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GEOFFROY VALLÉE


Il est difficile d'établir une biographie de cet Orléanais qui fut condamné au bûcher en 1574 pour avoir publié un libelle de quelques pages : Béatitude des Chrétiens ou le Fléau de la foy.
Son père, sieur de Chenailles, était « contrôleur de la recette ordinaire du domaine d'Orléans » et sa mère était Girarde le Berruyer, fille de Pierre Le Berruyer, seigneur de la Corbinière, avocat fiscal à Orléans.
On ne connaît pas sa date de naissance. Trois copies par l'archiviste Jarry de documents datés de 1539-1540 (aux Archives du Loiret) permettent de savoir qu'il était alors « estudiant en l'Université d'Orléans » et qu'il avait alors besoin de trouver l'argent nécessaire pour « avoir ses livres, vivres et autres des nécessité oudict estude ». Il serait donc né entre 1520 et 1530. Il était l'aîné de trois frères et trois sœurs.
A la mort de son père, en 1557, il hérita de sa charge de « contrôleur du domaine d'Orléans » ainsi que de l'hôtel des Quatre-Coins (emplacement actuel rue Jeanne-d'Arc près de la rue de la Vieille-Monnaie) ; il fut aussi « sieur de Dangeau » (modeste terre près d'Outarville en Beauce, qu'il afferma).
Resté célibataire, Geoffroy Vallée était sans doute un beau garçon [« le beau Vallée »], un peu original [« le fol Vallée »], peu appliqué à améliorer sa condition sociale : il ne se souciait pas de rembourser l'argent que lui prêtait son beau-frère Guillaume Brochet et, alors qu'il avait été pourvu d'un office de notaire-secrétaire du roi en 1563, dès 1566 il céda cette charge qui ne l'intéressait pas.
Vers 1569, il alla à Rome où il rencontra le pape Pie V. Mais il fut vite favorable aux idées nouvelles, le protestantisme étant pour lui une première étape vers le doute et la critique en matière religieuse.

La famille Vallée a été sans doute adepte de la Réforme, dont les idées étaient alors très implantées dans Orléans. En 1568, Jean, frère de Geoffroy,  est cité parmi les huguenots de la ville. En 1569, des catholiques fanatiques massacrent des protestants réfugiés chez Geoffroy Vallée dans son hôtel des Quatre-Coins. Son neveu François, dit Chenailles, est cité comme protestant par Tallemant des Réaux. Bien plus tard, en 1614, son frère Jacques, qualifié de « obstiné hérétique ou plutôt athéiste », sera enterré dans le cimetière protestant « plein d'immondices » au pied des remparts d'Orléans. Et le petit-fils de Jacques, Jacques Vallée des Barreaux, né en 1599 à Châteauneuf-sur-Loire, sera un célèbre libertin et épicurien.

Ayant été atteint d'une fièvre chaude, Geoffroy Vallée donna des signes de « folie » qui inquiétèrent sa famille. En 1570, deux de ses frères et deux beaux-frères, ayant fait constater son « insapience et débilité d'esprit », lui imposèrent un curateur. Mais il fit aussitôt appel au Parlement, qui lui donna raison. Toutefois, en avril 1572, dans un nouvel accès de fièvre, il tenta de se jeter par la fenêtre de sa chambre. Alors sa famille obtint que soit nommé « un curateur tant de sa personne que de ses biens ».

La réaction de Geoffroy Vallée fut de rédiger un texte dans lequel il se livrait à une critique de la religion chrétienne. Il trouva, à Paris, l'éditeur Prigent Godec qui, en 1573, accepta, non sans réticences, d'imprimer l'ouvrage (huit feuillets in-8°), en tête duquel Geoffroy Vallée eut l'inconscience de faire figurer son nom et celui de ses parents. Il choisit pour titre : La Béatitude des Chrestiens ou le Fléo de la Foy. Il distribua largement ce libelle et demanda à l'imprimeur de prévoir une expédition en Hollande par un certain Hans.

Le texte de ce livret est maladroitement et incorrectement rédigé. Sans adhérer aux thèses ni du calvinisme, ni de l'athéisme, Vallée y affirme que la véritable croyance est celle qui, faisant appel à l'intelligence, est « engendrée » par la raison. Selon lui, la foi religieuse telle que la prône l'Église abêtit l'homme. En effet, elle repose d'une part sur la récitation machinale d'idées et de formules qu'on ne doit pas chercher à comprendre, d'autre part sur la peur, peur de Dieu, peur de l'enfer, peur du bûcher qui menace les hérétiques (« qui est en crainte, quelque crainte que ce soit, ne peut être heureux »).

L'ouvrage (considéré comme « niant Dieu et tendant à introduire une nouvelle opinion dans le royaume ») fut vite repéré par Nicolas Rapin, prévôt de la connétablie, qui fit saisir tous les exemplaires, menaçant tous ceux qui conserveraient le leur. Dès 1573, Geoffroy Vallée fut enfermé au Châtelet, puis dans les prisons du Parlement. Son curateur et sa famille tentèrent en vain de le défendre en donnant comme argument sa « démence et débilité d'esprit ». Le 2 mars 1573, par arrêt du Châtelet, il fut condamné à être étranglé; puis son corps serait mis en cendres sur un bûcher place de Grève.

Toutefois, suite à un appel interjeté au Parlement par son curateur, Vallée fut transféré le 2 janvier 1574 à la Conciergerie du Palais. Au cours de ce nouveau procès, il dut répondre à trois interrogatoires. Il se défendit maladroitement, affirmant d'abord n'être pas l'auteur du libelle (en tête duquel figurait son nom !), puis qu'il avait montré son manuscrit aux curés de Saint-Paul et de Saint-Eustache, qui n'avaient apporté aucune correction, puis alléguant le trouble que lui avait causé sa mise en curatelle et disant qu'il n'avait jamais manqué d'aller à la messe et de faire des pâques. Finalement on le fit examiner par des médecins qui firent leur rapport (on ne sait dans quel sens). Contre l'avis de l'avocat du roi, Augustin de Thou, qui considérait que ses idées, si elle se répandaient, étaient une menace pour l'Église et pour la monarchie, on considéra plutôt que Geoffroy Vallée devait être confiné dans un monastère comme « fol insensé ».

Intervint alors Arnaud Sorbin de Sainte-Foy, futur évêque de Nevers. Il avait fait des prêches enflammés à Orléans, préparant la Saint-Barthélémy, et avait alors repéré la famille Vallée. Devenu prédicateur et confesseur de Charles IX, il fit pression sur le roi. Docile, celui-ci demanda au Parlement de revenir sur sa décision.
L'arrêt fut  rendu le 8 février 1574. Le lendemain, Vallée fut conduit au supplice.
Si l'on en croit le Journal de Pierre de l'Étoile, avant de mourir il aurait crié « que ceux de Paris faisoient mourir le Dieu en terre, mais qu'ils s'en repentiroient, et qu'ils gardassent hardiment leurs vignes ceste année », ce qui confirmerait que c'est bien un « vrai fol et insensé » qu'on allait mettre à mort.


L'ARRÊT DU 8 FÉVRIER :
Veu par la cour le procès criminel faict […] à l'encontre de Geoffroy Vallée, prisonnier ès prisons de la Conciergerie du Palais, appelant de la sentence par laquelle, pour réparation des cas mentionnés audict procès, ledit Vallée auroit esté condamné à estre mené au Chastelet, dedans une charrette, depuis ledict Chastelet jusques au devant de la principale porte de l'église de Paris, et illec estant nuds pieds, nue teste, en chemise et à genoux, ayant la corde au col, tenant en ses mains une torche de cire ardente du poids de deux livres, dire et déclarer que témérairement, malicieusement et comme mal advisé, il auroit faict, composé, faict imprimer et exposer en vente un livre intitulé La Béatitude des Chrétiens, ou le Fléo de la Foy, proféré, dict et maintenu les blasphesmes et propos erronés mentionnés au procès, contre l'honneur de Dieu et de nostre mère la Sainte Eglise, dont il se repentoit et en requeroit pardon et mercy à Dieu, au Roy et à la Justice ; en la présence duquel seroient les livres scandaleux et erronés, trouvés en son hostel, ars et bruslés devant ladicte eglise ; ce faict, seroit mené et conduit en place de Grève, et en icelle pendu et estranglé en une potence qui, pour ce, seroit dressée audict lieu, et son corps bruslé et réduit en cendres ; ses biens déclarés acquis et confisqués à qui il appartiendroit, sur laquelle confiscation seroit pris la somme de quatre mille livres parisis, qui seroit employée aux œuvres pitoyables, savoir, aux pauvres de l'Hostel-Dieu de Paris la somme de mille livres ; à la communauté des pauvres de Paris, semblable somme de mille livres ; aux quatre ordres mendiants et religieuses de l'Ave Maria, filles pénitentes et filles-Dieu, chacune pour égale portion ; et néanmoins que Prégent Godet, et un nommé Hans, messager des Pays-Bas, dénommée au procès, seront pris au corps, et leur procès faict ; requeste présentée à ladicte cour, le 2 janvier dernier, par Jacques Jacquier, au nom du curateur dudict Vallée, tendant à fin d'estre reçu appellant des procédures faictes par devant maistre René Nicolas, conseiller audict Chastelet, attachées à icelle requeste ; certains actes d'appel, signés Beaufort et Payen, notaires audic Chastelet, en date du premier jour dudict mois de janvier ; ouï et interrogé ledict Vallée, pour ce mandé à plusieurs et diverses fois ; le rapport des médecins, en la présence desquels ledict Vallée auroit de rechef esté interrogé par aucuns conseillers d'icelle à ce commis, et depuis ouï en ladicte cour lesdicts médecins ; les conclusions du procureur-général du roy auquel le tout auroit esté communiqué, et tout considéré, dict a esté, sans avoir égard à ladicte requeste que, mal et sans grief, ledict Vallée a appellé et l'amendera ; et pour faire mettre ce présent arrêt en exécution, selon la forme et teneur, ladicte cour a renvoyé et renvoie ledict Vallée prisonnier par-devant le prevost de Paris ou son lieutenant duquel a esté appellé, auquel a esté dict et enjoint de mettre ledict decret de prise de corps à exécution, décerné contre lesdicts Godet et Hans, messager des Pays-Bas, et procéder à l'encontre d'eux extraordinairement, et leur faire et parfaire leur procès en toute diligence, et de ce avoir faict en certifier devant quinzaine ; et outre, ordonne la cour que inhibitions et défenses seront faictes à toutes personnes, de quelque estat, qualité ou conditions qu'ils soient, d'avoir et retenir par devers eux aulcuns exemplaires dudict livre composé par ledict Vallée, ci-dessus mentionné, ains leur enjoint d'iceulx apporter dedans vingt-quatre heures au greffe criminel de ladicte cour, pour estre à l'instant ars et bruslé, sur peine à ceux qui en retiendront aulcuns d'estre déclarés fauteurs adhérents, et punis de pareille peine que ledict Vallée.
Faict au Parlement, le 8e jour de février, 1574.


On trouve des détails sur Georges Vallée dans l'ouvrage de François Garasse La Doctrine curieuse des beaux esprits de ce temps, ou prétendus tels (1624). Mais le P. Garasse mêle d'une manière assez confuse le cas de deux athées condamnés au bûcher sur la place de Grève sous les règnes de Charles IX et de Henri III. Dans son texte, il est difficile de discerner ce qui s'applique à Geoffroy Vallée :
– Est-ce lui qui, parce qu'il aurait commencé à agir sur les esprits des membres de la Pléiade, a amené Ronsard à écrire en 1563 son poème contre les protestants Remontrance au peuple de France (dans lequel il n'y a pourtant aucune allusion précise à G. Vallée) ?
– Est-ce lui qui est visé dans l'épigramme latine In Mezentium publiée par Sainte-Marthe en 1587 dans laquelle est accusé de manquer de virilité un bouffon (scurra), un vaurien (nebulo) qui méprise les dieux (contemptor deum, comme le Mézence de l'Énéide : VII,648 et VIII,7) ?

In Mesentium
Cum sis Deum contemptor impurissimus,
Mezentii te nomine appellem lubens.
At ille fortis vir fuit, tu feminiuir.
Dicam ergo Gallum, membra cum careant viro ?
Atenim sacerdos Gallus est matris Deum,
Tu sacra nulla credis et nullos Deos.
Dicamne scurram, quod iocis vernilibus
Aliena captes impudens cibaria ?
At scurra licet illiberalis, attamen
Caret veneno, tu venenum totus es.
Haec dum revolvo mente, ridens Cynthius,
Quin abige, dixit, pectore hanc curam tuo.
Frustra laboras nomen eius quaerera,
Qui nebulo plane nullius sit nominis.
Traduction par F. Lachèvre
À toi le très impur contempteur des Dieux,
volontiers je donnerai le nom de Mezence.
Mais celui-là fut un gaillard et tu n'es qu'une femme.
Puis-je donc t'appeler coq, homme sans couilles ?
Et pourtant tu es prêtre-coq de la Mère des Dieux *
Toi qui ne crois à rien de sacré ni à aucun dieu.
Te dirai-je bouffon, toi qui, grâce à des pitreries,
pilles impudemment les tables étrangères ?
Mais le bouffon, si peu généreux qu'il soit,
n'a pas de venin, et toi tu es tout venin.
Tandis que ces pensées traversent mon esprit, Apollon sourit :
« Que ne chasses-tu, dit-il, de ton cœur ce souci ?
C'est en vain que tu t'évertues à chercher le nom
de celui qui, parfait vaurien, n'en a aucun. »
* prêtre châtré de Cybèle

– Du moins est-il à peu près sûr qu'une partie du texte de F. Garasse concerne Geoffroy Vallée (p. 142-143) :

L'an 1573, sous le règne de Charles IX, il y eut dans Paris un méchant homme vagabond, lequel ayant été surpris sur le fait, dogmatisant en secret pour l'athéisme, fut déféré au Parlement et, comme impie, condamné à une étroite prison jusques à ce que plus pleinement on pût être informé de ses déportements et de sa vie. Et comme l'affaire allait un peu trop languissant suivant la coutume des bonnes actions, lesquelles se ralentissent sur leur propgrès, Sorbin, évêque de Nevers et confesseur du Roi étant informé de l'affaire, eut le courage de remontrer à sa Majesté le Jeudi Saint, après sa confession, qu'il ne pouvait être en bonne conscience jusqu'à ce qu'il eût commandé que le procès fût fait à cet impie, lequel était criminel de lèse majesté divine au premier chef. Le Roi, qui était pieux de sa nature, ordonna que sur l'heure on terminât cette affaire; et le même jour ce malheureux fut condamné d'être brûlé en Grève pour les méchantes propositions, desquelles il ne voulut jamais se dédire, quoi que plusieurs habiles Docteurs, et entre autres le Père Charles Sager de notre Compagnie, fussent appelés pour lui arracher cette maudite créance. Son erreur était entièrement contraire à celle de nos nouveaux dogmatisants, car il soutenait qu'il n'y avait d'autre Dieu au monde que de maintenir son corps sans souillure, et en effet il était vierge de la même façon que les frères de la Croix des Roses et les Torlaquis de Turquie. Il avait autant de chemises qu'il y a de jours en l'année, lesquelles il envoyait laver en Flandres à une certaine fontaine renommée pour la clarté de ses eaux et le blanchissement excellent qui s'y fait. Il était ennemi de toutes les ordures, et de fait et de parole; mais encore plus de Dieu et faisant semblant d'aimer la pureté, il haïssait Purissimum Purissimorum : c'est ainsi que le grand Hippocrate définit la divinité au livre de Morbo Sacro. Il fut impossible à tous les Docteurs de rappeler cet homme en son bon sens; il vomissait d'étranges blasphèmes, quoi qu'il les proférât d'une bouche toute sucrée et d'une mine doucette, mais non moins dangereuse en son extrémité que celle des beaux Esprits prétendus parmi leurs ivrogneries. Le feu, qui purge tout, purifia par les flammes les puretés prétendues de cette impure créature; car, par commandement du Roy, on en fit un beau sacrifice à Dieu en la place de Grève, le propre jour du Jeudi Saint, et fut brûlé à demi vivant.


Claude Marcel, secrétaire du Roi, composa cette épigramme :

Impius esse Deos cum credere Valla negaret,
Bellaque Naturae indiceret atque Deo,
Triste onus e furca, colliso gutture, pendens,
Evomuit foedam foedior ille animam.
Post ubi mors oculos supremaque lumina clausit,
Membra ferunt rapidis diripienda focis.
Sic petiit gemitu tenebrisque horrentia regna,
Supremi fugiens regia tecta Dei.
Quamque Deum ut vivus potuisset credere, functus
Tam nullum vellet credere posse Deum.
Comme l'impie Vallée disait ne pas croire qu'il y eut des dieux
et comme il déclarait ainsi la guerre à la Nature et à Dieu,
triste fardeau à la gorge brisée suspendu au gibet,
plus fétide lui-même il vomit son âme fétide.
Puis quand la mort eut fermé ses yeux et éteint ses derniers regards
on porte son corps pour le consumer très vite dans les flammes.
Ainsi il gagna l'horrible royaume plein de ténèbres et de gémissements
s'éloignant de la magnifique demeure du Dieu suprême.
Autant il aurait pu, vivant, croire en Dieu, autant, mort,
il voudrait pouvoir croire qu'il n'y a pas de Dieu.

Dans son texte, Geoffroy Vallée dit préférer à la foi le savoir issu de la raison. Il sera contredit plus tard par son petit-neveu, Jacques Vallée des Barreaux, qui soutiendra au contraire que la raison est la source de tous les maux :
Je me dégrade de raison,/ Je veux devenir un oison,/ Et me sauver dans l'ignorance// En beuvant toujours du meilleur,/ Celuy qui croît en connaissance/ Ne fait qu'accroistre sa douleur.
(dans les deux derniers vers, est reprise la formule de l'Ecclésiaste (1.18) Qui addit scientiam addit et laborem « Qui accroît sa science accroît sa douleur ».)


Un exemplaire de La Béatitude des Chrestiens de 1573 fut sauvé par Jacques Vallée des Barreaux. Il se trouve à la Bibliothèque Méjanes d'Aix-enProvence.

Des réimpressions en ont été faites en 1781, en 1867 et en 2005.


LE TEXTE DE LA BÉATITUDE DES CHRÉTIENS

La Béatitude des Chrestiens ou le Fléo de la foy, par Geoffroy Vallée, natif d'Orléans, fils de feu Geoffroy Vallée et de Giralde-de-Berruyer,
ausquelz noms de père et mère assemblés il s'y treuve :
lere geru, vrey fléo de la foy bygarrée,
et au nom du fils :
va fléo règle foy, aultrement guere la fole foy.
(ce sont des anagrammes des noms de ses parents et du sien).

Le vray Catholicque ou Vniversel.
J'ay ma volupté avec Dieu
En Dieu n'ay que repos.
L'homme n'a aise, repos, beatitude, consolation et fellicité qu'en sçauoir, lequel est engendré d'intelligence et congnoissance, et lors le croire luy en demeure veille ou non, quand ce sauoir precedde. Ce croire la s'apelle le croire Engendré , car il est engendré dans l'homme du sçauoir qu'il en a, et iamais n'en peult estre vaincu : mais celluy qui croit par foy ou par craincte et peur qu'on luy faict, ce peut divertir changer et destourner quand il juge chose meilleure (si ceste grand craincte ne l'entretient) et tel croire s'apelle le croire que lon engendre, par ce qu'un autre homme lengendre en un autre, soit par Foy qui luy a, ou peur quil lui faict. Ce croire la est tresmecbant et tresmiserable, et en viennent tous les maulx que nous auons eu iamais, et ont esté cy devant et seront, source de toute abbomination , et l'homme par ce croire la, est tousiours entretenu et nourri en ignorance, et rendu grosse beste, et vaicut il mil ans logé sur le grand et petit credo ou sur tel croire ne scaura iamais rien.

Le Papiste
Je n'ay que craincte en Dieu
De Dieu je suis peureux.
Le croire, que le Papiste dict auoir est proferé et parollé comme pourroit faire vng Perrocquet, et luy engendre ton de craincte et peur des le berceau, sans qu'il entende ne qu'on luy face iamais entendre que cest que croire, car la peur qu'il a d'estre prontement bruslé, et la crainte apres la mort d'estre dampné, s'il ne dit qu'il croit en Dieu (comme il a esté instruict de ses pere et mere) pense estre le plus grand mal que soit en tout le monde, que de ne croire point en Dieu, et n'a loysir d'y penser ny aucune hardiesse, tant la peur et craincte le possede estant tousiours au millieu de deux dyables et bourreaux, ne pouuant estre plus miserable, et dampné qu'il est, priué d'intelligence, raison, iustice, verité, et amytié, et se peult dire du tout beste, et ne sçauoir aucune chose, ayant l'entendement en Dieu tellement occuppé de craincte et peur, dautant que de craindre Dieu l'homme en pert l'intellec, et ne lui reste que cest entendement bestial et terrestre comme à la beste dont en demourra tousiours tel, collere, fol, mechant, et malheureux.

Le Huguenot
le n'ay que craincte en Dieu
De Dieu i'ay esperance.
Le croire du Huguenot que on luy engendre, est engendré de foy et craincte, et ne le rend si beste que le Papiste, dautant qu'il est instruict en quelque demonstration, et faulce intelligence, auec ceste craincte et coup de baston, que si ne croit il ne peut estre sauué. S'il sçauoit en Dieu quelque peu de chose, on le pourroit ramener pour le luy faire congnoistre et entendre que cest, lors iugeroit comme son croire et sa foy, le dampné, au lieu de le sauuer, chose vraymant assez malaisée a comprandre, si la hardiesse et le zelle de sauoir n'accompaignent l'homme, et Iors congnoistreroit tous les blasphemes, poisons, pestilences, abbominations, et meschanssetéz qu'apportent toutes les religions, lesquelles au lieu de donner vraye congnoissance de Dieu, l'ostent du tout, et ce peult dire l'homme estre en enfer terrestre, dautant quil ny a dampnation que déstre privé de ce sauoir et intellec, et celluy qui croit, et a foy, iamais ne le pourra auoir (s'il s'arreste à son croire et à sa foy), mais qu'il essaye par toutes voyes et sciences à ce sauoir, par ce que toutes les sciences ne sont que pour ceste congnoissance et science là qui ce nomme Sapience, laquelle est impossible d'auoir par crainte et foy (comme on dit que son commancement est craindre Dieu et luy auoir foy) mais ce zelle et desir de le congnoistre falloit il dire. Daultant qu'à ce qui nous touche de près, en voulons ceste congnoissance, sauoir et intelligence, comme qui auroit a nous rendre quelque grand compte important il nous auroit beau dire : vostre compte y est, croyez moy. Responderions : ie le veulx sauoir et l'entendre, par ce qu'il ny a repos et fellicité qu'au sauoir et intellec, non pas au croire, ny en la foy.
Ou bien si quelque autre a qui aurions payé vne grosse debte la nous reuenoit demander vne autre fois duquel de deux esse en conscience que nous nous vouldrions seruir, ou de ie croy l'auoir payée, ou ie sçay l'auoir payée. Je m'asseure qu'il n'y a si beau croyant qui ne renonssat de belle heure à ie croy, pour dire ie sçay, qui nous doibt faire congnoistre, que sont tous pippeurs et affronteurs ceux qui nous le preschent et nous le maintiennent, dautant qu'entendre et scauoir est toute la consolation, heur et repos de l'homme, et non pas ce croire, ou ceste foy, comme ils veullent tous, que y soyons logés toute nostre vie, et encores à la mort ils nous chantent le credo.

L'Anabaptiste
Je suis peureux en Dieu
De Dieu i'ai esperance.
Le croire de l'Anabaptiste, est a peu pres que celuy du Huguenot, hors qu'il n'a pas tant de craincte de Dieu, aussy n'est si fol et ignorant que le Huguenot, ils n'ayment pas tant l'argent ny les biens du corps, ils sont plus liberaux entre eux et sont plus heureux en leur religion ny que les Papistes ny les Huguenots, et tout ainsi que le Huguenot defferre le Papiste de sa religion, I'Anabaptiste pourroit defferrer le Huguenot de la sienne par ce que les graces et vertus aydent grandement à ceste congnoissance que chascun desire, comme l'amitié, la liberalité, la raison, la iustice, estre veritable, n'estre ignorant des sciences telles quelles puissent estre, ensemble des arts : car Dieu veut tout auoir et estre congneu en tout, luy qui est sy grand ce congnoit par les grandes sciences. O combien les ignorans en sont eslongnez s'ils ne congnoissent leur ignorance, par ce que l'ignorance occupant l'homme luy apporte ce malheur, que tant moins il sçait, tant plus il pense sauoir, si n'a ce zelle et desir de voulloir sauoir, et n'aymer autre chose tant que les sciences.

Le Libertin
Je suis doubteux de Dieu
Sans Dieu suis tourmenté.
Le Libertin ne croit, ny decroit, ne ce fiant, ne deffiant du tout, ce qui le rend tousiours douteux, pouuant venir s'il est bien instruict, ou qu'il medite souuant, à plus heureux port que tous les autres qui croient (pourueu qu'il ay passé par la Huguenotterie) d'aultant qu'il monte en intellec plus que le Papiste, aussy s'enferre il lourdement s'il ne ce retire, pouuant tomber a l'Atheisme (il est vray que l'homme ne peut iamais estre Atheiste et est ainsi crée de Dieu) mais il peult tomber au plus mauuais estat que tous les dessusdictz encor que le Papiste soit du tout beste (comme il a ia esté dit) car le Papiste est si beste, quil dit et croit que le bien soit mal, et le mal, bien, ce que n'a pas le Libertin, car il se dispence pour auoir le bien, mais il ne le veult que pour luy, et ne le peult prendre en Dieu par ce qu'il en doubte. Ausi que toutes les religions ont obserué d'oster à l'homme la felicité du corps en Dieu, affin de le rendre tousiours plus miserable, et que le meilleur soit pour eux (qui les ont inuentees) ou pour ceux qui les maintiennent.

L'Atheiste
J'ay ma volupté sans Dieu
En Dieu n'ay que tourmant.
L' Atheiste, ou celluy qui ce dit tel (par ce qu'il n'est possible à l'homme d'estre sans Dieu), est de contraire croyance aux autres, et toutesfois croit, mais cest quil ny a point de Dieu. Voila pourquoy en Dieu n'a que tourmant et affliction quand il y pense, dautant quil l'a quicté pour avoir la volupté du corps et exercer toutes ces affections, il sera tousiours en perpetuel tourmant iusques a ce quil sache au vray (non pas croire) s'il y a vn Dieu, ou s'il ny en a point, car le sçauoir il ne l'a pas, et toutesfois sa bouche profere quil ny en a point, mais sa conscience l'accuze, laquelle n'a iamais repos, ny ne pourra auoir qu'en Dieu, car tout ainsi que les dessus nommés disent qu'il y a vn Dieu, l'Atheiste dict qu'il ny en a point. Et tous soit en bien ou en mal nen sçauent rien, mais ilz le croyent, qu'ilz appellent scauoir. Cela ce deueroit plustost appeller barbouller. Mais le vray homme qui a ceste sapience est au millieu d'entre eux, qui void et congnoist leur erreur et desfault. Et comme le croire que l'on engendre en eux est a cause de leur ignorance, et de la crainte en Dieu qu'ilz ont, dautant que le scauoir a telle force en l'homme que veille ou non (comme il a ia esté dict) le croire luy en demeure, et ne s'en sçauroit iamais developper qui nous peult faire entendre que croire est au milieu de science et ignorance et qu'il y a un croire engendré en nous par le sauoir et l'autre que l'on y engendre pour nostre ignorance, pour foy et peur, ou craincte que Ion nous donne, et faict on en Dieu, et foy nest faulte que de congnoissance, car ou est la congnoissance, la foy est morte et n'a aucun lieu, donc le pauure Chrestien ce peult bien dire miserable entre tous les hommes de la terre, de ce que son salut, paradis, repos, heur, beatitude, fellicité, est fondée sur ignorance et mescongnoissance, qui est son croire, et sa foy. Et toutesfois disent tousiours quilz sçavent et congnoissent : mais cest vn sçauoir de beste ou perroquet, ilz ne les font que profferer et poroller sans intelligence, auec la craincte qui tousiours les accompaigne et entretient.

Qui est en craincte
quelque craincte que ce soit
ne peult estre heureux.
Mais heureux sera celluy, comme Dauid a prophetizay au commancement de son premier Psalme, lequel n'aura point esté du conseil des meschans Roys ou tirans, et qui ne ce sera point arresté à la voye, beut et chemin du vulgaire ignorant, croyant et ayant foy, aussy qui naura pris charge, degré ou benefice es maisons de pestilence, blaspheme et abbomination.
Mais au lieu de telles ambitions ou ignorances, medite iour et nuict et contemple, que cest de l'Eternel et de l'homme. Car l'homme est la congnaissance, les commandemens ou la Loy. Et ce trouuera estre icelle loy, reprenant la raison, la justice, la vérité et l'amitié que l'on luy faict perdre dés la mamelle par craincte et peur en laquelle il est nourri en Dieu, laquelle luy oste l'intellec, et le repez ton du Credo et de la Foy, deux beaux eschantillons pour estre toute sa vie docteur de dame Ignorance ou de la Foy. Au lieu d'auoir sapience et congnoissance de verité, par laquelle il iugeroit comme on luy donne faulx a entendre, de luy mectre la craincte et peur en Dieu, et aux armes la vertu et noblesse. Mais qu'il mette la vertu et la noblesse en ceste congnoissance sçauoir et intelligence que cest que de Dieu et de l'homme, et la craincte et peur à prendre et au maniment des armes. Lors il aura commancement de sapience, et la continura ayant la raison en la teste, sans la chercher a son costé ou a l'espée. Et l'amitie ou la iustice et equité que les hommes ce doibuent naturellement les vns aux autres en leur cœur et par effectz, au lieu d'estre en la bource, et leur bouche seullement.

Aprenez par ma recherche
En la nourriture de ceste Girarde le Berruyer,
au nom de laquelle il s'y treuve : De Bray Lerur Gerire
et uny avec celluy du filz : Lerre Geru vrey Fleo D. La Foy bygarrée.

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BIBLIOGRAPHIE

Les Bibliothèques françaises de La Croix du Maine et de Du Verdier, tome I, 1772, p. 277-280.

– M. Mouan, « La Beatitude des Chrestiens ou le fléo de la foy, etc. par Geoffroy Vallée », dans le Bulletin du Bibliophile, 1852, p. 612-623.

– Jules Doinel, Documents du XVIe siècle tirés des archives orléanaises, Heruison, 1876 - Geoffroy Vallée et les Quatre-Coins, p. 11-12.

– Frédéric Lachèvre, Le Libertinage au XVIIe siècle, Mélanges, Champion, 1920, Geoffroy Vallée p. 5-59.

– La Béatitude des chrétiens, ou le fléau de la foi, rééd. Orléans, Éditions Demeter, 2005

Dans les dossiers du Grihl (Groupe de Recherches Interdisciplinaires sur l'Histoire du Littéraire) :
– Alain Mothu, Quelques mots sur Geoffroy Vallée et ses proches, 2007 *https://doi.org/10.4000/dossiersgrihl.1481*
– George Hoffmann, Littérature dissidente ou tributaire de la polémique réformée ? Jacques Gruet, Noël Journet et Geoffroy Vallée, 2013 *https://doi.org/10.4000/dossiersgrihl.5570*
– Alain Mothu, Deux « jeunes éventés » : Geoffroy Vallée et Noël Journet, 2022 *https://doi.org/10.4000/dossiersgrihl.2083*


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