Je passai avec un de nos Pères chez un de ses parents où il y avait un mort. Nous y entrâmes pour prier Dieu, et ce fut inutilement. Toutes les femmes du voisinage s'étaient assemblées et faisaient un tintamarre qui nous aurait empêchés d'entendre le tonnerre. Je n'ai jamais rien vu ni entendu de pareil. Les unes criaient de toutes leurs forces, les autres pleuraient et sanglotaient comme si tout le monde eût dû être perdu dans le moment ; d'autres s'égratignaient et se donnaient des soufflets. Et tout cela par pure cérémonie, sans être touchées de la mort non plus que moi, qui n'y prenait aucune part, seulement parce que c'est la coutume et que les voisins se doivent cela les uns aux autres. […]
À Banco, bourg dans l'Abruzze, province du royaume de Naples, les femmes qui pleurent les morts de leur famille ou de leurs amis sont assises, le derrière nu, sur de petites selles de pierre ou de marbre et là, en habit négligé, les cheveux épars et les joues bien égratignées, elles crient, pleurent ou chantent jusqu'à ce qu'on porte le corps à la sépulture.
En plusieurs endroits de la Toscane – s'entend dans les bourgs et les villages – les femmes (car ce sont toujours elles qui prennent ces commissions, à cause de la facilité qu'elles ont à pleurer sans en avoir de raison), les femmes, dis-je, pleurent les morts en musique et en vers libres, c'est-à-dire qu'étant à demi couchées autour du corps mort, dans un habit négligé et sans coiffure, elles commencent par répandre bien des larmes. Après quoi elles se disent les unes aux autres, et à ceux qui les veulent écouter, toutes les vertus et les bonnes qualités du défunt ou de la défunte, n'en eût-il aucune, elles mentent par politesse et en disent des merveilles, et cela en vers libres qu'elles font sur le champ avec esprit et d'un tour aisé, elles les mettent en même temps en air et, joignant des mouvements et des larmes à ces chants, elles se répondent les unes aux autres d'une manière spirituelle et pathétique. […] Je crois que c'est un reste de ce qui se pratiquait chez les anciens Romains, qui avaient des pleureuses en titre d'office, qui étaient d'autant plus estimées, et mieux payées, qu'elles savaient remplir plus abondamment leurs lacrimatoires. |