Certains voyageurs ont été présents, à Naples, lors que la liquéfaction du sang de saint Janvier. Les Italiens y croient au point, dit Voltaire, que "celui qui doute à Naples de la réalité du miracle de saint Janvier est près d'être athée". |
LABAT
[Cette année-là] le miracle du sang de saint Janvier s'était fait à Naples, mais un peu tard ; car, quelques prières qu'on eût faites aux premières Vêpres , le sang n'avait pas voulu se liquifier, ce qui avait mis toute la Ville dans la consternation. On est persuadé, quand cela arrive, que c'est un signe que la colère de Dieu se fera sentir à la Ville et au Royaume. Et, pour lors, il n'y a point de pénitences et de macérations que les Napolitains ne pratiquent pour détourner les fléaux qu'ils appréhendent ; les moins fervents s'arrachent les cheveux et se meurtrissent à coups de cailloux comme des Saints Jérômes ; les autres s'écorchent ou se font écorcher à coups de fouet ; les autres se chargent de chaînes et font des stations aux églises avec de grosses et pesantes croix sur les épaules. On fait jeûner jusqu'aux enfants. Tout cela s'était pratiqué à Naples avec un si heureux succès que le miracle s'était fait le lendemain pendant que l'on chantait, à la grande Messe célébrée par le cardinal Pignatelli archevêque, Et in terra pax hominibus bonae voluntatis. Cela faisait présager que la paix se feroit dans le cours de l'année ; tout le monde la souhaitait, parce que tout le monde en avait besoin. Le pronostique a pourtant manqué : elle n'a été faite que longtemps après.
DUCLOS
Ce n'est pas dans les couvents seuls qu'on entretient la superstition. C'est dans la cathédrale de Naples, entre les mains de l'archevêque, à la grande satisfaction des petits et des grands, que s'opère, deux fois l'an, la prétendue liquéfaction du sang de saint Janvier. […] La consternation y serait très grande et presque générale si la liquéfaction ne s'opérait pas. Aussi est-il rare qu'elle manque; et cela n'est arrivé que lorsqu'on a eu intérêt de ne pas le vouloir. Par exemple, lorsque, dans la guerre de la succession, nous étions maîtres de Naples et que M. d'Avarey y commandait, la saison du miracle arriva. Les Napolitains coururent à l'église par dévotion, les Français par curiosité; et M. d'Avarey s'y transporta pour maintenir l'ordre et contenir l'indiscrétion française. Il savait que les Napolitains ne sous aimaient pas, nous voyaient averc peine maîtres chez eux, et que l'archevêque était tout dévoué à la Maison d'Autriche. Il le prouva dans cette ocasion. La fiole du sang de saint Janvier était déjà entre ses mains et il l'agitait depuis un quart d'heure sans que la liquéfaction voulût se faire. Le peuple, après avoir prié Dieu d'intercéder auprès de saint Janvier pour en obtenir ce miracle, sans qu'il se fît, commençait à murmurer et en accusait les Français, comme hérétiques, dont la présence était un obstacle aux faveurs du Ciel. Cette fermentation, croissant par degrés, pouvait avoir des suites violentes. […] M. d'Avarey, prenant un parti prompt, envoya un de ses gens dire à l'oreille de l'archevêque qu'il eût à faire sur le champ le miracle, sinon qu'on le ferait faire par un autre et que lui, archevêque, serait aussitôt pendu. Et le miracle se fit. |
• Labat (Jean-Baptiste), Voyages en Espagne et en Italie, t. IV, 1731, p. 65-66.
• Duclos (Charles Pinot), Voyage en Italie ou Considérations sur l'Italie, éd. Maestricht, 1793, p. 163-165. |