À la fin du XVe siècle, le pape Alexandre VI voulut que sonnent à trois reprises dans la journée les cloches des églises pour appeler les fidèles à dire la prière de l'Angélus ou Ave Maria. De là la surprise qui attendait le président des Brosses au théâtre à Vérone. D'une manière encore plus surprenante, Montaigne signale un intermède semblable dans une maison de passe. |
DE BROSSES
Que je n'oublie pas de vous dire la surprise singulière que j'eus à la comédie [à Vérone] la première fois que j'y allai. Une cloche de la ville ayant sonné un coup, j'entendis derrière moi un mouvement subit tel que je crus que l'amphithéâtre venait en ruine, d'autant mieux qu'en même temps je vis fuir les actrices, quoiqu'il y en eût une qui, selon son rôle, fût alors évanouie. Le vrai sujet de mon étonnement était ce que nous appelons l'Angelus ou le Pardon venait de sonner, que toute l'assemblée s'était mise promptement à genoux, tournée vers l'Orient, que les acteurs s'y étaient même jetés dans la coulisse, que l'on chanta fort bien l'Ave Maria, après quoi l'actrice évanouie revint, fit fort honnêtement la révérence ordinaire après l'Angelus, se remit dans son état d'évanouissement, et la pièce continua. Il faudrait avoir vu ce coup de théâtre pour se figurer à quel point il est original.
MONTAIGNE
Un quidam étant avec une courtisane et couché sur un lit et parmi la liberté de cette pratique-là, voilà sur les 24 heures l'Ave Maria sonner. Ele se jeta tout soudain du lit à terre et se mit à genoux pour y faire sa prière. Etant avec un autre, voilà la bonne mère (car notamment les jeunes ont des vieilles gouvernantes, de quoi elles sont des mères ou des tantes) qui vient heurter à la porte et, avec colère et furie, arrache du col de cette jeune fille un lacet qu'elle avait où il pendait une petite Notre-Dame, pour ne la contaminer de l'ordure de son péché. La jeune sentit une extrême contrition d'avoir oublié à se l'ôter du col comme elle avait accoutumé. |
• Brosses (Charles président de), Le président de Brosses en italie, Lettres familières écrites d'Italie en 1739 et 1740, 2e éd., t. I, 1858, p. 138 : lettre à M. de Blancey, 25 juillet 1739.
• Montaigne (Michel de), Journal du voyage en Italie, éd. Rome 1774, t. II, p. 141.
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