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CHATEAUBRIAND À LA VALLÉE-AUX-LOUPS

À CHÂTENAY-MALABRY


 

"Moi, François, seigneur sans vassaux et sans argent de la Vallée-aux-Loups..."
(Mémoires d'outre-tomb
e, I, 1, p.12)

C'est sans doute à la Vallée-aux-Loups que Chateaubriand a vécu les dix années les plus calmes de sa vie et les plus fécondes en chefs-d'oeuvre. Ayant acquis cette "chaumière" près de Paris, il a désiré en faire un reflet de sa personnalité. Par exemple; il a fait restaurer la maison de telle sorte qu'elle ait une façade de style néo-classique et une façade néo-gothique; et il a transformé le jardin en un parc qui rappelle ses voyages et reflète ses goûts pour la nature et l'exotisme.

 


L'achat de la Vallée-aux-Loups

En 1807, Chateaubriand a beaucoup voyagé : l'Amérique en 1791, l'Angleterre de 1792 à 1800, Rome en 1803, la Grèce, la Terre-Sainte et l'Espagne en 1806-1807. A son retour à Paris, il logea avec sa femme Céleste sur la place Louis-XV (aujourd'hui place de la Concorde) dans l'attique de l'hôtel de Mme de Coislin.

Mal informé par Mme de Noailles de la situation politique de la France, il crut alors au succès possible de l'opposition monarchiste. Aussi racheta-t-il le Mercure de France pour y publier, le 4 juillet 1807, un article attaquant violemment Napoléon, le "tyran déifié" : «Lorsque, dans le silence de l'abjection, on n'entend plus retentir que la chaîne de l'esclave et la voix du délateur, lorsque tout tremble devant le tyran et qu'il est aussi dangereux d'encourir sa faveur que de mériter sa disgrâce, l'historien paraît, chargé de la vengeance des peuples. C'est en vain que Néron prospère, Tacite est déjà né dans l'empire». Napoléon, très irrité, ne cacha pas son impatience: «Chateaubriand croit-il que je suis un imbécile, que je ne le comprends pas? Je le ferai sabrer sur les marches des Tuileries!» Le privilège du Mercure fut retiré à son propriétaire et Chateaubriand fut invité à s'éloigner de Paris d'au moins deux lieues.

Comme il avait de l'argent (Atala et le Génie du Christianisme s'étaient bien vendus), le 22 août 1807 il acheta une maison et quinze arpents de terre au sud de Paris, à Aulnay. Le domaine s'appelait le Val des Loups, dont Chateaubriand fit "la Vallée-aux-Loups".

La terre, dans la mouvance du domaine de Sceaux, avait été concédée en 1752 à un "fermier laboureur". Elle appartenait depuis la Révolution à un brasseur de bière du faubourg Saint-Antoine, André-Arnoult Acloque, qui avait sauvé Louis XVI de la colère de la foule en le coiffant du bonnet rouge. Acloque y fit édifier une "chaumière" et une fabrique en forme de tour (dans laquelle il espérait recevoir la reine Marie-Antoinette, qui lui avait promis une visite de remerciement).

Mme de Chateaubriand, Cahiers (publiés par Ladreit de Lacharrière, 1909) — «Nous nous décidâmes à sacrifier à peu près la dernière somme qui nous restait à acheter une chaumière pas trop loin de Paris; nous en trouvâmes une à trois lieues, et aussi sauvage qu'on aurait pu l'avoir dans les montagnes d'Auvergne. Cette maison, que nous achetâmes 24.000 francs, ce qui donne la mesure de sa beauté, est située à Aulnay, près de Sceaux et de Châtenay. C'était, quand nous en fîmes l'acquisition, une espèce de grange sans cour, avec un verger planté de mauvais pommiers, avec un taillis et quelques mauvais arbres, un seul acacia, qui était fort beau; mais ce verger, rempli de mouvements de terrain et environné (ainsi que la maison) de coteaux plantés, était susceptible de devenir un fort joli jardin...»

Joubert (Lettre à Chênedollé, 1er septembre 1807) — «Cette solitude porte un nom charmant pour la sauvagerie. On l'appelle, dans le pays, maison de la Vallée-aux-Loups. J'ai vu cette Vallée-aux-Loups: cela forme un creux de taillis assez breton et même assez périgourdin. Le nouveau possesseur en paraît enchanté, et, au fond, il n'y a point de retraite au monde où l'on puisse mieux pratiquer le précepte de Pythagore: quand il tonne, adorez l'écho.»


L'aménagement de la maison

Chateaubriand, aidé par son épouse Céleste, entreprit aussitôt l'aménagement de la maison.

Sur la façade du côté du bois, il fit sauter les linteaux des fenêtres pour les remplacer par une ogive à la manière anglaise, réalisant ainsi en France un des premiers exemples de "gothique troubadour". C'était une allusion aux pages du Génie du Christianisme sur les églises gothiques: "Parc et maison formaient comme un abrégé symbolique de la vie et des pensées de celui qui les avait conçus" (Maurois, Chateaubriand, p. 223).

Du côté du parc, il fit plaquer un portique à fronton triangulaire soutenu par deux cariatides. A l'intérieur, il installa dans l'entrée un escalier à double volée (récupéré sur un navire anglais), "disposé pour y mettre des fleurs".

Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, XVllI, 5, p. 631-2 — «Vers la fin de novembre [1807], voyant que les réparations de ma chaumière n'avançaient pas, je pris le parti de les aller surveiller. Nous arrivâmes le soir à la Vallée. Nous ne suivîmes pas la route ordinaire; nous entrâmes par la grille au bas du jardin. La terre des allées, détrempée par la pluie, empêchait les chevaux d'avancer; la voiture versa. Le buste en plâtre d'Homère, placé à côté de Mme de Chateaubriand, sauta par la portière et se cassa le cou: mauvais augure pour les Martyrs, dont je m'occupais alors. La maison, pleine d'ouvriers qui riaient, chantaient, cognaient, était chauffée avec des copeaux et éclairée par des bouts de chandelles; elle ressemblait à un ermitage illuminé la nuit par des pèlerins, dans les bois. Charmés de trouver deux chambres passablement arrangées, et dans l'une desquelles on avait préparé le couvert, nous nous mîmes à table. Le lendemain, réveillé au bruit des marteaux et des chants des colons, je vis le soleil se lever avec moins de souci que le maître des Tuileries. [...] Je fis quelques additions à la chaumière; j'embellis sa muraille de briques d'un portique soutenu par deux colonnes de marbre noir et deux cariatides de femmes de marbre blanc: je me souvenais d'avoir passé à Athènes. Mon projet était d'ajouter une tour au bout de mon pavillon; en attendant, je simulai des créneaux sur le mur qui me séparait du chemin: je précédais ainsi la manie du moyen âge, qui nous hébète à présent.»

Quand Vigny visitera la Vallées-aux-Loups, il n'apprécia guère: «Une maison basse et faible, voilée au dehors par des créneaux hypocrites, ornée dans l'intérieur par des cariatides du goût dépravé de Louis XV, un jardin anglais et une tour où l'on trouve une chapelle à la Vierge».

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La maison de Chateaubriand au centre,
avec l'addition "Montmorency" à droite et l'addition "La Rochefoucauld" à gauche


L'aménagement du parc

Chateaubriand accomplit un geste symbolique d'enracinement en créant, de ses propres mains, un parc personnel sur 14 hectares: «Au retour de l'émigration, il n'y avait si pauvre banni qui ne dessinât les tortillons d'un jardin anglais dans les dix pieds de terre ou de cour qu'il avait retrouvés» (Mémoires d’outre-tombe, XIV, 1, p. 472).

Botaniste grâce à M. de Malesherbes, il avait sur le jardinage des idées bien arrêtées. Refusant la mode des jardins anglais (tout aussi artificiels, avec leurs "tortillons" et leurs fabriques, que l'étaient les jardins de Le Nôtre), il voulut laisser la nature libre. En souvenir des bois de Combourg, compagnons de son enfance, il imagina un rideau de chênes d'Armorique le long du parc. De son périple en Amérique, il retrouva les essences exotiques avec le sequoïa, le cyprès de Louisiane, le cèdre de Virginie, le catalpa. Encore émerveillé par les images de son voyage en Orient, il planta des cèdres du Liban et des pins de Jérusalem, ainsi que ces roseaux du Nil qui servent de décor à Moïse, cette tragédie biblique qu'il écrivit à la Vallée-aux-Loups en 1812.

Pour constituer son patrimoine arboré, tantôt il mettait à contribution les pépinières de Méréville et demandait de jeunes pousses à Natalie de Noailles, tantôt il invitait Madame de Duras à visiter pour lui les pépiniéristes des faubourgs ou à lui envoyer des petits arbres de son château d'Ussé. Le parc de la Malmaison contribuait aussi à enrichir la Vallée par l'entremise du célèbre botaniste Aimé Bonpland; un jour de 1811, même, Chateaubriand vint en personne (et en frac) à la Malmaison, pour y recevoir cérémonieusement, des mains de l'impératrice Joséphine, un plant de magnolia rouge fort rare. Selon les Mémoires de Mme de Chateaubriand, les seuls magnolias qui survécurent furent celui de la Malmaison et celui de la Vallée-aux-Loups (voir M.-B d'Arneville, Parcs et jardins sous le Premier Empire, p. 176).

Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, XVIII, 5, p. 631-2 — «J'étais dans des enchantements sans fin; sans être madame de Sévigné, j'allais, muni d'une paire de sabots, planter mes arbres dans la boue, passer et repasser dans les mêmes allées, voir et revoir tous les petits coins, me cacher partout où il y avait une broussaille, me représentant ce que serait mon parc dans l'avenir, car alors l'avenir ne manquait point. [...] Mes arbres, étant encore petits, ne recueillaient pas les bruits des vents de l'automne; mais, au printemps, les brises qui haleinaient les fleurs des prés voisins en gardaient le souffle, qu'elles reversaient sur ma vallée.»

Mme de Chateaubriand, Souvenirs, p. 44 (Pléiade I,1187) — «Chacun de nous avait la prétention d'être le jardinier par excellence. Les allées surtout étaient sujet de querelles perpétuelles, mais je suis restée convaincue que j'étais beaucoup plus habile en cette partie que M. de Chateaubriand. Pour les arbres, il les plantait à merveille. Cependant il y avait encore discussion au sujet des groupes. Je voulais qu'on mît un ou deux arbres en avant pour former un enfoncement, ce qui donne de la grandeur au jardin; mais lui et maître Benjamin, le plus fripon des jardiniers, ne voulaient rien céder sur cet article. En outre, de la collection presque entière de tous les arbres d'agrément, nous plantâmes des milliers d'arbres verts (à peine hauts d'un pied). Ces pins, tirés des pépinières de Méréville, sont actuellement des arbres que les Alpes ne renieraient pas. Les cèdres surtout sont d'une beauté remarquable. Plusieurs personnes eurent encore la bonté de nous donner des arbres rares; l'impératrice Joséphine, entre autres, nous fit présent de plusieurs arbustes et surtout d'un magnolia à fleurs pourpres, le seul qu'il y eût alors en France, après celui qui restait à la Malmaison.»

Henri de Latouche — «On m'a dit qu'il commençait à six heures sa double journée de poète et de jardinier. Il quittait l'étude pour aller tenir de ses mains le jeune cèdre dans la place qu'il avait fait ouvrir; et, après avoir exactement, autour des racines, appuyé la terre avec son sabot de paysan, il revenait ranimer son âtre et reprendre cette plume qui donnait la vie à Eudore et la grâce à Cymodocée. Quelquefois, bravant la colère de décembre, l'opération s'accomplissait sous un parapluie. C'était Le Nôtre, Ovide et Robinson.»


La "Tour de Velléda"

Dans le parc s'élevait un pavillon octogonal en briques, avec perron et balcon de pierre. Mme de Chateaubriand (dans ses Cahiers) en explique l'origine : «La Vallée-aux-Loups avait jadis appartenu à un fort brasseur, très riche, de la rue Saint-Antoine, lequel, au commencement de la Révolution, avait rendu un assez grand service à la famille royale. En reconnaissance, la reine lui fit dire un jour qu'elle irait visiter sa brasserie d'Aulnay. Le bonhomme, ne trouvant pas sa chaumière assez belle pour recevoir sa souveraine fit, dit-on, construire en trois jours le petit pavillon qui se trouve sur un des coteaux du jardin, et qui, à l'époque où nous achetâmes la Vallée, se trouvait être effectivement de trop magnifique fabrique pour le reste de l'habitation.»

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Chateaubriand baptisa ce pavillon "tour de Velléda" et y installa sa bibliothèque au rez-de-chaussée et son cabinet de travail à l'étage. C'est là qu'il rassembla les souvenirs de ses voyages: une bouteille contenant de l'eau du Jourdain, une fiole d'eau du Nil, des pierres ramassées dans les ruines d'Athènes, des débris d'ornements sculptés de l'Alhambra... C'est là que, dans un silence seulement troublé du chant des oiseaux, du bruit du vent dans les feuillages ou "des douze coups de minuit sonnant tristement à Châtenay", il écrivait avec une énergie infatigable («Je travaille quinze heures par jour et l'ouvrage a l'air de ne pas vouloir finir... Je ne quitte pas un moment la plume. Je griffonne tant que le jour dure... Il est minuit, je suis accablé de travail et ma main est si fatiguée que je puis à peine tenir la plume.»)

En 1813, le cabinet fut transformé en chapelle, afin d'éviter à Céleste la peine de franchir près d'une lieue, sur des chemins défoncés, pour se rendre à l'église paroissiale. Mais les mauvaises langues prétendent que Céleste imposa ce changement après avoir découvert que la tour Velléda lui servait à recevoir en cachette quelques-unes de ses "belles amies".


La vie à la Vallée-aux-Loups

De 1808 à 1813, Chateaubriand habita régulièrement à la Vallée-aux-Loups. Il passait les mois d'hiver à Paris et partageait le reste de l'année entre la Vallée et les séjours chez des parents et amis: à Méréville, chez Alexandre de Laborde et sa soeur Natalie de Noailles, à Verneuil chez M. de Tocqueville, à Noyel chez la duchesse de Lévis... Madame de Chateaubriand trouvait cela bien agréable : «Cette vie de château était fort agréable et fort à la mode sous Bonaparte, où une partie de la société, celle qui n'allait point à la nouvelle Cour, passait neuf mois de l'année à la campagne.»

Là Chateaubriand acheva Les Martyrs, transposa, dans les Aventures du dernier Abencérage, l'amour-passion qui l'attachait à Natalie de Noailles, retraça son Itinéraire de Paris à Jérusalem, poursuivit, à partir de 1811, des recherches pour ses Études Historiques. C'est encore à la Vallée-aux-Loups qu'il rima "douloureusement" sa tragédie Moïse et qu'il jeta aux quatre vents une brassée d'écrits polémiques et de pages de doctrine politique: «Je sais bien que je ne suis qu'une machine à livres», dit-il un jour.

C'est à la Vallée-aux-Loups que, le 4 octobre 1811, il entreprit la rédaction de ses Mémoires, en commençant par une évocation de son domaine:

«Il y a quatre ans qu'à mon retour de la Terre-Sainte, j'achetai près du hameau d'Aulnay, dans le voisinage de Sceaux et de Châtenay, une maison de jardinier, cachée parmi des collines couvertes de bois. Le terrain inégal et sablonneux dépendant de cette maison n'était qu'un verger sauvage au bout duquel se trouvaient une ravine et un taillis de châtaigniers. Cet étroit espace me parut propre à renfermer mes longues espérances; spatio brevi spem longam reseces*. Les arbres que j'y ai plantés prospèrent, ils sont encore si petits que je leur donne de l'ombre quand je me place entre eux et le soleil. Un jour, en me rendant cette ombre, ils protègeront mes vieux ans comme j'ai protégé leur jeunesse. Je les ai choisis autant que je l'ai pu des divers climats où j'ai erré, ils rappellent mes voyages et nourrissent au fond de mon coeur d'autres illusions. Si jamais les Bourbons remontent sur le trône, je ne leur demanderai, en récompense de ma fidélité, que de me rendre assez riche pour joindre à mon héritage la lisière des bois qui l'environnent: l'ambition m'est venue; je voudrais accroître ma promenade de quelques arpents: tout chevalier errant que je sois, j'ai les goûts sédentaires d'un moine: depuis que j'habite cette retraite, je ne crois pas avoir mis trois fois les pieds hors de mon enclos. Mes pins, mes sapins, mes mélèzes, mes cèdres tenant jamais ce qu'ils promettent, la Vallée-aux-Loups deviendra une véritable chartreuse. Lorsque Voltaire naquit à Châtenay**, le 20 février 1694, quel était l'aspect du coteau où se devait retirer, en 1807, l'auteur du Génie du Christianisme? Ce lieu me plaît: il a remplacé pour moi les champs paternels ; je l'ai payé du produit de mes rêves et de mes veilles; c'est au grand désert d'Atala que je dois le petit désert d'Aulnay; et pour me créer ce refuge, je n'ai pas, comme le colon américain dépouillé l'Indien des Florides. Je suis attaché à mes arbres; je leur ai adressé des élégies, des sonnets, des odes. Il n'y a pas un seul d'entre eux que je n'aie soigné de mes propres mains, que je n'aie délivré du ver attaché à sa racine, de la chenille collée à sa feuille; je les connais tous par leur nom comme mes enfants: c'est ma famille, je n'en ai pas d'autre, j'espère mourir au milieu d'elle. Ici, j'ai écrit les Martyrs, les Abencerages, l'Itinéraire et Moïse; que ferai-je maintenant dans les soirées de cet automne? Ce 4 octobre 1811, anniversaire de ma fête et de mon entrée à Jérusalem, me tente à commencer l'histoire de ma vie.» (Mémoires d'outre-tombe, I, 1, p. 5-6)


* Horace, Odes, I, 11,6-7: "La vie étant brève, retranche les longs espoirs".
** Voltaire, en fait, était né à Paris, le 22 novembre 1694, près du Palais de Justice (dans une Ode à Boileau, il écrit: "Dans la cour du Palais, je naquis ton voisin").


Les visiteurs de la Vallée-aux-Loups

De nombreux visiteurs venaient rencontrer l'exilé et son épouse dans leur retraite rustique, où on les recevait "à la fortune du pot" : Fontanes, le compagnon d'infortune durant les années d'exil à Londres, Joseph Joubert (le Cerf) et son épouse (le Loup), Pasquier, Molé, Bertin...

Chateaubriand donnait à ses hôtes la primeur des pages nouvellement écrites et s'en remettait parfois à leur jugement: c'est le prologue des fameuses lectures qui, une vingtaine d'années plus tard, devaient attirer, chez Juliette Récamier, à l'Abbaye-au-Bois, les meilleurs esprits du temps.

Rituellement, le 4 octobre, jour anniversaire de son entrée à Jérusalem, Chat et Chatte, Cerf et Loup, auxquels se joignaient quelques amis intimes comme Clausel de Coussergues, se réunissaient pour célébrer la Saint-François. Chaque occasion, fête, anniversaire ou témoignage d'amitié, suscitait le don d'arbres, le plus beau cadeau que l'on pouvait faire à l'ermite de la Vallée-aux-Loups.

Cette vie sage n'excluait pas la passion amoureuse. Delphine de Custine avait été évincée par la très belle et fantasque Natalie de Noailles, pour laquelle, en souvenir des "jours d'enchantement, de séduction et de délire", les murs de la tour de Velléda étaient couverts de souvenirs de Grenade et de Cordoue. Mais Chateaubriand avait aussi toute un cour d'admiratrices, les "Madames", comme les nommait avec humour et amertume Céleste de Chateaubriand: Claire de Duras, Mme de Lévis, Mme de Béranger, Mme de Vintimille... Ces "madames" étaient pourtant aux petits soins pour Céleste, la comblant, quand elle était enrhumée, de bouillons pectoraux et de billets affectueux. En revanche, Natalie de Noailles, devenue duchesse de Mouchy, châtelaine de Méréville, ne venait plus guère, rebutée par l'accueil de Mme de Chateaubriand.

La Vallée-aux-Loups était bien devenue une "thébaïde des nymphes dans les bois de Thessalie", comme on le voit dans les Cahiers de Mme de Chateaubriand et dans les Mémoires de la comtesse de Boigne. Celle-ci était propriétaire, dans Châtenay, du château de la Roseraie, ancienne demeure des Arouet. Dans ses Mémoires d'une Tante, elle porte un jugement sévère sur Mme de Chateaubriand: «Elle a beaucoup d'esprit, mais elle l'emploie à extraire de tout de l'aigre et de l'amer. Elle a été bien nuisible à son mari, en lui rendant son intérieur insupportable. Il a toujours eu de grands égards pour elle, sans pouvoir obtenir la paix du coin du feu.» De fait, Céleste agaçait son époux en accueillant avec ironie ses textes par trop romantiques: «Comme je ne suis point mélancolique et que j'ai passé l'âge où l'on aime à soupirer, je n'aime ni le vent, ni la lune; je ne me plais qu'à la pluie pour mon gazon et au soleil pour me réjouir.»

Comtesse de Boigne, Mémoires — «L'habitation créée par lui était charmante et il l'aimait extrêmement. Nous voisinions beaucoup. Nous le trouvions souvent écrivant sur le coin d'une table du salon avec une plume à moitié écrasée entrant difficilement dans le goulot d'une mauvaise fiole qui contenait son encre. Il faisait un cri de joie en nous voyant passer devant la fenêtre, fourrait ses papiers sous le coussin d'une vieille bergère qui lui servait de porte-feuille et de secrétaire et d'un bond arrivait au devant de nous avec la gaîté d'un écolier émancipé de classe. Il était alors fort aimable.»

Mme de Chateaubriand (Cahiers) — [Elle relate ce qui lui rapporta son jardinier un jour de 1810] : « Un monsieur — pas trop élégant — vint un jour me demander à voir la maison de Monsieur; il avait avec lui un autre monsieur, grand et beau et qui était bien mieux habillé. Cependant il n'était pas le maître, et pendant que le premier postillonnait dans le jardin, celui-ci ne s'approchait de lui que lorsqu'il l'appelait. Le petit homme allait si vite que nous ne pouvions pas le suivre. Quand il fut près de la "tour", il se mit à croiser les bras et à regarder la belle vue. Il n'en pouvait pas revenir, car il a dit à son camarade: "Chateaubriand n'est pas trop malheureux; je me plairais fort ici. Mais je ne sais pas s'il voudrait me faire les honneurs de son château." Ensuite il monta dans la tour et il me dit que je pouvais m'en aller parce qu'il voulait se promener encore. Ils firent plusieurs fois le tour du jardin et, en sortant, me donnèrent cinq napoléons pour ma peine. Ma foi, monsieur, j'ai pensé que c'était Bonaparte! Le soir, en allant fermer la tour, j'ai trouvé au bas une branche de laurier piquée dans un peu de terre fraîchement remuée; j'ai fouillé et j'ai trouvé un gant de peau jaune, tout neuf, que j'ai gardé. » Ce gant, Mme de Chateaubriand prend soin de noter que son mari et elle l'ont conservé longtemps. Toutefois elle n'avoue pas avoir adopté l'hypothèse de son jardinier; et, dans ses Mémoires d'outre-tombe, Chateaubriand ne parle pas de cette éventuelle visite de Bonaparte.

Lamartine adolescent (Cours familier de littérature, 1856): «C'était au mois de mai ou juin, Châtenay était éblouissant de roses. La Vallée-aux-Loups, tout assombrie de ses forêts en feuilles et toute résonnante de ses rossignols, ressemblait à l'avenue d'un mystère, étroite gorge en pente, encaissée entre les collines boisées. Nous n'avions personne pour nous conduire, nous marchions à la lueur de la gloire, qui devait nous désigner d'elle-même la maison du poète. Nous n'osâmes pas frapper à la petite porte verte. Qu'aurions-nous dit, quand on nous aurait demandé nos noms? Ils étaient aussi inconnus que ceux des pèlerins qui essuient leur sueur sur le bord du chemin. Nous fîmes le tour de ses murs, nous nous accoudâmes, en déchirant nos habits, sur les tessons de verres de bouteille pilés qui en garnissaient si peu hospitalièrement la crête, nous grimpâmes sur les arbres de la colline qui dominait le jardin. Nous restâmes enfin assis sur les branches, étendus et cachés dans ces feuillages depuis midi jusqu'au soir. [Enfin, le second soir, la porte de la maison s'ouvrit.] Un petit homme en habit noir, à fortes épaules, à jambes grêles, à noble tête, sortit, suivi d'un chat auquel il jetait des pelotes de pain pour le faire gambader sur l'herbe. L'homme et le chat s'enfoncèrent bientôt dans l'ombre d'une allée. Les arbustes nous les dérobèrent.» [Les jeunes gens rentrèrent alors à Paris "avec un éblouissement de gloire littéraire dans les yeux".]

Sainte-Beuve (Chateaubriand et son groupe littéraire sous l'Empire, 1868) — «Ce dimanche-là, c'était l'épisode de Velléda qu'il avait à lire. Il commença: au bout de quelque temps, l'auteur s'aperçoit, au silence des auditeurs, que la lecture ne prend pas. Sa voix s'altère, il continue pourtant, il achève. Suit un grand silence. Fontanes, à la fin, prend la parole: "Eh bien, ce n'est pas cela, vous vous êtes trompé..." Et il entra dans quelques détails... Quoi qu'il en soit à la suite de Fontanes, tous parlèrent. Mme de Vintimille (c'est le rôle des femmes) essaya de relever les beaux passages, de montrer qu'il y aurait peu à faire pour réparer, pour perfectionner. Chacun fit de même. Chateaubriand écoutait en silence; puis il répondit; il essaya longtemps de résister et d'opposer ses raisons, Cependant une larme roulait dans ses yeux, il dit qu'il essayerait de remanier, de refaire, de faire mieux, mais qu'il n'espérait pas. Huit jours après, jour pour jour, c'est-àdire le dimanche suivant, les mêmes amis étaient convoqués pour entendre cette même Velléda, et l'épisode, tel que nous l'avons, était accueilli d'eux avec ravissement, avec un applaudissement sans mélange.»

Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, XXXIX, 8, p. 738 (juin 1833) — «On racontait à Vienne, il y a deux ou trois lustres, que je vivais tout seul dans une certaine vallée appelée la Vallée-aux-Loups. Ma maison était bâtie dans une île: lorsqu'on voulait me voir, il fallait sonner du cor au bord opposé de la rivière (la rivière à Châtenay!). Alors, je regardais par un trou: si la compagnie me plaisait (chose qui n'arrivait guère), je venais moi-même la chercher dans un petit bateau; sinon, non. Le soir, je tirais mon canot à terre, et l'on n'entrait point dans mon île. Au fait, j'aurais dû vivre ainsi; cette histoire de Vienne m'a toujours charmé: M. de Metternich ne l'a pas sans doute inventée; il n'est pas assez mon ami pour cela.»


La vente de la Vallée-aux-Loups

En 1814, Chateaubriand partit devant l'invasion, et les cosaques pillèrent sa cave. En 1815, il suivit Louis XVIII, en exil à Gand, ce qui lui valut, au retour à Paris, d'être désigné pour présider le collège électoral d'Orléans, puis d'être nommé pair de France et ministre d'Etat.

A Madame de Chateaubriand, toujours insatisfaite et ironique, il écrit: «Me laisseras-tu tranquille? [...] De l'argent, nous en aurons. […] Je mène bien ma barque, à ma façon il est vrai, mais chacun a son caractère. Du travail, notre Vallée, de l'aisance, nous serons très heureux. [...] Laisse-moi un peu d'indépendance si tu me souhaites du bonheur.»

Mais très vite, Chateaubriand se prononça avec force contre la politique de Decazes, en publiant en septembre 1816 La Monarchie selon la Charte. La réplique ne se fit pas attendre: la brochure fut saisie et l'auteur déchargé de son ministère et de sa pension de 25000 francs.

Le séjour à Gand et les dépenses inhérentes à ses fonctions avaient complètement déséquilibré ses finances. Il commença par vendre sa bibliothèque, qui lui avait été léguée par Pauline de Beaumont, et dont les livres garnissaient les rayonnages de la "tour de Velléda".

«Notice de bons livres provenant de la bibliothèque de M. de Ch**, dont la vente se fera le lundi 28 avril 1817 et jours suivants, 6 heures de relevée, rue des Bons-Enfants n°30, salle du rez-de-chaussée, chez MM. Merlin, libraire, Denailly, commissaire-priseur.» Le catalogue comporte 398 numéros pour 1772 volumes, plus des lots de livres.

Bientôt Chateaubriand dut prendre une résolution plus pénible encore: se séparer de sa maison de campagne. Il essaya d'abord de la mettre en loterie, émettant 90 billets de mille francs.

«A vendre par voie de loterie, en vertu de l'adhésion de son Excell. le Ministre secrétaire d'Etat des Finances, une maison de campagne en partie meublée, située à Aulnay, commune de Châtenay, près Sceaux-Penthièvre, appelée la Vallée ou le Val-de-Loup. Cette maison n'était qu'une chaumière, avec une vigne et un verger, quand le propriétaire actuel en fit l'acquisition en 1807. C'est aujourd'hui une maison agréable, placée dans un parc de 20 arpents enclos de murs, et plantée avec soin. On y trouve la collection presque entière des arbres de pleine terre, exotiques ou naturels au sol de France; les arbres verts y dominent et sont de la plus belle venue. La tout présente l'aspect d'une petite Vallée solitaire environnée de bois qui semblent en faire partie. Le potager, composé de deux arpents, est en plein rapport: on récolte dans la parc du foin pour nourrir deux chevaux et trois vaches. La serre est garnie d'orangers et d'arbustes. La maison etc...»

En attendant les souscripteurs, il alla se faire héberger avec son épouse dans des châteaux amis, par exemple à Montboissier, chez la petite-fille de Malesherbes, où il retrouva la belle Juliette Récamier, qu'il avait recontrée chez Mme de Staël au temps d'Atala.

La loterie ayant échoué, il se résigna à une vente aux enchères. Discrètement sollicité par Madame Récamier (qui avait loué la Vallée-aux-Loups pour trois ans le 18 mars 1818), Mathieu de Montmorency, son collègue à la Chambre des Pairs, se porta acquéreur le 21 juillet 1818.

Chateaubriand, lettre au duc de Fitz-James du 12 avril 1817 — «Noble duc, Voilà le prospectus de la vente de la pauvre Vallée: mettez-le sous les yeux de votre auguste patron. J'ai contracté des dettes en allant à Gand; il faut les payer. Toute ma peur est que la fortune ne fasse tomber les arbres que j'ai plantés entre les mains de quelque coquin de la Révolution; je ne m'en consolerais jamais. Je suis déjà assez triste d'être obligé de vendre sous le Roi le coin de terre que j'avais acquis du fruit de mon travail sous Bonaparte.»

Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, XXVI, 6, p.13-14 — «Je fus obligé de vendre mes livres: M. Merlin les exposa à la criée, à la salle Sylvestre, rue des Bons-Enfants. Je ne gardai qu'un petit Homère grec, à la marge duquel se trouvaient des essais de traductions et des remarques écrites de ma main. Bientôt il me fallut tailler dans le vif ; je demandai à M. le ministre de l'Intérieur la permission de mettre en loterie ma maison de campagne: la loterie fut ouverte chez M. Denis, notaire. Il y avait quatre-vingt-dix billets à 1000 frs chaque: les numéros ne furent point pris par les royalistes; madame la duchesse d'Orléans, douairière, prit trois numéros; mon ami M. Lainé, ministre de l'Intérieur, qui avait contre-signé l'ordonnance du 5 septembre et consenti dans le conseil à ma radiation, prit, sous un faux nom, un quatrième billet. L'argent fut rendu aux engagistes; toutefois, M. Lainé refusa de retirer ses 1000 francs; il les laissa au notaire pour les pauvres. Peu de temps après, ma Vallée-aux-Loups fut vendue, comme on vend les meubles des pauvres, sur la place du Châtelet. Je souffris beaucoup de cette vente; je m'étais attaché à mes arbres, plantés et grandis, pour ainsi dire, dans mes souvenirs. La mise à prix était de 50.000 francs*; elle fut couverte par M. le vicomte de Montmorency, qui seul osa mettre une surenchère de cent francs: la Vallée lui resta. Il a depuis habité ma retraite: il n'est pas bon de se mêler à ma fortune: cet homme de vertu n'est plus.»


* Ces 50000 francs représentaient la valeur foncière du terrain, la demeure étant comptée pour rien. Or l'achat primitif s'était monté à 33.000 francs, tout frais compris (le prix porté au contrat fut seulement de 20.000 francs); il faut y ajouter 15.000 francs d'achat de terrains complémentaires et 150.000 francs de constructions, embellissement, plantations. Chateaubriand revendait donc 50.000 francs une propriété qui lui avait coûté près de 200.000 francs.

Bertin, dans un article faisant part de la mise en vente (Les Débats du 12 avril 1817) : — «Nous pouvons parler en connaissance de cause de cette demeure charmante, de ces beaux arbres trop tôt ravis aux mains qui les ont plantés; et nous félicitons d'avance celui qui devra à la faveur du sort la propriété d'une campagne qui, comme celle de Tibur ou d'Auteuil, sera à jamais illustrée par le nom et le souvenir de son premier créateur.»

Chateaubriand, Lettre à Mme de Duras, le 5 mai 1817 — «La bibliothèque est vendue. J'ai aussi la permission de mettre la Vallée en loterie: me voilà bien dépouillé. Comme Job, je suis venu au monde nu, et je m'en irai nu.»

Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, III, 9. p. 91 — «Vallée-aux-Loups, novembre 1817. Revenu de Montboissier, voici les dernières lignes que je trace dans mon ermitage; il le faut abandonner, tout rempli des beaux adolescents qui déjà, dans leurs rangs pressés, cachaient et couronnaient leur père. Je ne verrai plus le magnolia, qui promettait sa rose à la tombe de ma Floridienne, le pin de Jérusalem et le cèdre du Liban, consacré à la mémoire de Jérôme, le laurier de Grenade, le platane de la Grèce, le chêne de l'Armorique, aux pieds desquels je peignis Blanca, chantai Cymodocée, inventai Velléda. Ces arbres naquirent et crûrent avec mes rêveries; elles en étaient les hamadryades. Ils vont passer sous un autre empire: leur nouveau maître les aimera-t-il autant que je les aimais? Il les laissera dépérir, il les abattra peut-être; je ne dois rien conserver sur la terre. C'est en disant adieu aux bois d'Aulnay que je vais rappeler l'adieu que je dis autrefois aux bois de Combourg: tous mes jours sont des adieux.»

Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, XVIII, 5, p. 632 (texte de 1839) — «La Vallée-aux-Loups, de toutes les choses qui me sont échappées, est la seule que je regrette; il est écrit que rien ne me restera.»


La Vallée-aux-Loups après Chateaubriand

Pendant tout un été, Mathieu de Montmorency, confit en dévotion, s'installa à la Vallée-aux-Loups en compagnie de Juliette Récamier. Comme l'a écrit André Maurois, «il fallait vraiment la sainteté de M. de Montmorency pour que ce chaste enlèvement ne fit pas scandale». Et la duchesse Albertine de Broglie, fille de Mme de Staël, écrivit à Juliette: «Je me représente votre petit ménage du Val-du-Loup comme le plus gracieux du monde. Mais, quand on écrira la biographie de Mathieu dans la Vie des saints, convenez que ce tête-à-tête avec la plus belle et la plus admirée femme de son temps sera un drôle de chapitre.»

Le pavillon central, construit en 1783 et aménagé en 1807, fut alors complété par une aile surmontée d'une tourelle avec des fenêtres gothiques (1818-1820) et une chapelle de style Restauration, placée sous le vocable de la duchesse d'Angoulême.

Madame Récamier, dont le mari avait été ruiné, s'était réfugiée dans un petit appartement d'une maison religieuse de la rive gauche, l’Abbaye-aux-Bois. L'été, elle venait parfois faire un séjour à la Vallée-aux-Loups, qu’elle avait louée de moitié avec M. de Montmorency (Mémoires d’outre-tombe, II, 216). Elle y reconstituait le petit cénacle de ses "aimables sigisbés" : Ampère fils, Ballanche, Alexis de Jussieu, Camille Jordan, sans oublier M. Récamier, toujours son époux, M. Bernard, son père devenu veuf, son cousin Brillat-Savarin et surtout sa nièce et fille adoptive, Amélie Cyvoct.

Mathieu de Montmorency, sa mère et, bientôt, son épouse venaient parfois la retrouver dans le domaine. Le 30 juillet 1819, Mathieu écrit à Juliette: «Je compte sur votre parfaite discrétion et délicatesse pour ne pas trop souvent recevoir l'ancien propriétaire. Vous me direz seulement ce qu'il aura pensé des petits changements ou additions de ma façon.»

Juliette Récamier par Jacques-Louis David (1800)

En 1826, après la mort de Mathieu, Juliette y revint à l'invitation de sa femme. C'est là qu'avec l'aide de sa nièce Amélie, elle recopia les trois premiers livres des Mémoires d'outre-tombe.

Le domaine passa ensuite au duc Sosthènes de La Rochefoucauld-Doudeauville, intendant des menus plaisirs de Charles X (c'est lui qui fit mettre des feuilles de vigne à certaines statues). Vers 1860, il détruisit les fenêtres gothiques de Chateaubriand. En 1865, il fit construire une autre aile, d'aspect plus massif, pour y loger ses invités. Les La Rochefoucauld ayant acquis le bois de la Cave, le domaine se trouva désormais entouré d'un "glacis" protecteur de bois.

La propriété passa à différentes branches de la famille: en 1900, elle était au duc de Bisaccia. Ce dernier la vendit en 1914 au docteur Le Savoureux, médecin psychiatre, qui y installa une maison de repos (Paul Léautaud y mourut en 1956). Ce docteur tint à honorer le fondateur du domaine en y installant le siège de la Société Chateaubriand, créée en 1929: Morand, Valéry, l'abbé Mugnier, la princesse Bibesco, Anna de Noailles fréquenteront la Vallée-aux-Loups.

Le 20 octobre 1939, le site fut classé. Mais, vers 1960, le docteur Le Savoureux prit une initiative dangereuse en léguant la propriété à la Fondation Rothschild, les meubles à l'Institut Pasteur et les livres à la Société Chateaubriand. A sa mort, en 1961, sa veuve légua les meubles à la Société Chateaubriand.

La propriété fut rachetée par le département en 1967. En 1982 fut créé un "Comité d'études Chateaubriand La-Vallée-aux-Loups" sous la présidence de Jean d'Ormesson; il réunissait l'Etat, la région d'Ile-de-France, le département des Hauts-de-Seine, la ville de Châtenay-Malabry et la Société Chateaubriand.

La restauration dura de 1985 à 1987. Elle eut pour but non pas de reconstituer le cadre même dans lequel il avait vécu, mais de conserver "le souvenir du goût" de Chateaubriand, même du Chateaubriand postérieur à 1817.


BIBLIOGRAPHIE

— Comtesse de Boigne, Récits d'une tante, mémoires, Emile-Paul,1921-1925.
— Mme de Chateaubriand, Mémoires et Lettres, préface et notes par Joseph Le Gras, 1929.
— Emmanuel Beau de Loménie, Les Demeures de Chateaubriand, 1930.
— André Maurois, Chateaubriand, 1938, chap. VI (« La Vallée-aux-Loups »)
— Raymond Lécuyer, "Un ouvrage de Chateaubriand, la Vallée-aux-Loups", dans Demeures inspirées et sites romanesques, éd. de l'Illustration, pp. 155-162.
— Georges Poisson, "Chateaubriand et la Vallée-auxLoups", dans Guide des maisons d'hommes célèbres, Horay, 1986.
— "Maisons d'auteurs", n° 156 de la revue Monuments historiques, 1988 (deux articles sur La Vallée-aux-Loup et sa restauration).
La Vallée-aux-Loups, maison de Chateaubriand à Châtenay-Malabry, brochure illustrée de 14 pages, en vente à la Vallée-auxLoups.
— Marie-Blanche d'Ameville, Parcs et jardins sous le premier Empire, reflets d'une société, éd. Tallandier, 1981, p. 228-231.


LA VISITE DE LA MAISON

Vue extérieure

L'ensemble de la maison se compose de trois bâtiments:

La maison Acloque, située au centre, date de 1783. Chateaubriand fait orner la façade d'un péristyle néo-classique dont le fronton triangulaire est soutenu par deux colonnes et deux cariatides. Elle comprend au rez-de-chaussée en entrant : le grand vestibule avec l'escalier desservant l'étage, à gauche la salle à manger et à droite le grand salon. À l'étage, la chambre de Mme Récamier avec l'antichambre à gauche sur le palier, et la chambre de Chateaubriand à droite. Chateaubriand n'a connu que ce bâtiment.

L'aile Montmorency, construite en 1818-1820, à droite de la maison Acloque comprend au rez-de-chaussée le salon bleu qui communique avec le grand salon, duquel on passe en allant à droite au salon des Floridiennes et au vestibule Montmorençy construit à l'emplacement d'un ancien petit appentis de Chateaubriand. En poursuivant sur la droite on passe au salon jaune qui communique à droite avec le petit cabinet. De ce bâtiment on peut gagner l'étage par un escalier à vis donnant sur un palier avec à droite la chambre de la nature. En sortant se trouve à gauche le salon Le Savoureux. La tourelle dite troubadour flanque cette aile.

Le pavillon La Rochefoucauld est construit en 1860-1865. Ce bâtiment se situe à gauche de la maison Acloque pour faire le pendant à l'aile Montmorency. Le rez-de-chaussée comprend l'accueil du musée, la boutique et la bibliothèque. L'étage comprend également une partie de la bibliothèque et des bureaux.


Rez-de-chaussée

Salle à manger (salon au temps de Chateaubriand)
- papier peint marbré blanc et vert, réplique d'un modèle des années 1810-1820.
- poêle en faïence blanche identique à celui décrit dans l'inventaire de 1818.
- console d'époque Empire.
- cache-pots en porcelaine de Paris (cadeau de Marie-Thérèse d'Angoulême à Mathieu de Montmorency en 1815, lorsque celui-ci est nommé par la cour chevalier d'honneur de la duchesse d'Angoulême).

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Grand vestibule
Alors que l'étage n'était au départ desservi que par un escalier extérieur, Chateaubriand a fait de la pièce centrale de la maison un vestibule avec un escalier à double branche, provenant d'un brick anglais. Les degrés de pierre sous les marches ont été dessinés par Chateaubriand lui-même.
Le fond treillagé de vert, les médaillons à l'antique, le chemin de tapis à feuillage et les vases en fonte style Wedgwood sont du milieu du XIXe siècle.

Salon de compagnie (salle à manger au temps de Chateaubriand)
- toile peinte et glacée, dite de perse, à ramages, identique à celle à celle qui s'y trouvait au XIXe siècle.
- mobilier en érable moucheté marqueté d'amarante,
- objets d'art et tapis datant de la Restauration.
- pendule en bronze doré de 1830, dont les deux personnages figurent Atala libérant Chactas, avec, sur le socle une vignette représentant le père Aubry, missionnaire qui décide de marier Atala et Chactas,
- de chaque côté de la fenêtre qui s'avance dans la façade, tables-jardinières provenant de l'ancienne collection de la famille de Gramont.

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Salon bleu (cuisine et petit office au temps de Chateaubriand)
- la méridienne sur laquelle Juliette Récamier a été peinte par David, encadrée de flambeaux d'époque Empire, ainsi que deux chaises décorées du chiffre de Mathieu de Montmorency,
- portraits de Madame de Staël, d'Hortense Allart, de sa sœur Sophie de Québriac par Jean-Louis Ducis, Delphine de Custine, Natalie de Noailles, Claire de Duras, Céleste de Chateaubriand.
- statuette en terre cuite représentant Velléda, œuvre du sculpteur Hippolyte Maindron.

Véranda ou salon des Floridiennes (dans l'aile ajoutée par Mathieu de Montmorency en 1820)
- un exemplaire en terre cuite du Buste de Juliette Récamier par Joseph Chinard.

Vestibule Montmorency
- gravures s'inspirant du roman Atala publié en 1801.

Salon jaune
Le docteur Le Savoureux a aménagé son musée dans cette pièce. Le décor évoque par des gravures, dessins, caricatures, le monde politique dans lequel a évolué Chateaubriand. Le mobilier en place a appartenu à Mathieu de Montmorency : table-bureau, fauteuil en acajou à tête de lion, le lustre à quinquets en tôle peinte rouge et or.

Cabinet
- six médaillons en bronze patiné signés de David d'Angers et représentant Antoine-Athanase Royer-Collard, Jean-Jacques Ampère, Emmanuel de Pastoret, le maréchal Claude-Victor Perrin dit Victor, ami de Chateaubriand, Madame Amable Tastu et Félicité Robert de Lamennais.
- un billet de loterie manquée, organisée par Chateaubriand, ainsi que l'affiche annonçant la vente publique de 1818.


Premier étage

Chambre de la nature
- lettres autographes de Chateaubriand écrites à la Vallée-aux-Loups
- deux de ses plus importantes décorations : l'ordre du Saint-Esprit et l'ordre de Saint-Michel.
- nombreuses gravures inspirées de son œuvre
- deux assiettes en porcelaine de Sèvres lui ayant appartenu.

Salon-véranda Le Savoureux
- portrait du docteur Le Savoureux,
- photographies prises dans sa propriété en compagnie de ses amis dont Paul Léautaud, l'abbé Mugnier,
- des pièces de sa collection.

Chambre de Madame Récamier
- antichambre et chambre qu'occupa Mme Récamier lors de ses nombreux séjours à la Vallée-aux-Loups entre 1818 et 1826.
- mobilier de style Charles X en érable moucheté
- mousseline blanche au-dessus du lit.
- pendule surmonté d'un hortensia évoquant l'amitié entre Hortense de Beauharnais et Juliette Récamier.

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Chambre de Chateaubriand
- décor a été reconstitué à partir de l'inventaire de 1818.
- mélange de mobilier allant du style Louis XVI au style Empire,
- la bourette de soie qui lui était familière.
- papier peint à fleurs de lys stylisées, modèle datant des années 1805-1810.
- lit provenant de la chambre du château de la Roche-Guyon, propriété du duc de la Rochefoucauld.
- gravures en références à son œuvre et aux événements politiques de son époque.
- pendule de style néo-gothique ressemblant à celle qui a orné la chambre de son domicile, 118, rue du Bac à Paris.

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LA VISITE DU PARC

À partir de 1986, le Conseil général reprit les pépinières Croux, situées à côté de la propriété, pour y aménager un arboretum qui présente une collection de plus de 500 espèces d'arbres et d'arbustes.

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Château XVIIIe siècle ayant appartenu à la famille la famille Croux


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Le Ru d'Aulnay qui traverse l'arboretum


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Pavillon mauresque


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Est inclue dans l'ensemble la propriété appelée l'Île-Verte, au lieu-dit "la Côte rôtie". Elle avait été acquise en 1852 par Jules Barbier (1825-1901), le librettiste de Charles Gounod. La famille Barbier reste propriétaire de la maison jusqu'en 1954, date à laquelle le petit-fils de Jules Barbier, l'architecte Jacques Laffillée, la vendit à l'éditeur d'art André Draeger. Marcel Arland, écrivain, académicien et codirecteur de la NRF, y résida de 1933 à 1936. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, la villa Barbier, abandonnée, servit de cache d'armes aux résistants. Le peintre Jean Fautrier (1898-1964) loua la propriété à partir de 1945, une année après son refuge dans la clinique psychiatrique du docteur Henri Le Savoureux (1881-1961) alors qu'il était recherché par la Gestapo pour faits de résistance. En échange d'un loyer modeste, il occupa la maison et le jardin pendant 19 ans. Fautrier mourut dans cette maison le 21 juillet 1964, jour où il devait épouser Jacqueline Cousin, la compagne qui partageait sa vie à la villa Barbier depuis deux ans. En hommage au peintre, le propriétaire rebaptisa la propriété l'Île Verte, en souvenir d'une œuvre crée par Jean Fautrier en 1958.

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L'Île-Verte


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