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FILLES SIENNOISES À MARIER

A Sienne, une confrairie dite de Sainte-Catherine offre une dot aux filles pauvres méritantes. Puis celles-ci, rassemblées dans l'église, sont proposées en mariage aux hommes qui cherchent une femme.

Il y a à Sienne une Confrairie établie sous le nom de sainte Catherine, laquelle distribue tous les ans plusieurs dots à un certain nombre de pauvres filles d'artisans qui n'ont pas de quoi se marier. Chaque confrère peut en proposer une, pourvu qu'elle ait les qualités requises. II y a un temps fixé pour les proposer, après lequel on met dans une boîte le nom de toutes ces filles. Ensuite on tire autant de noms qu'il y a de dots à distribuer.
Ces filles, après leur élection, sont obligées de se trouver dans l'église de la Confrairie le jour de l'octave de Sainte-Catherine, pour y assister à la grand' messe qu'on y célèbre et accompagner ensuite la procession. Elles sont toutes habillées de blanc, avec un voile de même. En cet équipage, elles ressemblent assez à des religieuses. Chacune d'elles est accompagnée d'une des Dames de la Confrairie. Elles marchent deux à deux, et les Dames les tiennent par la main, les unes et les autres ayant dans la main qui est libre un grand flambeau allumé. Les Dames font éclater leur magnificence en cette occasion. A dire le vrai, cette procession inspire plus d'amour mondain que de dévotion ; il ne faut pas s'en étonner.
Les galants des Dames ne manquant pas de se trouver à cette fête, pendant tout le temps de la procession on les voit se parler, rire et badiner avec elles sans qu'on y trouve à redire. J'ai même vu de ces saintes femmes, pendant cette dévote marche, manger des confiture sèches qu'elles avaient reçues de leurs amants. A l'égard des filles, elles sont obligées à un extérieur plus composé, car on assure que c'est sainte Catherine seule qui leur fait trouver un mari.
Mais poursuivons. Pendant qu'elles marchent, elles sont suivies d'un nombreux essaim de galants, qui leur présentent leurs mouchoirs. Elles les reçoivent gracieusement, et les leur rendent ensuite avec des marques de respect et de reconnaissance. Le don de ces mouchoirs est un témoignage authentique du dessein qu'on a de s'épouser. Cette cérémonie est apparemment prise de celle qui s'observe dans le Sérail du Grand Seigneur, où ce Monarque a coutume de jeter un mouchoir à celle de ses Sultanes qu'il veut honorer de ses faveurs. Quoi qu'il en soit, si quelques-unes de ces filles ne veulent pas consentir à l'amour qu'on leur témoigne, elles rendent les mouchoirs de la même manière qu'elles les ont reçus, les portant doucement à leur bouche en signe de remerciement. Mais lorsqu'elles consentent à épouser ceux qui les recherchent, elles font un noeud au mouchoir avant que de le rendre. Cela signifie que le mariage est conclu, et personne n'est en droit d'y mettre obstacle.

• Guyot de Merville (Michel), Voyage historique d'Italie, t. I, 1729, p. 182-186.