L'HERCULE GUÊPIN
à Monsieur d'Escures
par Simon ROUZEAU, d'Orléans
Muses qui autrefois m'avez servi de guide,
Errant dans le désert des amours de Doride,
Je ne désire plus vos célestes faveurs,
Je ne respire plus ses trop aigres douceurs,
Belles, je ne veux plus fréquenter votre école :
J'y ai perdu le temps de ma jeunesse folle.
Filles de Jupiter, en nombre trois fois trois,
Vous êtes de l'estoc et de l'humeur des Rois :
Vous et les Rois tirez du Ciel votre origine ;
Les Muses et les Rois sont de race divine ; [10]
Comme de Jupiter vous êtes les enfants,
Enfants du Haut Tonnant sont les Rois triomphants.
Les Rois font assister leurs amis à leur table
Et, pour tenir près d'eux le lieu plus honorable,
Leur baillent des cités, de superbes châteaux
Et leurs beaux cabinets remplissent de joyaux.
Un Roi fait un marquis, un comte, un duc, un prince ;
Un Roi fait un soldat gouverneur de province.
Vous, Muses, vous traitez ainsi vos nourrissons
Qui suivent votre Cour et l'air de vos chansons. [20]
Un, par votre faveur, brave, touche la lyre
Ou de Mars ou d'Amour, un autre sait écrire
Des Princes et des Rois, l'autre fait doucement
Résonner une harpe ou quelque autre instrument.
Entre vous et les Rois il y a différence
Seulement en un point : c'est qu'ils ont la puissance
D'enrichir de trésors et de combler d'honneurs
Ceux qu'ils ont reconnus fidèles serviteurs.
Vous faites autrement, car qui vous fait service
Pour toute récompense et pour tout bénéfice [30]
Ils ne reçoit de vous, Muses, le plus souvent
Que le triste profit d'une Muse de vent.
C'est ce que j'ai acquis de vous avoir prisées,
Dès mes plus jeunes ans vous ayant courtisées.
Ce n'est pas sans raison que l'on peint un ruissseau
Qui sort d'un grand rocher, près de vous saint troupeau,
Que l'on ne voit chez vous qu'une triste épinette,
Quelques livres, des luths, la lyre, une musette
Qui démontrent assez que chez vous ont été
Pour toujours y loger travail et pauvreté. [40]
Je reconnais cela de certaine science,
Non pour en avoir fait en moi l'expérience.
Et tout votre labeur, ô Muses, ne produit
Qu'un laurier porte-baie et un myrte sans fruit.
Si vous aviez d'or fin les tempes couronnées
Comme vous les portez de myrtes entournées,
Si vous aviez le col chargé de diamants,
Les Princes et les Rois deviendraient vos amants.
Si vous aviez du fonds comme vous êtes belles,
Vous ne vieilliriez pas si longuement pucelles ; [50]
Étant votre palais sur la voûte des cieux,
Vous auriez pour époux des plus braves des dieux.
Retirez-vous d'ici, car on fuit et déteste
Votre pauvre vertu tout ainsi que la peste.
Vous ne sauriez nourrir un chétif enfançon.
Tout votre revenu n'est rien qu'une chanson
Qui demeure à la fin au banc pour la prisée,
Du vulgaire ignorant la fable et la risée.
Écartez-vous de moi, Nymphes aux beaux cheveux :
Votre cristal coulant entonner je ne veux, [60]
La cabalin canal, la fameuse fontaine,
Seul honneur d'Hélicon, l'argentine Hippocrène
Est trop fade pour moi ; maintenant il me faut
Emboucher un clairon qui éclate plus haut.
Naïades, ôtez-vous. Marines Néréïdes,
Tenez-vous au profond de vos palais humides
Et vous Phorques aussi, car mon vouloir n'est pas
De chanter de vos eaux de Pougues ni de Spa.
Quelqu'autre vantera le doux coulant Méandre
Et, s'il lui plaît encore, Simoïs et Scamandre ; [70]
Célèbre qui voudra le Nil égyptien,
Le Tamisin Breton, Maragnon l'Indien,
Le Vuolgue Poulonnais ; que la nymphe Aréthuse,
Traversant Gibraltar, voise trouver Vaucluse.
Je ne veux accorder de ma Muse les tons
Aux cornets éclatants des écaillés Tritons.
Et vous, Père des dieux, Roi des ondes salées,
Gouvernez à plaisir les grottes emperlées
De la riche Thétis, de qui le large bord
Va de l'est jusqu'au sud et de l'ouest jusqu'au nord. [80]
Non, non, je ne veux point descendre sous les ondes ;
Je ne veux, curieux, voir leurs sources profondes ;
Ainsi qu'un Arion, je ne veux présumer
De commettre ma vie aux hasards de la mer.
Orphée, je ne veux descendre au creux Averne :
Je veux chercher Bacchus au fond d'une taverne.
Je ne veux visiter tous les peuples enclos
Dans le grand Océan : je redoute ses flots.
De Jupin, de Pluton et du Roi de la Thrace
Je quitte les trésors, les horreurs et l'audace. [90]
Je ne veux plus pour eux mon luth fredonner.
Mais je veux d'une flûte et d'un tambour sonner,
Non pour effets cruels, mais pour cette louange
Que, joyeux, j'entreprends auprès de la vendange.
Je veux qu'un air nouveau retentisse à l'entour
Du dru dru battement de mon gaillard tambour,
Et faire au bedou-dou trépigner les Bacchantes
Aux cheveux serpentés, avec les Corybantes,
De lierre sacré et de pampres couverts,
Les yeux étincelants, gros, rouans et ouverts [100]
En l'habit dont usaient les grecques Édonides
L'Orgie célébrant et les Mimallonides
Ayant leur thyrse en main, çà et là forcenant
Où l'ardeur de Bacchus les ira promenant,
Les Thyades aussi, follement vagabondes,
Criant, riant, hurlant, sautelant, furibondes.
Muse vineuse, donc chantons gaillardement.
Portés de ton esprit, dégoisons brusquement
Pour la force et l'honneur et la douce merveille
De l'Hercule Guespin, à nulle autre pareille. [110]
Car, pour le bien chanter, il me faut vin divin
Que je sois fait par toi chantre, peintre, devin.
L'étant, je porterai, sur mes ailes soudaines,
Ta grandeur jusqu'au bout des terres plus lointaines.
Mon pinceau dépeindra, des plus rouges couleurs
Et des blanches aussi, tes plus rares valeurs.
D'Escures, que le Ciel et non pas la fortune
Favorise et chérit de faveur non commune,
Je vous donne ces vers, qui pour leur pôle auront
Votre nom plein d'honneur imprimé sur le front. [120]
Un heur au vôtre égal sous le Ciel ne peut être,
Puisqu'il vous a donné la faveur d'un tel Maître.
Quoi Maître ? mais grand Roi, à qui le Ciel serain
Promet dessus les Rois l'Empire souverain.
Si d'un œil gracieux vous voyez cet ouvrage,
J'ai de la force encor, j'ai encor du courage
Pour chanter vos vertus, dont un rayon reluit
Plus que non pas Diane en la plus claire nuit.
Quelque autre sonnera d'une Muse plus grave
Votre subtil esprit, diligent, sage et brave, [130]
Votre bonheur aussi, qui tout autre bonheur
Rend si triste à le voir qu'on le dirait malheur.
En attendant qu'un jour, du Gange jusqu'à Thule,
Votre nom d'étendra, recevez cet Hercule
Qui, sous votre faveur, hardi, brave et galant,
S'en va par l'univers les montres débellant.
Je n'imagine plus que le chœur Aonide
M'environne le front d'un rameau Daphnéide.
Je veux que désormais un pampre verdoyant,
Seul honneur de mes vers, soit mon chef tournoyant, [140]
Puisque ç'a été toi, ô Bacchus aime-dance,
Qui du Ciel a premier reçu la connaissance
De ce divin Nectar. Mais non, ô Évoé,
Non ce ne fut pas par toi, ce fut le bon Noé,
Ce patriarche saint, qui cultiva la plante
Dont le suc les grands dieux et les hommes enchante.
Mais c'est toi, grand Bacchus, enfant de Jupiter,
Qui, à peine conçu, ne pouvait éviter
Une soudaine mort, si ton foudroyant Père
Ne t'eût soudain tiré du ventre de ta Mère [150]
Pour te mettre en sa cuisse, où, comme dans le flanc
De ta Mère, tu fus achevé de son sang,
Et qu'en ce lieu tu pris aliment et croissance
Jusques au temps préfix qu'un enfant prend naissance,
Et que, crainte des yeux de Junon clairvoyants,
Il t'envoya cacher dans les bois Nyséans.
Telle est l'opinion des conteurs de la Grèce,
La Grèce des menteurs la mère et la maîtresse.
Ces noms de Bromien, Évan, Nyctiléen,
Ignigène, Eleleu, Lénéan, Eléan, [160]
Thébain, Bassaréan, Liéan, Libre-Père,
Brisean, Nisean, Bacchus, Iacch, Sans-mère,
Trigone, Thioneu : ce sont des noms tonnants
Qui aux oreilles sont rudes et mal sonnants.
Tous ces noms sont venus de la Tartarie
Ou des monts Ryphéans ou de la Barbarie.
Tes beaux noms en Français je veux solenniser,
Tes beaux nom en Français je veux éterniser.
Sus donc, Muse, disons d'une flûte charmante
Aussi doux que du vin est la liqueur coulante, [170]
Dison, Muse, les noms de ce divin Bacchus,
Disons deux et trois fois ses plus rares vertus,
La source et le sujet d'où viennent les louanges
Et l'honneur que l'on fait au Père des vendanges.
Amoureux, Baladin, Rubicond, Jovial,
Portelance, Fougoux, Furieux, Martial,
Hay-labeur, Paresseux, Fol, Engendre-querelle,
Banqueteur, Altéré, Guespin, Brouille-cervelle,
Chancellant, Discoureur, Turbulent, Accordant,
Digérant, Sans-souci, Boutefeu, Discordant, [180]
Indien, Potelé, Fort et Fumeux et Brave,
Vigneron, Vendangeur, Biberon, Garde-cave,
Riant, Musicien, Vie-allongeant, René,
Ébarbé, Jeune-fils, Semelier, Cuisse-né,
Dormeur, Brise-prison, Puissant et Véritable,
Cordial et Savant, Lâche-nerf, Mémorable,
Hardi, Riche, Marchand, Soldat et Gouverneur,
Baron, Comte, Marquis, Prince, Roi, Empereur.
Tu en as plus encor, mais qui pourrait décrire
Tous les noms d'un Monarque ayant si grand Empire ? [190]
Césars et Tamburlans près de toi ne sont rien,
Puisque fut ton vassal le Macédonien.
La plupart des humains rendent obéissance
À ta force et grandeur, redoutent ta puissance.
Bref, tu es Empereur, car ces grands Électeurs
Sont vassaux et vaisseaux de tes lois protecteurs.
Tu te rends quelquefois paisible et amiable.
Ton pouvoir et ton nom volent par l'univers,
Tes grandeurs, tes honneurs s'étendent dans mes vers.
Bref, tu es idolé sur cette masse ronde ; [200]
Ton Empire s'étend sur la terre et sur l'onde.
Ton siège impérial sont les coteaux Guespins,
De chênes lambrissés, de coudres et de pins.
Je les veux tous chanter et toutes les provinces
Où tu as établi des Rois, des Ducs, des Princes.
Or je veux donc, Bacchus, exciter ta faveur :
C'est de toi que je veux imiter la fureur.
Je veux dedans mes vers t'ériger un trophée ;
Ta guirlande sera de ma Muse étoffée.
Il ne faut pas mentir, ne faut jurer en vain [210]
Quand il est question de parler du bon vin.
Et le bon vin ne veut, quoi qu'il soit véritable,
Que rien soit rapporté de ce qu'on dit à table.
Ôtons le fabuleux, que au vrai donc il soit su
Quelle est ton origine et dont tu es issu.
De moi je veux prouver, si quelqu'un le dénie,
Que ta naissance fut aux coteaux d'Arménie.
Le bon père Noé, après mille travaux
Dedans l'Arche reçus par l'orage des eaux,
Premier te cultiva et, pour son Esculape, [220]
Premier il éprouva le doux jus de ta grappe.
Puis, de là t'épanchant, chacun voulut avoir
L'engeance de ton plan, pour ta vertu savoir.
Or de ceux qui ont eu de toi la connaissance,
Qui ont déifié ta divine puissance,
Les Grecs tous les premiers en furent inventeurs,
Et les Grecs ont été les plus braves vanteurs.
À leur piste marchant, la nation Latine,
Après eux a chanté ta céleste origine.
Chantons donc par honneur le vin Arménien, [230]
Le divin Palestin, le puissant Rhodien.
Au trône des bons vins ils marcheront en tête ;
Ceux-ci auront l'honneur de commencer la fête,
Suivis du doux vin Grec et du fort Itaquois,
Jadis tant célébré avec le Calabrois,
Le Vernace Corsègue, le Paillet de Sicile
Dont la couleur fait voir la Nature subtile.
Le Cerdesque grossier, le brûlant Ciprien
Qui voisine en fureur l'ardent Canarien.
Du gros vin de Damas et du vin de Corinthe, [240]
Il ne faut pas humer chaque fois une pinte.
Je ne bois de ces vins, je les laisse à l'écart,
Et le Bâtard aussi ; mais je veux avoir part
Et tirer un bon coup dans cette tasse nette
Du vin portant le nom de la belle Rosette.
Chanterons-nous ici le fort Napolitain,
Qui aux Centaures fit profaner le festin :
C'est pour cette raison que l'on l'appelle Larme,
À l'œil mettant la Larme et en tête l'Alarme.
Il ne faut oublier le Barbare Africain, [250]
Le Palmier Indien, voisin du Marruequin.
Afin que mon haubois ait plus de mélodie,
Je veux mouiller mon anche au pressoir de Candie :
Ayant bien reconnu ses effets souverains,
J'en ferai mes accords meilleurs et plus certains.
Après je flûterai de celui d'Allemagne
Et de l'Italien et de celui d'Espagne,
Et du violent de Riz de l'Andalusien,
Altérant, corrosif, et du Phalermien,
Le doré vin de Coque et de Ribe d'avie : [260]
Tous ces vins ne sont vins, mais brûlante eau de vie.
Quoiqu'ils soient doux et forts, ils sont par trop ardents
Et les corps tempérés brûlent par le dedans.
Je ne fais pas état du plat Oligophore,
Ni le rude Striphnon ne me plaît point encore.
Mettons dedans ce bal le Bourru, le vin Gris,
Le Fauve, le Clairet et cet œil de Perdrix
Du Paillet, du Couvert : de tous faut que je die
Un verset en passant : sauf de la Normandie.
Je laisse le ginguet, le petit verdillon, [270]
Ce n'est ici le lieu du vin de Roussillon :
Il a plus de vertu de purger la gravelle
Que de planter au poing la tranchante alumelle.
Si je voulais nombrer tous les vins et leurs noms
Et de leurs qualités déduire les raisons,
Mon poème enflerait plus gros qu'une Iliade,
Qu'une Énéide encor et qu'une Franciade.
Me semble ouïr jaser un qui, lisant ces vers,
Fera sans jugement un jugement pervers,
Disant que leur auteur fait paraître à leur trogne [280]
Être un fumeux rapé et un fameux ivrogne :
Ignorant, tu ne sais qu'Homère le savant
Onques ne vit drapeau voler au gré du vent
Qu'en tête il ne laça la salade dorée,
Onq' et ne dégaîna une lame acérée
Combien qu'il ait loué cette douce faveur,
Il ne faut inférer qu'il fut un grand buveur.
Des Armes et du vin tel sait la théorique
Qui pour ce n'en a pas ni l'art ni la pratique.
Puis la sobre Pallas, compagne des neuf Sœurs, [290]
Onq' ne favorisa les excessifs buveurs.
Du Saint tertre jumeau la neuvaine sacrée
D'un crapuleux Bacchus jamais ne se recrée.
Pourquoi, ô bon Hercule, n'as-tu planté tes lois
Comme sur nos coteaux dans le pays Anglois ?
Est-ce que d'Apollon il n'a pas cette grâce
D'être échauffé des rais de sa riante face ?
Ou si c'est le solage, ou si c'est que leur foi
N'est pas digne d'avoir un tel Prince que toi ?
De moi oncq' je n'ai vu en toute l'Angleterre [300]
Un seul pampre empourpré qui tapisse leur terre.
Laissons là ces propos, car nous romprions le cours
Et le fil commencé de nos heureux discours.
Découvrons le plus beau des trésors de la France,
D'Amaltée étalons la Corne d'Abondance.
Entre les précieux et les plus excellents,
C'est le bon vin qui croît au terroir d'Orléans.
Comme entre les guerriers on préfère un Achille,
Un généreux Hector et un Ulysse habile,
Un puissant Diomède, un Nestor ancien, [310]
Un grand Agamemnon, un Télamonien,
Des poètes divins entre tous on révère
Un gaillard Simonide, un Pindare, un Homère,
Cicéron, Démosthène, entre les mieux disants,
Aristote et Platon entre les plus savants.
Comme on voit le soleil surpasser les étoiles,
Bien qu'elles soient du ciel des beautés les plus belles,
Ainsi que le lion est roi des animaux,
Et l'aigle aux yeux d'acier l'empereur des oiseaux,
Ainsi notre bon vin sur tous les vins doit être [320]
Vaillant, Premier, Soleil, Roi, Empereur et Maître.
Ainsi doivent céder tous les plus rares vins
Aux vins qui sont cueillis sur les coteaux Guêpins.
Ça tirons en passant du gros vin de Bourgogne
Un trait ; puis nous irons voir son frère en Gascogne.
Buvons aussi un coup de celui de Gaillac :
Il est aussi fumeux que est cil de Cadillac.
L'altérant d'Agenois, de Grave et la Réole
Entre les vins Gascons seront mis dans ce rôle.
Celui de Montpellier et ceux du Languedoc [330]
Et les Gascons fumeux font tous d'un même estoc.
Silène, galopons, que ton âne s'avance :
Le Rhône traversant, visitons la Provence.
Ton âne paresseux ne va que trépignant :
Allons voir le Muscat, honneur de Frontignan
Nous en boirons chacun un grand cristallin verre,
Puis reviendrons goûter de celui-là d'Auxerre.
Mais, faute d'avoir bu, j'avais omis Toulon,
Castelnau d'Avignon, Tin, voisin de Tournon.
Redoublons donc un coup, car, à faute de boire, [340]
Je sentais peu à peu s'écouler ma mémoire.
Le bon vin réjouit et renforce le cœur,
Et la mémoire aussi, ranimant sa vigueur,
Si l'on use de lui d'une façon discrète
Ou bien l'accompagnant d'une Nymphe bien nette.
Hercule, j'aurais tort si le plant je taisais
De ton petit Madon, gloire du vin Blaisois ;
Bien qu'il soit resserré dans la prison d'un chêne
Comme le vin d'Ay et le français Suresne
Le friand vin de Court, Jarnac le Poitevin [350]
Qui suit la Maison Fort, le tufeux Angevin.
Sa force, sa bonté, sa beauté, son mérite
Mérite d'être au rang des vins Français écrite.
Le royal Pris-par-tout, lustre du Vendômois,
Peut porter un tel nom, puisqu'il est à nos Rois :
En l'honneur de mon Roi je l'honore et le prise
Sur tous les bois qui sont sacrés au dieu de Nyse.
C'est le clos de mon Roi et de ce grand Dauphin
Qui surpasse en grandeur Hercule le Thébain
Et qui devancera tous les Rois de la terre, [360]
Comme un Auguste en paix et comme un Mars en guerre.
Ce vin soit dit le roi des plus délicieux,
Étant au plus grand Roi que couronnent les Cieux.
Celui de Bar-sur-Aube et celui-là de Beaune,
Et le vin Lyonnais arrosé de la Saône.
Au rôle des bons vins, mettons le vin d'Arbois,
Et Ruel et Coucy, le Picard Laonnois.
Pêle-mêle en ces vers ne le trouvez étrange :
Ils imitent ces vins qui sont faits de mélange
Et non de raisins seuls, comme les Auvernats [370]
Qu'on fait en nos coteaux, bons, forts et délicats.
De bons Auvernats purs est faite la purée
Du bon vin d'Orléans, de couleur empourprée.
Muse, c'est trop chanté des vins de nos voisins,
Des étrangers aussi : chantons de nos raisins.
Vulcain, dieu forgeron, forge-moi dans ta forge
Une grand' saqueboute, afin qu'à pleine gorge
Je résonne l'honneur de notre moût Guêpin
Dans les polis retours du métal le plus fin.
Comme l'on voit un Roi, quand il sort de son Louvre, [380]
Sur tous ceux que son œil clairvoyant lui découvre
De sa royale Cour, les Princes, les Seigneurs
Reçoivent de sa main les premières faveurs,
Comme les plus chéris les premiers il œillade
D'un œil royal et doux et puis d'une accolade,
Ainsi le clair Soleil, roi des astres luisants,
Œillade par sur tous les coteaux d'Orléans.
Comme ses plus chéris, les premiers il honore,
Leur donnant le bonjour avec la belle Aurore
L'Aurore aux patins blancs emperlée de fleurs, [390]
Au teint blanc et vermeil, mes chéries couleurs :
Ainsi du blond Phébus l'agréable présence
Fait naître de Bacchus la douce quintessence.
Quelques-uns ont suivi l'errante opinion,
Qui n'a nul fondement que leur affection,
Que de tous les enfants que nous produit Semelle,
Le mâle est le vin blanc, le clairet la femelle :
Cette question-ci la vide qui voudra,
Un docteur en bon vin peut-être la videra :
Je ne veux pas ici soudre cette dispute : [400]
Le blanc n'est pas mon blanc, ni le clairet ma butte.
Du vrai Champ de Bacchus dont le rang est ici
Combleux, Saint-Jean-de-Braye, Marigny et Chécy,
De Semoy les bons vins, tous il vous convient taire
Et faire honneur au vin voisin de Saint-Hilaire
Surtout de l'odorant et doux coulant Muscat
Étant plus fort qu'eux tous, friand et délicat
Le bon Champ de l'Écho, la belle Maumenée
Entreront au ballet de la blanche vinée
Suivis des Genetins du bocageux Loury [410]
Et des roux fromentés du Jardinier fleuri.
Le souvenir plaisant d'une pleine bouteille
À qui nous avons fait souvent pencher l'oreille
M'invite de donner à ce flacon l'assaut
Et d'ardeur d'y donner le foie me tressaut.
Avant que l'attaquer faut faire les approches
Au bon Décaméron, quoi qu'il vienne des Roches,
Roches dont le bon vin illustre autant le nom
Que la source qui sort des roches d'Hélicon.
Mais qui est celui-là qui demeure derrière [420]
Pouvant entre nos vins passer une carrière ?
C'est Celliers, riche honneur du terroir Ingregeois,
Dont le bon vin fait honte au meilleur vin Grégeois.
Te laiss'rai-ie en oubli d'Étuvée la Fontaine,
Fontaine que Merlin dit de merveilles pleine,
Qui, sourdement bruyante en ton profond canal,
Semble nous menacer de te couler aval
Pour, cruelle, noyer ce terroir tant fertile
Et les superbes tours de notre belle ville,
Et ingrate engloutir et la tombe et l'honneur [430]
De ce docte Massac, ton ancien seigneur,
À qui notre doux air et notre humeur guêpine
Fit changer son Clairac en ta source argentine.
Heureux s'il eût plus tôt reconnu ta vertu :
Clothon ne l'eût si tôt de son dard abattu
Qu'il n'eût rendu l'honneur de sa santé première
Au cristal de ton eau, de plus riche minière
Que Pougues Nivernais, qu'il a vivant chanté
Par un vers qu'il avait en ta source enfanté.
Or, grand Massac, repose en la plaine Élysée, [440]
De lauriers couronné par ta bande prisée,
Pendant que je répands autour de ton tombeau
Du meilleur vin qui croisse aux rives de ton eau
Émaillée de fleurs, toute pleine une coupe,
En l'honneur de ton nom et de ta docte troupe.
Qu'un cornet à bouquin dont l'éclat s'élevant
Pousse Hercule ton nom du couchant au levant :
Je lui ferai percer les plus épaisses nues,
Je lui ferai passer les rives inconnues,
L'air en sera poussé si vivement en l'air [450]
Que les oiseaux légers cesseront de voler ;
Sa force passera celle de la rémore,
Arrêtant et les nerfs et la rémore encore.
Ça ça commençons donc : commencez, Père-franc,
Votre geste armera fort bien le premier rang :
Si le Blanc a marché premier en cette dance,
L'Auvernat rubicond poursuivra la cadence :
Et si le Blanc a fait la cabriole en haut,
Le vermeil Auvernat lui franchira le saut.
Saint-Martin, Saint-Ay, Saint-Mesmin, Saint-Hilaire, [460]
Bou, Chécy et Fourneaux, avec la Gabillère,
Fort, Prompt et Délicat, Amoureux, Doucereux,
Friant, Fumeux, Subtil, Coulant et Savoureux,
Nourrissant, Échauffant, Altérant, qui Renforce,
Confortant, Conservant, qui l'appétit Amorce,
Cailloteux, Groveteux, Argileux, Glazonneux,
Pierreux, Gras de terroir, solage Sablonneux,
À vos riches climats d'influence vineuse
Et à votre liqueur sur toutes savoureuse,
En faveur de vos noms et de votre bon vin, [470]
J'apends ces brusques vers façonnés de ma main.
Pour ce que votre vin, sur tous ceux de la France,
Porte d'un vin parfait l'effet et l'apparence.
Et si, en quelques lieux et en quelques saisons,
Il s'en trouve de bons, ils n'ont tant de raisons.
Je donn'rais volontiers le prix et la victoire
Au bon vin d'Olivet sur tous les vins de Loire.
Entre ceux d'Oivet je donn'rais le laurier
Au bon vin que produit le clos du Chevecier
Parce que, libéral, tous les ans il me donne [480]
De raisins empourpés une riche couronne.
Je donne mille fleurs au coteau de Caubray,
Un verdoyant lierre à celui du Coudray :
Pour être mes voisins et voisins de ma vigne,
Ils auront dans mes vers un rang de leur nom digne.
Le bon vin d'Olivet a ces trois qualités :
– Si un verre tout plein au nez vous présentez,
Il rend meilleure odeur que ne fait la civette,
Que le musc et le nard et que la violette ;
– Il excelle en douceur le nectar savoureux, [490]
Tant il est nourrissant, plaisant et amoureux.
– Le rubis n'est si beau ni le rouge amarante,
Il pâlit du corail la couleur rougissante.
Le bon vin d'Olivet, net, couvert, fort de reins
Doit être tenu cher entre tous les bons vins.
Or de tous les coteaux et des belles collines
Qui naissent à l'entour des campagnes Guêpines,
Près Saint-Martin l'on voit un tertre tout divin :
En ce lieu-là Bacchus vit le premier raisin ;
Ce lieu sur tous pouvait, pour sa grande excellence, [500]
Porter le nom divin de Bacchus Porte-lance,
Car de sa propre main il le voulut planter.
Et crois que le nectar que buvait Jupiter
Croissait en ce lieu-là, car il est le plus noble
Et le meilleur qui soit dans le français vignoble.
C'est le royal Pouty, dont le plaisant regard
Nous fait voir combien peut et la Nature et l'Art :
Les ligustres feuillus dont les Longues Allées
Se bravent à l'envi des grottes reculées
Les zéphirs, de Loiret le murmure imitant, [510]
D'un coulant gazouillis les oiseaux invitant,
Des fertiles jardins l'ingénieux Dédale,
Les sycomores droits que nul cèdre n'égale,
La galerie encor, les mignards pavillons,
Les cartes pour planter les français bataillons,
Les trembles baluotants, les raretés insignes
Que chanteront un jour les poétiques Cygnes,
Et plus doucement qu'eux un Poète divin
Gravera ses beautés d'une plume d'airain.
Je dirai seulement, Pouty, ce qui t'honore, [520]
Qui plus que tes beautés t'illustre et te décore.
Bien que, entre tous ceux-là qu'on met aux premiers rangs,
Tu paraisses petit, si es-tu des plus grands,
Puisqu'en toi ont entré, et sur ta belle crope,
Deux grandes Majestés, miracle de l'Europe.
La présence d'un Roi c'est la perfection,
L'aile de leur grandeur c'est ta protection.
Ces royales honneurs suffisent, ce me semble,
Pour t'honorer, Pouty, et l'Univers ensemble.
C'est en ce lieu que croît le vin délicieux, [530]
C'est en ce lieu que croît le bon vin gracieux :
Le vin n'est point si doux, c'est de la malvoisie,
Ce n'est pas malvoisie, mais c'est de l'ambroisie
Dont, là-haut, ès banquets jadis buvaient les dieux,
Je la veux derechef faire monter les Cieux.
Mais j'en veux boire, avant, toute pleine une coupe
Pour redresser mon train qui déjà s'entrecoupe :
Elle ramollira l'anche de mon hautbois,
M'en lavant le gosier rafraîchira ma voix,
Et m'emplira le cœur d'une sainte enthousie, [540]
Et, malgré Lachésis, m'allongera la vie :
Et le filet coupé du ciseau de la Mort
Peut être renoué par son pouvoir plus fort.
Ça donne m'en, garçon, une grand' tasse pleine,
Tant qu'on en peut tirer sans reprendre l'haleine.
Je sens jà sa vertu qui m'échauffe au dedans,
Qui noie mes ennuis et mes soucis mordants,
Ô qu'il est frais et bon ! ô que mon foie est aise !
Cela coule plus tôt que ne fait une fraise :
Ne vois-tu pas mon front que cette douce humeur [550]
A peint du vermillon de sa vive couleur ?
Je ne sens pas ma soif, pour ce coup étanchée ;
Allons en quelque lieu, couchés sur la jonchée,
Réjouir nos esprits, réveiller notre cœur,
Avalant à longs traits cette douce liqueur :
Sa céleste vertu plus soueve que le basme
Peut, divine, animer un esprit qui se pâme.
Donnons encore un coup la charge à ce flacon :
Tant plus j'en bois souvent, plus il me semble bon.
Quand je vois ce rubis pétiller dans la tasse, [560]
Dont l'odeur porte au nez plus loin qu'un pied d'espace,
Le miel et l'hypocras n'est comme lui coulant,
La manne n'est au goût si douce en l'avalant.
Allons donc, mon Hubert, allons chercher l'ombrage
Des aulnes tremblotants et leur épais feuillage,
Pour y boire plus frais, à plaisir attendant
Que Phœbus éteindra son flambeau plus ardent.
L'air des champs est plus gai que celui de la ville.
Ayons notre Lettier et notre cher Basille.
Nous enverrons devant, pour servir de brandon, [570]
Une pleine bouteille, avec un gros jambon,
Réservé pour ce fait dedans ma cheminée,
Et d'un gras bœuf breton la langue parfumée.
Il les faut envoyer porter à Olivet,
Sur le rivage herbu du cristallin Loiret,
Où, à trois pas de là – très légère est la course —
La mettrons rafraîchir dans l'argent de la Source,
Source de très bonne eau, source de très bon vin,
D'Auvernat pour le soir, de Muscat au matin.
Puis, sur l'émail des fleurs, de l'herbe fraîche et tendre, [580]
Nous irons notre corps et le jambon étendre.
Les pas de vos désirs suivront vos beaux discours,
Les miens seront du vin mes nouvelles amours.
Je vous inviterai, l'un après l'autre, à boire
Aux Nymphes de Loiret et aux Nymphes de Loire,
Et au doux souvenir d'un baiser amoureux
Qui me semblait un temps comme vin savoureux.
Un tel soin maintenant la nuit plus ne m'éveille :
C'est plutôt toi, bon vin, qui me souffle en l'oreille.
Quand avec mes amis, pour tuer mes ennuis, [590]
Tu me fais accourcir les heures et les nuits,
Buvant de ta liqueur dont la vertu surpasse
Celle-là du cristal que l'on boit sur Parnasse.
Je parle pour ceux-là qui, entre les mortels,
Ont acquis par leurs vers des lauriers immortels.
Ils disent qu'aussitôt que de cette fontaine
Ils ont goûté de l'eau, leur âme est toute pleine
De fureur poétique, et que cette liqueur
Leur échauffe l'esprit d'une divine ardeur.
Je dis que tout cela n'est qu'une fantaisie [600]
Et que ce n'est de là que vient la poésie.
Ce sont fables en l'air et contes de rêveurs :
Tous les poètes ont été de bons buveurs.
Un des meilleurs témoins, c'est le galant Homère,
Pindare, dont le nom tout poète révère ;
Et encor en sera le bon Anacréon
Qui bon poète fut et vaillant biberon ;
Et mil autres aussi. Puis il ne faut pas croire
Qu'ès insipides eaux les poètes viennent boire,
Car chacun à l'envi buvait à qui mieux mieux [610]
Du plus friand nouveau et du meilleur vin vieux.
De moi, si je voulais être un galant poète,
Si je voulais chanter Doride la brunette,
Je ne m'amuserais à ces fantasques eaux :
Je m'arrêt'rais plutôt aux meilleurs vins nouveaux.
Je voudrais seulement de cette onde pourprine
Boire neuf fois de rang, et puis de ma Chyprine
Piller un baiser seul, si faire le pouvais,
Je ferais lors ouïr ma poétique voix :
L'on n'orrait que son nom redire à ma musette, [620]
Et toi bon vin aussi rien plus je ne souhaite
Que du guerrier Bacchus suivre les étendards
Et quitter tous ceux-là du mollet Fils de Mars.
Ô bon vin ! ô combien ton essence m'agrée !
Ce fut par ton moyen que la belle Médée,
Et non autre, changea pour l'amour de Jason,
En jeune jouvenceau son père jà grison.
Il n'y a restaurant, il n'y a quintessence
Qui ait tant de vertu, qui ait tant de puissance
De rajeunir un corps vieil, débile et malsain [630]
Comme toi, de nos maux l'excellent médecin.
Les baumes odorants que porte l'Arménie,
La Chine et les Moluques ne font telle harmonie
En nos corps, et ne sont si plaisants au goûter.
Si tous les dieux des Grecs avecques Jupiter,
Lorsqu'ils banquetaient tous à la céleste table
Et buvaient le nectar, si doux et délectable,
Eussent eu ce bon vin, bon vin délicieux,
Ils eussent pour l'avoir abandonné les Cieux ;
Et, pour trinquer d'autant si douce malvoisie, [640]
Ils eussent jeté là nectar et ambroisie.
Que béni sois-tu donc, baume, nectar divin,
Qu'immortel soit ton nom, ton honneur, ô bon vin !
Dessous l'aile du Ciel soit cette liqueur douce
Exempte de l'aigreur de l'évent et de pouce.
Vive à jamais la vigne et le bois qui produit
Un jus si agréable et un si friand fruit !
Et que son vigneron, si bien il la cultive,
Gaillard, sain et dispos en santé cent ans vive !
Jamais d'un rude hiver l'importune froideur [650]
Et le verglas n'offence ou ton bois ou ta fleur ;
Et ta sève, si tendre à la dure gelée,
Atteinte n'en soit onc, ni du soleil brûlée.
Que de ton clos enclos, le sanglier, le renard
N'approche que de loin de son œil le regard.
Que le pitaud larron, vendangeant à la lune,
Ou bien sous la faveur de la nuit sombre et brune,
Qui viendra pour ravir tes raisins mûrs et bons,
Ne trouve sous ses mains qu'épines et chardons.
Quiconque te voudra, ô Vigne, faire outrage [660]
Soit d'un loup affamé la proie et le carnage.
Bon vin, quand tu seras mis dedans un cellier,
Ne tombe point ès mains d'un méchant sommelier,
Qui, lâche et paresseux, en aller ne te laisse,
Et ton habit de bois trop souvent il ne perce ;
Que s'il te pique trop de vrille ou de giblet,
Qu'on l'envoie escrimer aux accents d'un sifflet.
Qu'un maladroit chargeur te chargeant ne se charge,
Et, chargeant trop son corps, le tien trop ne décharge.
Ne tombe dans les mains d'un ivrogne chartier, [670]
Ne tombe dans les mains d'un larron voiturier,
Qui, après avoir fait en ton corps mainte plaie,
Et dévoré ton sang Arabe ne te noie.
Il est permis à tous de boire quelquefois,
Mais la sobriété est requise ès charrois.
Dieu te garde, ô bon vin, de tous fâcheux encombres,
Dieu, qui seul de son œil voit clair aux lieux plus sombres
Qu'après avoir couru tant de fâcheux hasards,
Et triomphant conduit par tout le monde épars,
Tu ne tombes enfin en la main qui brouillonne, [680]
Te métamorphosant cent figures te donne,
Et, trompeur vestandier, ne t'aille déguisant,
En cinq ou six tonneaux un tonneau divisant ;
Qu'il ne te cache point dessous la couverture
Qui fait de l'Auvernat seulement en peinture :
Bien que ce soit vin blanc qui tel sera connu,
Ôtant son noir manteau, on le verra tout nu.
Ôtez ces teinturiers, ne leur donnez l'entrée,
Renvoyez-les là-bas en leur noire contrée :
Car, si vous ne cassez aux gages tous ces Teints, [690]
Hercule couroucé fera par les destins
Que, dedans peu de temps, l'on verra ruinée
La gloire d'Orléans en sa bonne vinée.
Qu'un vin forain ne soit en guêpin revêtu,
Qui en porte l'habit et non pas la vertu.
Sous tels abus couverts, notre vin l'on méprise,
Vin dont la bonté est sur tous les vins exquise.
Mon Hercule Guêpin, en faveur de Bacchus,
Tous ces montres nouveaux refoulera vaincus.
Un tant excellent vin, des plus rares l'élite, [700]
Comme sans parangon, sur tous les vins mérite
D'être conservé seul pour la bouche des Rois,
Et aussi pour ceux-là qui, d'une douce voix,
Sauront mieux exprimer, sur l'une et l'autre lyre,
Le plaisir amoureux où si bon vin m'attire,
Et qui mieux sonneront d'un pouce fredonneur,
D'Escures, vos vertus, nourrices de l'honneur.
Puisqu'un tel souvenir si doucement m'enchante,
N'est-ce pas la raison que sa bonté je vante,
Que je l'immortalise et son pouvoir divin, [710]
Le délice plus grand de tout le genre humain :
L'on ne peut sans bon vin faire une chère lie,
Muses, en sa faveur toutes je vous supplie.
D'Escures, vivez donc, et où seront vos yeux
Soit toujours un printemps plaisant et gracieux.
Quelque part que soyez le chagrin ne s'arrête,
Fuient vos ennemis de vous comme tempête,
Et que mes vers, remplis d'un immortel renom,
Puissent à nos neveux faire ouïr votre nom,
Plus doux que n'est le miel des fécondes avettes [720]
Fait d'œillets, de jasmins et de douces fleurettes.