qu'ils appellent prédicateurs de la place. Dans les villes d'Italie, vers le soir, quand la grande chaleur est passée, les Italiens, de quelque rang ou qualité qu'ils soient, vont se promener à la place. C'est là qu'ils donnent audience et qu'ils traitent de leurs affaires. Si l'on veut trouver quelqu'un à ces heures-là, la première chose que l'on fait c'est de l'aller chercher à la place. Il s'y rend toujours une grande quantité de chanteurs de chansons, des joueurs de gobelets, de charlatans, de diseurs de bonne aventure et d'autres sortes de gens qui trouvent leur avantage dans la multitude. Lorsque les charlatans montent sur leurs théâtres, ou voit venir en même temps un moine avec un grand crucifix que l'on porte devant lui et une petite cloche que l'on sonne. Il monte dans une chaire portative préparée dans un des côtés de la place, opposée aux théâtres des bateleurs, et là il commence à prêcher. Une foule de peuple accourt de tous les côtés de la place pour l'entendre. J'étais fort édifié au commencement que j'étais en Italie de voir tant de gens quitter les comédiens pour aller entendre le sermon. Mais, m'étant aussi approché pour les entendre, je vis que ces prédicateurs faisaient encore plus rire que les bateleurs par leurs plaisants discours et gestes ridicules.

DUCLOS
A Naples, il est assez plaisant de voir sur la place un bateleur rassembler auprès de ses tréteaux une foule de badauds et, à quelque distance de là, un moine qui, monté sur une escabelle, un crucifix en main, prêche une pareille assemblée, de sorte que les deux orateurs s'enlèvent alternativement le même auditoire, suivant le degré de leur éloquence.

SADE
Pendant toute la Semaine sainte, les spectacles sont interrompus. Il reste pourtant quelques bateleurs dans les rues, qui se joignent avec de certains prédicateurs publics qui amusent la populace dans les rues et forment l'ensemble le plus plaisant. Ces farceurs catholiques, montés sur des tréteaux, comme les charlatans au milieu des places, haranguent le peuple, le crucifix à la main. Il y en a qui savent s'emparer de son esprit au point de le conduire à tout ce qu'ils veulent. Un Anglais, riant de ces imbécillités, fut assassiné, l'hiver que j'étais à Naples, par cette populace effrénée, qu'encourage son prédicateur funeste : effet du pouvoir de ces prêtres sur l'esprit des faibles. L'exemple de ce seul crime n'eût-il pas dû faire abolir de tels usages, et si la religion a quelque chose de sacré, est-ce en l'avilissant, en la profanant ainsi dans la rue qu'on peut la faire passer pour respectable ?

• Emiliane (Gabriel d'), Histoire des tromperies des prêtres et des moines décrites dans un voyage d'Italie, éd. 1719, t. II, p. 122.
• Duclos (Charles), Voyage en Italie ou Considérations sur l'Italie, 1793, p.165.
• Sade (DAF), Voyage en Italie