Henri Lavedan
LEURS BÊTES
LA PAIRE DE COBS
COMMENT ILS LES AIMENT
LA PANTHÈRE
LA FÊTE
LE RAT
LA PAIRE DE COBS
JEANNETTE VIROFLAY, vingt-cinq ans.
LE MARQUIS DE SUEZ, soixante ans.
LE COCHER BONTEMPS, vingt-neuf ans.
Avenue du Bois, le matin, mois de mai. Une victoria attelée de deux merveilleux cobs alezan est arrêtée, aux environs de la villa Saïd, devant un petit hôtel. Sur le siège se tient immobile, en culotte blanche et en bottes, le cocher Bontemps. Le marquis et Jeannette, sortant de l'hôtel, se trouvent à cette minute en face de l'équipage.
JEANNETTE, poussant un cri. — Qu'est-ce que c'est que ça ?
LE MARQUIS, montrant la voiture. — Ça ?
JEANNETTE. — Oui.
LE MARQUIS. — Eh bien, c'est à toi.
JEANNETTE. — Tout ça est à moi ?
LE MARQUIS. — Tout et le reste.
JEANNETTE, saisie. — Oh ! mon chéri…
LE MARQUIS. — Tu es contente ?
JEANNETTE. — Oh ! mon chéri ! Je suis bleue !
LE MARQUIS. — J'espère que c'est une surprise ?
JEANNETTE. — Oh ! mon chéri !
LE MARQUIS. — Et une pommée ?
JEANNETTE. — Ainsi, la voiture est à moi ?… pour de bon ?
LE MARQUIS. — Et les dadas aussi. Les as-tu regardés ?
JEANNETTE. — Je ne fais que ça. Je suis folle.
LE MARQUIS. — Tant mieux ! Il y a longtemps que je ne t'avais rien donné. Je me suis fendu. Tous ces jours derniers, tu me demandais pourquoi Bontemps n'était plus sur le siège… et ce qu'il était devenu ? Et patati, patata ?… (Au cocher.) Ah ! il n'y a pas à dire, Bontemps, madame se tourmentait de vous !
BONTEMPS, qui rougit, immobile, raide comme la justice. — Mame est bien bonne.
LE MARQUIS. — Eh bien, il était en Angleterre, Bontemps ! Je l'avais chargé d'aller m'acheter pour toi une belle paire de cobs. Et les voilà, en chair et en os.
JEANNETTE. — Alors, ces chevaux-là viennent d'Angleterre ?
LE MARQUIS. — En droite ligne.
JEANNETTE. — Nom d'un petit bonhomme ! Mais c'est une île, l'Angleterre ?
LE MARQUIS. — Jusqu'à présent. Et entourée d'eau.
JEANNETTE. — Eh bien ! mais, alors ?
LE MARQUIS. — Quoi ?
JEANNETTE. — Comment ont-elles fait, ces pauvres bêtes ?
LE MARQUIS. — Rassure-toi. Elles ne sont pas venues à la nage. On les a amenées en bateau.
JEANNETTE. — Ah ! c'est vrai. Je ne réfléchissais pas.
LE MARQUIS. — Linotte ! Es-tu contente !
JEANNETTE. — Si je suis contente ? Je crois que je rêve !
LE MARQUIS. — Arrive que je te les explique. (Ils s'approchent de l'attelage.) Tous les deux sont des cobs du Norfolk. Ça saute aux yeux du premier coup. Celui-ci, le timonnier de droite, c'est monsieur Mahomet, un excellent hack, qui se monte, s'attelle seul, à deux et à quatre. C'est de l'or en barre, on peut mettre ça à toutes les sauces, c'est toujours parfait. Ça saute aussi comme le cerf.
JEANNETTE. — Pas quand il est attelé ?
LE MARQUIS. — Non, Enfin, ça a beaucoup de fond, c'est doux, sage, pratique, et bon. Ne ferait pas de mal à un enfant. Notre taille : un mètre cinquante-deux. Notre âge : sept ans. (Donnant une claque sur le poitrail du cheval.) Voilà pour monsieur Mahomet, beau petit canard ! À l'autre, maintenant. (Ils vont se placer près du cheval de gauche.)
JEANNETTE. — Oh ! que c'est amusant, mon chéri ! Que je suis heureuse !
LE MARQUIS. — Celui-ci… ah ! ah ! celui-ci, c'est le sieur Mirliton, un mètre cinquante-deux aussi, six ans seulement. Par exemple, celui-ci c'est une autre paire de manches. Bonhomme à caprices, avec un caractère très sujet à caution. Nous boudons parfois. Mais dame, très énergique, très brillant, irritable et hautain. Trotte vite, et des actions superbes ! Mahomet est plus famille, plus pot-au-feu ; celui-ci est plus en l'air, plus cotillon. Et puis aussi, d'une forme plus serrée. Regarde s'il n'est pas charmant dans son rein ? Moi, c'est celui que je préfère.
JEANNETTE. — Je les aime tous les deux.
LE MARQUIS. — Tu as raison, ils sont purs tous deux. Enfin, ils sont à toi, avec la victoria, telle que tu la désirais.
JEANNETTE. — Que je vais donc être belle là dedans !
LE MARQUIS. — Tu ne seras pas précisément à faire peur, non.
JEANNETTE. — Les amies vont en crever.
LE MARQUIS. — À leur aise. Ne les retiens pas. Et puis, ça n'est pas tout.
JEANNETTE. — Il y a encore autre chose ?
LE MARQUIS. — Mais !
JEANNETTE. — Quoi donc ?
LE MARQUIS. — Un royal cadeau. Pour toi, pour toi seule, je renonce à Bontemps, et je te le donne. Il est à toi, rien qu'à ton service. N'est-ce pas, Bontemps ?
BONTEMPS. — Mais oui, monsieur le marquis.
LE MARQUIS. — C'est le roi des cochers. Ça me fait un peu gros cœur, au fond, de m'en séparer ; mais du moment que c'est pour toi, je passe par-dessus tout.
JEANNETTE. — Tu me gâtes !
LE MARQUIS. — Parce que tu le mérites, et que tu es un vrai chou à la crème ! Et puis, je ne veux pas que ma petite Viro soit menée par un serrurier qui la colle dans le premier omnibus funéraire qu'il rencontrera ! Non, non. Pas de ça ! Avec Bontemps, tu peux être tranquille, et dormir, si ça te plaît, sans jamais avoir peur. Même si les enfants s'emballaient et se mettaient à dévorer l'espace, tu n'as rien à craindre, il saurait faire rentrer les choses dans l'ordre.
BONTEMPS. — Monsieur le marquis peut être sûr…
LE MARQUIS, à Jeannette. — Tu l'entends ? Et puis, enfin, ce que je prise par-dessus tout, il a l'adoration des bêtes, et il verrait quelqu'un maltraiter un cheval qu'il l'assommerait.
JEANNETTE. — C'est bien, ça, Bontemps, je crois que nous ferons bon ménage.
BONTEMPS, confus. — Oh ! madame !
JEANNETTE, au marquis. — Je peux monter dedans ?
LE MARQUIS. — Mais, je t'en prie, mon petit bonhomme, monte donc.
JEANNETTE. — J'en grille d'envie, d'essayer ma voiture, ma voiture à moi ! (Elle monte et s'installe.) Sapristi, qu'on est bien ! (Se faisant rebondir sur les coussins.) Oh ! mes enfants ! ces ressorts, c'est épatant ! Mes ressorts à moi ! (Au marquis.) Écoute, ça m'est égal, après tout, que les passants nous voient…
LE MARQUIS. — Il n'y a personne !
JEANNETTE. — Mais tu me fais trop plaisir. Il faut que je t'embrasse en plein jour !
LE MARQUIS. — Va donc ! (Elle l'embrasse.) Et puisque tu es si joyeuse, je vais te laisser…
JEANNETTE. — Oh ! viens avec moi !
LE MARQUIS. — Non. Plus tard. Une autre fois. Dans ce moment-ci, je veux que tu ailles te promener toute seule dans ta voiture. Tu en jouiras mieux. Va faire tes petits flaflas du côté des endroits chics, et te payer un peu le nez de tes camarades. Il n'y en a pas une, tu sais, qui soit fichue de sortir une paire de cobs pareille.
JEANNETTE. — Eh bien ! c'est ça. Adieu. Au revoir, à tantôt.
LE MARQUIS. —À tantôt. (Au cocher.) Bontemps… n'est-ce pas ?… comme la prunelle de vos yeux ?
BONTEMPS. — Suffit, monsieur le marquis.
LE MARQUIS, à Jeannette. — À tantôt. Tu ne montes pas ?
JEANNETTE. — Je vais d'abord m'amuser à marcher jusqu'à la grille, pendant que Bontemps me suivra. Ça me flattera plus. .
LE MARQUIS, à Bontemps. — Suivez madame.
JEANNETTE, au marquis. — On vous aime.
(Le marquis s'éloigne dans un sens. Madame s'en va dans le sens opposé, d'un pas allègre, suivie à distince réglementaire par l'équipage. Cinq minutes se passent ainsi. On n'est plus qu'à quelques pas de la grille du Bois. Madame se retourne, fait un signe. Bontemps touche, trois temps de piaffe, et vient stopper.)
JEANNETTE, à Bontemps, souriante, d'un ton détaché, tout en surveillant de l'œil à droite et à gauche. — Ah ! mon pauvre chéri ! que je suis contente que tout ça soit terminé et que tu sois de retour !
BONTEMPS, impassible, avec une face de bronze. — Moi aussi, va.
JEANNETTE. — Tu n'as pas été malade, au moins, dans ce sale pays de brouillard ? Sur le bateau, tu n'as pas vomi ?
BONTEMPS. — Non. Tout s'est bien passé. Il y a quatre mille pour toi sur la vente. Je les ai comptés trente mille, d'accord avec le marchand de là-bas. Ils ne sont que de vingt-deux et ils n'en valent pas dix. Total, huit mille de commission, que nous partageons. Deux cents louis chacun. Ça n'est pas une fortune ! Mais c'est toujours bon à prendre.
JEANNETTE. — Ce qui me rend le plus heureuse, c'est que tu aies réussi à te faire mettre à mon service. Ça nous sera rudement plus commode ?
BONTEMPS. — Oui, mais pas d'imprudence quand même ! Faudra pas s'endormir dans les brancards ?
JEANNETTE. — Tu peux te fier à moi. Je te verrai ce soir ?
BONTEMPS. — Tu ne crains pas…
JEANNETTE. — Non. Je m'arrangerai pour être seule.
BONTEMPS. — Ta clef. Tu me l'as redemandée avant ton départ ?
JEANNETTE. — Je vais la mettre, tout à l'heure, dans la poche droite de la voiture. Tu la prendras quand je serai descendue.
BONTEMPS. — C'est bon. Grimpe.
JEANNETTE, très haut, en montant. — Par les lacs, et vous reviendrez par les Acacias.
Elle s'installe, la Victoria roule, et tout le monde dit au passage :
— Oh ! les beaux chevaux ! la belle voiture ! la jolie femme !… Celui qui a les moyens de lui payer ça a vraiment de la chance !
COMMENT ILS LES AIMENT
PIERRE, vingt-six ans.
AMÉDÉE, vingt-trois ans.
GASTON, vingt-huit ans.
CHARLES, trente ans.
Le soir, chez Pierre. Cigares, fine Champagne de 1848. On dit ce qu'on pense, comme ça vous vient.
PIERRE. —Oh ! les bêtes !
AMÉDÉE. — Il n'y a que ça !
PIERRE. — Moi je les adore.
GASTON. — Les chiens surtout.
AMÉDÉE. — Parbleu !
PIERRE, à Amédée. — Tu en as un ? Depuis quand ?
AMÉDÉE. — Cette question ! Depuis toujours.
PIERRE, à Gaston. — Et toi ?
GASTON. — Sans doute.
PIERRE. — Qu'est-ce que c'est donc, les vôtres, déjà ? Vous me l'avez dit ?… sorti de la mémoire.
AMÉDÉE. — Moi, c'est un bouffe, à poils longs, frisés. Il n'y en a pas deux comme ça en France.
PIERRE. — Je n'aime pas cette espèce-là ! Mollasson, poil blafard.
GASTON. — Moi, c'est une curiosité, c'est un burgo, un métis de basset et d'épagneul. Il est ravissant. Je ne crois pas que le pareil existe.
PIERRE. — Je n'aime pas non plus cette espèce-là. J'aime mieux le mien, mon épagneul feu. Bien coiffé, bien reinté, avec un balai charmant. À la bonne heure. C'est le plus beau chien de Paris, vous savez ?
GASTON. — Chacun dit ça. Pour ma part, j'ai dix de mes amis au moins qui ont le plus beau chien de Paris. Tu fais le onzième.
AMÉDÉE. — On est libre de ne pas préférer le bouffe. Mais c'est un animal très intelligent.
PIERRE. — Peux-tu dire une pareille ineptie !
AMÉDÉE. — Mon bouffe est unique. Il fait des choses étonnantes.
GASTON. — Seulement, on n'a jamais pu les lui voir exécuter.
AMÉDÉE. — Ah dame ! Il ne les fait que pour moi tout seul. Les étrangers le troublent.
GASTON.—Pauvre chéri ! S'il m'appartenait, ton gentil petit bouffe, ce que je lui fendillerais des cannes sur le dos pour lui apprendre à ne pas se troubler !
AMÉDÉE, saisi.—Sérieusement, tu ferais ça ? Tu es un chameau.
GASTON. — Un peu. Mon burgo, va lui demander si je le ménage ? Ah ! quand il le mérite, rien que quand il le mérite, par exemple. Je ne le bats pas sans raison, pour rien.
AMÉDÉE, révolté. — Il ne manquerait plus que ça !
GASTON. — Non. Je suis bon et j'adore les bêtes. Mais il faut les rosser. Il n'y a qu'à cette condition, d'ailleurs, qu'elles vous craignent un peu et vous aiment.
PIERRE. — Mais oui. Je ne vais pas si loin que lui. Pourtant, il n'a pas tort. Les bêtes, c'est comme les femmes, ça ne vous lèche que quand c'est giflé !
AMÉDÉE. — Je suis en retard sans doute, mais je ne partage pas vos idées. Moi, j'aime mon petit bouffe comme un imbécile ; je ne pourrais pas le frapper.
GASTON. — Même avec une fleur ?
AMÉDÉE. — Je n'ai jamais pu… et quand par hasard quelqu'un lui marche sur la patte, j'ai toutes les peines du monde à me contenir. J'y réussis seulement depuis un an. Mais les premiers temps, je bousculais tout et je voyais rouge. Il m'a fait aller trois fois sur le terrain.
GASTON. — Gentil. Très gentil.
AMÉDÉE. — Voilà comme je suis avec les bêtes, moi. Baba…
PIERRE. — C'est son nom ?
AMÉDÉE. — Oui… Baba est le maître, c'est moi qui suis son bouffe. Il arrache tout, il déchire mes vieilles soies, il met mon linge de table en lambeaux, il me ravage mes cravates… Ça ne fait rien, je l'aime tout de même, parce que c'est un chien, d'abord, et puis que c'est mon chien… Trouvez-moi ridicule, si vous voulez, seulement ne dites pas devant moi de choses cruelles comme à l'instant, parce que vous me faites de la peine, et puis surtout, oh ! ne touchez jamais à un poil de Baba, bons camarades I parce que – je suis désolé de vous en avertir – mais je vous casserais la figure.
GASTON. — Il n'est pas question de ça.
PIERRE.— D'abord, quand veux-tu que nous le voyions, ton bouffe ? Est-ce que nous avons des chances de nous rencontrer jamais avec lui ?
AMÉDÉE, très étonné. —Comment ?… si vous avez des chances… mais tout le temps !… Je sors sans cesse avec. Il ne me quitte jamais. Jamais !
PIERRE. — Allons donc ? Mais ce soir ?
AMÉDÉE. — Il est ici.
GASTON. — Il est ici ? Où ça ?
AMÉDÉE. — Dans l'antichambre. Dans la poche de mon paletot. J'ai une très grande poche, exprès.
PIERRE. — Non ? C'est une blague ? (Il se lève ainsi que Gaston.)
AMÉDÉE, leur barrant la route. — Je vous défends d'y aller. Il dort. Il rêve peut-être. Vous le réveilleriez.
PIERRE. — Comment ? Tu l'emmènes comme ça, partout, avec toi ?
AMÉDÉE. — Sans doute. Ça vous surprend ?
PIERRE. — Non. Mais moi, ça me dégoûterait.
AMÉDÉE. — Comment dis-tu ? Qu'est-ce que tu as dis ?
PIERRE. — J'ai dit que ça me dégoûterait.
AMÉDÉE. — Mais alors, le tien, cet épagneul du bon Dieu ? comment fais-tu ?
PIERRE. — Le mien, je ne le vois jamais, presque jamais.
AMÉDÉE. — Qui est-ce donc qui s'en occupe, alors ?
PIERRE. — Mon domestique. Il n'est pas là pour le roi de Prusse.
AMÉDÉE. — Pourquoi as-tu un chien, en ce cas ?
PIERRE. — Parce que j'adore les bêtes.
AMÉDÉE. — Tu n'en jouis pas. C'est pas toi qui as un chien, c'est ton domestique.
PIERRE. — Si, j'en jouis à ma façon. Je sais qu'il est à moi, je sais qu'il vaut deux cent cinquante louis. Ça me suffit.
AMÉDÉE. — Tu te contentes de peu !
PIERRE. — Comme le sage. En dehors de ça, je le vois tout de même, par-ci par-là. On me l'amène dans mon cabinet de toilette, pendant que je suis en bannière ; il me lèche les pieds, il est enchanté… Je l'aime bien, mais enfin je n'éprouve pas le besoin de coucher avec.
AMÉDÉE. — Baba couche dans mon lit, lui, sous l'édredon.
PIERRE. — Moi, ça me rendrait fou. La plus belle femme du monde voudrait seulement coucher sur le paillasson, en travers de ma porte, que ça m'agacerait déjà !
GASTON. — Le mien, mon burgo, voulait faire ça les premières fois ; il s'était mis dans la tête de sauter sur moi quand j'étais au dodo ; je lui en ai vite ôté l'envie.
AMÉDÉE. — Comment ?
GASTON. — En tapant dessus, parbleu !
AMÉDÉE. — En voilà un animal qui a de la chance de t'avoir pour maître !
GASTON. — Mais il n'est pas malheureux ! Il mange comme quatre, le gredin. Ah ! il me coûte assez cher de nourriture. Trente sous par jour.
AMÉDÉE. — Parce qu'il a de l'appétit, ça ne veut pas dire qu'il est heureux. Sais-tu ce que tu devrais faire ?
GASTON. — Non.
AMÉDÉE. — Tu devrais me le donner.
GASTON. — Mon chien ! Ah çà, tu es fou ! Mais je l'aime. Est-ce qu'on donne son chien ? Est-ce que tu donnerais Baba ?
AMÉDÉE. — Oh ! non !
GASTON. — Tu vois bien.
AMÉDÉE. — Ça n'est pas la même chose. Je ne le martyrise pas, moi.
GASTON. — Peu importe. Je martyrise le mien, mais je l'aime. Qui bene amat…
AMÉDÉE. — Je te conseille ! Si on t'appliquait le proverbe…
GASTON. — Mais on me l'a appliqué. J'ai été élevé à la campagne par mon père qui était un rude veneur, et jusqu'à l'âge de soixante-dix-sept ans, où il nous a sonné les adieux, il n'a pas cessé de me secouer ! Ah ! c'était un monsieur que papa, je t'en réponds ! et l'avant-veille de sa mort, il nous a encore servi au couteau son sanglier, comme un bon petit jeune homme.
AMÉDÉE. — Enfin, vous êtes de drôles de corps, tous les deux, avec votre prétention d'aimer les bêtes ! (À Pierre.) Toi, tu as un chien, et tu n'en fais pas ton ami, tu le laisses à ton valet de chambre ! (À Gaston.) Toi, tu tapes sur le tien, comme sur du plâtre. Je ne peux pas comprendre ça. Aimer les bêtes, pour moi, c'est s'en occuper, leur tenir compagnie.
PIERRE. — Les promener, peut-être ?
AMÉDÉE. — Mais oui.
PIERRE. — Les laver ?
AMÉDÉE. — Mais oui.
PIERRE. — Admirable.
AMÉDÉE. — Leur parler, jouer avec eux. Deviner leurs pensées, leurs petits désirs… C'est tout ça qui est amusant. Autrement, à quoi bon ? Autant en avoir un empaillé !
GASTON. — Tu nous divertis, tiens. T'as dû avoir une vieille fille parmi tes parents ?
AMÉDÉE. — Non. Et je le regrette. Parce que nous nous serions très bien entendus elle et moi.
UN DOMESTIQUE, annonçant. — Monsieur Charles de Lorand.
CHARLES, entrant comme un fou. — Vous savez ce qui se passe, amis ?
PIERRE. — Non.
CHARLES. —Vous n'avez pas lu les journaux du soir ?
GASTON. — Non.
CHARLES. — Ah ! mes enfants ! Deux nouvelles énormes ! La guerre est déclarée entre la Russie et la Suisse. Et puis, à cette minute même où nous parlons, le palais de l'Élysée est en feu. La dynamite !
PIERRE . — Ah !
GASTON, à Charles. — Assieds-loi.
AMÉDÉE, à Charles. — Veux-tu un verre de fine ?
PIERRE, à Amédée. — Eh bien ! continue ce que tu nous disais à propos de Bouffe… Tu nous disais…
LA PANTHÈRE
LE COMTE GASTON DE SAINT-SULPICE, vingt-neuf ans.
CLAIRE DE CHANTILLY, vingt-cinq ans.
RAOUL, un ami, trente ans.
PIERRE, domestique.
Chez Saint-Sulpice.
SAINT-SULPICE, à Pierre. — À-t-on donné sa viande à l'enfant ?
PIERRE. — Oui, monsieur.
SAINT-SULPICE.— C'est bien. (Le domestique sort.)
RAOUL, à Saint-Sulpice. — Tu as un enfant ?
CLAIRE. — Mais oui.
SAINT-SULPICE, à Raoul. — Tu ne le savais pas ?
RAOUL. — Depuis quand ?
SAINT-SULPICE. — Six semaines.
RAOUL. — Un garçon ? Une fille ?
SAINT-SULPICE. — Une femelle, une belle petite femelle que j'ai adoptée.
RAOUL.—Ah ! C'est une adoptée ? Elle n'est pas de vous ?
CLAIRE. — Non.
RAOUL. — Aussi, en voyant la jolie mine de Claire, je me disais : C'est bien étonnant ! Elle n'a pas l'air d'une femme qui sort d'avoir…
SAINT-SULPICE. — C'est une enfant trouvée… et quand je dis trouvée, je m'exprime mal. Je devrais dire prise, enlevée, capturée.
RAOUL. — Allons donc ? Un rapt ?
SAINT-SULPICE. — Et pas commode, je t'en réponds. J'ai eu assez de mal ! (Il rit, Claire aussi.)
RAOUL. — Qu'est-ce qui vous fait rire ? Vous avez l'air de vous payer vaguement ma tête ?
SAINT-SULPICE. — Un peu, oui. On va te renseigner d'un coup. C'est une panthère.
RAOUL. — Hein ? quoi ?
SAINT-SULPICE. — Une panthère. Il s'agit d'une petite panthère…
CLAIRE. — Que Gaston a capturée pendant notre récent voyage en Algérie.
RAOUL. — Vous êtes pleins d'esprit.
SAINT-SULPICE. — Comprends-tu, à présent ?
RAOUL. —Je commence. Et elle est ici, chez vous ?
CLAIRE. — Oui.
RAOUL. — En liberté ?
SAINT-SULPICE. — Libre comme l'oiseau.
RAOUL. — Elle n'est pas méchante ?
CLAIRE.— Mais non. Quand elle connaît les gens.
RAOUL. — Et quand elle ne les connaît pas ?
SAINT-SULPICE. — Ah dame ! il ne faudrait pas la prendre sur ses genoux.
RAOUL. — L'envie ne m'en viendra pas. Elle est enfermée dans une chambre ?
CLAIRE. — Dans le cabinet au linge sale.
RAOUL. — Bien enfermée ?
SAINT-SULPICE. — N'aie pas peur, elle ne sait pas tourner les boutons de porte.
RAOUL. — Quel âge a-t-elle ?
CLAIRE. — Six mois.
RAOUL. — Comment l'avez-vous ramenée ?
SAINT-SULPICE. — Comme La Balue : dans une cage de fer.
RAOUL. — Et tu ne vas pas garder ça toute ta vie ?
SAINT-SULPICE. — Non. Pendant quelque temps encore, parce que je m'y suis attaché. Mais je compte bien, un jour ou l'autre, en faire don…
RAOUL. — À une ménagerie ?
SAINT-SULPICE. — Au Jardin d'Acclimate : « Panthère capturée en Afrique par M. le comte de Saint-Sulpice, et offerte au Jardin d'Acclimatation. » Ça fera très bon effet. C'est chic. Une réclame de bon aloi.
RAOUL. — Oui.
SAINT-SULPICE. — Au cercle, il y en a qui seront furieux. Tout le monde n'a pas ça dans son sac, tu sais, d'avoir pris une panthère et de la donner à son pays. Ça vaut le coup de ceux qui ont deux ou trois bibelots, une petite cochonnerie de collection, et qui la lèguent au Louvre, et encore seulement après qu'ils ont claqué ! – Tandis que moi, je donne mon félin de mon vivant. Je renonce à en jouir. Aïe donc ! Voilà comment je suis.
RAOUL. — Oh ! c'est très épatant, j'en conviens !
SAINT-SULPICE. — Les journaux en causeront. Quand l'affaire tapera, tu verras le potin ! On ne parlera que de ça… et mon portrait dans l'Illustration ! Toute la lyre.
RAOUL. — C'est peut-être bien gros, ton portrait ? Es-tu sûr ?
SAINT-SULPICE. — Mais oui. En France on a sa gueule reproduite pour moins que ça ! Et puis, ce qu'il y a de très roublard, c'est que ma qualité de donateur me confèrera, au Jardin d'Acclimate, un tas de petits privilèges. D'abord mes entrées à vie. Et alors, chaque fois qu'il y a des sauvages, des peuplades toutes nues, des tonnerres du diable de Paï-pi-bri… eh bien, je peux aller partout, je pénètre dans l'enceinte réservée, je suis dans leurs cahutes comme chez moi, les mains dans mes poches. C'est très amusant !
CLAIRE. — Je ne veux pas.
SAINT-SULPICE. — Pourquoi ça ?
CLAIRE. — Parce que je ne veux pas que tu ailles dans ces endroits-là.
SAINT-SULPICE. — Pourquoi, encore une fois ?
CLAIRE. — Parce que tu me tromperais avec les femmes de ces peuplades toutes nues, et que j'aime autant pas.
SAINT-SULPICE. — Ah çà ! tu es folle ? Indécente, et folle ?
CLAIRE. — Je n'ai aucune confiance en toi.
SAINT-SULPICE. — Il ne s'agit pas de ça. Est-ce que tu t'imagines qu'on me permettrait, qu'on me laisserait faire ? Mais il y a des surveillants… Toutes les précautions les plus sévères sont prises par l'administration. Et ils ont bigrement raison, entre nous ! Sans ça !…
CLAIRE. — Hein ! Que signifie « sans ça ? »
SAINT-SULPICE. — Cette phrase ne s'applique pas à moi… je veux dire : Sans ça, il ne manquerait pas de polissons qui essaieraient…
CLAIRE. — J'en connais un, en tout cas.
SAINT-SULPICE. — Moi ?
CLAIRE. — Mais oui.
SAINT-SULPICE. — Tu es injuste, Claire. Injuste et blessante.
RAOUL, ennuyé. — Allons, ne vous fâchez pas.
SAINT-SULPICE. — Supposer que je sois capable d'adresser mes faveurs à une créature bestiale ! à une femme qui ne parle même pas ma langue maternelle !…
CLAIRE. — Avec ça que ça t'arrêterait !
SAINT-SULPICE. — Tiens, je suis bien bon de discuter avec toi, et d'avoir l'air de me défendre. Du moment que tu le prends sur ce ton, ça me met à mon aise, et je ferai ce qui me plaira !
CLAIRE. — Eh bien, ose.
SAINT-SULPICE. — Nous menaçons ?
CLAIRE. — Carrément.
SAINT-SULPICE. — Je n'ai pas peur. J'ai assez fait mes preuves, ma chère petite. Quand on a pris, comme moi, vivante, une panthère sauvage…
CLAIRE. — Pourquoi sauvage ? Tu en connais donc des domestiques ?
SAINT-SULPICE. — Ne continue pas, parce que je sens que je deviendrais violent.
RAOUL. — Adieu, tenez. Vous m'ennuyez. Je vais vous laisser vous crêper tous les deux à ma santé.
SAINT-SULPICE, le retenant. — Non, je ne veux pas que tu partes.
CLAIRE. — Restez, j'y tiens.
SAINT-SULPICE, à Claire.— Ah ! c'est comme ça !
CLAIRE. — Oui, c'est comme ça !
SAINT-SULPICE. — Prends garde.
CLAIRE. — Toi aussi.
SAINT-SULPICE. — Zut ! Flûte ! Des dattes ! Je regrette bien de t'avoir tant aimée !
CLAIRE. — Ah ! tu veux aller courantiner dans les cahutes avec les femmes de couleur ? Eh bien, attends, mon petit enfant, je vais te rabattre un peu.
SAINT-SULPICE, pris de peur.—Claire, réfléchis à ce que tu vas faire. C'est extrêmement grave !
CLAIRE. — Moi, je ne suis pas comme toi, je ne parle jamais sans avoir réfléchi à ce que je vais dire. (À Raoul.) Savez-vous la vérité sur la panthère ? Non. La voilà en deux temps trois mouvements. Cette panthère ? il l'a achetée il y a quinze jours…
SAINT-SULPICE, fou de colère. — Elle ment ! Tu mens.
CLAIRE, très calme. — … à la foire au pain d'épice… chez un petit dompteur qui ne faisait pas ses frais…
SAINT-SULPICE. — C'est infâme !
CLAIRE. — … Dix louis. Parce qu'on croyait que l'animal était fichu. J'ai rapporté la pauvre bête dans un journal sous mon manteau, tellement elle était petite et maigre, et personne pendant le trajet, pas même le cocher, ne s'en est aperçu…
SAINT-SULPICE. — Mais c'est abominable ! Tu crois ça, bon ami ? C'est un tissu de faussetés !…
CLAIRE. — Un peu, qu'il me croit ! La vérité sort de ma bouche, et criante ! Et jamais il n'a fichu seulement un pied dans le désert. Son Sahara, c'est l'avenue de la Grande-Armée.
SAINT-SULPICE. — Oh l
CLAIRE, emballée. — Et la panthère… Elle n'est pas enfermée ! Elle n'est pas plus féroce qu'un chardonneret ! Elle est tout bêtement dans ma chambre, sur le lit et sous l'édredon ! Un enfant de quatre ans pourrait, sans danger, rester seul avec elle. Voilà l'animal effrayant que monsieur a capturé au péril de ses jours, et qu'il parle d'offrir à l'Acclimatation ? Ah ! là là ! Mais c'est toi qui aurais besoin d'être acclimaté et enfermé pendant un bon bout de temps, pour te guérir de ta pose et de ton orgueil. Maintenant, c'est fini… J'ai mangé le morceau, mais je ne le regrette pas. Tu m'embêtais, je me suis soulagée.
SAINT-SULPICE, glacé. — Ma chère enfant, c'est parfait…
CLAIRE. — Ai-je dit la vérité ?
SAINT-SULPICE. — Oui. Mais je n'avais fait ce pieux mensonge que pour toi, pour flatter ton amour-propre…
CLAIRE. — Oh !
SAINT-SULPICE.— Seulement, tu comprendras qu'après ce qui vient de se passer, toutes espèces de relations entre nous sont désormais…
CLAIRE. — Impossibles ? J'allais t'en prier. Ça tombe à pic.
SAINT-SULPICE. — À merveille. Adieu donc. Je te laisse la panthère. Aies-en bien soin.
CLAIRE. — Crains rien. J'en parlerai moins que toi, mais je m'en occuperai davantage.
SAINT-SULPICE. — Viens-tu, Raoul ?
RAOUL, très préoccupé. — Je te suis. Mais voyons ?… ça n'est pas sérieux ?… Vous n'allez pas rompre pour une bêtise pareille ?
SAINT-SULPICE. — C'est fini… à jamais !
CLAIRE. — À jamais.
RAOUL, à Saint-Sulpice, en désignant Claire. — Permets que je lui dise un mot à part ?… Je voudrais vous réconcilier…
SAINT-SULPICE.— À ton aise…
CLAIRE. — Mais inutile. Mon parti est pris ! (Saint-Sulpice s'écarte.)
RAOUL, bas, à Claire, avec des yeux ardents. — J'attendais ça depuis longtemps… Je t'aime… Je serai chez moi, ce soir, à neuf heures.
CLAIRE. — Entendu.
SAINT-SULPICE, à Raoul. — Eh bien ?
RAOUL, avec désespoir. — Elle ne veut pas non plus !
SAINT-SULPICE. — Vive la panthère ! Me voilà libre ! Arrive, vieux frère, et, en avant, la grande noce !
RAOUL, à Saint-Sulpice, en lui montrant Claire. — Quoi ? pas un mot de regret pour elle ? Que va-t-elle devenir ?
SAINT-SULPICE, bas, à Raoul. — Bah ! il se trouvera bien un daim pour se la coller sur les bras.
LA FÊTE
I– LA VEILLE DE LA FÊTE
PAUL, ANDRÉ, GUY, GONTRAN, ARTHUR, tous beaux jeunes gens.
Chez Paul, dans l'après-midi.
GONTRAN, à Paul. — Eh bien ! c'est demain soir ?
GUY. — Le grand jour approche !
ANDRÉ. — De quoi voulez-vous parler ?
ARTHUR, à André. — Comment tu n'es donc pas au courant ?
ANDRÉ. — Non.
GUY, à André. — Tu n'y vas donc pas ?
ANDRÉ. — À quoi ? Je ne sais pas ce que vous voulez dire.
PAUL. — Au bal de demain.
GUY. — Au bal des bêtes.
GONTRAN. — Chez la marquise de Cordoue.
ANDRÉ. — Ah ! Il y a un bal ? un bal où les bêtes sont invitées ?
ARTHUR. — Mais non. C'est nous. Seulement, on doit se mettre en bête, comprends-tu ?
ANDRÉ. — Tout le monde ?
GUY. — Sans exception, messieurs et dames.
ANDRÉ. — Ça va être mignon.
ARTHUR. — Superbe !
ANDRÉ. — Y aura-t-il beaucoup de gens recommandables ?
GUY. — Tout ce qu'il y a de propre à Paris.
ANDRÉ. —Et, vous y allez tous ?
ARTHUR. — Un peu, mon neveu. Pas toi ?
ANDRÉ. — Non.
GONTRAN. — La cause ?
ANDRÉ. — D'abord, on omit de m'inviter. Et puis, quand même, j'aurais décliné l'honneur.
GUY. — Pourquoi ? Tu as le corps mal fait ? Fâcheuses protubérances ?
ANDRÉ. — Au contraire. Épatant. L'Apollon de l'Embarcadère. Seulement, je ne goûte pas énormément ces petites fêtes de l'esprit. Sheffield en plein. Ça me rase. Je répugne déjà à me produire en seigneur Henri III. Vous vous rendrez compte, mes bons chéris, que ça n'est pas pour me coller en bête ?
ARTHUR. — Oui. Enfin, tu n'as jamais aimé t'amuser, toi ? Tu es un type sérieux, réfractaire aux distractions, à toutes les choses fines et spirituelles de la vie.
ANDRÉ. — Que veux-tu ! Je vois de haut.
ARTHUR. — Tiens-tu à savoir en quoi je suis ?
ANDRÉ. — Tout de même.
ARTHUR. — En tourterelle.
ANDRÉ. —Tu seras très bien ; avec ton gros ventre… et un ruban bleu… il me semble que je te vois.
ARTHUR.—Tu te fiches de moi ?
ANDRÉ. — Je n'oserais. Et, tu as appris à roucouler ?
ARTHUR. — Un peu. Mais si tu connaissais mon costume, tu cesserais de rire… Tout en plumes naturelles…
ANDRÉ. — Les tiennes ?
GUY. — Moi, je suis en dromadaire.
ANDRÉ. — Naturel aussi.
GUY. — Non.
GONTRAN. — Moi en caniche, avec le vieux marquis de Castelrozeau.
ANDRÉ. — Aussi en caniche, le marquis ?
GONTRAN. — Non, il fait l'aveugle. À nous deux nous formons un groupe : lui l'aveugle, moi son caniche.
ANDRÉ. —Est-ce que t'auras un petit panier dans la gueule ?
GONTRAN, fier. — Oui. Tu le savais ?
ANDRÉ. — Je l'ai deviné.
GONTRAN. — Un petit panier plein de violettes et de bonbons où les femmes viendront puiser, je t'en réponds ! Moi, je serai là, assis sur mon derrière, en caniche…
ANDRÉ. —En homme… Nous-mêmes nous n'avons pas d'autre manière d'être assis…
GONTRAN. — Tu me comprends bien… Et chaque fois qu'on me donnera un petit sou, je dirai merci, en aboyant…
ANDRÉ. — Tu ne pourras pas.
PAUL. — Mais non, ton panier tomberait.
GONTRAN. — Enfin… zut. Je trouverai un moyen.
PAUL. — Certainement, il le trouvera. Moi je serai en ânon.
ANDRÉ. — Bâté ?
PAUL. — Non, à poil. Le comte du Pavillon fera l'écrevisse.
GUY. — Et sa femme ?
ANDRÉ. — Comme d'ordinaire ! elle fera le cabinet particulier. Dites-m'en d'autres, dites m'en toujours. Je nage dans la joie en me représentant ce que va être cette fête animale !
PAUL. — Ce sera unique, crois-le. Pense donc. Tous les gens les plus chics, en chiens, en chats. Deux princes du sang qui ont promis d'être en veaux !
ANDRÉ. — Oui, ça sera toujours le persil ! Seulement, ils l'auront dans le nez. Ah ! ne m'en parle pas ! Ça va être la fleur, le dessus de la litière ! Il y en aura bien quelques-uns qui auront l'heureuse idée d'aller à quatre pattes ? Est-ce que Bidel et Pezon sont invités ?
GUY. — Je ne crois pas. Mais il y aura des quantités de lions et de tigres. De lions surtout, rapport à l'orgueil. On annonce des tas de crinières.
ARTHUR. — Naturellement, le roi des animaux !
PAUL. — La comtesse de Malplaquet sera en haquenée.
ANDRÉ. — Qu'est-ce qui la montera ?
PAUL. — Personne. Du moins, pendant le bal. Elle viendra en liberté, avec son père en chameau et son beau-frère en kanguroo boxeur.
ANDRÉ. — Intéressante famille ! Eh bien, et les domestiques ? Est-ce qu'ils seront aussi en bêtes ?
GONTRAN. — Oh non ! Les domestiques resteront tels quels. C'est bien assez bon pour eux d'être en hommes !
ANDRÉ. — Oui. Et puis vous avez bien fait. S'ils s'étaient déguisés, ils se seraient mieux tenus que vous, et on aurait pu confondre.
PAUL. — Allons donc ! Et la race ? le sentiment de la dignité humaine ? Qu'est-ce que tu en fais ?
ANDRÉ . — Je vous les laisse. Allons, bonsoir, excellents veaux, cochons, mulets, rhinocéros et coetera. Faites comme dans l'arche de Noé, mes biches, amusez-vous bien ; moi, je vais me payer du plaisir aussi, mais à ma manière.
GONTRAN. — Toujours tes bibelots ? tes machines du quinzième et du seizième ?
ANDRÉ. — Mais oui.
GUY. — Pauvre vieux ! Es-tu bête, va !
ARTHUR. — Es-tu assez bête !
ANDRÉ. — Il n'y a pas que moi.
(Il sort.)
II – LE LENDEMAIN DE LA FÊTE
Même salon, chez Paul. Mêmes personnages.
ANDRÉ. — Eh bien ? Et ce gala ?
GUY. — Inouï !
GONTRAN. — Renversant !
ANDRÉ. — Mais encore ?
ARTHUR. — Ça ne peut pas se raconter.
GUY. — Il fallait y être.
PAUL. — Jamais on ne reverra ça.
ANDRÉ. — Des beaux costumes ?
GUY. —Très curieux en tout cas. Très pittoresques.
GONTRAN. — Mademoiselle de Romainbleu s'est abominablement compromise en levrette.
ANDRÉ. — Avec qui ?
GUY. — Un éléphant.
ANDRÉ. — Nom d'un bonhomme ! Quelle disproportion ! Je la plains. Qui ça, l'éléphant ?
GONTRAN. — Le baron Tivolini. Il avait de la vraie eau dans sa trompe.
PAUL. — Tout le monde s'est amusé ; les enfants comme les parents !
ANDRÉ. — Les gens âgés y étaient aussi ?
GONTRAN. — Deux fois pour une. Maman avait retrouvé ses seize ans. Elle a même dansé un quadrille.
ANDRÉ. — En quoi ta mère ?
GONTRAN. — Oh ! dame, à son âge… elle avait pris une bête sévère. Elle était en chouette.
GUY. — Papa était en phénix.
ANDRÉ. — Est-ce que ça ne le changeait pas ?
GUY. — Si, au premier abord. Mais on s'y faisait.
ANDRÉ. — Et, vraiment, ça n'était pas hideux cet assemblage d'animaux de toute espèce !
PAUL. — Au contraire, c'était un charmant coup d'œil. Gentil kaléidoscope !
GUY. — La preuve, c'est qu'on nous a photographiés.
GONTRAN. — Oui… Nous tenions à garder un souvenir de cette bonne fête.
PAUL. — Pour nos enfants plus tard, ça les amusera.
ANDRÉ. — Dites qu'ils seront fiers de vous. Et les domestiques, dans tout ça ? Qu'est-ce qu'ils disaient ?
GUY. — Rien, d'abord. Ils se ménageaient, les scélérats.
ANDRÉ. — D'abord ? Il y a donc eu autre chose ensuite ?
GONTRAN. — Un peu. Scandale frisé !
ARTHUR. — Petites chose regrettables.
GUY. — Oui, mais sans importance.
PAUL. — Tout ça sera oublié demain.
ANDRÉ. — Dites-moi quoi ?
PAUL. — C'est que…
GUY, à André. — Tu ne le répéteras pas ?
ANDRÉ. — Mais non. Pour qui me prenez-vous ?
GONTRAN. — Eh bien, voilà ; à la sortie, sur le coup de sept heures du matin, comme nous regrimpions dans nos voitures aux premiers sourires de l'aube… ils étaient tous là, les larbins, massés dans le vestibule ; ils ont d'abord murmuré… ricané…
GUY. — Et puis parlé haut.
GONTRAN. — Et puis plus fort.
ARTHUR. — Et puis finalement…
PAUL. — Ils nous ont engueulés !
GUY. — Avec des expressions !
GONTRAN. — Et des gestes !
PAUL. — Ah ! mes chérubins ! Pour la platine, ils sont peut-être aussi forts que nous.
GUY. — On l'a pris en riant, tu comprends ?
GONTRAN. — On ne pouvait pas décemment se fâcher.
PAUL. — Mais c'est égal ! Pendant quelques secondes, tout le monde a eu chaud, et y avait un froid !
ARTHUR. — Voilà tout. Tu vois qu'il n'y a pas de quoi fouetter madame de Bongoût. Elle était en chat.
ANDRÉ. — Tous mes compliments, mes enfants.
PAUL. — En somme, on s'est bien amusé…
GONTRAN. — Et pour ce qui est de la petite anicroche de la fin, évidemment il aurait mieux valu que les larbins eussent meilleure tenue… mais, malgré tout, leurs insultes avaient quelque chose de gai, de bien français… et l'honneur est resté sauf.
GUY, à André. — Ah ! tu as eu tort de ne pas venir.
ANDRÉ. — En effet. Et maintenant, si vous voulez que je vous dise la vérité…
ARTHUR, à André. — Crache-la.
ANDRÉ. — Je le regrette.
LE RAT
LE DUC D'APOLLINARIS, vingt-trois ans.
GONTRAN, CYPRIEN, GUY, PHILIPPE, EDGARD, des camarades de divers âges, de dix-huit à cinquante ans.
UN DOMESTIQUE.
Chez le duc. Un grand atelier, aux murailles ornées de casques, de cuirasses et de vieux drapeaux en loques. Au milieu, sur une table magnifique du XVIe siècle, est posée une grande boîte de sapin. Le duc est debout, près de la table. Tous les autres sont assis à ses côtés.
GONTRAN, au duc. — Parle.
CYPRIEN. — Oui, parle, Rose, je t'en supplie.
GUY. — Nous sommes sur des charbons.
LE DUC. — Voilà. Vous vous rappelez le succès ébouriffant que j'ai obtenu l'année dernière chez Mollier avec ma pintade qui passait dans des petits cerceaux en papier et qui jouait au whist ?
PHILIPPE. — Si nous nous le rappelons !
CYPRIEN. — Je crois bien ! Tu as été le clou.
GUY. — On n'a parlé que de ça à Paris pendant six mois !
LE DUC. — Eh bien, évidemment, c'est très gentil les pintades dressées, et ce n'est pas moi qui en médirai…
GONTRAN. — Certes !
LE DUC. — Mais, néanmoins, je ne pouvais pas décemment la recommencer cette année… Je ne suis pas de ceux qui se répètent, moi. J'ai un nom, un des premiers dans le passé…
GUY. — Tu peux dire dans le présent, bon ami…
LE DUC. — Je suis tenu à donner du neuf, tout le temps… à ne jamais piétiner. Sans compter que j'ai été pastiché ! Dans le trimestre qui a suivi, tous dans les cirques, à Paris et en province, ils se sont mis à présenter des pintades. Bien entendu !
GONTRAN. — Oui… mais… Peuh ! Pâles copies !
CYPRIEN. — Ça ne t'a pas entamé, va.
GUY. — Tu étais bien au-dessus de ça.
LE DUC. — N'empêche que ça m'a un peu vexé… chiffonné… On a son amour-propre.
PHILIPPE. — Ne te tourmente pas pour si peu, gros garçon. Tu as ton mérite qui est bien à toi, et personne ne s'y est trompé. C'est toi seul qui as inauguré la pintade en liberté. Elle t'appartient, la pintade, on ne peut pas te l'enlever. Là-dessus, pas d'erreur ; c'est comme si on voulait soutenir que ton ancêtre n'est pas le vainqueur de Burgos ? Marche donc tranquille dans la vie…
GUY. — Et le front haut.
LE DUC, ému. — Merci, vieux, je sais que vous êtes des bons, des solides, et que vous ne me lâcherez jamais dans tout ce que j'entreprendrai d'intéressant.
GONTRAN. — Mais oui, et tu peux compter sur nous.
CYPRIEN. — On est ta Garde, ton dernier carré.
PHILIPPE.— Mais maintenant mets-nous vite au courant, parce que nous sommes là, tendus comme des arcs, sur la pointe des pieds, et que nous bavons de savoir enfin ce que tu as bien pu manigancer.
LE DUC. — Je vais vous le dire.
TOUS. — Ah ! ah !
LE DUC. — Chut ! (Il met la main sur la botte.) J'ai cherché avant tout à faire nouveau, attachant, et difficile.
GONTRAN. — Nous nous en rapporlons-à toi. Et c'est ?…
GUY. — Qu'est-ce que c'est ?
LE DUC, solennel. — Le rat.
CYPRIEN. — Hein ?
PHILIPPE. — Quoi ?
LE DUC. — Le rat. Un rat… Un simple rat, dressé admirablement par moi, la nuit, et que je vais vous soumettre. Mais auparavant…
PHILIPPE. — Pardon, si je t'interromps…
LE DUC. — Va.
PHILIPPE. — Remarques-tu que nous ne sommes pas enthousiastes ?
LE DUC. — Parce que vous ne le connaissez pas encore. Quand vous aurez vu Maxime travailler.
GONTRAN. — Ah ! il s'appelle Maxime ?
LE DUC. — Oui.
PHILIPPE. — Si nous te paraissons froids, j'aime mieux te dire tout de suite pourquoi : tu as tort de choisir un rat. Ça impressionne les femmes… tu vas les avoir contre toi.
GUY. — Le rat a quelque chose de répugnant.
LE DUC. — Pas Maxime. Ça n'est pas un rat, ordinaire. Il est à croquer.
CYPRIEN. — Tu vas peut-être un peu loin.
LE DUC. - Non. Tenez.
(Il lève la trappe de la boîte. Un superbe rat noir, avec un ruban rose à grelot au cou, s'en échappe, fait trois petites trottinettes, et puis s'arrête.)
GUY. — Le fait est qu'il n'est pas laid.
GONTRAN. — Il a l'air assez intelligent.
LE DUC. — Comme un singe. Il comprend tout,
CYPRIEN.—Oui. Je me raccommode un peu avec lui.
LE DUC. — Tu vois bien ? Je ne vous cacherai pas, mes bons enfants, que ce rat m'a donné un mal de chien à dégrossir. Ce qu'il m'a fait faire de mauvais sang, vous n'en avez pas idée ! Mais par exemple, je suis bien récompensé.
GONTRAN. — Montre-nous ses talents.
LE DUC. — Tout à l'heure. Avant, je veux vous le commenter un peu. Sachez seulement qu'il obéit à la parole, qu'il valse à trois temps, joue au loto, et tire le canon.
GUY. — C'est pas mal, pour un rat seul. Compliments.
PHILIPPE, au duc. — Comment t'y es-tu pris pour lui entrer tout ça ?
LE DUC. — La patience, la divine patience.
PHILIPPE. — Tu as un peu tapé dessus, allons ?
LE DUC. — Jamais. De la douceur, et encore de la douceur. Et puis aussi, par le raisonnement.
GONTRAN. — Il te comprenait ?
LE DUC. — Faut croire, puisqu'il exécute ponctuellement mes ordres.
CYPRIEN. — Où te l'es-tu procuré ?
LE DUC. — Je l'ai fait venir d'Angleterre,
GONTRAN.— Pourquoi ? Par genre ? Les rats anglais sont mieux portés ?
LE DUC. — Non. Ils ont de plus belles performances, et un cerveau plus développé ! Les égouts de Londres sont plus fleurissants pour eux que ceux de chez nous… Vous n'avez pas l'air de me croire ?
GUY. — Mais si. C'est possible, après tout. Des égouts et des couleurs…
LE DUC. — Vous n'êtes pas sérieux… vous faites des calembours…
GUY. — C'est fini. Nous sommes sérieux comme le Sacré-Collège. Poursuis.
LE DUC. — Eh bien, je vous disais que j'ai eu beaucoup de mal avec cette petite bête, surtout les premiers temps… parce que c'était pour lui le moment des amours et qu'alors ils sont très fébriles…
GONTRAN. — Comment t'en tirais-tu ?
GUY. — Tu avais une rate ?
LE DUC. — Il l'a bien fallu. Sans ça, je n'aurais rien pu obtenir de lui.
GUY. — Tiens, tiens ! Tu le prenais par le plaisir ? par son vice ?
LE DUC. — Tout simplement.
GONTRAN. — Drôle de procédé !
LE DUC. — En quoi ? Je connais bien des hommes, et même des femmes, qu'on ne ferait marcher que comme ça !
PHILIPPE. — Continue à nous apprendre l'histoire naturelle. On ne s'embête pas avec toi, tu sais ? On s'instruit. Tu me rappelles beaucoup Buffon. Et, dis-moi encore : une fois le moment des amours passé… quel autre système emploies-tu ?
LE DUC. — La faim.
GONTRAN. — Parfait. C'est un peu cruel, mais elle justifie les moyens.
PHILIPPE. — Après le cœur, l'estomac.
GUY. — Et que mange-t-il, ce jeune et brillant rongeur ?
LE DUC. — N'importe quoi. Monsieur est omnivore. Il mange le bois, la paille et les meubles. Mais ce qu'il préfère, ce sont les bouquins.
CYPRIEN. — Tu lui en donnes ?
LE DUC. — Je crois bien.
CYPRIEN. — Quoi ? Du roman ? ou des voyages ?
LE DUC. — Ni l'un ni l'autre. Quand il a bien exécuté ses petits exercices, pour sa peine, il a un de mes vieux livres de classe. Je les avais conservés, tous sont en train d'y passer ; et tel que vous le voyez, ce Maxime a déjà dévoré un Thesaurus, une grammaire grecque de Burnouf, et la moitié de Xénophon.
GONTRAN.—À la bonne heure. Tu le nourris fortement.
LE DUC. — Maintenant, vous allez le voir travailler.
GUY. — C'est ça, il n'est que temps.
(La porte s'ouvre à cette minute, et un domestique paraît.)
LE DOMESTIQUE. — Monsieur le duc, c'est M. Edgard du Raincy.
LE DUC. — Qu'il entre.
LE DOMESTIQUE.— Mais… c'est qu'il a avec lui son chien, son petit ratier… Alors…
LE DUC, bondissant. — Qu'il n'entre pas !
CYPRIEN . — Bigre !
GUY, au valet. — Fermez la porte.
LE DUC. — Mais fermez donc vite.
(Pendant ce temps le rat, effrayé par les cris, saute à terre et se met à courir à travers la pièce.)
GONTRAN.— Bon, le voilà qui s'est échappé !
LE DUC, appelant l'animal. — Maxime ! Vite ici !… Où est-il ?
PHILIPPE. — Là, derrière l'armure du duc d'Orviédo…
CYPRIEN. — Oh ! si le ratier entre, il va se faire écharper ! Il n'y coupe pas.
LE DUC. — Ah ! la sale bête ! (Appelant l'animal avec une voix câline.) Viens, mon petit… viens, mon joli petit !… Ah ! ce que tu vas recevoir une raclée, je ne te dis que ça ! Venez, le joli petit ! Prends-le, Guy, prends-le, il est de ton côté.
GUY, refusant avec énergie. — Plus souvent !
LE DUC. — Toi, Cyprien.
CYPRIEN. — Jamais ! jamais !
LE DUC. — Tas de peureux !… (Enfin il s'en empare.) Je le tiens !… (Le contemplant avec attention.) Patatras ! Ça y est ! Il est tout tremblant ! Ça l'a bouleversé. Il ne fera rien aujourd'hui, ni demain… Je le connais, il lui faut, à présent, la semaine pour se remettre. Nom d'un nom de nom ! Oh ! il ne pourra pas travailler d'ici huit jours. C'est bien ma veine !
GONTRAN. — Il est si impressionnable ?
LE DUC. — Lui ? Un rien le jette par terre.
GUY. — Remets-le toujours dans sa boîte.
LE DUC, le fichant dans la caisse avec fureur. — C'est ce que j'ai de mieux à faire, parbleu ! Diable d'Edgard, va ! Il avait bien besoin de venir nous embêter avec son sacré ratier. Je lui collerai de la mort-aux-rats, moi, à son sale chien, qui me met Maxime dans cet état-là !
LE DOMESTIQUE, entre-bâillant la porte. — Monsieur de Raincy peut-il entrer, maintenant ?
LE DUC. — Non, zut ! Dites-lui que je suis occupé, que je suis avec ma mère… pour des questions de famille. LE DOMESTIQUE. — Bien, monsieur le duc. (Il referme la porte.)
LE DUC. — Avec tout ça… Voilà la représentation de Mollier qui ne peut plus avoir lieu après-demain. Tout est démoli !
GONTRAN. — Pourquoi ?
LE DUC. — Parce que Maxime ne sera pas en état. Je me tue à vous le dire. Quand il a une émotion, il lui faut huit jours pour se rétablir. Pas moins.
PHILIPPE. — Donne-les-lui.
GUY. — On reculera la représentation à la semaine prochaine.
GONTRAN. — Mais oui. Ce n'est pas une affaire ! Moi je saute en voiture et je vais raconter ça à Mollier, tiens.
LE DUC. — Oh ! que tu es gentil ! Tu me rends un vrai service. (Aux autres.) Et puis, alors, vous, vous allez rester avec moi, pour que nous rédigions ensemble la note aux journaux : « Par suite d'indisposition de son rat, M. le duc d'Apollinaris a demandé qu'on retardât de quelques jours… » Enfin, vous allez m'aider, parce que je n'ai plus ma tête à moi. Je sens que je m'en vais.
GUY. — Ne t'occupe de rien. Tout va s'arranger.
LE DUC. — Merci, merci. Croyez-vous ! Au moment où j'étais si heureux !… Quelle histoire ! On a bien raison de dire qu'on ne peut jamais compter sur quoi que ce soit dans la vie !
PHILIPPE. — Ne t'énerve pas. Ça ira.
CYPRIEN. — Et tu auras un grand succès !
GUY. — Mais oui. Quelle sensitive tu fais !
LE DUC , montrant d'un geste vague les drapeaux et les trophées. — Depuis trois cents ans, nous sommes tous comme ça, dans la famille.