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EXÉCUTION CAPITALE

Pour l'édification des fidèles, les exécutions capitales se faisaient en public, selon tout un rituel. Montaigne a assisté à l'une d'elle : le condamné a été d'abord étranglé par pendaison, puis son corps a été découpé en quatre quartiers devant des spectateurs horrifiés.

L'onzième de janvier au matin, comme M. de Montaigne sortait du logis à cheval, il rencontra qu'on sortait de prison Catena, un fameux voleur et capitaine des bannis, qui avait tenu en crainte toute l'Italie et duquel il se contait des meurtres énormes, et notamment de deux capucins auxquels il avait fait renier Dieu, promettant sur cette condition leur sauver la vie et les avait massacrés après cela, sans aucune occasion ni de commodité, ni de vengeance. Il s'arrêta pour voir ce spectacle. Outre la forme de France, ils font marcher devant le criminel un grand crucifix couvert d'un rideau noir et, à pied, un grand nombre d'hommes vêtus et masqués de toile, qu'on dit être des gentilhommes et autres apparants de Rome, qui se vouent à ce service d'accompagner les criminels qu'on mène au supplice et les corps des trépassés, et en font une confrérie. Il y en a deux de ceux là, ou moines, ainsi vêtus et couverts, qui assistent le criminel sur la charrette et le prêchent ; et l'un d'eux lui présente continuellement sur le visage et lui fait baiser sans cesse un tableau où est l'image de Notre-Seigneur. Cela fait qu'on ne puisse pas voir le visage du criminel par la rue. À la potence, qui est une poutre entre deux appuis, on lui tenait toujours cette image contre le visage, jusqu'à ce qu'il fut élancé. Il fit une mort commune, sans mouvement et sans parole. Était homme noir, de trente ans ou environ. Après qu'il fut étranglé, on le détrancha en quatre quartiers. Ils ne font guère mourir les hommes que d'une mort simple et exercent avec rudesse après la mort. M. de Montaigne y remarqua ce qu'il a dit ailleurs, combien le peuple s'effraie des rigueurs qui s'exercent sur les corps morts, car le peuple, qui n'avait pas senti de le voir étrangler, à chaque coup qu'on donnait pour le hacher s'écriait d'une voix piteuse. Soudain qu'ils sont morts, un ou plusieurs jésuites ou autres se mettent sur quelque lieu haut et crient au peuple, qui deça, qui delà, et le prêchent pour lui faire goûter cet exemple.

• Montaigne, Journal du Voyage de Michel de Montaigne en Italie, éd. Rome, 1774, p. 106-108.