ÉTIENNE DOLET ET ORLÉANS
Étienne Dolet aimait à rappeler qu'il était né à Orléans et qu'il y avait passé ses douze premières années. Il le dit dans une lettre à Guillaume Budé ; il le dit aussi dans un article de son dictionnaire latin :
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Stephani Doleti Orationes duae in Tholosam, ejusdem Epistolarum libri II, p. 105, 1533, Lettre à Guillaume Budé |
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Commentariorum linguae latinae tomus primus, Lyon, 1536, col.938, pour donner un exemple de l'emploi du verbe tangere. |
Dolet a été pendant cinq ans à Paris l'élève de Nicolas Bérauld (né à Orléans en 1473), qui y enseignait les lettres latines. Dans un court poème, il fait allusion à leur commune patrie :
Mecum, Beralde, gaudio exulta : causa est Iusta, ipsa certe illa, Patriam nostrum utriusque Genabum quod aevo nostro uideamus magnis Tot ingeniis florere. Patriae laude Gaudere sane aequum est. Ob id gaude mecum. |
Avec moi, Bérauld, montre ta joie – pour une juste cause, et celle-là l'est assurément – parce que nous voyons que, de nos jours, notre Orléans, où nous sommes nés toi et moi, voit fleurir tant de grands esprits. Bien sûr il est normal de se réjouir des mérites de sa patrie: pour cette raison, réjouis toi avec moi. |
Carmina II 58, éd. 1538, p. 107 |
A Toulouse, les étudiants de l'Université s'étaient organisés en « nations », sorte de confréries destinées à venir en aide à leurs membres. Et Dolet, en 1533, avait été élu comme porte-parole de la nation française. Mais, des frasques et des bagarres ébranlant souvent l'ordre public, les autorités avaient décidé d'interdire ces nations. Plaidant pour leur maintien, Dolet fit remarquer qu'à l'Université d'Orléans les associations d'étudiants étaient très bien tolérées.
Amamus mutuo : an hoc naturae lex ulla vetuit? Congregamur identidem una : idne paulo humanior improbandum statuat ? Divum tutelarem stato festo colimus. Rerum inopia pressi, sociis pecunia destitutis, calamitate aut casu aliquo afflictis diligenter adsumus. Operam omnem studiose praestamus : vita functorum corpora efferimus, elata ad sepulcrum comitamur, funebri oratione lugemus, exsequiis quam possumus or natissimis prosequimur. | Nous nous aimons entre nous : y aurait-il peut-être quelque loi de la nature pour interdire cela ? Nous nous réunissons souvent : y aurait-il quelqu'un de si peu humain pour désapprouver cela ? Nous fêtons notre dieu tutélaire au jour désigné. Forcés par leur manque de ressources, nous soutenons consciencieusement les membres dépourvus d'argent, affligés par une calamité ou quelque malheur. Nous nous acquittons de tous nos devoirs avec zèle : nous enlevons les corps des membres défunts et nous formons des processions pour les accompagner au tombeau ; nous les pleurons avec des discours funèbres et nous accompagnons les processions d'obsèques aussi honorables que possible. |
Num id sanctum ? num religiosum ? num pietati ac Christianae persuasioni consentaneum ? Quid quod haec soli isti oderunt ? Quid quod haec ab omnibus extra istos admittuntur ? Quid quod Aureliis et probantur vehementer et laudantur non mediocriter ? Quid quod Pictavii non leviori efferuntur studio quam graviori servantur commendatione ? Quod nisi hic tantum sapi, illic vero et ubique desipi faex ista hominum sibi forte induxit. | En cela, ne sommes-nous pas honorables ? ne sommes-nous pas pieux ? En cela, ne nous acquittons-nous pas des devoirs de l'amitié ? n'agissons-nous pas en conformité avec la croyance chrétienne ? Pourquoi ceux-là sont-ils seuls à haïr des activités pareilles ? Pourquoi de semblables activités sont-elles admises par tous sauf par eux ? Pour quelle raison sont-elles vigoureusement approuvées et louées sans réserve à Orléans ? Pour quelle raison de pareilles activités sont-elles louées à Poitiers, avec un zèle qui n'est comparable qu'à l'admirable sérieux avec lequel ils les poursuivent à leur tour ? A moins que nos adversaires, la lie de l'humanité, ne pensent que l'on n'est sage qu'ici [à Toulouse], et que l'on est insensé là-bas [à Orléans et à Poitiers] et partout ailleurs ! |
An quae et nobilissimarum et gravissimarum post homines natos civitatum judicio admissa comprobataque audiunt, suis denique sententiis delere non verebuntur ? An nos* illic sanos, eoque nomine nos ab illis tolerari, hic autem insanos eaque causa a se non injuria infestari putent ? | Pourquoi n'hésiteront-ils pas à détruire avec leurs jugements, enfin, tout ce qu'ils entendent comme admis et approuvé selon le jugement des Etats les plus illustres et les plus respectés depuis que la race humaine existe ? Est-il croyable qu'ils [nos adversaires] pensent que nous sommes considérés comme sains d'esprit là-bas [à Orléans], et que pour cela même nous sommes tolérés par ceux de là-bas, tandis que nous sommes insensés ici, et que pour cela même il n'est pas injuste que nous soyons harcelés par ceux d'ici ? |
Num tempus aliquid, num aetas provectior quicquam etiam adfert quo libidines juventutis deferveant, quo voluptati obstemus, quo virtute tantum acquiescamus ? Fingant nos Aurelii sanos, Pictavii constantes modestosque nos esse clament, num hic tamen saniores, num constantiores, num modestiores per aetatem esse simile veri videbitur ? Num illic plura primae aetatis facinora edere juventutis calor intemperantiaque stimulat ? Num hic singularia virtutis documenta dare et constantia et confirmati tempore mores subinde hortantur ? A quo tamen aut propter aetatis levitatem, ut propter inanem aliquam vitae dissolutioris opinionem, nostrae sodalitatis statum illic convulsum, illic labefactatum sublatumve auditum est ? | Comment croire que le temps et la venue d'un âge plus avancé puissent faire en sorte que l'ardeur de notre jeunesse se refroidisse ? que nous renoncions à notre joie de vivre ? que nous ne trouvions notre repos que dans le comportement vertueux ? Admettons qu'ils nous imaginent sains d'esprit à Orléans, et qu'ils nous déclarent stables et modérés à Poitiers : si l'on admet cela, comment pourra-t-il paraître vraisemblable que ce ne soit qu'à Toulouse que nous devions, grâce à l'âge, devenir encore plus stables, encore plus modérés ? Est-ce là-bas que l'ardeur et le manque de modération de l'adolescence nous poussent à commettre un grand nombre d'erreurs de jeunesse ? Est-ce seulement ici que la fermeté de caractère et une conscience morale constamment renforcée par l'expérience nous engagent à fournir de singulières preuves de vertu ? Et pourtant, qui a jamais entendu dire qu'à cause de la frivolité de la jeunesse, ou à cause de quelque vaine idée que nous menons une vie trop dissolue, l'existence de notre association a été ébranlée là-bas, détruite là-bas, poursuivie en justice là-bas ? |
Neque hoc plane ob eam prorsus quam isti comminiscuntur causam, scilicet quod illic jura negligentius, hic diligentius observentur, illic nefarii mores remissius, hic severius coerceantur, quod illic omnium flagitiorum licentia, illic nulla impunitatis pollicitatio. Nihil hujusmodi est, Viri amplissimi. Nam quis illic aeque severe vitam flagitiosam reprimi atque hic sceleratos atrociter teneri dubio procul non asserat ? | Et la raison de cela n'est certainement pas celle qu'inventent nos adversaires — que les lois seraient observées de manière plus négligente là-bas, et plus scrupuleusement ici ; que le comportement répréhensible serait refréné avec plus d'indulgence là-bas, et plus de sévérité ici ; que toutes les infamies seraient permises là-bas tandis qu'ici il n'y aurait aucune promesse de rester impuni. Honorable et éminente assemblée, ce n'est pas du tout le cas ! Qui ne serait pas d'accord, au-delà de tout doute, sur le fait que le comportement scandaleux est réprimé aussi fermement là-bas que les scélérats sont cruellement jetés en prison ici ? |
Sed qua sunt Aurelii Pictonesque ingenii suavitate, quo amore, qua in omnes benevolentia, sodalitatis* nostrae religionem intuentur. Tholosae autem ut morosi sunt et ad omnem vitae comitatem inepti, ut humanitate vacui, ut calumniae quam aequitatis studiosiores, ipsam certe quidem illam ut dirum aliquod monstrum portentumque exsecrantur*. | Mais comme les Orléanais et les Poitevins ont le caractère doux, avec quel amour, avec combien de bonne volonté envers tous ils considèrent la nature sacrée de notre association ! Quant aux Toulousains, en revanche, comme ils sont d'humeur maussade, comme ils sont maladroits en matière d'aménités sociales, et dépourvus de toute bonté humaine ! Comme ils ont plus d'enthousiasme pour la calomnie que pour la justice, qu'ils vont jusqu'à maudire même, comme si c'était quelque chose de bizarre et de funeste, ou quelque pratique monstrueuse ! |
Stephani Doleti Orationes duae in Tholosam, 1533, Oratio I, p. 14-15. |
Dolet entra alors en conflit avec le grammairien aquitain Pierre Pinaqui (Pinache). Ce sont les accusations proférées par Pinache qui ont amené Dolet à faire une allusion assez vague à sa famille orléanaise.
Paupertatem, tenues opes, exiguas facultates, generis obscuritatem humilitatemque mihi ut vitium objicit. Ob quam, et si ii estis qui neminem vituperandum, nec ob divitias quenquam extollendum putatis, tamen istius maledicto hoc a me intercedet, non sordido me aut infimo genere, sed honesto et spendido loco natum: bene de rebus domesticis constitutum, iisque procreatum parentibus quibus – et si defuit familiae vetustas, nominis antiquitas, gentiliumque fumosae imagines, ordinis amplissimi dignitas, et quae pleraque alia fortuna elargitur magis, quam laude ulla illustria sint – prosper tamen et aequabilis perpetuusque status fuit, et secundus vitae sine ulla offensione cursus. Atque si in potentissimorum virorum dignationem non venere, nec illos spectata personae amplitudo illustravit, ac iis fortasse virtute celebriori, literarum fana praeluxi, et nimonismemoriaeque clarioris initium dedi, egregii certe cives inter suos vixere, nec nobilitatis insignibus caruere. |
La pauvreté, de maigres ressources, de faibles capacité, l'obcurité et l'insignifiance de ma race, tout cela il me l'a jeté à la figure comme si c'était une tare! Même si vous êtes de ceux qui croient que l'on est ni à condamner pour cela, ni à exalter pour ses richesses, pourtant le point sur lequel j'insiste ici s'oppose à son insulte. Je ne suis pas né dans une famille de condition basse ou inférieure, mais d'un rang honorable et distingué, bien pourvue en patrimoine. Je suis le fils de parents – s'il leur manqua l'ancienneté de la famille et du nom, les portraits des ancêtres noircis par la fumée, la dignité du rang social le plus éminent et toutes ces choses que la Fortune prodigue avec plus de générosité qu'elles ne méritent d'être louées – de parents, dis-je, dont la position était prospère, sûre et stable, dont la vie s'est déroulée heureusement sans qu'ils aient fait de mal à personne. Et même s'ils ne se sont pas attiré l'estime des plus puissants, même si leur grandeur de caractère, respectée pourtant, ne les a pas rendus illustres, même si je les ai peut-être surpassés en éclat à cause de mes mérites plus connus et de ma réputation dans le monde des lettres, et même si j'ai moi-même jeté les bases d'un nom et d'un souvenir plus célèbres, ils ont assurément vécu parmi les leurs en citoyens distingués et aucun des marques de distinction noble ne leur a jamais fait défaut. |
Stephani Doleti Orationes duae in Tholosam, 1533, Oratio II, p. 39 |
On trouve la mention d'un bref passage de Dolet à Orléans en 1537 dans un poème où il évoque son voyage de Lyon vers Paris : c'est sur les quais d'Orléans qu'il a débarqué pour poursuivre sa route à cheval.
Arvernos saltus peragranti undosus Elauer |
Comme je parcourais les forêts d'Auvergne, l'Allier aux flots tumultueux s'offre à ma vue. Je décide d'abréger mon voyage en suivant le cours de ce fleuve. Je m'embarque ; le bateau poussé par les rames vole sur l'eau, plus rapide que les vents infatigables. De chaque côté défilent les campagnes et les villes ; notre barque rapide laisse un long sillage sur la surface. Mais la rigueur de l'hiver a ralenti notre course : de la glace, qui rend les rames inutiles, fige presque toute la rivière ; les glaçons ne cessent de heurter le bateau qui est d'abord secoué, puis contraint à s'arrêter. De même que très souvent la flèche d'un Parthe, lancée par un arc bien bandé, fend tout d'abord les airs avec une force extraordinaire, mais, si elle entre dans le feuillage d'un arbre au printemps, elle est ralentie par les branches et tombe sur le sol ; de même notre bateau, qui avait d'abord été aussi rapide que les vagues, est ainsi ralenti dans sa course. Alors, le nocher ayant cédé à mes instances, on peut ouvrir par la force un large passage : la glace cède aux coups répétés de la rame. Sans plus tarder nous glissons dans la Loire au large courant. Porté par lui, je reconnais une ville, une ville célèbre, l'antique Genabum, le berceau de mon enfance, et je couvre de baisers les bords de ma patrie. Puis, ayant renvoyé mon bateau, monté fièrement sur un cheval, je traverse les plaines. Arriver auprès du roi est mon unique pensée. Aussi je me dirige vers la grande et populeuse ville de Lutèce, où l'on dit que se trouve le roi François, le roi de France. |
Stephani Doleti Galli Aurelii Carminum libri quatuor, Lyon, 1538, livre II, p. 60-61, Ad Cardinalem Turnonium, vers 30 à 54. |