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CRÈCHES DE NOËL

Près des crèches de Noël, dans les églises d'Italie, les fidèles ont des comportements infantiles, ce dont les jésuites ne manquent pas de tirer quelque profit.

Pour la Noël, les Italiens font, sur un autel ou dans une chapelle de leurs églises, une représentation de l'étable de Bethléem, avec de grandes figures qui représentent la Vierge, saint Joseph et l'Enfant Jésus couché dans sa crêche. […] Au berceau de l'Enfant Jésus, il y a plusieurs grands rubans ou cordons attachés, que le monde qui est là présent et à genoux prend et tire fort dévotement pour faire remuer le berceau, de même que nous voyons que les nourrices ont coutume de faire quand elles bercent leurs enfants. Ensuite ils chantent ce qu'on appelle en italien la nà nà, qui sont des chansons dont on se sert pour endormir les enfants : dors mon petit Jésus, dors mon amour, dors na nà, nà na. Ce qui me surprenait c'était de voir quelquefois de vieux hommes ou de vieilles femmes se lever tout en colère lorsqu'elles entendent trop de bruit dans l'église, et dire que l'on se taise, parce que l'on réveillera l'Enfant Jésus, qui n'est pourtant qu'une petite figure de bois ou de carton peint. Enfin il y en a qui se déchaussent en entrant dans l'église, de peur de l'éveiller.
Pendant tout ce temps-là, les moines et les prêtres rient eux-mêmes en derrière, dans leurs sacristies, de toutes ces folies. Je ne les ai jamais vu prendre les cordons pour branler le berceau, et je suis sûr qu'ils auraient de la confusion de le faire. Et c'est peut-être dans ce sens-là qu'ils l'entendent quand ils disent que cela ne se fait point, parce qu'ils ne le font pas eux-mêmes; mais ils sont bien aises de voir le peuple occupé à cela pour leur donner du divertissement.
Et ce petit jeu n'est pas même sans quelque profit pour eux, car il y a bien des gens qui apportent les uns des oeufs frais, les autres des poulets et des chapons pour faire des bouillons à la Vierge. Ils les mettent dans la sainte étable, proche de la statue ; d'autres apportent des fromages et de grandes bouteilles de vin qu'ils mettent proche de saint Joseph. Enfin d'autres jettent des pièces de monnaie dans un grand bassin que les prêtres tiennent là exprès et qui doivent servir, à ce qu'ils disent, pour les nécessités de l'Enfant Jésus. Un jour, un pauvre paysan apporta, avec une grande simplicité et dévotion, une botte de foin et la mit dans la sainte Etable, entre le bœuf et l'âne. Les Jésuites, qui s'en aperçurent, se dirent les uns aux autres : "Fi, fi, il faut ôter cela vitement; cela ruinerait tout ; ils n'apporteraient plus que de l'herbe ; il vaut bien mieux qu'ils apportent de bons jambons et des langues de boeuf pour saint Joseph". Le sacristain courut pour l'ôter ; mais le paysan s'y opposa, disant qu'il ne voulait pas que l'âne et le bœuf mourussent de faim. On lui dit, pour l'apaiser, que l'Enfant Jéſus ferait un miracle et les soutiendrait par sa vertu divine.

• Emiliane (Gabriel d'), Histoire des tromperies des prêtres et des moines décrites dans un voyage d'Italie, t. II, 6e éd. Rotterdam, 1719, p. 216-219]