<== Retour

MESSES ITALIENNES

Les messes sont très théâtralisées et le comportement des fidèles très théâtral.

GOUDAR
La religion se pratique ici [à Bologne] avec beaucoup de gaieté ; les actes de piété, qui se remplissent dans les églises, sont très réjouissants. La plupart des prières qu'on adresse à l'Être suprême s'exécutent en musique. Les hymnes sont notées, et on les joue en cadence. Presque toutes les bénédictions que Dieu donne à ses peuples y sont avec symphonie et basse continue. C'est en déployant tous les agréments de la voix qu'on s'adresse au Ciel pour implorer sa miséricorde. On parle à Dieu comme on le fait à sa maîtresse. J'allai dernièrement à ce qu'on appelle ici une grand-messe en musique. En entrant dans l'église, je crus d'abord être à l'Opéra : du moins il n'y a aucune différence quand à la composition. Entrées, symphonies, menuets, rigodons, airs à voix seule, duo, chœurs, accompagnements de tambours, trompettes, timbales, cors de chasse, hautbois, violons, fifres, flageolets, etc., en un mot, tout ce qui sert à former l'harmonie d'un spectacle se trouvait employé à celui-ci. C'était un chef-d'œuvre d'impiété. Quand le compositeur aurait fait un messe pour la déesse de la Volupté, il n'aurait pu employer des sons plus tendres, ni des modulations plus lascives. En assistant à ce joyeux sacrifice, il n'y a point de chrétien que ne forme gaiement la résolution d'aimer Dieu. Et afin que ce spectacle ne différât en rien de celui qui se présente sur scène, on avait fait bâtir un théâtre au fond de l'église où les musiciens ce jour-là représentaient la messe. Les airs de ce divin sacrifice ne pouvaient manquer de faire impression sur ceux qui y assistaient, car, pour mieux y réussir, on les avait copiés sur les vaudevilles les plus sales, dont on n'avait fait que changer les paroles. Il y a surtout une hymne adressée à la Divinité dont le second verset commence par ces mots latins Tantum ergo, qui est toujours très divertissant. Il est d'abord question d'un Adagio tendre et voluptueux qui dispose l'âme à la tendresse. Ensuite vient un Allegro qui la retire de cet état de langueur et qui la réjouit infiniment. Il finit pas le mouvement vif et précipité du Rigaudon qui, en Europe, est celui qui invite le plus à la danse.

MISSON
[A Bolsano] nous avons remarqué, au haut de la nef de la grande église, une ouverture ronde qui a environ trois pieds de diamétre. Il y a tout autour une manière de guirlande, qui est liée de rubans de diverses couleurs et d'où pendent je ne sais combien de grandes oublies. On nous a dit que, le jour de l'Ascension, il se fait un certain opéra dans cette église, et qu'un homme qui représente Jésus Christ est enlevé au Ciel par ce trou-là.

GUYOT
C'est une chose incroyable que l'affectation que les Génois font paraître dans leur dévotion. Au lieu d'édifier, ils troublent les spectateurs et sont plus capables d'inspirer le mépris que des sentiments de piété. Lorsque le prêtre sort de la sacristie, tous courent en foule au devant de lui. Les uns l'arrêtent, le autres le poussent pour sanctifier leurs lèvres par l'attouchement du surplis; et ils s'imaginent n'avoir pas bien satisfait leur zèle inconsidéré s'ils ne l'accompagnent jusqu'à l'autel avec tous les témoignages de tendresse et de vénération possible. Lorsqu'il y est arrivé, ils l'environnent tellement que lui et le clerc n'ont pas peu de peine pour pouvoir agir. Pendant l'Introibo et les autres prières que le prêtre prononce à haute voix, on n'entend que des soupirs, des sanglots et des exclamations langoureuses. Mais cela n'est rien en comparaison de ce que l'on voit dans le temps de l'élévation de l'hostie et du calice. Alors ils se prosternent et font toucher leur front à la terre, en faisant d'ardentes prières mêlées d'actes de foi, d'espérance, d'amour, de crainte, de contrition, de douleur et de repentance ; ils élèvent tellement leur voix qu'on s'imaginerait plutôt être dans une sinagogue ou une mosquée que dans une église chrétienne. Ensuite il se relèvent, se frappent rudement la poitrine, froncent les sourcils, lèvent les yeux au ciel et font plusieurs grimaces de la bouche, ce qu'ils accompagnent de signes de croix, et surtout de contorsions et de postures tout à fait ridicules. En un mot, après avoir porté l'extravagance jusqu'au dernier excès, ils se persuadent d'avoir extrêmement mérité devant Dieu, comme aussi de s'être rendus dignes de quelque place dans la magistrature. Cette fausse dévotion n'est pas seulement en usage dans les églises; elle éclate aussi dans les rues et dans les places publiques. Ils affectent d'aller par la ville, toujours le chapelet à la main, et de baiser quelques Ave Maria, lorsqu'ils font des révérences ou qu'ils s'arrêtent pour complimenter quelque personne.

• Ange Goudar, L'Espion chinois ou l'envoyé secret de la cour de Pékin pour examiner l'état présent de l'Europe, 1765, tome III, p. 166, lettre 91.
• Misson (François-Maxiilien), Voyage d'Italie, 5e édition, t.I, 1722, lettre XIII, p. 148.
• Guyot de Merville (Michel), Voyage historique d'Italie, t. I, 1729, p. 69-70.