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Orléans et villes-fleuves du monde au fil des siècles : histoire d'eau et d'art
Hommage à Alain Malissard
Orléans, 16-18 mars 2017

LES ROMAINS ET LE TIBRE : LA ROME ANTIQUE COMME VILLE-FLEUVE ?

Émilia NDIAYE
MCF latin, Université d'Orléans


Bibliographie d'Alain Malissard

Cette bibliographie ne concerne que les ouvrages, articles et conférences sur le thème de l'eau. Les numéros en caractères gras renvoient aux références utilisées ici.

1. Les Romains et l'eau, Fontaines, salles de bains, thermes, égouts, aqueducs…, Paris, Les Belles Lettres, 1994 (2è édition revue et augmentée 2002), 342 p. (prix Philippe Lamour 1996). [Traduction espagnole, Barcelone, Herder, 1996].

2. En collaboration avec R. Bedon (éd.), La Loire et les fleuves de Gaule romaine et des régions voisines, Actes du colloque international (Orléans, mai 1998), Caesarodunum, XXXIIIXXXIV, Limoges, 1999-2000.

3. Les Romains et la mer, Paris, Les Belles Lettres, 2012, 348 p. (médaille de l'Académie de Marine, 2013).

4. « Mare nostrum, une Méditerranée / Ein Meer inmitten von Ländern », Der Altsprachliche Unterricht, Mars 1993, p. 51-61.

5. « A-t-on bien lu Vitruve ? À propos du De Architectura, 8, 6, 1-2 », in Ch.-M. Ternes, R. Bedon et P. M. Martin (éd.), Mélanges offerts à R. Chevallier, I. Présence des idées romaines dans le monde d'aujourd'hui, Luxembourg, 1994, p. 201-208.

6. « Rome et la gestion des eaux à l'époque de Frontin », in R. Bedon (éd.), Les aqueducs de la Gaule romaine et des régions voisines, Actes du colloque international (Limoges, 1996), Caesarodunum, XXXI, Limoges, 1997, p. 559-572.

7. «  Dérives et délices des thermes romains », Historia, 45, 1997, p. 95-101.

8. « Les thermes romains, du vestige au fantasme », conférence à la Section orléanaise de l'Association Guillaume-Budé, 1999 (compte rendu disponible sur le site : http://www.bude-orleans.org/archives/conf5.html#19991025).

9. « L'eau des villes et l'eau des champs », in R. Bedon et N. Dupré (éd.), Rus amoenum. Les agréments de la vie rurale en Gaule romaine et dans les régions voisines, Actes du colloque international (Limoges, juin 2002), Caesarodunum, XXXVII-XXXVIII, Limoges, 2003- 2004, p. 63-74.

10. « L'inaccessible demeure des divinités des eaux gréco-romaines », in E. Zayas (éd.), Territoires rêvés, Actes du colloque à l'Université d'Orléans (juin 2003), Orléans, 2004, p. 28-35.

11. « L'eau et le pouvoir au temps de l'empire romain », Mémoires de l'Académie d'Orléans, VIe série, t. 14, 2004, p. 171-178.

12. « Images du Tibre latin », conférence à l'Association amicale et Culturelle Orléanaise de Rencontres Franco-italiennes (ACORFI), 2004 (compte rendu disponible sur le site : http://www.acorfi.asso.fr/passe/2003-04/040316.html).

13. « Une marque prestigieuse de la présence romaine : Le Pont du Gard, 2000 ans d'histoire », (interview) Midi Libre, Hors Série, 2005, p.17-18.

14. « Les thermes de Caracalla et leur galerie d'art », conférence à la Section orléanaise de l'Association Guillaume-Budé, 2006 (compte rendu disponible sur le site : http://www.bude-orleans.org/archives/conf6.html#20060404/

15. « Une cité vulnérable, la Rome antique; inondations et tentatives de prévention du risque environnemental (Ier s. avant J.-C.- IIe s. après J.-C.) », Mémoires de l'Académie d'Orléans, VIe série, t. 17, 2007, p. 135-145.

16. « Un exemple de création urbaine en milieu humide : Rome », in E. Hermon (éd.), L'eau comme patrimoine. De la Méditerranée à l'Amérique du Nord, Actes du colloque international, La gestion intégrée de l'eau dans l'histoire environnementale : savoirs traditionnels et pratiques modernes, Université de Laval (octobre 2006), Université Laval, Québec, 2008, p. 237-256.

17. « L'expression du pouvoir dans le De aquae ductu Vrbis Romae de Frontin », in O. Devillers et J. Meyers (éd.), Pouvoirs des hommes, Pouvoir des mots, des Gracques à Trajan. Hommages à P.-M. Martin, Louvain-Paris, 2008, p. 443-452.

18. « Oceanus : imaginaire et questionnement scientifique », in É. Ndiaye (éd.), L'imaginaire de l'eau dans la littérature antique, Actes de la journée scientifique du XLVe Congrès de l'APLAES (Orléans, 2012), Paris, 2014, p. 1-11 (disponible sur le site http://revues.aplaes.org/index.php/annales/article/view/3).

La plupart de ces textes sont disponibles sur le site : http://www.bude-orleans.org/malissard-biblio/am-index.html


 

Pour rendre hommage à Alain Malissard et plus précisément à ses travaux sur l'eau dans la Rome antique, ma communication se propose d'axer le propos sur l'eau dans la perspective des villes-fleuves choisie par le colloque. Je m'efforcerai de resserrer le lien entre les Romains et l'eau tel que l'a mis en évidence Alain Malissard dans ses travaux à celui qu'ont entretenu les Romains, cette fois-ci en tant qu'habitants de la ville de Rome, avec une eau particulière, celle de son fleuve le Tibre. On passe de l'eau comme élément, aqua, à l'eau courante, unda. Ce rapport se décline sur plusieurs plans qui ont été donnés par Alain Malissard, dans l'un ou l'autre de ses travaux, et qui serviront de cadre à l'exposé. Nous pourrons alors tenter de répondre à la question – que ne s'est pas posée, et pour cause, Alain Malissard, mais qui est celle qui nous intéresse aujourd'hui – de savoir dans quelle mesure Rome peut être qualifiée de ville-fleuve.

*

Pour commencer, je citerai la dernière phrase d'un des articles d'Alain Malissard, « L'eau des villes et l'eau des champs » (AM 9), phrase un peu provocatrice par sa forme négative: « À Rome, il n'y a jamais eu d'Ilissos où philosopher les pieds nus », allusion à la petite rivière des faubourgs d'Athènes évoquée dans un célèbre passage du Phèdre de Platon (228e-229b), qui est rappelé en note :

Socrate : « Quittons le chemin, de ce côté, et suivons l'Ilissos. Après, quand l'endroit te semblera tranquille, nous nous assoirons.
Phèdre : J'ai fort bien fait, je vois, de venir pieds nus ; toi, bien sûr, c'est ton habitude. Ainsi nous pourrons facilement suivre le ruisseau, les pieds dans l'eau ; ce ne sera pas désagréable surtout en cette saison et à cette heure du jour.
Soc. : Eh bien, avance, et cherche en même temps où nous pourrons nous asseoir.
Ph. : Vois-tu, là-bas, ce très haut platane ?
Soc. : Oui, bien sûr. Ph. : Il y a là de l'ombre, un peu d'air, de l'herbe pour nous asseoir ou, si nous voulons, pour nous étendre. »

On perçoit bien la signification de la conclusion d'Alain Malissard. Les Romains sont davantage ingénieurs que philosophes, ils ont apprivoisé l'eau des champs en ville en recréant des décors champêtres dans les villas, de même qu'ils ont aménagé l'eau des campagnes : « L'eau des champs romaine n'est pas naturelle, elle est arrangée par l'artiste, poète ou écrivain, comme l'eau des villes était arrangée par l'architecte » (AM 9).

Point d'Ilissos donc à Rome : mais il y a le Tibre, «  le Tibre aux deux visages  », pour reprendre le titre d'une des parties de la communication d'Alain Malissard à l'Académie d'Orléans en 2007 (AM 15). Cette double face du fleuve est une constante de la Ville, «  ce qu'exprime, au commencement de l'aventure et d'une manière presque naïvement symbolique, le tout début de la légende fondatrice : les eaux qui devaient perdre Romulus et Remus les ont sauvés en se retirant  », selon les mots d'Alain Malissard dans la même communication.

La légende des jumeaux est bien connue, relisons Tite-Live (1, 3-6) :

« L'ordre est donné de précipiter les enfants dans le fleuve. Par un merveilleux hasard, signe éclatant de la protection divine, le Tibre débordé avait franchi ses rives, et s'était répandu en étangs dont les eaux languissantes empêchaient d'arriver jusqu'à son lit ordinaire ; cependant, malgré leur peu de profondeur et la tranquillité de leur cours, ceux qui exécutaient les ordres du roi les jugèrent encore assez profondes pour noyer des enfants. Croyant donc remplir la commission royale, ils les abandonnèrent aux premiers flots, à l'endroit où s'élève aujourd'hui le figuier Ruminal, qui porta, dit-on, le nom de Romulaire. Ces lieux n'étaient alors qu'une vaste solitude. S'il faut en croire ce qu'on rapporte, les eaux, faibles en cet endroit, laissèrent à sec le berceau flottant qui portait les deux enfants : une louve altérée, descendue des montagnes d'alentour, accourut au bruit de leurs vagissements, et, leur présentant la mamelle, oublia tellement sa férocité » [1]

Déclinons donc ces deux facettes du fleuve.


Au commencement était le Tibre…

La tradition légendaire et la dimension religieuse du fleuve

Dans la légende épique, deux passages évoquent l'accueil bienveillant du Tibre, tous deux rappelés par Alain Malissard lors de ses conférences (AM 12 et AM 15). Le premier se situe au chant 7 de l'Énéide, v. 29-34 : c'est la vue du Tibre à son embouchure, « fleuve charmant et ses tourbillons rapides et aux flots jaunis par le sable », qui incite Énée à débarquer sur la rive du Latium, à hauteur de la future Ostie. Le second, bien plus long, au chant 8, v. 26-68, met en scène l'apparition de Tibérinus, le « génie du lieu » – il sera qualifié de pater en 8, v. 540, et 10, v. 420 – qui se montre au héros au moment où celui-ci doit se confronter aux Rutules menés par Turnus, et à ses alliés. Tibérinus lui annonce le prodige qui l'attend :

« Alors lui apparût en personne le génie du lieu, Tibérinus au beau cours. Il se dressa, sous l'aspect d'un vieillard, parmi les feuillages des peupliers : une fine étoffe de lin l'enveloppait d'un voile glauque et de sombres roseaux couvraient sa chevelure. Il adressa au héros des paroles qui dissipèrent ses soucis : "Rejeton d'une race divine, toi qui nous ramènes la ville de Troie, arrachée aux ennemis, toi le sauveur de Pergame l'éternelle, toi qu'attendent la terre des Laurentes et les campagnes du Latium, ici tu trouveras une demeure sûre, des pénates sûrs ; ne renonce pas, ne crains pas les menaces de guerre ; toute la rancoeur des dieux et leurs colères s'en sont allées. Et maintenant, ne va pas croire qu'il s'agit là de songes vains : tu découvriras, sous les yeuses de la rive, une énorme truie, mère de trente petits ; toute blanche, elle sera étendue sur le sol, et pendus à ses mamelles, ses petits, eux aussi, seront blancs. Ce sera l'endroit d'une ville, un havre sûr après les épreuves" » [2].

C'est le Thybris et ses rives, que Virgile évoque dès le chant 3, v. 500, puis 703, 715, 737, comme synecdoque du Latium. Au chant suivant, le fleuve participe au combat contre les Rutules, tel le Scamandre au chant 20 de l'Iliade.

D'autres légendes donnent une dimension religieuse au fleuve. D'après plusieurs poètes, d'Horace à Stace [3], Rhéa Silvia, la mère des jumeaux, meurt noyée dans le Tibre qu'elle épouse. Jacques Poucet (Les origines de Rome, tradition et histoire, Bruxelles, 1985 [4]) a pu parler, reprenant la formule de Francesco Della Corte pour Enée, de la « Tiberizzazione » d'Hercule à propos de l'épisode de sa remontée à la nage dans le Tibre, quand au VIIIe s. ce dieu a été introduit au Latium pour expliquer le culte de l'Ara Maxima au Forum Boarium. Ovide, Fastes, 5, v. 620-662, rappelle cette légende, qui explique le rite des Argées au cours duquel des mannequins d'osier sont jetés dans le Tibre.

De fait, l'île Tibérine compte plusieurs temples et sanctuaires : outre celui du Tibre, dont la fête était célébrée le 8 décembre (AM 12), ceux de Faunus, Jupiter et Esculape. C'est pourquoi sans doute l'eau du fleuve est une eau lustrale : Enée y fait ses ablutions dès qu'il touche le sol italien pour invoquer Jupiter et sa mère. Elle a également une fonction thérapeutique, pour soigner les malades5, ce qui expliquerait que le temple d'Esculape se trouve sur l'île Tibérine.

Le Tibre, Pierre Bourdet, 1685-1690, Musée du Louvre

 

Les jumeaux avec la Louve sont placés sous le bras protecteur du Tibre.

 

Mais la légende s'appuie sur la réalité.

La réalité du Tibre : une situation stratégique, limite et voie de communication

« Rome dispose des avantages d'une ville portuaire sans connaître les inconvénients des cités totalement maritimes ; terrienne, elle n'est pas pour autant privée d'un accès à la mer et Cicéron en fait, on le sait, l'un des avantages principaux du site. Dans les premiers temps de la République, le fleuve put ainsi servir à la fois de frontière terrestre et d'ouverture sur le monde extérieur », récapitule Alain Malissard (AM 15). Il s'agit de ce que Vitruve, cité par Robert Bedon [6], nomme les opportunitates fluminum (De l'architecture, 1, 5, 1). L'hydrographie était un critère majeur pour le choix d'un site de fondation d'une colonie, et ce depuis les Grecs.

De nombreuses références littéraires soulignent l'importance du fleuve à plusieurs égards. Comme c'est souvent le cas pour les fleuves, le Tibre a servi de limite. Il délimite l'ancien Latium et sert de frontière entre le territoire des Étrusques et celui des Latins. Alain Malissard rappelle que, dès le VIIe siècle, ces derniers attirés par l'Italie du Sud et la Campanie franchissent le fleuve (AM 15). De fait plusieurs épisodes des guerres entre Véiens et Latins narrés par Tite-Live dans les livres 1 et 2, tournent autour du franchissement, dans un sens ou dans l'autre, du Tibre [7]. Les plus connus se situent pendant la guerre entre les Étrusques de Porsenna et les Latins (508 avant J.-C.). Les exploits d'Horatius Coclès – qui défend l'entrée du pont Sublicius pour laisser aux Romains le temps de le couper (AM 12), comme l'illustre une monnaie –, et de Clélie – donnée comme otage et qui s'échappe du camp étrusque pour retraverser le fleuve vers Rome – sont rapportés par Tite-Live (2, 10-13).

Coclès et le pont Sublicius démoli, monnaie datée de 140-143 ap. J.-C.

 

Tite-Live, Les origines de Rome, D. Briquel (éd.), 2007

C'est surtout le lien du Tibre avec la mer qui est son point fort, en en faisant une voie de navigation et de communication. Dans le célèbre passage de la République de Cicéron (2, 3-6), évoqué dans la citation d'Alain Malissard ci-dessus, un des avantages dans le choix du lieu où fonder la cité, est précisément le Tibre. Après avoir exclu la côte maritime et ses dangers, Cicéron souligne que la présence du fleuve permet de profiter de la sécurité de l'intérieur des terres et des échanges maritimes : «  Sur les bords d'un fleuve dont les eaux toujours égales et ne tarissant jamais vont se verser dans la mer par une large embouchure; par la voie duquel la cité peut recevoir de la mer ce qui lui manque, et lui rendre en retour ce dont elle surabonde, et qui alimente perpétuellement nos marchés par la communication incessante qu'il établit entre la mer et Rome d'un côté, de l'autre entre la ville et l'intérieur des terres  » [8].

L'argument est repris par Tite-Live, en 5, 54, dans le discours de Camille de retour d'exil en 391 avant J.-C., après la prise de Rome par les Gaulois. Alain Malissard le cite dans un autre article (AM 16), avec l'énumération des raisons du choix, par les dieux et les hommes, du site de Rome : « Des collines où l'air est excellent ; un fleuve qui se prête si bien au transport des denrées de l'intérieur ; la proximité de la mer, précieux avantage pour le commerce sans l'inconvénient des attaques de la mer ; une position enfin au centre de l'Italie, condition essentielle pour l'agrandissement de notre ville ». Alain Malissard y mentionne également l'importance des salines, rappelée par Tite-Live (1, 33), à propos des travaux faits par Ancus Martius :

« Le Janicule aussi est lié au corps de la ville, non par défaut de terrain, mais pour garantir cette position contre les surprises. On atteignit ce but, non seulement par le moyen d'un mur prolongé jusqu'aux habitations, mais par un pont de bois, le premier qu'on éleva sur le Tibre, et qui rendit facile le passage d'une rive à l'autre. […] L'empire fut reculé jusqu'à la mer, Ostie fondée à l'embouchure du Tibre, des salines établies autour de cette ville ».

Et de fait, le fleuve Tibre possède bien des avantages, ce que confirment les géographes :

« Né dans les Apennins, le Tibre est le cours d'eau le plus puissant et le plus long de la péninsule italienne, qu'il parcourt sur 396 km en traversant la Toscane, l'Ombrie et le Latium avant de se jeter par une bouche ensablée dans la mer Tyrrhénienne. Outre sa longueur, deux traits spécifiques font encore son originalité : sa largeur, toujours inférieure à 100 mètres (80 m à Rome), ce qui rend relativement aisée la construction de ponts et, paradoxalement en apparence, la grande régularité de son cours. Par lui-même en effet, et par certains de ses affluents comme la Nera, le Tibre bénéficie d'une alimentation de type karstique qui fait en grande partie disparaître l'étiage important que connaissent naturellement les autres fleuves méditerranéens [9]. Pour les villes installées sur ses rives, ces deux traits sont évidemment tout à fait favorables. Facile à franchir, le Tibre est également très fiable, tant pour l'alimentation quotidienne en eau que pour la navigation. Dans le cas particulier de Rome, située à 26 km de l'embouchure, il faut encore ajouter que le fleuve est jusqu'à cette distance assez profond (à peu près 3 m. à Rome) pour que les gros bateaux, une fois franchis les hauts-fonds sableux d'Ostie, remontent, les plus petits à la rame ou à la voile, les plus gros par halage, jusqu'au pied du Palatin » (AM 15 et AM 16).

L'histoire et l'archéologie, de leur côté, apportent la preuve que la navigation sur le Tibre s'est faite dès époque mycénienne (XII-Xe s.), et que les voies commerciales passent par le Tibre dès les IX-VIIIe siècles, en particulier grâce aux salines d'Ostie aménagées fin VIIVIe. Carrefour commercial, « Rome disposa rapidement de deux ports » (AM 16), un emporium au pied de l'Aventin, où se fait tout le commerce, et des arsenaux et chantiers navals au Champ de Mars, avec un va-et-vient marchand très intense qu'Alain Malissard évoque dans Les Romains et la mer (AM 3, cf. infra). Il précise dans le même ouvrage, les aménagements faits à Ostie, d'abord par Claude en 65, puis par Trajan en 112, un deuxième bassin étant alimenté par dérivation du Tibre.

Comme le disent et Joël Le Gall en 1953 et Thierry Camous en 2004 : « Sans le Tibre Rome n'aurait pas existé » [10], « Nous touchons là sans doute la raison d'être de Rome » [11]. Mais, rajoute Alain Malissard, «  Cette situation aurait pu être idéale si le Tibre n'avait été comme ambivalent : commercialement très favorable, il est potentiellement dangereux  » (AM 15).

Si, en l'occurrence, le Tibre présente, dans la légende de la fondation, d'abord son visage sombre puis le visage riant, la plupart du temps c'est l'inverse:

« À côté du Tibre accueillant et paisible que décrit Virgile quand Enée le découvre existe en fait un autre Tibre capricieux et conquérant qui vient régulièrement, sous la République et sous l'Empire, jeter le trouble et la dévastation dans une ville toujours plus vaste et plus construite. Plus nombreuses que les incendies, et souvent tout autant dévastatrices, les grandes inondations se répètent en effet régulièrement tout au long de l'histoire de Rome » (AM 15).

Les explications de ces inondations sont données dans le même article :

« Rendu pérenne par un type particulier d'alimentation, il n'en reste pas moins un fleuve méditerranéen qui peut connaître des crues violentes et soudaines. Dans toute sa basse vallée, c'est-à-dire dans le Latium et spécialement à partir de Rome, sa pente devient en outre très faible (elle est de 0,33 m par km jusqu'à Fara Sabina, de 0,24 m ensuite) et son cours se ralentit, chargeant d'alluvions et de sable un lit peu encaissé dont les eaux franchissent aisément les rives. À Rome, quand, en février, mars, avril et novembre, décembre, c'est-à-dire dans la saison des hautes eaux, surviennent des orages ou de fortes pluie, le Tibre déborde […] et la Ville doit souvent subir les assauts d'un fleuve qui lui devient soudainement hostile » (AM 15)12.

Ce qui est résumé en une phrase : « La ville dut grandir à la fois grâce au fleuve et contre lui ». Comment dès lors faire face à ces aléas ?


La gestion du fleuve, expression du pouvoir technique et politique

Une fois établie l'importance du Tibre pour la fondation de Rome, l'extension de la Ville, dont on évalue la population à 1 million d'habitants au Ier siècle de notre ère, dépend en grande partie de la gestion des eaux du fleuve. Celle-ci révèle le pouvoir des Romains sous deux angles, pouvoir au sens de maîtrise technique, et pouvoir au sens d'autorité politique.

Des marécages de la « Rome fangeuse » de Romulus au forum : des ingénieurs étrusques au génie romain.

En contrepoint d'un emplacement idéal, Alain Malissard précise : « Ce qui allait devenir, beaucoup plus tard et pour un temps, la capitale du monde occidental, s'établissait en fait, avec la lenteur et la ténacité des hommes qui creusent et travaillent la terre, sur un site a priori défavorable et par endroits pratiquement inhabitable » (AM 15). Ou encore : « Dans un tel contexte hydrologique et géographique, l'emplacement présentait peu d'intérêt : ce n'était au bord d'un fleuve au cours incertain, que quelques collines au-dessus d'une plaine aux allures de marigot » (AM 16).

Tout aussi connues que le Tibre, les sept collines du site de Rome sont qualifiées de «  très saines  » par Cicéron dans le même passage de la République, mais situées dans une « zone marécageuse (regione pestilenti) ». On pourrait reprendre la présentation de la naissance de Rome mais cette fois-ci en se plaçant sur les collines, lieu des premières habitations. Celles-ci se font, dès l'âge de fer, sur les collines qui dominent le Tibre, et non au bord du fleuve, où ne se trouvent que l'emporium et le Forum Boarium :

« La mieux placée de ces collines et la plus adaptée pour des peuplements humains était certainement le Palatin. D'une hauteur de 51 m au sommet principal, il dominait abruptement le Tibre du côté du Germal, mais était, de l'autre côté, relié à l'Esquilin par une dépression et une seconde hauteur de moindre importance, la Velia. Le premier village s'y installa sans doute entre l'âge du bronze et le début de l'âge du fer, et, près de lui, le Capitole fut probablement occupé dès le XIVe siècle » (AM 16).

 

Tite-Live, Les origines de Rome, D. Briquel (éd.), 2007

La dépression qui s'étendait au pied des collines, marécageuse et inhabitable ne reçut en fait, durant de longs siècles, aucun aménagement particulier – ne servant qu'à enterrer les morts (AM 16). Mais les choses changent au VIIe siècle :

« Le site des sept collines se prêtait particulièrement à cette évolution qu'il rendait même absolument nécessaire : les parties basses en effet devaient d'autant plus devenir un lieu d'échange, de rencontres et de commerce qu'elles ouvraient aussi, par le Vélabre et au pied des collines les plus proches du fleuve, sur une belle zone portuaire. Les travaux d'assainissement du Forum commencèrent probablement dans la seconde moitié du VIIe siècle. Ils furent à la fois favorisés par les connaissances techniques des ingénieurs étrusques et par la nature même d'un terrain fait de dépôts alluviaux reposant sur une épaisse couche de tufs volcaniques. […] On appliqua la technique des drains, que les Étrusques utilisaient depuis longtemps déjà » (AM 16).

L'impulsion des Étrusques est en effet décisive pour l'assèchement de ce «  marigot  », qui se fait en plusieurs étapes. D'abord le creusement de drains, puis un réseau d'égouts :

« Vers la fin du VIIe siècle, furent effectués les grands travaux spectaculaires qui devaient intégrer totalement les parties humides et basses à l'ensemble des noyaux urbains qui les dominaient. Pour assainir totalement le fond de la vallée, on entreprit en effet le creusement dans le tuf d'un complexe réseau de drains souterrains sur lesquels la ville se trouva plus tard comme suspendue. Le grand égout central ne fut cependant d'abord que la canalisation du cours du Vélabre par lequel le Forum communiquait directement avec le Tibre et le Tibre avec le Forum. Relié aux canaux à ciel ouvert qui furent alors partiellement recouverts et 13 profondément recreusés, il devint la cloaca Maxima, le grand collecteur auquel aboutissaient tous les cuniculi et qui débouchait dans le Tibre non loin du forum Boarium » (AM 16).

La cloaca maxima est un des mirabilia Romana énumérés par Pline [13], dans son Histoire naturelle, 36, 104-108. Alain Malissard reprend l'évocation faite par le naturaliste d'Agrippa, édile, naviguant lors des travaux de réfection en 33 avant J.-C. sur ce fleuve qui traverse la ville en son milieu, « sous la ville ainsi suspendue (urbe pensili) » (AM 1).

Pour résumer : « La Ville s'est d'abord construite à partir des collines sûres et salubres, au-dessus du Tibre et contre lui; sa puissance est venue des égouts et des drains. Pour naître au monde, elle a dû inventer l'aménagement du territoire et les grands travaux, mais les architectes et les ingénieurs ne sont venus qu'après les paysans, qui ont travaillé, puis soumis le sol et obtenu que les eaux se retirent » (AM 15 et AM 16). Dès l'origine la ville apparaît comme «  une cité vulnérable  », pour reprendre le titre de la communication d'Alain Malissard, dont les « traces sont persistantes » (AM 15). Par exemple dans l'anecdote rapportée par Ovide, Fastes, 6, v. 395-41614, que rappelle Alain Malissard, d'une vieille marchant déchaussée sur les lieux des anciens marécages.

Or la Ville doit affronter une situation plus problématique, les crues de son fleuve.

Les inondations

Alain Malissard insiste sur les effets de ces inondations : « Rome est une ville fragile et vulnérable parce qu'elle est, comme toutes les villes antiques, "incendiable", et qu'elle est en outre inondable ». De fait, « la montée des eaux est fréquemment rendue très dangereuse par sa rapidité, qui ajoute les pertes humaines aux destructions » (AM 15). Présentes dès la fondation de la Ville, les crues du Tibre, parmi les autres catastrophes naturelles, sont un thème récurrent dans la vie des Romains. «  Selon le recensement établi en 1952 par Joël Le Gall, il y aurait eu de quatre à six inondations majeures par siècle entre 414 avant J.-C. et 398 après J.-C., mais on ne peut être certain ni de leur nombre, ni de leur réelle importance  » (AM 15).

Voici la liste telle que la donne Alain Malissard – nous y avons intégré deux citations d'historiens qui en signalent les effets :
– vers 750 : une inondation est à l'origine de la légende du lacus Curtius ;
– 363 ou 364 : le grand Cirque est inondé ;
– 214 : écroulements de maisons ;
– 193, 192 : voir Tite-Live : « Cette année-là (193) les eaux s'élevèrent à une grande hauteur et le Tibre inonda les parties basses de la Ville. Des maisons s'écroulèrent autour de la Porte Flumentana ». « Un débordement du Tibre, plus désastreux que celui de l'année précédente, renversa deux ponts et plusieurs édifices, surtout aux abords de la porte Flumentana » (35, 9, et 21, 5) ;
– 189 : écroulements et la chute d'une énorme pierre du Capitole sur le Forum ;
– 156 : le pont Æmilius est emporté ;
– fin oct.-début nov. 54 : via Appia coupée, porte Capène atteinte; effondrements d'immeubles; l'écoulement des eaux s'effectue par la vallée Munia et le grand Cirque ;
– 28 ou 29 : le Trastevere (rive droite), généralement épargné, est atteint par la crue;
– nuit du 16 au 17 janvier 27 : Rome devient navigable ;
– fin juin-début juillet 13 avant J.-C. : le Tibre atteint le théâtre de Balbus ;
– 5 après J.-C. : le pont Sublicius est emporté ; l'inondation dure sept jours; il y a un début de famine ;
– 12 : l'inondation provoque le déplacement des jeux en l'honneur de Mars ;
– 15 : l'inondation provoque des effondrements ; il y a de nombreuses victimes ;
– 36 : Rome devient navigable ;
– 69 : une très forte inondation se produit au moment du départ en guerre de l'empereur Othon. Voir Tacite : «  l'inondation fut si importante qu'elle causa de nombreuses victimes, emporta le pont Sublicius, occupa la totalité du Champ-de-Mars, coupa la voie flaminienne et provoqua l'effondrement de grands immeubles minés par les eaux ; beaucoup de gens furent emportés dans les rues, beaucoup plus encore dans les boutiques ou dans leurs lits  » (Histoires, 1, 86).

Alain Malissard, dans sa communication lors du colloque de Laval, renvoie à un article de Philippe Leveau [15]. Celui-ci ajoute aux recherches de Joël Le Gall deux séries d'observations : d'abord la réalité d'une politique impériale globale de gestion du bassin (conscience de l'impact de l'anthropisation – modes d'occupation – du fleuve, travaux effectués dès le IIIe s. av. J.-C.); ensuite le rôle de la composante climatique décelée dorénavant. D'un simple constant de fréquence des crues sous Auguste et Tibère, on est passé à l'hypothèse sinon d'un dérèglement hydrologique, du moins d'une oscillation climatique de la fin Ier siècle av. J.-C. à la fin du Ier après (soit augmentation des précipitations, soit précipitations extrêmes).

« Ces grandes catastrophes frappèrent suffisamment les esprits pour qu'en plus des historiens, les écrivains et les poètes en évoquent aussi le souvenir et la violence : chez Horace (Odes, 1, 2, 10-20), par exemple, ou chez Pline le Jeune, l'inondation, traitée de manière littéraire, prend l'aspect d'un véritable déluge  » (AM 15). Voici ce que décrit Pline dans une de ses lettres à un correspondant, Macrinus, loin de Rome (Lettres, 8, 17) :

« Avez-vous aussi dans le climat que vous habitez une température rude et cruelle ? On ne voit à Rome qu'orages et qu'inondations. Le Tibre est sorti de son lit et s'est répandu sur ses rives basses. Quoique le canal que la sage prévoyance de l'empereur a fait faire en ait reçu une partie, il remplit les vallées, il couvre les campagnes; partout où il trouve des plaines, elles disparaissent sous ses eaux. De là il résulte que, rencontrant les rivières qu'il a coutume de recevoir, de confondre et d'entraîner avec ses ondes, il les force à retourner en arrière, et couvre ainsi de flots étrangers les terres qu'il n'inonde pas de ses propres flots » [16].

Pendant des siècles et malgré les perturbations ou les troubles qui en résultaient, ces phénomènes font partie, ainsi que les tremblements de terre de cette région sismique, des aléas naturels ou sont vécus comme prodiges divins. Les crues du Tibre ont une valeur prémonitoire : le fleuve est un prophète, qui parle par ses inondations, celles-ci sont avertissement donnés par les dieux :

« Depuis toujours en effet le seul recours était de considérer que les inondations récurrentes du Tibre avaient une dimension religieuse ; évidentes perturbations de l'ordre naturel, elles constituaient, semblait-il, autant d'avertissements et de prodiges et n'étaient que l'expression d'une volonté divine, plus ou moins vengeresse. Le vrai remède n'était donc pas à chercher dans les prouesses techniques ou la sévérité des lois, mais dans le respect des rites. Il fallait, par exemple, consulter les livres sibyllins ou célébrer correctement, plusieurs fois dans l'année, les fêtes qui étaient consacrées au dieu Tibre dans son sanctuaire de l'île Tibérine » (AM 15).

En période de conflits, elles sont causes de report d'une attaque, comme en Tite-Live, 4, 49, 2, ou Tacite, Histoires, 1, 86, 3.

La longue liste des inondations prouve qu'aucune solution n'a été trouvée :

« Le problème était très différent de celui qu'avaient dû résoudre les premiers habitants du site. Il ne s'agissait plus en effet d'une situation permanente qu'on pouvait traiter par des moyens techniques déjà bien éprouvés, mais d'événements alors imprévisibles, espacés dans le temps, de puissance variable et d'étendue plus ou moins grande, qui ne rendaient pas en outre la cité vraiment inhabitable et n'entravaient pas son développement. Quand une inondation s'était produite, on pouvait toujours penser qu'elle ne reviendrait pas de sitôt, et, mis à part les temples du Forum et la Curie, les organes essentiels de l'Etat se trouvaient, sur des hauteurs. La plupart des riches et des puissants avaient aussi pris soin d'habiter sur les collines et seules pouvaient être menacées les résidences d'agrément qu'ils possédaient parfois sur les rives mêmes du fleuve » (AM 15).

C'est avec l'Empire que les choses prennent une autre tournure : « Soucieux de leur gloire et de l'appui des masses populaires, les empereurs, qui distribuaient au peuple "du pain et des jeux", devaient se soucier aussi du mécontentement que provoquait toujours le retour assez régulier des inondations. C'est donc à partir de l'époque impériale que l'on voit apparaître à Rome ce qu'on peut appeler une politique publique de prévention du risque environnemental » (AM 15).

Quelles solutions donner alors à ces phénomènes ? La première consisterait à endiguer le fleuve : « La méthode la plus simple en apparence était évidemment d'endiguer le fleuve, mais cette solution qui fut certainement appliquée dans le Latium n'était guère envisageable à Rome; les parties basses de la ville se trouvaient en effet si peu élevées au-dessus du niveau moyen du Tibre qu'on n'aurait pu les protéger qu'en érigeant un véritable rempart ou qu'en recreusant sans trêve le lit du fleuve » (AM 15). Devant cette impossibilité, on pense à canaliser le cours du Tibre, comme César dans un projet qui conjugue investissement immobilier et gestion du fleuve :

« Les ingénieurs romains étaient cependant plus aptes à canaliser qu'à endiguer […]. Une solution de ce type fut quand même un instant envisagée. Intitulée De Vrbe augenda, la loi que César proposa, peut-être en 45 avant J.-C., prévoyait en effet de couper la boucle nord du Tibre ; l'intention première était évidemment d'agrandir le centre de la ville et de lotir le Champ-de-Mars. […] César assassiné, ce projet, considérable et probablement réalisable, fut aussitôt abandonné » (AM 15).

 

Projet de dérivation du cours du Tibre de César (46-45 av. J.-C.)
Maria Margarita Segarra Lagunes, Il Tevere e Roma, Stiria di una simbioso, Roma, 2004

Tacite fait état, dans les Annales 1, 76 et 79, de la proposition, sous Tibère, d'un autre projet présenté en 15 ap. J.-C., et de son rejet par les cités avoisinantes [17]; Trajan fit cependant creuser une dérivation probablement modeste dont Pline signale à la fois l'existence et l'inutilité (Lettres, 8, 17). La seule réalisation qui ait abouti est celle de Claude, en 46 : il organise le creusement de canaux pour aménager l'embouchure du Tibre en delta, espérant délivrer la ville des inondations – mais ces travaux se révèlent efficaces pour le port uniquement, sans effet à Rome même (AM 16).

Comparant la situation de Rome à celle, plus favorable d'Alexandrie ou de Capoue, Alain Malissard conclut : « C'est sans doute pourquoi, ne pouvant jamais venir à bout de son propre fleuve, elle entreprit de maîtriser les autres : dès 312 av. J.-C., les canaux de ses aqueducs firent couler, sous terre et dans le ciel, l'eau des fleuves soumis. » (AM 15). Le pouvoir politique s'appuie sur la maîtrise technique, et l'article consacré par Alain Malissard au traité de Frontin sur les aqueducs (AM 17) permet de souligner le lien entre le génie romain et l'expression du pouvoir, de son prestige, par cette citation de Frontin (16) : «  Des constructions toujours plus grandioses d'abord, une organisation toujours plus sûre de la gestion ensuite  ».

Or une des forces de ce pouvoir, qui va aller croissant avec l'Empire, est de combiner utilitas et amœnitas.

«  L'utile et le plaisir  »

Ce titre du chapitre IV sur les bains et les thermes, de l'ouvrage Les Romains et l'eau (AM 1), rapproche deux notions antinomiques qui sont associées dans la mentalité romaine. L'eau de la ville, «  soumise aux besoins élémentaires des hommes  », a des fins utilitaires, par opposition à l'eau des champs, mais cette eau «  contribue aussi au confort, à l'agrément et même à la beauté des villes  » (AM 9). Outil du pouvoir, surtout avec l'Empire, cette association est aussi éminemment politique (AM 16). L'utilité et le plaisir sont liés par Alain Malissard principalement aux bains et aux thermes : voyons dans quelle mesure cela convient au Tibre. Utile en fournissant l'eau et l'alimentation par ses poissons, en étant un lieu de navigation et d'activités portuaires, le fleuve s'offre aussi, lui-même ou ses rives, comme lieu de loisirs.

L'utilité du fleuve

L'utilité du Tibre comme alimentant la Ville en eau s'impose évidemment à l'origine. Mais cet usage va être supplanté par les aqueducs. Nous disposons d'un texte très précieux en regard du sujet de la gestion de l'eau à Rome, dont nous avons déjà parlé: il s'agit du De aquae ductu urbis Romae de Frontin, procurateur des eaux en 97. Outre l'article déjà mentionné (AM 17), Alain Malissard en parle dans « Rome et la gestion des eaux à l'époque de Frontin » (AM 6). Il s'agit d'une enquête, « on dirait aujourd'hui d'un audit effectué à la demande de l'empereur Nerva » (AM 6). Car comme le souligne fièrement Frontin, 4:

« Pendant 441 années après la fondation de Rome les Romains se contentèrent de l'eau qu'ils puisaient au Tibre, aux puits ou aux sources. […] Aujourd'hui [année 97] viennent se déverser dans la Ville les eaux de l'Appia [312], de l'Anio Vetus [272], de la Marcia [144], de la Tepula [125], de la Julia [53], de la Virgo [19], de l'Alsietina (qu'on appelle aussi Augusta [2 après, non mise en service]), de la Claudia [47], la l'Anio Novus [52] » – auxquelles s'ajouteront la Trajana en 109 et Alexandriana en 226.

Ou présenté autrement par Alain Malissard, dans sa conférence à l'Académie d'Orléans en 2004, « L'eau et le pouvoir au temps de l'empire romain » (AM 11) : « L'image du vieux Romain austère, puisant l'eau de la rivière [dont le Tibre] ou la tirant d'un puits s'efface au profit d'une vision plus citadine : celle d'un homme ou d'une femme emplissant leur amphore ou leur seau à l'eau de la fontaine ».

Le traité de Frontin nous permet d'avoir une vision précise de la situation de la gestion des eaux des aqueducs en ce Ier s., en particulier des mesures à prendre pour rectifier ce qui doit l'être, mettre fin à certains abus et fraudes comme aux dysfonctionnements ou défauts du système de distribution de l'eau dans la Ville. Ces réformes sont à envisager dans « le droit fil de l'histoire nationale » (AM 17), avec une structure pyramidale, de l'empereur aux curateurs et subordonnés. « On peut dire qu'avec ses huit aqueducs, Rome est à la fin du premier siècle abondamment pourvue d'eau et que tous les quartiers sont desservis, collines incluses, à l'exception notable cependant du Trastévère ».

 

Pour gérer l'ensemble, un curateur et un procurateur avec leurs services administratifs et deux équipes techniques dépendant, l'une du Sénat, l'autre directement de l'empereur  » (AM 6). La spécificité romaine n'est pas la maîtrise hydraulique, à l'oeuvre dans bien d'autres civilisations, mais l'efficacité des trois réseaux de distribution différents dans les châteaux d'eau dont Alain Malissard précise le fonctionnement, (AM 5), et la densité du réseau (AM 1). Cette organisation est une manifestation de l'évergétisme dès la République (AM 11), ce qui explique peut-être l'absence de plan d'ensemble cohérent dans la mise en place des adductions de cette période (AM 6). La gestion impériale sera meilleure, mais s'éloigne de l'idéologie républicaine : Alain Malissard (AM 17) résume Frontin 89 et 93 : « Le prince ne se satisfait pas d'apporter le nécessaire, il veut donner aussi le superflu (copiam et gratiam) », ajouter le plaisir à l'utilité.

En ce qui concerne la gestion du Tibre, les informations dont nous disposons concernent les curateurs du lit et des rives du Tibre, curatores alvei Tiberis et riparum. C'est Suétone qui, dans la Vie d'Auguste (37), mentionne qu'une série de fonctions furent confiées par Auguste à cinq sénateurs (au lieu des censeurs) : charge (cura) des travaux publics, des voies, des eaux, du Tibre. Plus d'une centaine de cippes retrouvés, portant les noms des 20 curatores riparum, atteste du bornage du fleuve dès 55/54, et de ses révisions jusqu'en 7/6 avant J.-C. (AM 12).

L'utilité du fleuve n'est donc plus de fournir l'eau à boire aux habitants de Rome : il en recueille les eaux usées, puisque la cloaca maxima fonctionne toujours :

« Dans les villes construites à partir du Ier siècle après J.-C., l'égout est en revanche toujours prévu en même temps que l'aqueduc et le tracé des voies. Rome, ville ancienne, est un cas particulier, puisque le grand égout, la cloaca maxima, avait été construit vers la fin de l'époque royale au VIe siècle avant J.-C. » (AM 11).

Les travaux de réfection et de consolidation menés par Agrippa en 33 avant J.-C., avec l'ajout de deux autres réseaux, en assureront l'utilisation jusqu'au VIIIe s., soit «  2 200 ans après sa création  », comme le rappelle Alain Malissard (AM 1).

Nous évoquerons rapidement un autre élément de l'utilitas, la circulation par les ponts, car il est peu abordé par Alain Malissard, par exemple en réponse à une question à l'issue de sa communication à l'Académie : « Les ponts sont pour les Romains un élément important de la maîtrise de l'espace à mettre en rapport, d'abord avec la conquête (les premiers ponts romains sont des ponts de bateaux à usage militaire), ensuite avec le développement du réseau routier »; il donne par ailleurs la liste des ponts (AM 15) avec quelques épisodes historiques qui s'y rattachent (AM 12). Une seule précision nous renvoie à la dimension religieuse du fleuve, à propos du Pont Sublicius, « le premier pont de Rome, qui est la raison d'être initiale de la ville » : ses « réparations sont toujours accompagnées d'un ensemble de rites religieux » [18]. Il conviendrait alors peut-être d'envisager Rome comme ville-pont…

Les plaisirs autour du fleuve

Frontin parle des voluptates urbium (23) : ce sont « les charmes de la vie urbaine » décrits par Robert Bedon [19]. Ils caractérisent les peuples civilisés par rapport aux « barbares » qui, eux, ne connaissent pas la ville, comme les Éburons évoqués par César [20]. Pour ce qui concerne l'eau, le plaisir est procuré principalement par les établissements balnéaires : au IVe s., on compte 12 grands thermes et 950 établissements de bain, selon les indications données par Alain Malissard (AM 11). Ces structures sont alimentées par les aqueducs : quel est alors le rôle du Tibre dans ces charmes urbains?

À partir de l'Empire, il est très limité en ce qui concerne la baignade. L'exemple cidessous, cité par Alain Malissard (AM 1) est un extrait du discours de Cicéron Pro Caelio (15). Il prouve que, sous la République, la natation dans le fleuve ne se limite pas aux exercices d'entraînement à partir des plages du Champ de Mars, on se baigne aussi sur la rive droite, comme dans les jardins de Clodia. Voici ce que l'avocat dit à propos de celle qui a cherché à séduire son client :

« Vous [Clodia] avez bien voulu, vous, d'une si noble famille, vous montrer avec lui dans les mêmes jardins. […] Vos richesses n'ont pu vous l'attacher : il résiste, il refuse ; vos dons excitent ses superbes dédains. Eh bien ! Prenez-en un autre. Vos jardins sont sur le bord du Tibre vous les avez fait embellir avec soin dans l'endroit où toute la jeunesse vient se baigner. Vous pouvez choisir à votre aise ».

On constate facilement que les zones les plus proches du fleuve sont moins construites.

On a de nombreux témoignages littéraires concernant les spectacles et jardins en bordure du Tibre, et pendant longtemps plutôt sur la rive droite du fleuve. Une fois le territoire romain constitué, le Tibre délimite deux territoires : l'en deçà du fleuve, la rive gauche, qui concentre la majeure partie de la Ville, et l'au-delà vers la rive droite, trans Tiberim, le Trastevere, audelà des portes de l'Vrbs, extra Vrbem; c'est la Regio XIV, la dernière selon le découpage fait par Auguste – qui ne sera incluse dans la Ville que par le mur d'Aurélien au IIIe siècle.

Le Trastevere est dévalorisé et défavorisé dans les aménagements urbains, en particulier pour ce qui est de l'alimentation par les aqueducs. Une note d'Alain Malissard le précise à deux reprises : « Alimentation d'eau partout à l'exception notable cependant du Trastévère, qui n'est desservi que par des ramifications d'aqueducs, voire par l'eau impure de l'Alsietina construite peut-être pour fournir l'eau à la naumachie d'Auguste » (AM 6); « Ce n'est qu'une fois les finances remises en ordre et la prospérité revenue que Trajan fera construire, en 109, l'aqua Trajana dont les eaux alimenteront prioritairement le Trastévère » (AM 1). Sinon lieu de relégation, cette rive est tout au moins éloignée du prestige de la Ville, des bâtiments et monuments les plus importants, c'est là que se situe la chaumière de Cincinnatus. Juvénal et Martial signalent tous deux que les marchandises entreposées dans l'emporium de la rive droite sont de moindre valeur.

Les naumachies évoquées dans la citation ci-dessus ont lieu sur cette rive moins urbanisée, comme le rappelle Alain Malissard (AM 1): peut-être celle de César en 46, assurément celles d'Auguste en 2 avant J.-C. (avec la construction d'un aqueduc dédié, mais qui sera abandonné), de Néron en 59, de Titus en 80 après J.-C., de Philippe l'Arabe en 248. Néron y donne aussi ses fêtes (AM 12).

Et cette rive est également celle des premiers jardins d'agrément : de ce fait elle acquiert un charme certain qui en fait un lieu de sociabilité. Ils sont évoqués par Alain Malissard (AM 1) : « Les riches arrangeaient leurs jardins comme les princes aménageaient le monde  ». Locus amoenus artificiel et marque du pouvoir personnel pour le propriétaire, le jardin acquiert un rôle politique quand il s'agit des jardins impériaux. L'étude de Pierre Grimal, Les jardins romains (Paris, 1969) en dénombre 70 pour toute la durée de l'Empire, pas toujours faciles à localiser car plusieurs noms désignent un même jardin selon les changements de propriétaires. Ceux de César y sont situés, et si les jardins impériaux se développent ensuite autour des demeures de la Ville, la rive droite continue à être, par excellence, la région des parcs privés. À la fin du Ier s., Stace les évoque dans une des Silves, 4, 4, v. 6-7 : « Et sitôt que tu auras pénétré dans la ville de Romulus, n'oublie pas de gagner la rive droite du Tibre aux flots dorés, près du bassin qui abrite les vaisseaux, et non loin des bords ombragés par les jardins des faubourgs ».

Jardins et aqueducs à Rome, Jardins et paysages de l'Antiquité,
A. Gros de Beler, B. Marmiroli, A. Renouf, Arles, 2009.

Mais la concurrence des grands thermes et de leurs promenades aménagées dans ces architectures grandioses est réelle : Rome devenue capitale de l'urbanisme «  réduit les jardins au service des hommes, instrument de la vie quotidienne  », conclut Pierre Grimal [21].

Nous fermons ainsi la boucle ouverte avec la citation du dialogue platonicien rappelée au début : Rome n'a point d'Ilissos, et le Tibre n'en tient point lieu. Tout l'écart entre les Grecs et les Romains apparaît dans la reprise que fait Cicéron, dans son dialogue De l'Orateur (1, 7), de la situation évoquée par Platon :

« Après deux ou trois tours d'allée, "mon cher Crassus, dit Scævola, que ne faisons-nous comme Socrate dans le Phèdre de Platon ? Ce qui m'y fait penser, c'est ce platane dont les branches touffues répandent la fraîcheur sur ces lieux : sans doute il n'était pas plus beau, celui dont l'ombrage plaisait tant à Socrate, et qui doit moins encore au ruisseau décrit par Platon qu'au style de cet éloquent philosophe. Si Socrate qui ne craignait pas la fatigue, s'est couché sur l'herbe pour débiter ces admirables discours que les dieux semblaient lui dicter, la faiblesse de mes jambes mérite bien au moins le même privilège.
– Sans doute, dit Crassus, et je veux même que vous soyez plus commodément que lui." Alors il fit apporter des coussins, et les fit ranger sous le platane, où tout le monde s'assit ».

La rivière disparaît derrière le platane, qui pousse moins grâce à l'eau que par le discours philosophique, la douceur de l'herbe des rives est remplacée par des coussins, le naturel le cède à l'artifice de la civilisation urbaine…

*

Au terme de notre parcours guidé par les mots d'Alain Malissard entre Rome et le Tibre, peut-on dire que Rome est une ville-fleuve ? Qu'en est-il de « la relation dialectique de la ville et du fleuve », selon les termes du géographe Jean Labasse [22]?

Il est évident que la situation de Rome est intrinsèquement dépendante de l'espace-fleuve du Tibre, essentiel pour le choix de la fondation. Partis de la Lavinium d'Enée, les futurs Romains se rapprochent du Tibre en passant par Albe-la-Longue, pour toutes les raisons évoquées. Mais le site même de la cité, ce sont plutôt les sept collines. Martial le sent bien quand il décrit dans une de ses épigrammes (4, 64) la vue, magnifique, offerte depuis les jardins de son ami Julius Martialis situés au pied du Janicule, sur la rive droite précisément : le paysage se déploie sous ses yeux et le Tibre surgit en fin d'évocation. Ce pourrait être l'apogée de la description ; mais ce n'est pas le cas, le fleuve est présent seulement comme lieu de navigation, et dans un passage plutôt négatif sur les inconvénients de la circulation fluviale que auraient pu nuire à la beauté calme du panorama :

« Julius Martialis possède, le long du mont Janicule, quelques arpents plus délicieux que les jardins des Hespérides […]. De là on peut distinguer les sept collines reines du monde, et embrasser Rome dans toute son étendue, les coteaux d'Albe, ceux de Tusculum, tous les frais bocages situés au-dessous de la ville, l'antique Fidènes, la petite Rubra, et les fertiles vergers d'Anna Perenna […]. Là, sur les voies Flaminia et Salaria, vous voyez circuler le voyageur, mais sans entendre le bruit du char qui le porte, le fracas des roues ne trouble point un paisible sommeil qui n'est interrompu ni par les sifflements des matelots, ni par les clameurs des portefaix, malgré le voisinage du pont Milvius et la proximité des barques qui sillonnent de leur vol les flots sacrés du Tibre ».

Si le sous-titre du récent ouvrage de Maria Margarita Segarra Lagunes, Il Tevere e Roma, « Storia di una simbiosi » peut laisser croire qu'un lien étroit existe entre la ville et son fleuve, l'auteure conclut ainsi, à propos des réhabilitations autour des temples du Forum Boarium : « Elles restent comme autant d'occasions perdues au moins pour la récupération de cette relation originelle avec le fleuve, qui avait, tel un genius loci, donné si longtemps son sens à la ville » [23]. De la même manière, Gregory Aldrete, à propos des inondations du Tibre, déplore qu'actuellement on n'ait pas la même relation avec « Father Tiber » : « en dépit de sa réelle capacité de destruction, les Romains ont toujours accepté les transgressions du fleuve qui coule dans leur ville en même temps qu'ils respectaient son pouvoir » [24]. De fait, « ce n'est pas [le Tibre] qui a fait défaut aux hommes, ce sont les hommes qui l'ont abandonné le Tibre », concluait déjà Joël Le Gall dans son ouvrage précédemment cité [25] : le fleuve sorti du « néant » par Rome le temps des treize siècles de sa croissance et de sa splendeur, retourne à ce « néant » avec la fin de l'Empire.

Alain Malissard oppose pour sa part deux évocations du Tibre. Dans Les Romains et la mer, c'est la vie grouillante du fleuve, sur lui, autour de lui, grâce à lui :

« L'emporium, port fluvial de Rome, avait été aménagé dès le début du IIe siècle avant J.-C. pour stocker le blé […]. On y avait installé dès cette époque, au pied de l'Aventin, sur la rive gauche, un très vaste entrepôt ; long d'environ cinq cents mètres et large de soixante, il dominait des quais de même longueur sur lesquels on pouvait débarquer les marchandises avant de les mettre à l'abri. Autour de ce premier grand édifice apparurent au fil du temps d'autres hangars et d'autres greniers qui recevaient, en quantités toujours plus importantes, les denrées nécessaires au "peuple roi". Près d'eux s'élevèrent aussi, dès le Ier siècle avant J.-C., de vastes bâtiments dans lesquels logeaient les milliers d'esclaves affectés au déchargement.
De l'aube au coucher du soleil c'était, en provenance du port, une succession continue de barques et de bateaux qu'on avait [depuis Ostie] lentement halé le long du Tibre ou qui l'avaient remonté à la rame ; arrivé pleins, ils repartaient vides et revenaient bientôt décharger de nouvelles cargaisons. » (p. 143)

Sesterce de Néron, port d'Ostie (avec scaphes et le dieu Tibre), 64 ap. J.-C..

À la fin des Romains et l'eau, le Tibre dans la capitale de l'Empire ne compte quasiment plus [26]:

« Comme de nos jours, le Tibre était presqu'invisible, et ce qu'écrit Chateaubriand à Fontanes, en 1804, vaut aussi pour la Rome d'Auguste : "Il passe dans un coin de Rome comme s'il n'y était pas: on n'y daigne pas jeter les yeux, on n'en parle jamais, on ne voit point ses eaux, les femmes ne s'en servent pas pour laver ; il se dérobe entre les maisons qui le cachent, et court se précipiter dans la mer, honteux de s'appeler le 'Tevere'".
[…] Le Tibre impérial, encombré et pollué, ne contribuait aucunement à l'esthétique de la ville. Le temps était bien loin où la belle Claudia le contemplait de sa terrasse en y cherchant des yeux les jeunes et beaux baigneurs qui partageaient le soir sa table et ses plaisirs. […] Les jeunes gens ne nageaient plus que dans les piscines des thermes, le fleuve n'était plus présent que par ses crues catastrophiques, et toute l'eau de Rome sillonnait le ciel au sommet de ses aqueducs. Ici comme ailleurs, la nature avait perdu ses droits: au terme d'une longue histoire, elle avait cédé devant le besoin de confort, le talent des ingénieurs et la volonté des princes ».

On pourrait donc dire que Rome fut une ville-fleuve à ses débuts, mais qu'elle s'en est détournée par la suite, et ce jusqu'à aujourd'hui. Le génie du lieu, Tibérinus, avec ses eaux tantôt « azurées » tantôt « dorées », n'est plus…


Annexe : Citations

Les textes latins sont disponibles sur le site de la Bibliotheca Classica Selecta (E-TRAD, section latine), avec leur traduction (onglet « lecture »), d'où proviennent les traductions ci-après.

1. Ovide, Fastes, 2, v. 383-394 :

« La Vestale Silvia avait mis au monde des rejetons divins, au temps où son oncle paternel occupait le trône royal. Celui-ci ordonne d'enlever les petits et de les noyer dans le fleuve. Que fais-tu ? L'un de ces deux enfants deviendra Romulus ! Les serviteurs accomplissent avec réticence ces ordres consternants, et tout en pleurant, ils emportent pourtant les jumeaux à l'endroit indiqué. L'Albula, qui devint le Tibre le jour où Tibérinus se noya dans ses eaux, était précisément tout gonflé par les eaux hivernales. En cet endroit où maintenant se trouvent les Forums, là où s'étend ta vallée Grand Cirque, on aurait pu voir des barques errantes. Une fois là, n'ayant pu s'approcher davantage, les serviteurs […] les déposent. Tous deux vagissent en même temps : on eût dit qu'ils avaient compris. Les serviteurs rentrent chez eux, les joues humides de larmes. L'auge creuse contenant les bébés exposés se maintient à la surface de l'onde ; hélas, quelle destinée ce modeste berceau a portée ! Poussée vers un bois épais, l'auge se pose dans la vase tandis que progressivement le fleuve se retire. Il y avait un arbre - des vestiges en subsistent - : et le figuier appelé aujourd'hui Ruminal était le figuier dit de Romulus. Miracle! Une louve féconde arriva près des jumeaux abandonnés ».

2. Virgile, Énéide, 8, v. 26-68 :

« C'était la nuit et, par toute la terre, les êtres vivants, oiseaux et troupeaux, fatigués, étaient plongés dans un sommeil profond. Alors, au bord du fleuve, dans la fraîcheur, sous la voûte céleste, le vénérable Énée, le coeur inquiet et attristé par la guerre s'étendit pour livrer enfin ses membres au repos. Alors lui apparût en personne le génie du lieu, Tibérinus au beau cours. Il se dressa, sous l'aspect d'un vieillard, parmi les feuillages des peupliers : une fine étoffe de lin l'enveloppait d'un voile glauque et de sombres roseaux couvraient sa chevelure. Il adressa au héros des paroles qui dissipèrent ses soucis : "Rejeton d'une race divine, toi qui nous ramènes la ville de Troie, arrachée aux ennemis, toi le sauveur de Pergame l'éternelle, toi qu'attendent la terre des Laurentes et les campagnes du Latium, ici tu trouveras une demeure sûre, des pénates sûrs; ne renonce pas, ne crains pas les menaces de guerre ; toute la rancoeur des dieux et leurs colères s'en sont allées. Et maintenant, ne va pas croire qu'il s'agit là de songes vains : tu découvriras, sous les yeuses de la rive, une énorme truie, mère de trente petits ; toute blanche, elle sera étendue sur le sol, et pendus à ses mamelles, ses petits, eux aussi, seront blancs. (Ce sera l'endroit d'une ville, un havre sûr après les épreuves.) Ensuite, lorsqu'auront passé trois fois dix années, Ascagne fondera une ville, Albe au nom clair. Je t'annonce des faits très certains. Maintenant, écoute, je vais te dire en peu de mots comment tu sortiras vainqueur de ce qui te menace. Des Arcadiens, peuple issu de Pallas, sont venus sur nos rives, accompagnant leur roi Évandre et suivant ses enseignes. Ils ont choisi un endroit et sur nos collines ont établi une ville, nommée Pallantée, du nom de leur ancêtre Pallas. Ils sont continuellement en guerre avec le peuple latin ; prends-les dans ton camp comme alliés et fais un pacte avec eux. Moi je te conduirai droit au but, le long de mes rives et de mon cours, tes rames te transporteront à contre courant sans difficulté. Allons, debout, fils de déesse. Dès que s'effaceront les premières étoiles, adresse à Junon les prières rituelles, et par des voeux et des supplications, triomphe de sa colère et de ses menaces. Une fois vainqueur, tu me rendras les honneurs que tu me dois. Je suis ce fleuve abondant que tu vois, rasant mes rives à travers de fertiles campagnes ; je suis Thybris l'azuré, le fleuve le plus aimé des dieux du ciel ; ici, se trouve ma grande demeure, et ma source sort de hautes cités." Sur ces paroles, le dieu du fleuve alla se cacher au fond des eaux, gagnant les profondeurs ; la nuit s'acheva et Énée sortit de son sommeil.
Il se leva et, regardant la lumière du soleil qui montait dans l'éther, il prit selon le rite de l'eau du fleuve au creux de ses mains, lançant ces paroles vers le ciel : "Nymphes, Nymphes laurentes, d'où sourdent les fleuves, et toi, ô vénérable Thybris, père avec ton fleuve sacré, accueillez Énée et écartez enfin de lui les dangers. Toi qui t'apitoies sur nos malheurs, où que te retienne l'eau de ta source, où que tu jaillisses du sol dans toute ta splendeur, toujours je t'honorerai, toujours mes présents te célébreront, ô fleuve cornu, qui règnes sur les eaux de l'Hespérie. Au moins aide-moi, et bienveillant, confirme-moi tes volontés."
Il dit, choisit dans sa flotte deux birèmes, les équipe de rameurs, et fournit en même temps des armes à ses compagnons. Et voilà que soudain s'offre à sa vue un prodige étonnant : une truie blanche, de la même couleur que sa portée, est couchée dans la forêt, se détachant sur la verdure du rivage. Apportant les objets sacrés, le pieux Énée t'immole cette bête, ô très puissante Junon, et la place sur l'autel avec ses petits. Tout au long de cette longue nuit, Thybris calme ses eaux gonflées ; l'onde reflue silencieuse et s'immobilise doucement, au point que, comme celle d'un étang ou d'un paisible marais, la surface de l'eau reste plane, rendant superflue toute lutte des rames. Alors, ils accélèrent l'allure de leur course, dans une joyeuse rumeur ; le sapin graissé glisse sur les flots ; les ondes s'étonnent, la forêt aussi s'étonne, peu accoutumée à voir briller au loin des boucliers de guerriers et voguer sur le fleuve des carènes peintes. Un jour et une nuit, les hommes peinent sur leurs rames ; ils remontent les longues courbes du fleuve, à l'ombre des arbres, et, sur la calme surface de l'eau, fendent les forêts verdoyantes. Le disque enflammé du soleil avait parcouru la moitié de son cercle, quand ils aperçoivent au loin des murailles, une citadelle, et les toits de quelques maisons ; ce pauvre royaume, qu'aujourd'hui la puissance romaine a élevé jusqu'au ciel, appartenait alors à Évandre ».

3. Ovide, Fastes, 5, v. 620-662 :

« C'est aussi à cette époque [fête des Argées, le 14 mai] que la vestale précipite du pont de bois, suivant l'usage, les simulacres en jonc des anciens hommes. Dire que nos aïeux avaient coutume de mettre à mort tous ceux qui avaient accompli leur soixantième année, c'est les accuser d'un crime barbare. Voici l'antique tradition : lorsque cette contrée s'appela Saturnie, le dieu des oracles prononça ces paroles : "Peuples, sacrifiez deux hommes au vieillard qui porte la faux, et que les eaux du Tibre reçoivent leurs corps". Jusqu'à la venue du héros de Tirynthe [Hercule], chaque année, comme à Leucade, on vit s'accomplir ce cruel sacrifice. Mais lui, ce fut des Romains de paille qu'il fit précipiter dans les flots ; et depuis Hercule, on n'y jette également que des simulacres de victimes. Quelques-uns pensent que les jeunes gens, voulant seuls jouir du droit de suffrage, précipitèrent des ponts les faibles vieillards. "Tibre, apprends-moi la vérité ; ta rive est plus ancienne que la ville ; tu dois bien connaître l'origine de cette cérémonie". Le Tibre sort de son lit ; il lève sa tête couronnée de roseaux, et, d'une, voix rauque, il prononce ces paroles : "J'ai vu ces lieux sans remparts ; ce n'étaient que des pâturages déserts ; quelques boeufs paissaient çà et là sur le rivage. Ce Tibre, qu'aujourd'hui les nations connaissent et redoutent, était alors dédaigné même parles troupeaux. Tu as souvent entendu le nom d'Évandre l'Arcadien ; il vint, étranger, fendre mes flot de ses rames. Alcide vint aussi, accompagné de jeunes Grecs ; je portais alors, s'il m'en souvient, le nom d'Albula. Le héros de Pallantée donne l'hospitalité au dieu, et Cacus reçoit enfin le châtiment dû à ses crimes. Le vainqueur part ; il emmène avec lui ses boeufs, conquête de l'île d'Érythée ; mais ses compagnons refusent d'aller plus loin. Une partie d'entre eux avait quitté Argos, pour le suivre ; il fixe au pied de ces collines leurs pénates et leurs espérances. Cependant l'amour de la patrie se réveille dans leur coeur ; un d'eux, en mourant, donne cet ordre en peu de mots : 'Jetez-moi dans le Tibre ; et puissé-je, porté par les eaux, déposer une froide dépouille sur les rives de l'Inachos !' Mais l'héritier se refuse à donner cette sépulture qu'on lui demande, et l'étranger, à sa mort, est confié à la terre d'Ausonie. À sa place, on jette dans le Tibre une figure de jonc, pour qu'elle retourne vers la patrie grecque, à travers l'immensité des mers". Ici le fleuve se tut, et comme il rentrait sous les voûtes humides du rocher où il demeure, les ondes légères suspendirent leur cours ».

4. Cicéron, De la République, 2, 3- 6 :

« Après cet exploit, il songea pour la première fois à élever une ville suivant les rites sacrés, et à jeter les fondements d'un empire. Rien de plus important pour les destinées futures d'un empire que l'emplacement d'une cité ; Romulus sut le choisir admirablement. Il ne rechercha point le voisinage de la mer, quoiqu'il lui fût très facile ou de s'avancer avec son armée aguerrie sur le territoire des Rutules et des Aborigènes, ou d'établir sa nouvelle ville à l'embouchure du Tibre, dans le lieu même où, longues années après, le roi Ancus conduisit une colonie. Mais cet homme d'un merveilleux génie comprit qu'une situation maritime n'est pas celle qui convient le mieux à une ville pour laquelle on ambitionne un avenir durable et une grande puissance. D'abord les villes maritimes sont exposées à beaucoup de périls […]
Romulus pouvait-il donc, pour donner à sa ville naissante tous les avantages d'une position maritime et lui en sauver les inconvénients, être mieux inspiré qu'il ne le fut, en l'élevant sur les bords d'un fleuve dont les eaux toujours égales et ne tarissant jamais vont se verser dans la mer par une large embouchure ; par la voie duquel la cité peut recevoir de la mer ce qui lui manque, et lui rendre en retour ce dont elle surabonde, et qui alimente perpétuellement nos marchés par la communication incessante qu'il établit entre la mer et Rome d'un côté, de l'autre entre la ville et l'intérieur des terres ? Aussi je n'hésite pas à le croire, Romulus avait pressenti dès lors que sa nouvelle cité serait un jour le siège d'un immense empire. Imaginez cette ville située dans toute autre partie de l'Italie, et la domination romaine devient impossible.
Quant aux fortifications naturelles de Rome, est-il un homme assez indifférent pour ne pas en avoir dans l'esprit une image nette et bien dessinée ? La sage prévoyance de Romulus et des autres rois y a joint un mur d'enceinte qui vient se rattacher de toutes parts à des collines escarpées, rend inaccessible le passage qui s'ouvrait entre l'Esquilin et le Quirinal et que défend aujourd'hui un énorme rempart ceint d'un vaste fossé, et fait de notre citadelle entourée de précipices, protégée par ses rocs taillés à pic, une forteresse tellement inexpugnable, que toute cette effroyable tempête de l'invasion gauloise vint mourir à ses pieds. Romulus choisit d'ailleurs un lieu rempli de sources vives, et d'une salubrité remarquable au milieu d'une contrée malsaine. Les collines qui le protègent appellent et renouvellent l'air, et couvrent les vallées de leur ombre ».

5. Pline, Histoire naturelle, 36, 104-108 :

« Les égouts, de tous tes ouvrages le plus grand, puisque des montagnes furent percées, que, à l'instar de cette Thèbes dont nous venons de parler, Rome se trouva suspendue, et qu'on navigua par-dessous. M. Agrippa étant édile, en sortant du consulat, y fit affluer par des conduits sept rivières. Ces rivières, lancées comme des torrents impétueux, forcées d'enlever et d'entraîner toutes les immondices, gonflées en outre par la masse des eaux pluviales, battent le fond et les flancs des canaux ; parfois même le Tibre débordé y entre en remontant, et, dans l'intérieur, les deux courants se livrent un combat : néanmoins la solidité de la construction résiste. Des poids énormes sont traînés par-dessus, et les voûtes ne fléchissent pas. Des maisons qui s'écroulent spontanément ou que les incendies font tomber, viennent les frapper ; le sol est ébranlé par les tremblements de terre ; et cependant ces égouts construits par Tarquin l'Ancien durent depuis sept cents ans, sans avoir pour ainsi dire souffert. N'omettons pas une particularité mémorable, quand ce ne serait que parce que les plus célèbres historiens l'ont omise : Tarquin l'Ancien construisait cet ouvrage par les mains de la plèbe ; et comme on redoutait également la longueur et le danger de ces travaux, le suicide était devenu fréquent. […] On dit que Tarquin fit l'égout assez spacieux pour qu'une voiture amplement chargée de foin pût y passer ».

6. Ovide, Fastes, 6, v. 395-416 :

« Je revenais, un jour des fêtes de Vesta, par l'endroit où la voie nouvelle se joint maintenant au Forum romain ; là je vis une matrone descendre pieds nus ; surpris, je m'arrêtai, gardant le silence ; une vieille du voisinage s'aperçoit de mon étonnement; elle me prie de m'asseoir, et, tout en branlant la tête, elle me parle ainsi, d'une voix cassée : "Sur l'emplacement du Forum actuel s'étendaient autrefois d'humides marais. C'était un lac où le fleuve débordé venait verser ses eaux ; il portait le nom de Curtius ; c'est aujourd'hui un terrain solide où les autels reposent à sec ; mais c'était un lac autrefois. Dans le Vélabre, par où se rend au Cirque le cortège des jeux, il n'y avait que des saules et de souples roseaux. […] Le dieu Vertumne n'avait pas reçu encore, pour avoir détourné le cours du fleuve, ce nom qui exprime si bien ses formes changeantes. Là aussi étaient un bois rempli de joncs et de roseaux, et un marécage qu'on ne pouvait aborder sans ôter sa chaussure. Les eaux stagnantes se sont retirées, le fleuve est contenu par ses rives, le sol est à sec, mais le vieil usage s'est conservé ».

7. Pline, Lettres, 8, 17, à Macrinus :

« Avez-vous aussi dans le climat que vous habitez une température rude et cruelle ? On ne voit à Rome qu'orages et qu'inondations. Le Tibre est sorti de son lit et s'est répandu sur ses rives basses. Quoique le canal que la sage prévoyance de l'empereur a fait faire en ait reçu une partie, il remplit les vallées, il couvre les campagnes ; partout où il trouve des plaines, elles disparaissent sous ses eaux. De là il résulte que, rencontrant les rivières qu'il a coutume de recevoir, de confondre et d'entraîner avec ses ondes, il les force à retourner en arrière, et couvre ainsi de flots étrangers les terres qu'il n'inonde pas de ses propres flots.
L'Anio, la plus douce des rivières, et qui semble comme invité et retenu par les belles villas bâties sur ses bords, a déraciné et emporté les arbres qui le couvraient de leur ombrage. Il a renversé des montagnes, et, se trouvant arrêté par leur chute en plusieurs endroits, il a cherché le passage qu'il s'était fermé, il a abattu des maisons, et s'est élevé sur leurs ruines. Ceux qui habitent les lieux élevés, à l'abri de l'inondation, ont vu flotter, ici de riches débris et des meubles précieux, là des ustensiles de campagne ; d'un côté, des boeufs, des charrues, des bouviers ; de l'autre, des troupeaux abandonnés à eux-mêmes ; et, au milieu de tout cela, des troncs d'arbres, des poutres et des toits. Les lieux même où la rivière n'a pu monter ont eu leur part de ce désastre. Une pluie continuelle et des tourbillons échappés des nues ont fait autant de ravages que le fleuve. Les clôtures qui entouraient de magnifiques villas ont été ruinées et les monuments funèbres renversés. Un grand nombre de personnes ont été noyées, estropiées, écrasées, et le deuil général accroît encore la douleur de ces pertes. Je crains que, là où vous êtes, vous n'ayez essuyé quelque malheur semblable, et je mesure ma crainte à la grandeur du danger. S'il n'en est rien, rassurez-moi au plus vite, je vous en supplie ; s'il en est autrement, mandez-le-moi toujours. Car il y a peu de différence entre redouter un malheur et le souffrir : seulement le mal a ses bornes, la crainte n'en a point. On ne s'afflige qu'à proportion de ce qui est arrivé ; mais on craint tout ce qui peut arriver. Adieu ».

8. Tacite, Annales 1, 76 et 79 :

« Cette même année [15 ap. J.-C.] le Tibre, grossi par des pluies continuelles, avait inondé les parties basses de Rome, et entraîné, en se retirant, une grande quantité de ruines et de cadavres. Asinius Gallus voulait que l'on consultât les livres sibyllins : Tibère s'y opposa, aussi mystérieux en religion qu'en politique. Mais il fut décidé que L. Arruntius et Atéius Capito chercheraient les moyens de contenir le fleuve.
[…] Le sénat examina ensuite, sur le rapport d'Arruntius et d'Atéius, si, afin de prévenir les débordements du Tibre, on donnerait un autre écoulement aux lacs et aux rivières qui le grossissent. On entendit les députations des municipes et des colonies. Les Florentins demandaient en grâce que le Clanis [situé en amont] ne fût pas détourné de son lit pour être rejeté dans l'Arno, ce qui causerait leur ruine. Ceux d'Intéramne parlèrent dans le même sens : "On allait, disaient-ils, abîmer sous les eaux et changer en des marais stagnants les plus fertiles campagnes de l'Italie, si l'on ne renonçait pas au projet de diviser le Nar [par chenal] en petits ruisseaux". Réate ne se taisait pas sut le danger de fermer l'issue par où le lac Vélin se décharge dans le Nar : "Bientôt ce lac inonderait les plaines environnantes. La nature avait sagement pourvu aux intérêts des mortels, en marquant aux rivières leurs routes et leurs embouchures, le commencement et la fin de leur cours. Quelque respect aussi était dû à la 32 religion des alliés, chez qui les fleuves de la patrie avaient un culte, des bois sacrés, des autels ; le Tibre lui-même, privé de ses affluents, s'indignerait de couler avec une gloire amoindrie". Les prières des villes ou la difficulté des travaux ou enfin la superstition, firent prévaloir l'avis de Pison, qui conseillait de ne rien changer ».


NOTES

1. Cette ambiguïté du symbole est encore plus nette dans la version ovidienne du récit, voir en annexe, citation 1.

2. Voir la citation entière en annexe, citation 2.

3. Horace, Odes, 1, 2, v. 17-20, Ovide, Les Amours, 3, 6, v. 45-82, Fastes, 2, v. 597-598, Silius Italicus, 12, v. 541-544, Stace, Silves, 2, 1, v. 99-100.

4. Les origines de Rome, tradition et histoire, Publications de Facultés universitaires de Saint-Louis, Bruxelles, 1985, p. 287-288. Voir le récit fait par Ovide, en annexe citation 3 – ainsi que l'explication du rite des Argées, mannequins jetés dans le Tibre.

5. Au chant 10 de l'Énéide, v. 832, Mézence y épanche ses blessures.

6. « Les villes des Trois Gaules et leur recherche d'une proximité avec l'eau : gestion des atouts et des difficultés créés par la présence des rivières et des marécages », in Ella Hermon (éd.), Vers une gestion intégrée de l'eau dans l'empire romain, Actes du colloque international, Université Laval, oct. 2006, Roma, L'Herma di Bretschneider, 2008, p. 99-106.

7. Tite-Live, 1, 15 et 27 et 2, 12 et 51 ; voir également la suite de la guerre 4, 19 et 31-33. Valère Maxime (4, 7, 2) présente le même héroïsme de la part de Laetorius (en 121 avant J.-C.), pour permettre à Gracchus de traverser le fleuve.

8. Voir la citation complète en annexe, citation 4.

9. Voici la note à cet endroit d'Alain Malissard : « Dans sa haute vallée, le Tibre traverse la zone calcaire des Apennins ; en s'infiltrant dans les masses calcaires, naturellement poreuses et fissurées (diaclases), les eaux de pluie finissent par constituer de vastes réservoirs qui se vident avec lenteur et alimentent, en contrebas, des résurgences ; grâce à ces résurgences, l'eau des précipitations de printemps et d'hiver revient avec retard au fleuve, ce qui rend son cours pérenne "Ce type de régulation joue un rôle essentiel dans l'Apennin calcaire où le Tibre apparaît comme un modèle de régularité." (Jacques Bethemont, Géographie de la Méditerranée, Paris, Armand Colin, 2001, p.34-35) ».

10. Le Tibre, fleuve de Rome dans l'Antiquité, Paris, Presses de France, 1953, p. 23.

11. Le roi et le fleuve, Ancus Marcius [seconde moitié VIIe] aux origines de la puissance romaine, Paris, Les Belles Lettres, 2004, p. 172.

12. Alain Malissard renvoie à l'ouvrage de Luc Duret et Jean-Pierre Néraudau, Urbanisme et métamorphoses de la Rome antique, Paris, Les Belles Lettres, 1983, p. 35 : « Dieu favorable aux prospérités de Rome et destructeur capricieux de ses oeuvres, le Tibre a le visage ambigu des forces naturelles : sous les roseaux qui le couronnent, ce visage, à la bonhomie rassurante, cache une violence contenue ».

13. Voir en annexe, citation 5.

14. Voir en annexe, citation 6.

15. « Les inondations du Tibre à Rome : politiques publiques et variations climatiques à l'époque romaine », in Ella Hermon (éd.), Vers une gestion intégrée de l'eau dans l'Empire romain, colloque Laval 2006, L'Erma di Bretschneider, Rome, 2008, p. 137-146.

16. Voir la citation complète en annexe, citation 7.

17. Voir l'exemple, rapporté par Tacite, d'un projet et de son rejet par les cités avoisinantes, en annexe, citation 8.

18. Il développe dans sa réponse le lien avec l'étymologie de pontifex.

19. « L'amoenitas et la ville dans les sources antiques  » (p. 9-14) et « Les charmes de la vie urbaine à Augustoritum (Limoges) au IIe s. de notre ère » (p. 337-354), Amoenitas urbium, Les agréments de la vie urbaine en Gaule romaine et dans les régions voisines, Hommage à Pierre Pouthier, R. Bedon, N. Dupré (éd.), Caesarodunum XXXV-XXXVI, Limoges, PULIM, 2001-2002.

20. Exemple donné par Bedon, dans le premier article cité dans la note précédente, p. 14.

21. Grimal, op. cit. supra, p. 271.

22. Jean Labasse, « Réflexions d'un géographe sur le couple ville-fleuve », in La ville et le fleuve, Actes du colloque de Lyon, 21-25 mars 1987, Paris, 1989.

23. « […] restano altrettante occasioni perdute almeno per quanto concerne il recupero di quell'originario rapporto con il fiume, che aveva, come un genius loci, così a lungo dato senso alla città », p. 371.

24. « Despite its very real potential for destruction, the Romans maintained toward the river in their midst an attitude of acceptance of its transgressions as well as respect for its power  », Floods of the Tiber in Ancient Rome, Baltimore, 2007, p. 239.

25. Voir le dernier chapitre, op. cit. supra, p. 317-328.

26. Voir aussi AM 12.


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