<== Retour


ÉTIENNE DOLET ET ORLÉANS


 

Étienne Dolet aimait à rappeler qu'il était né à Orléans et qu'il y avait passé ses douze premières années. Il le dit dans une lettre à Guillaume Budé ; il le dit aussi dans un article de son dictionnaire latin :

Principio Genabi nobili et multis laudibus illustri Galliae nostrae oppido natus sum : quam honesto, quam splendido inter meos loco, vocibus hujusmodi superbiant quibus virtus genere est posterior. Genabi duodecim annos liberaliter educatum excepit Parisiorum Lutetia.

Je suis né à Orléans, ville noble et très célèbre de notre Gaule, une situation honorable et même brillante aux yeux de mes concitoyens qui tirent orgueil de termes de cette sorte, car ce sont gens pour lesquels la vertu passe après la naissance. À Orléans, pendant douze ans, j'ai reçu une éducation libérale ; puis Paris m'a accueilli.

Stephani Doleti Orationes duae in Tholosam, ejusdem Epistolarum libri II, p. 105, 1533, Lettre à Guillaume Budé

 

Genabum, praeclarum Galliae oppidum (in quo et natus et ad duodecimum  annum adolescens educatus sum) Ligerim fluvium tangit, id est juxta Ligerim est conditum.

Orléans, célèbre ville de France (dans laquelle je suis né et dans laquelle, adolescent, j'ai été éduqué jusqu'à ma douzième année) « touche » à la Loire, c'est-à-dire qu'elle a été fondée au bord de la Loire.

Commentariorum linguae latinae tomus primus, Lyon, 1536, col.938, pour donner un exemple de l'emploi du verbe tangere.


 

Dolet a été pendant cinq ans à Paris l'élève de Nicolas Bérauld (né à Orléans en 1473), qui y enseignait les lettres latines. Dans un court poème, il fait allusion à leur commune patrie :

Mecum, Beralde, gaudio exulta : causa est
Iusta, ipsa certe illa, Patriam nostrum utriusque
Genabum quod aevo nostro uideamus magnis
Tot ingeniis florere. Patriae laude
Gaudere sane aequum est. Ob id gaude mecum.
Avec moi, Bérauld, montre ta joie – pour une juste cause, et celle-là l'est assurément – parce que nous voyons que, de nos jours, notre Orléans, où nous sommes nés toi et moi, voit fleurir tant de grands esprits. Bien sûr il est normal de se réjouir des mérites de sa patrie: pour cette raison, réjouis toi avec moi.
Carmina II 58, éd. 1538, p. 107

 


Il aura fallu les insinuations perfides de son adversaire Pinache pour qu'il fasse une allusion à sa famille orléanaise :

A Toulouse, les étudiants de l'Université s'étaient organisés en « nations », sorte de confréries destinées à venir en aide à leurs membres. Et Dolet, en 1533, avait été élu comme porte-parole de la nation française. Mais, des frasques et des bagarres ébranlant souvent l'ordre public, les autorités avaient décidé d'interdire ces nations. Plaidant pour leur maintien, Dolet fit remarquer qu'aux Universités d'Orléans et de Poitiers les Nations étaient très bien tolérées : « Comme les Orléanais et les Poitevins ont le caractère doux, avec quel amour, avec combien de bonne volonté envers tous ils considèrent la nature sacrée de notre association! Quant aux Toulousains, en revanche, comme ils sont d'humeur maussade, comme ils sont maladroits en matière d'aménités sociales et dépouvus de toute bonté humaine… » [Sed qua sunt Aurelii Pictonesque ingenii suavitate, quo amore, qua in omnes benevolentia, sodolitatis nostrae religionem intuentur: Tholosae autem ut morosi sunt et ad omnem vitae comitatem inepti, ut humanitae vacui… ]. Dolet entra alors en conflit avec le grammairien aquitain Pierre Pinaqui (Pinache). Ce sont les accusations proférées par Pinache qui ont amené Dolet à faire une allusion assez vague à sa famille orléanaise.

Paupertatem, tenues opes, exiguas facultates, generis obscuritatem humilitatemque mihi ut vitium objicit. Ob quam, et si ii estis qui neminem vituperandum, nec ob divitias quenquam extollendum putatis, tamen istius maledicto hoc a me intercedet, non sordido me aut infimo genere, sed honesto et spendido loco natum: bene de rebus domesticis constitutum, iisque procreatum parentibus quibus – et si defuit familiae vetustas, nominis antiquitas, gentiliumque fumosae imagines, ordinis amplissimi dignitas, et quae pleraque alia fortuna elargitur magis, quam laude ulla illustria sint – prosper tamen et aequabilis perpetuusque status fuit, et secundus vitae sine ulla offensione cursus. Atque si in potentissimorum virorum dignationem non venere, nec illos spectata personae amplitudo illustravit, ac iis fortasse virtute celebriori, literarum fana praeluxi, et nimonismemoriaeque clarioris initium dedi, egregii certe cives inter suos vixere, nec nobilitatis insignibus caruere.

La pauvreté, de maigres ressources, de faibles capacité, l'obcurité et l'insignifiance de ma race, tout cela il me l'a jeté à la figure comme si c'était une tare! Même si vous êtes de ceux qui croient que l'on est ni à condamner pour cela, ni à exalter pour ses richesses, pourtant le point sur lequel j'insiste ici s'oppose à son insulte. Je ne suis pas né dans une famille de condition basse ou inférieure, mais d'un rang honorable et distingué, bien pourvue en patrimoine. Je suis le fils de parents – s'il leur manqua l'ancienneté de la famille et du nom, les portraits des ancêtres noircis par la fumée, la dignité du rang social le plus éminent et toutes ces choses que la Fortune prodigue avec plus de générosité qu'elles ne méritent d'être louées – de parents, dis-je, dont la position était prospère, sûre et stable, dont la vie s'est déroulée heureusement sans qu'ils aient fait de mal à personne. Et même s'ils ne se sont pas attiré l'estime des plus puissants, même si leur grandeur de caractère, respectée pourtant, ne les a pas rendus illustres, même si je les ai peut-être surpassés en éclat à cause de mes mérites plus connus et de ma réputation dans le monde des lettres, et même si j'ai moi-même jeté les bases d'un nom et d'un souvenir plus célèbres, ils ont assurément vécu parmi les leurs en citoyens distingués et aucun des marques de distinction noble ne leur a jamais fait défaut.

Stephani Doleti Orationes duae in Tholosam, 1533, Oratio II, p. 39



On trouve la mention d'un bref passage de Dolet à Orléans en 1537 dans un poème où il évoque son voyage de Lyon vers Paris : c'est sur les quais d'Orléans qu'il a débarqué pour poursuivre sa route à cheval.

Arvernos saltus peragranti undosus Elauer
Se mihi pandit. Iter juvat accelerare secundo
Flumine. Conscendo. Remis volat acta carina
Ocius impigris Euris. Hinc inde recedunt
Agri urbesque ; cita longum rate verritur æquor.
Ast immitis hiems cursum tardavit : ab imo
Ecce fere totum glacies impervia remis
Condensat flumen, crebroque repercutit ictu
Saltantem lembum et passim subsistere cogit.
Ut bene contento persæpe emittitur arcu,
Primum vi eximia circunfusum aera scindens
Partha sagitta: comas sed si vernæ arboris intret,
Frondibus objectis tandem fit tarda, caditque ;
Sic glacie fit tarda ratis, quæ fluctibus ante
Par erat in cursu.Tum accenso remige dictís,
Vi via larga patet : glacies disjecta frequenti
Remigio cedit. Confestim allabimur alveo
Longe excurrentis Ligeris : quo vectus ad urbem
Urbem illustrem olim Genabum, incunabula uitæ
Prima mea agnosco, patriasque deosculor oras.
Illinc, navigio misso, campestribus arvis,
Celsus equo feror : ad Regem concedere mens est:
Quod facit ut sedes quas magna Lutetia complet
Plebe petam, Franciscus ubi Rex dicitur esse,
Rex Gallus.

Comme je parcourais les forêts d'Auvergne, l'Allier aux flots tumultueux s'offre à ma vue. Je décide d'abréger mon voyage en suivant le cours de ce fleuve. Je m'embarque ; le bateau poussé par les rames vole sur l'eau, plus rapide que les vents infatigables. De chaque côté défilent les campagnes et les villes ; notre barque rapide laisse un long sillage sur la surface.
Mais la rigueur de l'hiver a ralenti notre course : de la glace, qui rend les rames inutiles, fige presque toute la rivière ; les glaçons ne cessent de heurter le bateau qui est d'abord secoué, puis contraint à s'arrêter.
De même que très souvent la flèche d'un Parthe, lancée par un arc bien bandé, fend tout d'abord les airs avec une force extraordinaire, mais, si elle entre dans le feuillage d'un arbre au printemps, elle est ralentie par les branches et tombe sur le sol ; de même notre bateau, qui avait d'abord été aussi rapide que les vagues, est ainsi ralenti dans sa course. Alors, le nocher ayant cédé à mes instances, on peut ouvrir par la force un large passage : la glace cède aux coups répétés de la rame.
Sans plus tarder nous glissons dans la Loire au large courant. Porté par lui, je reconnais une ville, une ville célèbre, l'antique Genabum, le berceau de mon enfance, et je couvre de baisers les bords de ma patrie.
Puis, ayant renvoyé mon bateau, monté fièrement sur un cheval, je traverse les plaines. Arriver auprès du roi est mon unique pensée. Aussi je me dirige vers la grande et populeuse ville de Lutèce, où l'on dit que se trouve le roi François, le roi de France
.

Stephani Doleti Galli Aurelii Carminum libri quatuor, Lyon, 1538, livre II, p. 60-61, Ad Cardinalem Turnonium, vers 30 à 54.


<== Retour