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LA COURSE DES JUIFS SUR LE CORSO DE ROME

À Rome, avant le mardi-gras, on oblige des juifs à courir tout nus le long de la via del Corso; il s'agit pour eux de s'acquitter d'une partie du tribut qu'il doivent au pape. À leur course s'ajoutent celles des ânes et des buffles.

MONTAIGNE
Le carême-prenant qui se fit à Rome cette année-là fut plus licencieux, par la permission du pape, qu'il n'avait été plusieurs années auparavant. Nous trouvions pourtant que ce n'était pas grand chose. Le long du Cours, qui est une longue rue de Rome, qui a son nom pour cela, on fait courir à l'envi tantôt quatre ou cinq enfants, tantôt des Juifs, tantôt des vieilards tout nus, d'un bout de rue à autre. Vous n'y avez nul plaisir que de les voir passer devant l'endroit où vous êtes.

VILLAMONT
Étant arrivé à Rome huit jours auparavant le Mardi-gras, j'eus la commodité de voir courir le palio des juifs, qui courent tout nus le lundi devant le Jeudi-gras, depuis Notre-Dame du Populo jusqu'au palais de Saint-Marc, qui est une grande et droite rue contenant près d'un mille de longueur. Ce jour-là les juifs payent leur tribut au pape et fournissent les palis du carnaval, chacun desquels vaut vingt-cinq écus et une pièce de velours ou damas de quelque quatre aunes de long. Aux jours dédiés pour les courses, nul n'oserait aller en chariots par le lieu où se fait la course, ni passer pendant que la course se fait, et ce sur peine de la corde, que je vis donner à un Romain pour y avoir passé le Mardi-gras.

GRANGIER DE LIVERDIS
Le lundi en suite du samedi courent les Juifs, que l'on choisit les plus dispos et les plus agiles. Celui qui va le plus vite au but a une pièce d'étoffe de lame d'argent. Ainsi ce seul jour de l'année ils donnent quelque plaisir par leurs courses; mais, le reste du temps, ils sont des objets de compassion et de misère.
Le 22 février, je vis la course ridicule des sommares ou ânes. Les éperons qui servent à les faire aller sont des emplâtres qu'on leur met sur le corps, qui se fondent sur eux, qui pénètrent la peau quand ils sont échauffés et qui excitent leur nature paresseuse à marcher en diligence. […]
Le premier mars, jour du Mardi-gras, se fit la course des buffles. Les aiguillons de fer et pointus que l'on accommode sur eux servent merveilleusement à exciter leur nature pesante et tardive, en sorte que, s'oubliant d'eux-mêmes, ils convertissent leur paresse en vitesse.

• Montaigne (Michel de), Journal du voyage en Italie, éd. Rome 1774, t. II, p. 128.
• Villamont (Jacques de), Les voyages du seigneur de Villamont, divisés en trois livres... Le premier contient la description des villes et forteresses de l'Italie et des antiquités et choses saintes et modernes qui s'y voient, Rouen, Daré, 1607, t.I, chap. XXV, p. 131.
• Grangier de Liverdis (Balthazar), Journal d'un voyage de France et d'Italie, sept. 1660 - mai 1661, Paris, 1667, p. 469 et 472.