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QUELLE EST L'ORIGINE DE NOTRE LOGO,

CELUI DE L'ASSOCIATION NATIONALE GUILLAUME-BUDÉ ?

 

L'ornithologie nous apprend que la chouette est le nom général donné aux oiseaux rapaces nocturnes (famille des strigidés) dont la tête, contrairement à celle des hiboux, est dépourvue d'aigrettes de plume. Cet oiseau a la tête arrondie; ses yeux sont remarquables par leur pupille énorme ; son ouïe est très fine.
La chouette, écrit Démocrite, est "l'animal qui a la vue la plus perçante" ; parce que ses yeux renferment "une grande quantité de feu et de chaleur, […] elle voit pendant les nuits sans lune grâce au feu contenu dans ses yeux". Solitaire, silencieuse, avec son regard fixe perçant les ténèbres, la chouette évoquait la sagesse et le savoir.
Dans l'Athènes ancienne, la chouette chevêche fut associée d'abord à Athéna Erganè (divinité des fileuses), puis à Athéna Poliade (protectrice de la cité). La déesse Athéna fut dès lors qualifiée de γλαυκῶπις signifiant "aux yeux bleu clair" (γλαυκός), puis "aux yeux de chouette" (γλαύξ).
La chouette figurait sur le bouclier d'Athéna et sur les monnaies d'Athènes ; on la retrouve aujourd'hui sur les pièces grecques d'un euro.

 
Olpé (broc) attique d'Amasis, Introduction d'Héraclès dans l'Olympe, vers -540, musée du Louvre  
Drachme d'argent frappée à Athènes, vers -449/-420 ; à l'avers, le visage d'Athéna, au revers la chevêche, l'olivier et les lettres ΑΘΕ (pour ΑΘΗΝΑΙΩΝ, les Athéniens). Pièce d'1 euro.

Clairvoyante, ayant hérité de sa mère (Mῆτις) prudence et sagesse, Athéna présidait à la littérature et aux arts. "Par l'influence heureuse de sa raison et de sa pensée réfléchie et subtile, Athéna apporte aux lettres et aux arts l`énergie et l'inspiration nécessaires à un rayonnement spirituel étendu et constant. Il s`ensuit que cette divinité apparaît bien comme le symbole divin de la civilisation grecque, qui, par sa force guerrière, par son intelligence, sa sagesse, la modération de ses mœurs et la beauté étudiée de ses monuments artistiques et littéraires, a su imposer sa domination sur le monde. Plus tard, les Romains l'ont identifiée avec Minerve." (Th. Gress)

Qu'a voulu dire Hegel dans la phrase souvent citée : « Ce n'est qu'au début du crépuscule que la chouette de Minerve prend son envol » (Hegel, Préface des Principes de la philosophie du droit, 1821) ? Cette phrase signifierait que la philosophie (symbolisée par la chouette) est en décalage avec l'histoire qui est en train de s'écrire. C'est le soir, au moment où le monde de l'action s'arrête, que l'esprit commence à réfléchir sur les faits et leur signification, avec le recul nécessaire à toute démarche philosophique. Alors que les techniques modernes d'information nous submergent d'informations et nous poussent à réagir à chaud, la chouette nous fait comprendre qu'il faut savoir rester calme et prendre du recul pour mieux comprendre le monde qui nous entoure.

Voir:
– Claude Meillier, "La chouette et Athéna", Revue des Études Anciennes, tome 72, 1970, n°1-2. pp. 5-30.
– Thibaut Gress, "Cécité diurne et vision nocturne : approche de la patience conceptuelle de la chouette", Implications philosophiques, 2015, p. 1-23.


L'Association Guillaume-Budé a été fondée, en 1917, par Maurice Croiset, Aimé Puech, Paul Mazon et Aldred Ernout (qui la présidèrent successivement jusqu'en 1973). Comme logotype de l'association, le choix s'imposa : ce serait la CHOUETTE CHEVÊCHE, dans laquelle les Grecs avaient vu le symbole de la lucidité, de la sagesse, de la raison.

Pour dessiner leur logo, les fondateurs de notre association s'inspirèrent d'un petit VASE À PARFUM CORINTHIEN du milieu du -VIIe siècle (aryballe) conservé au musée du Louvre. Ce vase, en forme de chouette, devait être tenu à l'envers lorsqu'il avait été rempli d'huile parfumée par un trou sous la base ; cette base était percée dans le sens de la largeur afin de passer un petit ruban pour attacher l'aryballe au poignet. La chouette tourne la tête et l'incline légèrement dans un mouvement très naturel, regardant de ses gros yeux ronds. Tous les dessins du plumage sont indiqués avec une grande finesse, sans bavure, ni repentir. Le vernis noir est complété par quelques rehauts rouges afin de dessiner des ailes aux plumes alternativement rouges et noires…

Cet aryballe a fait l'objet d'un article d'Edmond Pottier dans le Bulletin de Correspondance hellénique (XXXII, 1908, p. 529-548 et planches VII et VIII.) Nous citons le début de cet article.

Dans ses dimensions minuscules (0 m 05 de hauteur ; 0 m 065 de largeur), c'est un vrai chef-d'œuvre de la céramique grecque que nous présentons à nos lecteurs. Le Louvre a eu la bonne fortune de l'acquérir récemment, et nous nous sommes empressés de lui faire une place d'honneur dans nos vitrines (salle L). Ce vase a la forme d'une chouette. L'oiseau, sans pattes visibles, juché sur une petite base oblongue (long. 0 m 020 ; larg. 0 m 11 ; ép. 0 m 005) tourne la tête de face et l'incline d'un mouvement si naturel qu'il semble regarder le spectateur avec ses gros yeux ronds, comme une bête vivante. Tous les détails du plumage sont indiqués avec une rare finesse, sans aucun emploi de l'incision, si usitée dans les vases peints de cette période. Cette technique procède encore de la méthode familière aux décorateurs Ioniens du VIIe siècle, le trait réservé. Les oves allongés dont sont formées les plumes de l'oiseau, les traits qui dessinent la courbure de l'aile et qui la divisent en trois zones d'aspect encore géométrique, laissent entre eux des interlignes qui se détachent en clair avec une admirable netteté, sans bavure ni repentir d'aucune sorte. Le pinceau s'est joué des difficultés avec une incomparable maîtrise. Les imbrications semées de points noirs, l'élégante palmette de la petite base, les godrons rayonnant en éventail autour du trou d'ouverture, la bande presque imperceptible d'oves qui court le long de la queue, tous ces fins détails d'une délicatesse exquise attestent le soin minuteux avec lequel l'artiste a exécuté, et, l'on peut dire, caressé son œuvre.
Les couleurs sobres, mais franches, rehaussent l'éclat du vase d'un ton somptueux et chaud. Le corps est peint de noir ; un cercle jaunâtre entoure la prunelle des yeux et la sépare de l'iris ; des languettes noires encadrent l'œil et communiquent au regard fixe de l'animal une sorte de rayonnement. Les plumes des ailes sont alternativement noires et rouges, mais, en beaucoup de parties, le noir a tourné au jaune orangé, ce qui ajoute à la variété harmonieuse de la polychromie. Un semis de points blancs, éparpillés sur la nuque, le crâne et le col de la bête, complète le décor peint.
La structure de ce joli bibelot prête à quelques observations. L'ouverture est, comme on le voit, placée en dessous, à peu près sous la queue de l'oiseau, comme si l'on voulait rappeler un orifice naturel. D'ordinaire, dans les vases plastiques de ce genre, le trou est pratiqué en haut, sur la tête ou dans le dos. Il fallait donc retourner la chouette et la tenir à l'envers, quand on l'avait remplie d'huile ou de liquide parfumé. Un autre détail confirme cette disposition singulière. La petite plinthe oblongue et saillante, qui sert de socle, est percée d'un trou central ; on devait donc y passer un lien et porter le vase suspendu, la chouette ayant la tête en bas. Pour cette raison, l'artiste avait pris soin de décorer le dessous de la petite plinthe et le pourtour de l'ouverture, parce que, dans cette position, ces parties frappaient tout d'abord le regard. Une fois le vase vide, l'oiseau reprenait son rôle de figurine et pouvait se poser debout sur la base. Il était donc, en quelque sorte, à deux fins : figurine, il servait d'amulette et de fétiche protecteur dans l'habitation ; flacon portatif, il complétait la toilette de la femme qui le suspendait à sa ceinture, et il répandait autour d'elle son odeur embaumée. On remarquera avec quel souci ingénieux de la destination pratique l'artiste grec a conservé à l'ensemble les formes rondes, presque en boule ; il n'oubliait pas qu'un vase ainsi porté ne doit pas avoir de saillies gênantes. Cette chouette est restée un aryballe.
On peut donc dire que, par cet emploi de la figurine appliquée à un décor de toilette, les Grecs avaient déjà réalisé ce que les Japonais appellent le netsuké. Tout le monde connaît aujourd'hui ces admirables statuettes ou groupes, taillés dans un morceau divoire, qui ornent tant d'étagères et de vitrines d'amateurs. En réalité, c'est un bouton de ceinture, qui garde, autant que possible, une forme ronde et commode, comme la chouette grecque. Des trous sont aussi percés dans le netsuké, par lesquels passent des cordons de soie, qui, réunis au moyen d'un coulant, ojimé, tiennent suspendue une jolie boîte laquée, servant de pharmacie portative, l'inro. La ceinture étant nouée et serrée à la taille, le Japonais glisse par dessous le netsuké, qui fait saillie et forme ainsi comme un bouton solide, un point d'arrêt, qui empêche la pendeloque de tomber. La chouette grecque, façonnée en netsuké, pouvait se porter à la façon de l'inro et se balancer à la ceinture comme une sorte de breloque. Ce n'est pas la première fois que nous avons à signaler ces curieuses rencontres dans l'art de ces deux pays, si éloignés l'un de l'autre par le temps et l'espace. Leur esprit de curiosité et de nouveauté, leurs ingénieuses adaptations des formes naturelles à l'art décoratif, leur minutie dans l'exécution leur font une parenté intellectuelle qui frappe plus d'un connaisseur. Si j'avais à récrire l'article déjà ancien Grèce et Japon (Gazette des Beaux-Arts, 1890, II, p. 105 et suiv.) qui n'a pas plu à tous les hellénistes, mais qui m'a valu quelque gratitude des amateurs de l'art oriental, je ne manquerais pas d'y mettre en bonne place la chouette du Louvre. De style, de conception et même d'emploi, cette œuvre grecque est japonaise.
Ce bijou céramique rentre dans une série connue qui comprend la fin du VIIe et le VIe siècle avant notre ère. La fabrique de Corinthe, en particulier, à laquelle appartient sans doute notre exemplaire, et d'autres ateliers insulaires ou ioniens ont produit en ce genre de très jolies compositions, où reviennent souvent les têtes de guerrier casqué, d'Héraclès, de femme, et les figures d'animaux, sphinx, sirènes, canards, lièvres, singes, etc… traités dans un esprit de réalisme pittoresque. La liaison est évidente aussi avec l'ensemble des aryballes et des alabastres corinthiens, d'une part, et, d'autre part, avec les jolis petits vases, improprement appelés lécythes proto-corinthiens, où le décor platisque, têtes humaines et animaux modelés en relief, entre en jeu avec la peinture. Tous ces flacons, d'aspect très varié, servaient aux femmes et aux jeunes gens pour leur toilette ; l'imagination des artistes s'ingéniait à y adapter des formes de dieux ou d'animaux qui passaient pour des fétiches protecteurs de la maison ou de l'individu. […]


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