ETIENNE DOLET EN PRISON
En août 1542, Dolet fut emprisonné, accusé d'hérésie devant Matthieu Orry, inquisiteur général, et Étienne Faye, official de la primatie de Lyon. Son procès dura deux mois. Le 2 octobre, il fut déclaré coupable, livré au bras séculier et enfermé à Lyon dans la prison de Roanne. Il y resta plus de trois mois, occupant son temps à écrire, en particulier une Épître au Roi datée de janvier 1543. Comme Dolet avait fait appel, son acte d'appel fut remis au parlement de Paris peu avant juin 1543 et, pendant les débats, Dolet fut incarcéré à Paris, à la Conciergerie. Une intervention auprès du roi de l'évêque de Tulle, Pierre Duchâtel, lui permit d'obtenir des lettres de grâce (à condition qu'il fasse abjuration de ses erreurs et détruise tous les livres écrits et imprimés par lui). Mais le parlement, en juillet, fit tout pour retarder sa libération et il fallut une nouvelle intervention du roi pour que liberté soit enfin rendue à Dolet, qui se hâta de retourner à Lyon après quinze mois d'emprisonnement.
Mais ses ennemis ne le lâchèrent pas : ils réussirent à l'accuser à nouveau et à le faire arrêter. Emprisonné à la Roanne, il réussit dès les premiers jours à s'évader et à se réfugier en Piémont. Là, il prépara une série de poèmes sur son emprisonnement auxquels il donna le nom de Second Enfer (par allusion à l'Enfer de Marot).
Ensuite il eut l'imprudence de revenir à Lyon pour publier son recueil, accompagné de la traduction de deux Dialogues attribués à Platon. Arrêté à nouveau, conduit à Paris, il fut enfermé à la Conciergerie, où il passa le peu de temps qui lui restait à vivre.
Nicolas Lombart, maître de conférences à l'Université d'Orléans, a rapproché le Second Enfer de Dolet d'oeuvres de deux poètes qui avaient connu avant lui la prison : Clément Marot et Michel d'Amboise, dans un article : "Singularité éthique et rêves communautaires : sur quelques enjeux du lyrisme carcéral chez Clément Marot, Michel d'Amboise et Étienne Dolet (1534–1544)" , dans la revue Le Moyen Age, Isolement et ouverture au monde, 2022/1, tome CXXVIII (p. 63 à 84).
https://shs.cairn.info/revue-le-moyen-age-2022-1-page-63?lang=fr
Résumé de l'article :
"Loin d'être un phénomène périphérique, la poésie carcérale de Clément Marot* (les poèmes du « cycle carcéral », 1534 ; L'Enfer, 1539), Michel d'Amboise** (l'Aglogue ou carme pastoral, 1533 ; Le Babilon, 1535) et Étienne Dolet (Le Second Enfer, 1544) est le signe fort d'une interrogation nouvelle sur la nature profonde du rapport entre un individu singulier et la communauté qu'il a provisoirement quittée. Dans le prolongement de la tradition boécienne et dans le contexte particulier de la législation pénale au début du XVIe siècle, le poète-prisonnier se trouve dans une situation doublement inédite : comme prisonnier « mis à nu » et séparé de la collectivité, il est particulièrement conscient de son estat et des défauts de la communauté dont il a été injustement exclu ; comme poète paradoxalement « élu », marqué (positivement) par l'infamie, il est capable de produire une vision nouvelle de cette communauté à la fois lointaine et désirée."
* En 1566, Clément Marot, dénoncé pour avoir "mangé le lard" et pour luthéranisme, fut incarcéré au Châtelet, puis transféré dans la prison de Chartres, où il écrivit L'Enfer. Son ami Lyon Jamet intervint pour le faire libérer le 1er mai 1566. L'année suivante, en octobre, pour avoir porté secours à des prisonniers, il a été incarcéré à la Conciergerie et libéré dès le 1er novembre par ordre du roi.
**Michel d'Amboise, né à Naples vers 1505, orphelin depuis l'âge de six ans, veuf en 1530, "fut arrêté prisonnier, à la poursuite d'un marchand à qui il devait de l'argent et il demeura plus de six mois en Châtelet, faute de trouver la caution qu'on lui demandait pour son élargissement. Il la trouva cependant à la fin et fut mis en liberté. » (Jean-Pierre Niceron, Mémoires pour servir à l'histoire des hommes illustres dans la république des lettres, tome 33, 1736, pages 328-339).