L’ÉCUYER OU LES FAUX NOBLES MIS AU BILLON
comédie du temps dédiée aux vrais nobles de France
par le sieur de CLAVERET
à Paris, et se vend au Palais
Avec privilège du Roi
MDCLXV [1665]
AUX VRAIS NOBLES DE FRANCE
Messieurs,
J’ai consulté longtemps en mon esprit à qui je devais dédier cette comédie. Mais enfin j’ai jugé que c’est à vous seuls qu’elle doit appartenir légitimement, et que c’est vous qui, sur tout le reste du monde, devez, avec plus de joie et de soin, l’honorer de votre protection. Est-il rien de plus juste que les déclarations que le Roi rend sur ce sujet en votre faveur ? N’est-ce pas votre gloire que le plus grand potentat de la terre, et dont l’esprit est divinement éclairé, ait percé de ses vives lumières ce grand chaos de la France, où tant de gens d’une naissance basse et méprisable entreprenaient de marcher <de> pair avec vous en usurpant le titre d’Écuyer qu’ils ne méritaient pas ? Les ordonnances des autres rois n’ont-elles pas, de règne en règne et de temps en temps, tonné contre les usurpateurs de Noblesse ? Ne les avez-vous pas vues souvent confirmées et renouvelées ? Et toutes <les> fois que les États ont été assemblés, n’y avez-vous vous-mêmes demandé avec empressement que la distinction se fît dans le royaume entre vous et les faux nobles ? Ce grand Prince, aux yeux duquel rien n’échappe dans ses états, pouvait-il mieux considérer votre vertu, vos actions héroïques et les services signalés que vous lui avez rendus dans ses armées (puisqu’ils sont les apanages illustres et les caractères solides d’une véritable noblesse) qu’en les faisant examiner par une Cour souveraine, la plus intelligente sur ces matières-là qui soit dans l’Europe et qui s’en acquite tous les jours si dignement ? C’est donc vous que je loue, c’est eux que je joue, sans toutefois désigner personne en particulier, parce que je ne veux pas insulter sur leurs disgrâces. Ainsi, plus ils apportent de précautions à se cacher, plus je pense être obligé de ne les pas découvrir, mais d’admirer la sagesse et la vigueur d’un ministre infatigable et clairvoyant, qui fait tourner toutes choses à la gloire de son Prince et à l’avantage de ses sujets oppressés sous de semblables usurpations.
Je sais bien, Messieurs, que cette comédie vous aurait semblé plus agréable si je l’avais parée de toutes les grâces et de tous les ornements que lui peut donner le théâtre, sans lequel ce n’est qu’un corps inanimé. Mais les fruits de l’esprit, aussi bien que ceux de la terre, ne mûrissent pas facilement lorsqu’ils sont éloignés du soleil ; et je ne suis plus d’humeur à briguer la faveur du Parnasse et affecter encore la gloire de voir mon nom affiché au coin des rues de Paris pour de semblables bagatelles. Si vous voyez celles-ci imprimées sous ce même nom, blâmez-en ou louez-en mes amis, qui l’ont fait faire en mon absence pour m’épargner la peine de les copier davantage et le chagin que je pourrais avoir encore de les perdre entre les mains de gens infidèles, qui veulent pourtant être estimés dans le beau monde.
Quoique les Muses soient filles du Ciel, et par conséquent immortelles, il est certain que je croyais la mienne pour jamais morte au théâtre ; mais la galanterie que je vous présente l’a ressuscitée et il est presque en un instant sorti de sa tête un Écuyer tout armé, comme il sortit autrefois une Écuyère toute armée du cerveau de Jupiter. Je vous avoue sans vanité, Messieurs, que quelques-uns de mes ouvrages ont été représentés autrefois sur les plus beaux théâtres de la France, puisque le plus grand Ministre que nous avions alors et l’homme du monde qui connaissait le mieux et qui aimait le plus la comédie les faisait faire exprès. Mais si vous prenez la peine de lire cette pièce sans préoccupation d’esprit, j’ose me persuader que la beauté et la force de votre imagination lui serviront d’un théâtre tout à fait agréable et que, si vous en comprenez le mystère, que l’on ne peut expliquer plus clairement, vous ne me refuserez pas votre approbation. J’espère de vous cette justice et que vous me croirez, comme je le suis en effet, Messieurs, votre très humble et très obéissant serviteur, Claveret.
PERSONNAGES :
DAMON, gentilhomme
FANCHON, maîtresse de Damon
ARONTE, riche bourgeois, père de Fanchon
AMÉRINTE, mère de Damon
LICIDAS, ami de Damon
LE PRÉSIDENT
CÉLIMÈNE, cousine de Fanchon
CLIDAMOR, Écuyer d’Académie [a]
LISANDRE, Écuyer d’une princesse [b]
BERTRAND, Écuyer de cuisine du Roi [c]
Un SERGENT
Deux LAQUAIS
La scène est dans une grande place d’une ville frontière de Picardie. [d]
Acte I
I.1 - LICIDAS s’entretient avec son ami DAMON qui arrive de Paris.
LICIDAS
Sans mentir, tu m’instruis d’assez plaisantes choses.
DAMON
Nous verrons bien encor d’autres métamorphoses.
LICIDAS
Conte-moi, cher Damon, qui t’en as tant appris.
DAMON
Il suffit qu’hier au soir je revins de Paris,
Que j’ai trotté deux mois dans cette grande ville,
Où j’ai vu des voleurs dont la main est subtile,
Où, de tous les pays, où, de tous les quartiers,
Sont en foule venus des troupeaux d’Écuyers, [8]
A pied, dans des bateaux, en coches, en charrettes,
Sur baudets mal bâtés, sur piteuses mazettes [10]
Accourant au répit, comme gens affligés [11]
Qui se sont laissés mordre à des chiens enragés
À qui l’on fait connaître, à la fin de leur course,
Qu’ils n’en sauraient guérir s’ils n’y vidaient leur bourse,
Que plus elle sera pleine d’or et d’argent
Plus à les secourir on sera diligent,
Tant le soin d’amasser est un désir avide.
Ainsi, dans tout Paris, nulle auberge n’est vide,
Ainsi Guêpin, Picard, Champenois, Bourguignon [19]
Sont contraints de loger avecque le Gascon, [20]
Leur dût-il, en dormant, d’une malice adrette, [21]
Nettoyer le gousset et plier la toilette. [22]
LICIDAS
Mais d’où vient dans la France un désordre si grand ?
DAMON
C’est plutôt un bon ordre, à qui bien le comprend,
Puisque c’est un édit où l’État s’intéresse.
C’est que le Souverain veut régler sa noblesse.
C’est qu’il veut séparer le mauvais or du bon
Et mettre, s’il se peut, tout faux noble au billon. [28]
C’est que le Souverain veut qu’en tout son royaume
On ne s’appelle plus que Jean, Pierre ou Guillaume, [30]
Ambroise, Paul, François, Etienne, Aignan, Martin,
Philippe, Nicolas, Christophe, Constantin,
Bref, qu’on n’ait d’autre nom que celui du baptême,
Si de sa Majesté l’autorité suprême
N’anoblit ses sujets ou n’aient des contrats [35]
Qui ne soient point mangés de souris ni de rats
Et dont l’antiquité, fièrement contestée,
Par les hommes du Roi soit pour vraie attestée. [38]
LICIDAS
Qui sont ces hommes-là ?
DAMON
Gens adroits, sans défauts
Qui font voir à la Cour les nobles vrais ou faux ; [40]
Chacun d’eux en public Thomas Bousseau se nomme. [41]
LICIDAS
Et ce Thomas Bousseau, quel est-il ?
DAMON
Galant homme,
Obligeant, plein d’esprit, à Paris sans pareil,
Lorsqu’on le fait parler ou signer au Conseil,
Suivi de trois laquais, et qui n’y va qu’en chaise,
Pour y paraître propre et marcher à son aise,
Ayant un habit noir, du plus beau camelot [47]
Dont jamais, en Hollande, on ait fait un ballot, [48]
Le manteau bien coupé, doublé de belle panne, [49]
Un rabat de haut prix, des gants de frangipane [50]
Beaux et des mieux ambrés que vende Martial. [51]
Un air de financier, civil et jovial,
Quelques glands gros et fins pendant à sa pochette, [53]
La chapeau de castor, la perruque bien faite,
Qui dit être le chef de ce noble parti
À qui nul n’oserait donner un démenti,
Mais qui, hors du Conseil, par humilité porte
Le même habit du train qui dans ce lieu l’escorte. [58]
LICIDAS
Ce n’est donc qu’un laquais ?
DAMON
C’est ce qu’il te plaira.
Sous son nom l’on assigne et l’on assignera. [60]
Qu’on l’estime un laquais, qu’on l’estime un fantôme,
Il est l’homme à présent le plus fier du royaume.
Ainsi Thomas Bousseau ne fera nul quartier [63]
À ce nouveau baron, messire ou chevalier.
Ainsi tel se marquise et veut passer pour comte [65]
Qui n’y trouvera plus son honneur, ni son compte.
Mais un plus long discours te serait ennuyeux,
Car l’on ne doute point du rang de tes aïeux. [68]
LICIDAS
Puisque sur ce sujet tu t’imposes silence,
Parlons de ton amour. Qu’a produit ton absence ? [70]
As-tu dans ta Fanchon retrouvé la beauté
Qui depuis si longtemps charme ta liberté ?
Son cœur est-il toujours noble, tendre et fidèle ?
Soupire-t-il pour toi, soupires-tu pour elle ?
Le tien est-il ardent ? Et, depuis ton retour,
En a-t-elle reçu quelques marques d’amour ?
DAMON
Le moyen d’y manquer, quand l’âme est possédée
D’une si précieuse et si charmante idée ?
Cet objet adorable en tous endroits me suit,
Je n’ai pu reposer un moment de la nuit, [80]
Et si je n’espérais, par un doux hyménée,
Voir dans deux ou trois jours ma langueur terminée,
Je serais cent fois mort d’amour ou de souci.
Ah ? J’aperçois son père. Éloignons-nous d’ici.
Juge, je te supplie, en la voyant si belle
Du tourment que j’endure à me séparer d’elle.
Mais il se faut contraindre et souffrir qu’à son tour
La bienséance règne, aussi bien que l’amour.
Peut-être que ce père et son aimable fille
Vont conclure ma joie avec notre famille. [90]
Ce vieillard, hier au soir, avec nous folâtra.
Il promit que demain ce contrat se fera,
Jusques à consentir, d’une humeur joviale,
Que sa fille agréât la bague nuptiale
Et me dire en quel doigt je devais la placer,
Et qu’elle m’y laissa doucement enfoncer.
LICIDAS
Ainsi, brave Damon, ta joie est sans seconde.
DAMON
Je m’estime, en effet, le plus heureux du monde.
[Damon et Licidas sortent.]
I.2 - Entrent FANCHON et son père ARONTE.
ARONTE
C’est lui certainement qu’entretient Licidas.
FANCHON
Cela peut être vrai, mais il ne nous voit pas. [100]
ARONTE
Il est aussi probable, et ta mine le montre,
Qu’il te plaît aujourd’hui d’éviter sa rencontre.
D’où vient, en ton esprit, ce soudain changement ?
Est-il moins aujourd’hui qu’hier au soir ton amant ? [104]
Quel vent prompt et nouveau tourne ta girouette ?
N’as-tu point cette nuit ouï quelque chouette ?
Que t’a-t-elle prédit de ton futur époux ?
Qu’il mangera ton bien ? ou qu’il sera jaloux ?
Crains-tu d’être battue étant en ton ménage ?
N’a-t-il pas bonne mine ? En voit-on un plus sage ? [110]
N’a-t-il pas dans la guerre, en cent occasions,
Fait cent braves exploits, cent belles actions ?
N’a-t-il pas plus de bien, n’a-t-il pas plus de rentes
Que n’en eurent jamais tes oncles ni tes tantes,
Que nous n’en avons eu ni ta mère ni moi ?
Te faut-il un marquis, un duc, un prince, un roi ?
La jupe de brocart et les riches dentelles [117]
Dont il t’a fait présent ne sont-elles pas belles ?
Pouvait-il rien trouver de plus beau dans Paris ?
Ne t’a-t-il pas donné quelque bagues de prix ? [120]
Tu brûles de le voir au moment qu’il s’absente ;
Dès qu’il est revenu son retour te tourmente.
Tu ne fais que crier et servante et valets.
A-t-il à ta compagne écrit quelques poulets ?
Ces jolis billets doux, cet amoureux langage
Dont il sut te charmer durant son long voyage,
Que tu faisais coucher avec toi si souvent,
Se sont-ils éclipsés, n’est-ce plus que du vent ?
Quel diable tourne ainsi ta ridicule tête ?
Est-il temps aujourd’hui de faire ainsi la bête ? [130]
Quand, pour solenniser un hymen plein d’honneur, [131]
Tout rit pour ton repos, tout rit pour ton bonheur,
Quel père, quels parents n’entreraient en furie ?
FANCHON [en le baisant]
Ne vous courroucez point, mon papa, je vous prie.
ARONTE
Retire-toi de moi, folle, avec ton baiser.
Je ne me laisse pas de la sorte abuser.
Tu blesses mon honneur par ton lâche caprice.
FANCHON
Pardonnez-moi, papa. Ce n’est pas par malice.
Souffrez qu’avec respect j’embrasse vos genoux,
Et ne m’éloignez pas si rudement de vous. [140]
Laissez-moi vivre fille avecque mes voisines
Et ne me donnez point ni de croix ni d’épines.
Je ne veux que vous seul pour maître et pour seigneur.
Je méprise l’Amour : ce n’est qu’un suborneur,
Un beau feu qui détruit les plus fortes cervelles.
Renvoyez à Damon bagues, jupe et dentelles :
Ces riches ornements sont pour moi superflus ;
Ils ne me plaisent pas, puisqu’il ne me plaît plus.
Ne me soyez donc plus si rude et si sévère.
Je vous en prie au nom de ma défunte mère. [150]
Vous l’avez tant aimée, et vous m’aimez si fort.
Faites pour moi sur vous ce généreux effort
Et ne me rendez point toute ma vie esclave
D’un homme que je hais, quoiqu’adroit, quoique brave.
ARONTE
Vit-on jamais un père à ce point affligé ?
Qu’ai-je entendu, bons Dieux ! l’ois-je ou l’ai-je songé ? [156]
Est-ce un aveuglement ? Est-ce de la magie ?
FANCHON
J’ignorais, hier au soir, sa généalogie.
ARONTE
Ne fais point l’ignorante ainsi hors de saison.
Il est notre voisin, tu connais sa maison. [160]
Ne te souvient-il plus d’avoir vu feu son père
Et ne sais-tu pas bien qu’Amérinte est sa mère ?
FANCHON
Je parle d’écurie.
ARONTE
Est-ce qu’on a jeté [163]
Sur l’attelage noir qu’il t’avait acheté
Quelque sort, qui l’oblige à nouvelle dépense.
Il est, au pis aller, d’autres chevaux en France.
FANCHON
Je sais d’autres raisons.
ARONTE
Où donc as-tu pêché
Ce burlesque savoir ?
FANCHON
C’est là tout mon péché.
ARONTE
Volage, dis plutôt que c’est là ta folie.
Dieux ! à qui désormais faut-il que te t’allie ? [170]
Non, je ne pense pas, tant est grand mon ennui,
Qu’un malheureux goujat voulût d’elle aujourd’hui. [172]
Mais encore apprends-moi d’où te viens ce caprice.
Sors-moi d’étonnement, fais-moi grâce ou justice.
Qui t’a fait concevoir ce changement soudain ?
D’où te naît pour Damon un si cruel dédain ?
L’as-tu vu ce matin dans la Métamorphose ?
FANCHON
Non, c’est qu’à ce matin on m’a dit quelque chose.
ARONTE
Quoi ? Parle franchement, tôt, je le veux savoir.
FANCHON
Nul plus que vous, papa, n’a sur moi de pouvoir. [180]
Mais ce même pouvoir, que le Ciel autorise,
Ne me doit point forcer à dire une sottise,
Obligeant au respect, quoi qu’on en soit pressé,
Quand l’honneur du prochain s’y trouve intéressé.
ARONTE
Par ce pouvoir divin, je le veux, je t’en somme.
FANCHON
Papa, c’est que Damon n’est pas…
ARONTE
Quoi ? N’est pas… homme… ?
Qu’il est… Tu m’entends bien… Et qu’étant ton époux
Tu ne pourras goûter ce qu’amour a de doux…
FANCHON
J’ignore le jargon qu’un mot couvert exprime.
ARONTE
Tout ton jargon pour moi n’a ni raison ni rime. [190]
Enfin j’éclaterai. Cesse de m’ennuyer.
FANCHON
Papa, c’est qu’il n’est pas…
ARONTE
Dis donc vite !
FANCHON
Écuyer.
ARONTE
Qu’il n’est pas Écuyer ! Quel sentiment de balle ! [193]
Quoi ! Qu’il ne peut monter ni cheval ni cavale !
Je n’ose là-dessus m’expliquer clairement.
FANCHON
Vous ne comprenez pas quel est mon sentiment.
C’est que de méchants rats ont troué sa cassette,
Rongé tous ses papiers, le sac et l’étiquette.
ARONTE
Je pense que ces rats ont rongé ton cerveau :
Il a de la cervelle aussi peu qu’un moineau. [200]
A ce coup, ô grands Dieux, ma fille est insensée.
Pour jamais en guérir sa tête est trop blessée.
Je n’ai plus de pouvoir d’écouter tes raisons.
J’en ai vu de plus sages aux Petites-Maisons : [204]
Je t’y ferai mener avant que le jour passe.
FANCHON
C’est trop d’honneur pour moi, papa, je vous rends grâce.
ARONTE
N’en pense pas railler. Je te ferai bien voir
Que ma paternité me donne ce pouvoir ;
Que je suis absolu, que nul ne me contrôle.
FANCHON
Puisque vous le voulez, je passerai pour folle, [210]
Mais non pas, en effet, pour esprit mal guidé :
Ce point n’est pas encor tout à fait décidé.
Un peu de jugement me reste et me gouverne :
Et quand je ne vois goutte, il me sert de lanterne.
ARONTE
Obéis, lanternière, et ne conteste point [215]
Sur la félicité d’un si solide point.
Enfin ta résistance échaufferait ma bile
Et te ferait sentir que ma main est agile.
FANCHON
Quoi ! manquer de respect et d’amour pour Fanchon !
Que je sois votre folle, ou votre folichon, [220]
Vous ne pouvez, papa, vous montrer si sévère.
ARONTE
Je veux, avant le soir, terminer cette affaire.
FANCHON
Dans des chemins scabreux on ne court pas ainsi. [223]
ARONTE
Ah ! c’est trop résister : coquine, sors d’ici.
Ôte de ma présence un objet qui me tue
Qu’anime une âme lâche, inconstante et tortue.
Je te ferai bien prendre un couvent, ou Damon.
FANCHON
Vous me ferez plutôt épouser un démon !
[Fanchon sort]
ARONTE, seul
Quel conseil puis-je prendre, où tout me désespère ?
Il n’est pas Ecuyer !
[Entre Amérinte]
I.3 - AMÉRINTE entre et s’adresse à ARONTE qui est perdu dans ses pensées.
AMERINTE
Dieu vous gard, mon compère ! [230]
Je m’en allais chez vous : vous savez mon dessein.
Mon fils me persécute et voudrait que demain
Il vous plût d’accomplir cette affaire importante
Qui depuis si longtemps fait languir son attente.
Un esprit amoureux n’a jamais de plaisir
Si quelque doux espoir ne flatte son désir.
Puisque l’occasion fait qu’ici je vous trouve
Et que c’est un contrat que votre fille approuve,
Ne laissons point morfondre une si belle ardeur [239]
Qui peut de nos vieux ans réchauffer la froideur [240]
Et nous faire revivre en l’aimable lignée
Que produira sans doute un si noble hyménée.
Allons donc arrêter un accord bienheureux
Qui nous est favorable et commun avec eux.
Mais d’où peut naître en vous la tristesse profonde
Qui terrasse un esprit le plus gaillard du monde ?
D’où vient que je vous vois si pensif, si rêveur ?
Croyez-vous que mon fils soit un lâche, un buveur,
Qu’il ne mérite pas l’honneur que vous lui faites ?
Cherchez pour son repos de plus nobles défaites. [250]
Vous ne répondez rien, mon compère : parlez.
Ne me déguisez pas au moins où vous allez.
Concluons tout à l’heure ou rompons notre affaire. [253]
Ce n’est ici le lieu ni le temps de se taire.
De mon fils et de moi vous faites peu de cas.
ARONTE [comme surpris]
Madame, excusez-moi, je ne vous voyais pas.
AMERINTE
Vous ne me voyez pas ! depuis plus d’un quart d’heure
Que je vous entretiens !
ARONTE
Non, Madame, ou je meure.
AMERINTE
Mais, compère, à présent que vous me pouvez voir,
Contez-moi vos chagrins : je les dois tous savoir. [260]
Qui vous rend si rêveur ? Mon fils en est-il cause ?
Est-il à notre fille arrivé quelque chose ?
Vous a-t-elle fâché ? Dites-moi vos raisons.
ARONTE
Je la viens d’envoyer aux Petites-Maisons.
Et je crois que, bientôt, si je ne suis plus sage,
J’y pourrai bien pour moi faire un pèlerinage.
De plus longs entretiens sont ici superflus :
Elle a perdu l’esprit, et moi je n’en ai plus.
AMERINTE
Mon compère, arrêtez ; votre discours m’offense
Bien plus que jusqu’ici n’a fait votre silence. [270]
Ce n’est pas de la sorte, et par des termes fous,
Que l’on doit se moquer de gens faits comme nous.
Ne courez point si vite. Encore une parole :
Que concluez-vous donc, compère ?
ARONTE
Qu’elle est folle.
[Aronte sort]
AMERINTE [seule]
Dans l’étrange surprise où je me trouve ici,
Ne dois-je point penser que je suis folle aussi ?
Dieux ! que dira mon fils ? Dieux ! que lui puis-je dire ?
C’est un conte à mourir, mais ce n’est pas de rire.
Il a sa passion trop avant dans le cœur.
Rien ne rebute tant qu’un traitement moqueur, [280]
Quand il vient de la part des personnes qu’on aime ;
Et, comme son amour, sa colère est extrême.
Il s’estimait tantôt plus heureux que le Roi.
Déjà l’impatient vient au devant de moi.
I.4 - Entre DAMON qui rejoint AMÉRINTE.
DAMON
Est-ce à demain, Madame ? Irais-je à ma maîtresse
Faire mes compliments, montrer mon allégresse,
Dérober par avance un baiser sur son sein,
L’accompagner au temple et lui donner la main ? [288]
Avez-vous résolu la chose en telle sorte
Qu’elle m’ouvre à toute heure et son cœur et sa porte ? [290]
Irais-je de ce pas arrêter les violons ? [291]
Vous ne répondez rien ? Les moments me sont longs.
Et je vois dans vos yeux une tristesse sombre
Qui me fait deviner que je ne tiens qu’un ombre [294]
Qui s’échappe à nos yeux quand nous courons après.
Est-ce là mon espoir ? Sont-ce là les apprêts ?
Est-ce ainsi qu’une mère au besoin me console ?
Quoi, tout est-il rompu ?
AMERINTE
Votre maîtresse est folle ;
Et son père, comme elle, est hors de son bon sens.
DAMON
Vous nous tuez tous trois par ces mots offensants ! [300]
Avez-vous vu le père ? Avez-vous vu la fille ?
Quel désordre imprévu trouble cette famille ?
Ne nous donne-t-on point de meilleures raisons ?
AMERINTE
Il la vient d’envoyer aux Petites-Maisons.
DAMON
Si vous disiez encore qu’en telle ou telle ville
Mon aimable Fanchon va chercher un asile,
Elle ne saurait être à présent loin d’ici ;
Je l’irais enlever.
AMERINTE
N’en usons pas ainsi.
N’attirez point sur vous cette mauvaise affaire.
DAMON
Vous me faites mourir, que me faut-il dont faire ? [310]
Qu’irai-je consulter sur cet événement ?
M’adresserai-je au père ?
AMERINTE
Il est sans jugement.
DAMON
Chercherai-je Fanchon ?
AMERINTE
Elle s’en est allée.
DAMON
Verrai-je sa cousine ?
AMERINTE
Elle est trop désolée ; [314]
Sa mère est fort malade ; on ne l’ose aller voir.
DAMON
Cet embarras d’esprit me met au désespoir.
Encor faut-il savoir d’où ce malheur procède.
AMERINTE
Je ne vous puis donner ni conseil ni remède.
Ménagez votre amour comme vous l’entendez. [319]
[Amérinte sort]
I.5 - Entre LICIDAS qui rejoint son ami DAMON.
LICIDAS
J’apprends que pour demain les violons sont mandés, [320]
Et, t’ayant vu de loin, je t’arrête au passage
Pour te féliciter d’un si beau mariage.
Tu ne m’en parais pas, toutefois, plus content.
Mais, dans ces jours heureux, on ne l’est jamais tant.
Mille embarras d’esprit, de tracas domestiques
Font que les plus heureux semblent mélancoliques.
DAMON
Je ne le semble pas : je le suis en effet,
Et jamais mon plaisir ne peut être parfait,
Tant à mes bons désirs la fortune s’oppose.
LICIDAS
Mais qui, depuis hier, peut en être la cause ? [330]
DAMON
Je ne le saurais dire. Il est vrai cependant
Que mon bizarre amour en devient plus ardent,
Que rien ne m’adoucit, que rien ne me console
Depuis que l’on m’a dit que ma maîtresse est folle,
Et que son père même a perdu la raison.
LICIDAS
Qui peut te l’avoir dit ? Des gens de sa maison ?
DAMON
Le puis-je mieux savoir que de ma propre mère
Qui vient tout de ce pas d’entretenir son père ?
LICIDAS
Amérinte radote : on t’en baille à garder. [339]
Cette dame est crédule : il veut goguenarder, [340]
Et parmi les Picards nul n’entend raillerie :
Ce refus t’a surpris.
DAMON
Ce n’est point moquerie.
Ah ! mon cher Licidas, que je suis malheureux !
De grâce, permets-moi de faire un tour chez eux :
J’apprendrai le sujet de ma mélancolie.
LICIDAS
On n’apprend chez des fous qu’à gagner leur folie.
DAMON
Irai-je par un autre éventer mon secret ?
LICIDAS
Allons-nous en tous deux chez quelque ami discret.
DAMON
En connais-tu beaucoup de discrets dans la ville ?
LICIDAS
J’en connais un, au moins, qui passe pour habile, [350]
Qui te conseillera dans cette occasion.
DAMON
J’augmenterai ma honte et leur confusion.
Je ne veux nulle part publier ma disgrâce.
LICIDAS
Nous saurons aisément ce qui chez eux se passe.
Ses gens nous l’apprendront. Allons sur le rempart :
Il se pourra trouver quelqu’un d’eux quelque part,
Au mail, au jeu de paume, au billard, dans la rue,
Notre peine en tout cas ne peut être perdue,
Puisque, nous promenant, nous nous désennuierons.
DAMON
Mon malheur me suivra partout où nous irons. [360]
Mais, mon cher Licidas, arrêtons, tu me tues.
Veux-tu que, comme un fou, j’aille courir les rues
A dessein seulement d’augmenter ma douleur ?
Ne vois-je pas assez l’excès de mon malheur,
Que je n’ai plus de place au cœur qu’on me dérobe.
LICIDAS
Qui te le volerait ?
DAMON
Qui ? l’homme à longue robe ?
Ce damoiseau bretteur, ce petit impudent, [367]
Qui croit tout mériter dès qu’il est Président ?
Recevrais-je la loi d’un juge de village ?
LICIDAS
Pour t’arrêter ici, tu n’en es pas plus sage. [370]
DAMON
Jamais dans mon trésor il n’aura nulle part.
Va, mon fidèle ami, l’appeler de ma part.
Ne suis-je pas certain que, durant mon absence,
Il a près de Fanchon ravalé ma naissance, [374]
Qu’il a partout raillé du prompt et bon succès
Que j’espère à Paris avoir de mon procès ? [376]
Souffrirai-je à mes yeux ses bravoures hautaines ?
C’est à ces présidents de nos Cours souveraines, [378]
Ces arbitres fameux des princes et des rois,
A faire les seigneurs, à nous donner des lois. [380]
Quoi ! ce petit galant qui ne vient que de naître !
LICIDAS
Ne t’emporte point tant : tu te plains d’un peut-être.
DAMON
Non, je n’en doute point. C’est lui seul, je le crois,
Qui me veut détrôner d’un cœur digne d’un roi.
Cette feinte folie est un jeu qu’il invente.
Il y pense gagner : détruisons son attente.
Je veux, cher Licidas, m’égorger avec lui :
Fais-moi donc la faveur que ce soit aujourd’hui.
LICIDAS
Brûler tout à la fois d’amour et de colère,
C’est trop. Il faut qu’enfin la raison te modère. [390]
Viens, tu me conteras tes sentiments ailleurs
Et te rendras aux miens, si tu les crois meilleurs.
[Rideau]
Acte II
II.1 - Sont en scène CÉLIMÈNE et sa cousine FANCHON.
CÉLIMÈNE
Chère cousine, enfin t’y voilà résolue
Et ma mère sur toi ne peut être absolue.
Nous ne danserons point, toi ni moi, pour ce coup.
FANCHON
J’aime ma bonne tante et l’honore beaucoup.
Je sais bien à quel point ce bon cœur m’est fidèle,
L’honneur qu’elle me fait de me loger chez elle
Quand mon père me chasse et ne me veut plus voir.
Elle a sur ma personne un absolu pouvoir. [400]
Mais je sais bien aussi qu’elle aurait de la peine
De me voir un mari pour qui j’ai de la haine
Puisque des plus grands maux j’épouse le dernier
Si j’épouse Damon, qui n’est pas Ecuyer.
CÉLIMÈNE
Mais que nous veux-tu dire avec ton écurie ?
Est-ce un mot à la mode, est-ce une raillerie ?
Nous ne l’entendons pas, ni ma mère ni moi.
FANCHON
C’est qu’on ne nous dit pas les volontés du roi.
CÉLIMÈNE
Ce mot ne se dit pas sur les bords de la Somme.
FANCHON
Écuyer signifie un noble, un gentilhomme. [410]
Doit-on, à ton avis, en faire peu de cas ?
CÉLIMÈNE
Non. Mais Damon est noble.
FANCHON
Il l’est… et ne l’est pas.
CÉLIMÈNE
Peut-on bien accorder deux choses si contraires ?
FANCHON
Il n’a pu dans Paris achever ses affaires.
Il se trouve assigné parmi les Écuyers
Et l’on croit que les rats ont mangé ses papiers.
Comment prouvera-t-il sa gentilhommerie
Parmi des éveillés venus de Barbarie [418]
Qui s’inscrivent en faux, pour tourmenter les gens, [419]
Contre de bons contrats faits depuis trois cents ans ? [420]
Qui les trouvent tout chauds, qui blâment l’écriture, [421]
La marque du papier, l’encre et la signature ;
Qui, voyant la minute, estiment imposteurs [423]
Tabellions, greffiers et vérificateurs ;
Qui, de deux mille mois arrangés dans leur tête,
Savent quel jour daté fut ou ne fut pas fête,
Gens dont le moins habile est tout juste assuré
Combien de tous nos rois chaque règne a duré.
Qui mirent ces papiers au jour, à la chandelle, [429]
Flairent le parchemin d’une mine rebelle, [430]
Contestent chaque mot, une virgule, un point…
Que produira Damon, si Damon n’en a point ? [432]
Que peut-il espérer : rien qu’un arrêt infâme ?
Aurais-je du plaisir si j’étais lors sa femme ?
Aurais-je du plaisir de voir en ma maison
Un exempt, des archers entrer en garnison, [436]
Prendre jusqu’à mon lit, parler avec rudesse,
Dégrader en public mon mari de noblesse,
Trompeter sa vergogne au milieu d’un marché, [439]
Au coin d’un carrefour voir l’arrêt affiché ? [440]
Leur voir rompre à mes yeux le timbre de ses armes, [441]
Se moquer de mes cris, bouffonner de mes larmes, [442]
Voir enfin retentir les Chambres des Elus [443]
De son nom diffamé, peut-on en faire plus ?
Si nous étions aux champs, souffrir que la canaille
Nous vint asseoir au sel et nous mettre à la taille. [446]
Si nous aimons la ville, être au rang des bourgeois,
Dépendre incessamment de leurs brutales lois ?
Aller, comme eux, en garde et loger la milice,
S’il plaît au magistrat d’exercer son caprice ? [450]
Qu’un nouveau tous les ans nous fasse ainsi la loi ?
Qu’une je-ne-sais-qui piaffe devant moi,
Qu’on lui porte la queue et que j’aille derrière [453]
Comme étant de son train, comme sa chambrière.
Qu’on ne m’ose porter ma jupe et mon carreau [455]
Sans ouïr près de moi : “Cela n’est guère beau”.
Voudrais-tu bien me voir dans ce honteux tumulte ?
CÉLIMÈNE
Jamais nul à Damon ne fera cet insulte : [458]
On sait qu’il a trop fait de belles actions.
FANCHON
Peut-il justifier cinq filiations [460]
Par bons dénombrements, contrats de mariage,
Testaments, vieux reliefs et de nobles partages ? [462]
Il en faut, cependant, de bons et de divers,
Dût-on, pour les trouver, passer landes et mers.
Car enfin, si le Prince à Bousseau ne s’oppose,
Ecuyer et phénix vont être même chose : [466]
Il se trouvera peu de nobles achevés, [467]
Hors quelques Cordons bleus, ducs et gens relevés, [468]
Vieux Comtes, vieux Marquis, vieux Maréchaux de France :
Encore épluche-t-on aujourd’hui leur naissance. [470]
CÉLIMÈNE
Et de ces messieurs-là, tu veux qu’on t’en donne un ?
FANCHON
Il s’en pourra trouver quelques-uns du commun
Qui, joignant aux papiers des amis, des pistoles,
Auront un bon arrêt, ou de bonnes paroles,
Si toutefois amis, promesses et ducats
Peuvent fortifier de débiles contrats. [476]
CÉLIMÈNE
Me voilà, grâce à toi, parfaitement instruite.
Quel remède à cela ?
FANCHON
Je ne sais que la fuite.
CÉLIMÈNE
Le moyen de s’enfuir et de quitter son bien ?
Donc le plus heureux noble est celui qui n’a rien ? [480]
FANCHON
Si ce noble n’a rien et que l’exempt l’attrape,
Il peut dans la prison lui marquer une étape.
Or l’envie est ici dans un excès si grand
Que le plus estimé trahira son parent,
Que le fils, se voyant plus poussé que son père, [485]
Dira du mal de lui, dénoncera son frère,
Fera trouver en eux des sujets de mépris.
Il faudra bien souffrir ce qu’on souffre à Paris
Où de tout le ressort Bousseau seul les amène, [489]
Comme pauvres moutons à qui l’on tond la laine [490]
Ou comme ces pourceaux, gras d’avoine ou de gland,
Qui viennent au marché les derniers jours de l’an
Et dont la plus grand part, près de la boucherie,
Sont jugés, quoique sains, tachés de ladrerie [494]
Si l’on ne graisse un peu les mains des langueyeurs [495]
Qui les font, en ce cas, passer pour les meilleurs,
Sans quoi ces animaux, quoique vêtus de soie,
Sont le rebut des gens et valent moins qu’une oie.
Il conclut, s’ils sont bons ou ladres en effet,
Tâtant aux uns la langue, aux autres le gousset. [500]
S’ils sont vrais, s’ils sont faux, ces nobles de village.
CÉLIMÈNE
Nulle ne fut jamais plus savante à ton âge.
Qui t’en a tant appris ? En vérité, je crois
Qu’un juge et qu’un traitant en savent moins que toi. [504]
FANCHON
La persécution qui se fait dans la ville
M’a, dans ce beau jargon, rendue assez habile.
Je connais les traitants, et tu sais que chez nous
Il en hante souvent, plus qu’il n’en va chez vous.
Outre que Mérindor, en revenant du temple,
M’en a fait ce matin un discours assez ample. [510]
Et, pour mon intérêt, j’ai si bien écouté
Que je sais mot pour mot tout ce qu’il m’a conté.
Quand quelqu’un m’entretient d’aventure pareille,
J’aime bien mieux fermer la bouche que l’oreille.
CÉLIMÈNE
Ce savant Mérindor est un esprit ardent
Et l’ami déclaré d’un certain Président
Qui depuis si longtemps te conte des fleurettes.
FANCHON
Tous ces contes d’amour ne sont que des sornettes.
CÉLIMÈNE
L’adroit qu’il est, pourtant, ne t’a fait ce sermon
Que pour te détourner de penser à Damon. [520]
FANCHON
C’est vous, m’a-t-il conté, que cette affaire touche.
CÉLIMÈNE
Penses-tu que son cœur parle comme sa bouche ?
Quoi qu’il en soit, cousine, il faut s’en défier.
FANCHON
Quoi qu’il en soit, cousine, il faut un Écuyer.
Comme à ces braves gens leurs vingt ans de service [525]
Ne sont que des chansons chez Madame Justice,
Qu’à leurs certificats, leurs soins bien employés
On répond seulement : « Le roi vous a payés »,
Que cette inexorable et fière Cour des Aides
A leurs maux affligeants ne donne aucuns remèdes, [530]
Quoi qu’ils soient sans enfants, dénués de tout bien
Qu’ils vivent en des lieux où le roi ne prend rien,
Les ayant exemptés du sel et de la taille
Et que jamais ce nom ne leur valut la maille. [534]
Si le cœur de Damon et sa fidélité
Ne peuvent l’assurer d’en être mieux traité,
Si les plus grands héros à Paris sont bélîtres [537]
Et, tout percés de coups, n’obtiennent rien sans titre [538]
Ses larmes, ses soupirs et son bel entretien [539]
Sur mon cœur résolu n’obtiendront jamais rien. [540]
Je vois venir mon père. Adieu, je me retire
Prends bien mes intérêts.
CÉLIMÈNE
Je sais ce qu’il faut dire.
[Fanchon sort.]
II,2 - Entre ARONTE qui rejoint CÉLIMÈNE.
ARONTE
Où court ici ma nièce ?
CÉLIMÈNE
Un peu bien tard chez vous.
Mais je n’ai pu sortir plus matin de chez nous.
ARONTE
L’entretien amoureux d’une fille mal née
Vous a fait perdre ainsi toute la matinée.
CÉLIMÈNE
Pardonnez-moi, mon oncle.
ARONTE
Il a bien du pouvoir.
CÉLIMÈNE
Ma seule négligence a blessé mon devoir.
J’avais cru que ma mère y viendrait elle-même
Vous rendre une visite en ce désordre extrême. [550]
Mais son peu de santé ne lui permettant pas,
Pour la mieux excuser je double ainsi le pas.
ARONTE
Les enfants d’à présent ont des têtes légères
Et s’estiment souvent plus sages que leurs pères.
L’amour ou la jeunesse, à l’âge de vingt ans,
Leur peint tout radoteux leurs plus proches parents.
Rien n’est beau, rien n’est bon s’il n’est fait à la mode
Et tout ce qui nous plaît toujours les incommode.
Ma fille, plus qu’une autre, est dans ce sentiment.
Elle croit être belle et riche extrêmement. [560]
Si je la veux modeste, elle veut être brave. [561]
Veux-je qu’elle obéisse, on la traite en esclave. [562]
Depuis qu’elle est sans mère, elle me fait la loi
Et la galante prend trop d’empire sur moi.
CÉLIMÈNE
Une belle personne est un peu plus altière
Quand elle se voit riche et qu’elle est héritière.
ARONTE
Je crois, pour l’adoucir, qu’il la faut marier.
Est-elle encore folle avec son Écuyer ?
CÉLIMÈNE
Votre haine, mon oncle, est comme un coup de foudre
Qui vient de l’atterrer. On ne la peut résoudre. [570]
Elle est comme exilée en de funestes lieux,
Les sanglots dans le cœur et les larmes aux yeux.
J’en ferais bien autant si j’étais en sa place.
ARONTE
En ces occasions, je crains fort la grimace. [574]
Ma fille est bien adroite ; elle a l’art de ruser ;
Et par de feintes pleurs peut bien nous abuser.
Mais, étant en sa place, auriez-vous l’insolence
De vouloir, malgré moi, choisir une alliance ?
Voudriez-vous choquer mes inclinations ?
Ne fléchiriez-vous pas à mes intentions ? [580]
CÉLIMÈNE
Si j’étais aussi belle, aussi riche, aussi fine,
Si j’avais de l’esprit comme en a ma cousine
Et qu’il vous plût alors de me laisser choisir,
Un vaillant Écuyer ferait bien mon plaisir.
Je ne le cèle pas, ma passion est telle.
Je ne suis pas plus sage ou moins sensible qu’elle.
ARONTE
Es-tu déjà chauffée au point qu’est mon oison ? [587]
Elle a gagné ton cœur.
CÉLIMÈNE
Ma cousine a raison.
ARONTE
Ta cousine a raison ? raison de me déplaire ?
CÉLIMÈNE
Ce n’est pas son dessein.
ARONTE
Quoi donc ?
CÉLIMÈNE
C’est son affaire. [590]
Si son mari la bat, pour elle sont les coups :
Il n’en tombera pas le moindre éclat sur vous.
S’il reçoit quelque affront, elle en aura la honte.
La femme porte tout ; c’est toujours pour son compte.
Ce n’est point un oison, rien n’est plus avéré.
Elle a l’entendement tout à fait éclairé.
Vous m’avouiez tantôt qu’elle est adroite et fine.
ARONTE
Ces belles qualités ne sont que dans sa mine.
Elle est bête en effet.
CÉLIMÈNE
Elle a l’esprit fort beau ;
Mais ce petit courroux salit votre pinceau. [600]
ARONTE
Oh ! le sublime esprit dont tu défends la cause,
Qui veut, qui ne veut pas d’un bien qu’on lui propose
Voit-on dans un oison si peu d’entendement ?
CÉLIMÈNE
Quand ma cousine raille, ou fait un compliment,
Quand je vois les respects et l’amour qu’on lui porte,
Je voudrais bien, mon oncle, être oison de la sorte.
ARONTE
Ma sœur a donc aussi des sentiments pareils ?
Je ne m’étonne plus d’où viennent ces conseils !
Pauvres gens, frère, sœur, nièce, insolente fille,
La folie a frappé toute votre famille : [610]
Triste contagion qui gagne les esprits.
CÉLIMÈNE
Mon oncle, à ce matin, j’en ai beaucoup appris.
Les secrets de l’État sont pour vous lettres closes.
Vous pouvez quelquefois ignorer quelques choses.
ARONTE
N’est-ce pas là mon compte ? Un oncle n’est qu’un fat [615]
Et la nièce s’érige en ministre d’État.
L’amour donne à la fille une science infuse
Et son barbon de père est tout juste une buse.
Les Dieux en soient loués, nous voilà bien des fous.
A l’entendre, à m’ouïr, n’en tenons-nous pas tous ? [620]
CÉLIMÈNE
Je vous détromperais si je pouvais vous dire…
ARONTE
Parle donc promptement ; fais-moi pleurer ou rire.
CÉLIMÈNE
On ne vous a jamais expliqué clairement…
Mon oncle, on vient vous faire un nouveau compliment :
Il me faut, malgré moi, rengainer ma science.
[Entre le Président]
II.3 - Entre LE PRÉSIDENT qui rejoint ARONTE et CÉLIMÈNE.
LE PRÉSIDENT
Je viens baiser la botte au papa, d’importance. [626]
ARONTE
C’est pour moi trop d’honneur de me traiter ainsi.
Quel bon dessein, Monsieur, vous a conduit ici ?
LE PRÉSIDENT
J’ai joie à vous le dire et peine à vous le taire.
ARONTE
Je ne vous connais pas.
LE PRÉSIDENT
Je suis fils de mon père. [630]
ARONTE [à Célimène, à part]
Ma nièce, de quelle eau peut-il s’être frotté ?
Je crois que c’est un fou : je ne suis pas botté.
Je ne vois près de moi que folie ou caprice.
[au Président]
Vous puis-je rendre ici, Monsieur, quelque service ?
LE PRÉSIDENT
Le plus grand que jamais nul homme m’ait rendu.
CÉLIMÈNE
Considérez Monsieur, c’est un homme entendu. [636]
Ne vous souvient-il plus qu’autrefois, au collège,
Un certain Président, dans le temps de la neige
Que tous deux à Cloris vous faisiez les yeux doux,
Que vous fûtes un soir attrapé des filous ? [640]
Vous nous en parliez tant, en contant vos fredaines.
Ce Président est mort depuis quelques semaines
Et c’est Monsieur son fils qui présentement l’est.
ARONTE
Monsieur le Président, couvrez-vous, s’il vous plaît.
LE PRÉSIDENT
Je suis en mon devoir.
ARONTE
Je sais votre naissance.
Si vous ne vous couvrez, j’observe le silence.
Je ne veux point, Monsieur, vous servir à demi.
Feu Monsieur votre père était mon grand ami.
Je pensai même un jour épouser votre mère.
LE PRÉSIDENT
Je vous obéis donc.
ARONTE
Monsieur, que puis-je faire ? [650]
LE PRÉSIDENT
Guérir le mal pressant de votre serviteur.
ARONTE
Que ne suis-je à présent un bon opérateur ! [652]
Qu’est-ce ?
LE PRÉSIDENT
L’amour que j’ai pour votre aimable fille :
Vous pouvez avec elle unir notre famille.
ARONTE
Très volontiers, Monsieur, je la veux marier.
Mais, dites-moi, de grâce, êtes-vous Écuyer ?
La tête de ma fille est de ce mal frappée.
LE PRÉSIDENT
Écuyer, proprement, est pour les gens d’épée.
Ma charge est dans la robe exempte d’accident. [659]
ARONTE
Bonsoir et bonne nuit, Monsieur le Président. [660]
Je ne vous puis servir ; l’Éternel vous console.
Vous y perdez fort peu : ma fille est une folle.
LE PRÉSIDENT [à part]
C’est que ce vieux barbon la voit des yeux d’un fou.
Je le souhaite en l’eau l’hiver jusques au cou.
[Le président sort, laissant ensemble CÉLIMÈNE et ARONTE.]
CÉLIMÈNE
Vous l’avez mal traité !
ARONTE
Ma fille en est la cause.
Pouvais-je le guérir et lui dire autre chose ?
La folle m’a réduit à cette extrémité.
CÉLIMÈNE
Il faut à ces gens-là plus de civilité.
Vous avez des procès, vous avez des affaires :
Tout est perdu pour vous quand ils vous sont contraires. [670]
Mon oncle, excusez-moi si je vous parle ainsi :
Vous savez mieux que moi comme on en use ici.
Il vous souvient assez, par votre expérience,
Combien impunément y règne la vengeance,
Soit pour la procédure ou pour les jugements,
Tantôt pour l’ustensile ou pour les logements ; [676]
Que souvent le plus fort est contraint de se rendre.
Une si longue guerre a bien pu vous apprendre
A quel point l’intérêt gouverne les esprits.
ARONTE
Toujours, pour les procès, on appelle à Paris : [680]
On s’y divertit bien.
CÉLIMÈNE
O Dieux ! C’est un supplice.
ARONTE
C’est le vrai tribunal où se rend la justice.
CÉLIMÈNE
Quel tracas, quelle peine à la solliciter !
Quelle somme d’argent y faut-il débiter ?
Quelles soumissions, combien de patiences,
Combien de pas perdus, combien de révérences,
Que de mauvaises nuits, de chagrins et de mal.
L’un loge auprès du Temple et l’autre à l’Arsenal, [688]
L’un près du Luxembourg, au faubourg Saint-Antoine,
Près le Palais-Royal, au Cardinal-le-Moine, [690]
Au faubourg Saint-Michel, au faubourg Saint-Martin.
Peut-on se bien porter, se levant si matin ?
Dans l’éternelle peur qu’un carrosse vous roue,
Et le cœur infecté d’une puante boue.
ARONTE
Cette odeur, je l’avoue, altère le cerveau.
CÉLIMÈNE
Quoique ma mère et moi ne buvions que de l’eau,
Il fallait, bien souvent, quand nous étions débiles,
Entrer au cabaret, parmi des âmes viles,
Des preneurs de tabac, quelques gens de métier,
Manger un pain mollet, boire un demi-setier, [700]
Nous reposer un peu, sous prétexte de boire,
Retourner à l’instant par de-là Saint-Magloire,
Revenir au Palais, dans ces confuses voix,
Chez notre procureur aller plus de cent fois,
Éclairer tous ses clercs, son valet, sa servante,
Chez notre rapporteur caresser la suivante [706]
Pour obliger Madame à prier son époux.
ARONTE
Enfin, après midi, vous reveniez chez vous
Sans voir de pot au feu ni d’écuelles lavées,
Encor qu’au point du jour vous vous fussiez levées. [710]
CÉLIMÈNE
Oui, manger promptement quelque morceau de chair,
Qu’un hôte apprête mal et qu’il vous vend bien cher ;
Retrotter jusqu’au soir, coucher mal à son aise
Dans un lit infecté d’une odeur de punaise ;
Durant un rude hiver se chauffer à demi ;
Sortir avant le jour, le cœur tout endormi ;
Se voir par des filous si matin dépouillées
Et deux fois en un jour jusqu’à la peau mouillées ;
Vêtir son plus beau linge et tout sale et tout noir,
Qu’a déchiré dame Anne à grands coups de battoir ; [720]
Voir ses habits tachés de la noirceur des boues ;
Souffrir que des chevaux en aspergent nos joues,
En avoir sur le nez, en avoir sur les yeux ;
Aller ainsi mouchée en la plupart des lieux
Où Monsieur l’avocat nous oblige à nous rendre ;
Être, pour l’y trouver, quatre heures à l’attendre ;
Mener ce même train durant cinq ou six ans :!
Jugez si, de la sorte, on passe bien son temps.
Sans ces méchants procès, maman m’aurait pourvue.
Je ne souffrirais pas maintenant à ma vue [730]
Celles qui devant moi près de nous ont le pas : [731]
Elles ont des maris, et moi, je n’en ai pas.
ARONTE
Ma nièce, il est certain qu’une fille ajustée
Souffre avec déplaisir de se voir si crottée ;
Qu’une solliciteuse a de pénibles soins,
Et que plus elle est sage, on la regarde moins.
Il est vrai qu’au Palais, que dans ces grandes salles
On ne trouve que trop de personnes vénales
Qui lassent les plaideurs et surprennent la Cour.
CÉLIMÈNE
Laissons-là les procès ; revenons à l’amour. [740]
ARONTE
C’est un jeu qui vous plaît.
CÉLIMÈNE
Il me plaît comme aux autres.
ARONTE
Le soir et le matin, ce sont vos patenôtres :
Il ne faut pas, ma nièce, en faire tant de cas.
CÉLIMÈNE
Vous raisonnez fort bien, mais vous ne savez pas
Qu’être si longtemps fille est un mal incommode.
La beauté qui vieillit ne peut être à la mode
Si le secours d’hymen ne la vient rajeunir
Et ma cousine et moi voudrions l’obtenir.
Mon oncle, il ne faut pas nous refuser le vôtre
Parce qu’un Écuyer nous plairait plus qu’un autre. [750]
Ah ! j’avais à vous dire, à propos d’Écuyer,
Voici quelqu’un encor qui vous vient ennuyer.
C’est un Parisien, natif de cette ville,
À dompter les chevaux l’homme le plus habile :
Le fils de Clidamor, que vous avez connu.
[Entre Clidamor]
II.4 - ARONTE et CÉLIMÈNE sont rejoints par CLIDAMOR.
ARONTE
Généreux Clidamor, soyez le bienvenu :
Chacun de temps en temps veut revoir sa patrie
CLIDAMOR
Une chose à cela pour ce coup m’y convie.
Je viens pour recueillir une succession :
Un oncle qui m’aimait et dont l’affection [760]
M’a fait de tout son bien l’unique légataire.
ARONTE
Monsieur, votre voyage était fort nécessaire.
CLIDAMOR
Je voudrais bien, pourtant, m’en retourner demain.
Je tiens académie au faubourg Saint-Germain
À mille pas au plus du pont des Tuileries.
Je suis fort bien logé ; j’ai là quatre écuries
Qu’occupent des chevaux les meilleurs de Paris
J’ai d’excellents sauteurs et des barbes sans prix [768]
J’ai mon beau cheval turc, ma cavale isabelle, [769]
Le paslan, trois bais bruns, le rouan, l’hirondelle. [770]
J’ai mon cheval hongrois, j’ai mon grand passebel
Qui me fit tant paraître au dernier Carrousel [772]
Et dont le prince Armand m’offrit mille pistoles [773]
Quand il le vit sous moi faire cent caprioles.
J’ai celui dont la queue est de couleur de feu.
J’ai mon gris pommelé dont la robe a du bleu
Et que, pour ce sujet, j’ai nommé Porcelaine ;
C’est un cheval qui fait toute école sans peine. [778]
J’ai mon blanc à crins noirs, deux fort beaux guilledins : [779]
Jamais dans l’Angleterre on n’en vit de plus fins ; [780]
Trois coureurs bien ouverts qui font cinq cents courbettes. [781]
J’en ai deux furieux : je leurs mets des lunettes ; [782]
Nul écuyer que moi n’oserait les monter ;
Aussi nul ne sait mieux l’art de les bien dompter.
J’ai ai qui font passade et qui vont sur les voltes. [785]
J’en ai deux que l’on prit aux dernières révoltes
Que fit le Margageois contre son souverain [787]
Qu’un esprit folet panse et dont il fait le crin ;
J’en ai qu’on panse au jour, d’autres qu’on panse à l’ombre
J’ai dix palefreniers ; j’ai des valets sans nombre, [790]
Des mors, des caveçons, des selles, des filets, [791]
Housses en broderie et force chapelets. [792]
Mon manège est fort beau, ma carrière admirable. [793]
J’ai soixante soigneurs tous les jours à ma table.
ARONTE
Cette table est bien grande, ô Dieux !
CLIDAMOR
Ils sont autant.
Chacun d’eux m’obéit, chacun d’eux est content.
Bien que parfois sur eux ma chambrière joue [797]
Qu’un cheval les culbute ou bien qu’il les secoue.
Je crois, s’il plaît au Ciel de bénir mon destin,
Mettre à cheval bientôt Monseigneur le Dauphin. [800]
J’ai deux brave creats qui partagent ma peine [801]
Qui, dans ce grand travail, font que je prends haleine.
J’ai de petits chevaux bais, clairs, noirs, alezans, [803]
Sur qui je cours la bague avec mes jeunes gens. [804]
Je l’emporte toujours et suis sans concurrence,
De tous les Écuyers le plus adroit de France.
Enfin, dans ce tracas, dont tout autre aurait peur,
Je suis toujours égal, toujours de bonne humeur.
II.5 - Entre LE LAQUAIS de CLIDAMOR en présence de ORONTE et CÉLIMÈNE.
LE LAQUAIS
Monsieur, maître Garel ne fait point votre selle.
Il ne se souvient plus…
CLIDAMOR
O ! la pauvre cervelle. [810]
On ne peut nulle part sans soin rien pratiquer.
Je prétends que le corps soit à demi piqué.
Je veux des arçons neufs, d’excellent bois de hêtre, [813]
Collés, nervés, bandés le mieux qu’ils peuvent l’être, [814]
Couverts du meilleur cuir que l’on courroie ici.
J’entends que les quartiers soient de fort bon roussi. [816]
Je les veux bien doublés ; que chaque longue bande,
Pour monter les arçons, soit de fer de Hollande.
Qu’il la garnisse bien de forts contre-sangleaux ; [819]
Qu’il embourre de crin le siège et les panneaux [820]
Et que la housse soit d’une laine épluchée, [821]
Un peu sur les côtés et le siège embourrée,
D’un velours à trois poils, qui soit vert, bon et beau.
J’entends avoir le siège et la housse de veau,
Que de serge d’Aumale aussi verte il la double.
[à Aronte]
Monsieur, excusez-moi si mon laquais vous trouble.
ARONTE
Faites en liberté.
CLIDAMOR [à Célimène]
Je vous en prie aussi.
[au laquais]
Je veux des chaperons d’un excellent roussi, [828]
Piqués à quatre rangs d’une très belle soie,
De couleur de vert gai (j’aime partout la joie), [830]
Parés d’un maroquin le plus beau du Levant.
[à Aronte]
Pour découvrir au vrai ce qu’ici tout se vend,
J’ai gagné les valets de mon hostellerie.
[au laquais]
Qu’étrivières, licou soient de cuir de Hongrie. [834]
LE LAQUAIS
Et la longe ?
CLIDAMOR
Pareille. Attends, je veux avoir
Bride et poitrail montés d’un cuir baudroy noir,
La croupière de même à la selle attachée :
Qu’elle me soit demain de bonne heure apportée.
Enfin je veux avoir des boucles, des harnais
Du plus excellent cuir que tannent les Anglais. [840]
Que de mes pistolets chaque fourreau s’attache
D’une bonne courroie, et qui jamais ne lâche.
[à Aronte]
J’espère avoir le tout pour moins de trente francs :
On nous trompe à Paris ; les Picards sont plus francs.
ARONTE
Ainsi vous ménagez, allant par la campagne.
CLIDAMOR
Il ne me manque plus qu’une belle compagne.
Vous avez une fille : il ne tiendra qu’à vous
Que je ne sois demain son légitime époux.
Vous ne verrez chez moi que joie et que liesse.
J’ai de quoi vous loger et cette aimable nièce. [850]
S’il vous plaît, Monsieur, vous confier en moi,
Je vous ferai bientôt Écuyer chez le Roi.
ARONTE
Je consens volontiers : la charge en est fort bonne.
Ma fille vous est hoc, Monsieur, je vous la donne. [854]
Je vais tout de ce pas l’y faire consentir.
Venez nous visiter avant que de partir.
Je veux être Écuyer, ma nièce.
CÉLIMÈNE
A la bonne heure.
ARONTE
Le quartier est aimable où Clidamor demeure.
Ce sont des Écuyers, tous ces jeunes seigneurs :
Je t’en veux donner un beau, brave et des meilleurs. [860]
CÉLIMÈNE
Vous me ferez plaisir.
ARONTE
Allons donc voir ma fille.
Il lui faut pardonner : c’est l’heur de la famille.
Je m’en vais répéter mes danses dès ce soir,
Pour mettre tout en train quand il nous viendra voir.
[Rideau]
Acte III
III.1 - Au lever du rideau sont en scène ARONTE et sa fille FANCHON.
FANCHON
Bien que ma volonté soit soumise à la vôtre,
Je ne puis pour époux accepter l’un ni l’autre.
ARONTE
Refuser un parti par tout le monde aimé,
L’homme le plus parfait que le Ciel ait formé,
Qui te ferais marcher la première à l’Offrande, [869]
Est-il une faiblesse et plus sotte et plus grande : [870]
Un brave Président qui meurt pour toi d’amour,
Chez qui grands et petits t’iraient faire la cour.
FANCHON
Me dût-il élever plus haut qu’une sultane,
La robe me déplaît : je hais trop la soutane.
J’ai trop d’aversion pour son bonnet carré. [875]
ARONTE
L’autre a d’or et d’argent son habit chamarré.
Il ne faut pas, ma fille, être si dédaigneuse,
Choquer les gens d’honneur, faire la précieuse. [878]
L’amour de Clidamor brille en ses yeux ardents
Et quand il court la bague, il met toujours dedans. [880]
C’est un homme estimé dans toutes les provinces
Qui te fera hanter chez les rois et les princes.
Etoffes et chevaux ne te manqueront pas,
Pour t’aller divertir partout où tu voudras.
FANCHON
Tous ces chevaux de prix, ce manège si rare
Dont Clidamor ici vous vient faire fanfare
Ces soixante soigneurs, ce nombre de valets,
Ces mors, ces caveçons et tous ces chapelets
Ne sont rien, mon papa, que de belles guenilles.
C’est en vain qu’il prétend me vendre ses coquilles. [890]
On m’en a dit assez pour me désabuser.
S’il vous semble si beau, vous pouvez l’épouser.
Pour moi, mon cher papa, je suis assez contente
D’avoir chez vous l’honneur d’être votre servante.
Rien ne me doit contraindre à me mal marier.
Je ne pourrais souffrir un Monsieur l’Écuyer
Qui tous les jours s’occupe à dresser une bête.
J’aurais peur qu’à la fin il ne se mît en tête
De me vouloir dompter comme il dompte un cheval
Et que ses éperons ne me fissent du mal, [900]
Qu’il ne chaussât enfin son humeur écuyère
Pour me faire trotter avec sa chambrière.
ARONTE
N’en es-tu pas jalouse avant le temps ?
FANCHON
Vous ne m’entendez pas ainsi que je m’entends.
Le style d’Écuyer est un style équivoque
Et sa seule personne est tout ce qui me choque.
Il est vrai que je hais ce nombre de valets,
Que ma dévotion veut d’autres chapelets.
ARONTE
O ! la belle dévote, ô la douce pucelle,
De qui les méchants rats ont rongé la cervelle [910]
Et qui, nous protestant qu’elle a l’esprit soumis,
Fais enrager ici père, parents, amis.
FANCHON
Ah ! ne m’accusez point de semblables rudesses
Pour n’aimer pas des gens dont toutes les caresses
Sont de brider, piquer, frotter et d’étriller.
ARONTE
Folle, je l’ai promis, cesse de babiller :
Clidamor va venir ; j’ai donné ma parole.
FANCHON
Je suis bien folichon, mais je ne suis pas folle.
Ce brave Clidamor n’est rien qu’un maquignon.
ARONTE
C’est Monsieur l’Écuyer.
FANCHON
L’Écuyer champignon, [920]
Puisqu’une seule nuit l’a tiré de la terre.
Ce sont gens qu’à Paris on casse comme verre.
On les fronde à présent ; ils sont plus mal traités [923]
Que si contre leur Prince ils s’étaient révoltés.
Ils ont beau publier leurs généreux faits d’armes,
Qu’ils ont passé leur vie au milieu des alarmes,
Alléguer que la guerre a brûlé leur château,
Que leurs meilleurs papiers sont tombés dedans l’eau,
Et même dans la mer, passant le pont de brique,
En chercher à Paris de nouvelle fabrique [930]
Soutenir hautement que les plus anciens
Furent pris ou brûlés au siège d’Amiens, [932]
Ou qu’Arnantel en fit des bouchons à bouteilles ; [933]
Que leurs prédécesseurs y firent des merveilles,
Que sans la trahison de ces méchantes noix [935]
Chacun d’eux au combat eût valu plus que trois ;
Qu’au siège de Calais leur coffre fit naufrage
Que quand Doullens fut pris, on en mit au pillage.
Maître Thomas Bousseau les empêchera bien
De sauver finement leur honneur ni leurs biens. [940]
Ce Gascon qui sans titre à sa valeur s’attache,
Dont un coup de canon a grillé la moustache
Et qui prit seulement qualité d’Écuyer
Au contrat d’achat fait par un chauderonnier
De quelques chauderons gasconnés dans l’armée
Verra sa qualité se réduire en fumée.
ARONTE
Ce généreux Gascon n’est pas ton favori :
Tu le traites trop mal.
FANCHON
Il est vrai que j’ai ri
Quand le gai Mérindor m’a conté l’aventure
De ce brave Gascon, noble à simple tonsure [950]
Tel qui pense échapper en comptant ses aïeux
Comptera les pavés de la salle des Dieux,
Au jugement de qui son affaire est remise.
Il y pourra manger jusques à sa chemise [954]
S’il ne va composer avec son ennemi,
Civil, mais sans argent, plus qu’un diable et demi
Quelqu’un de ses parents est tombé dans l’abîme
Prenant une recette ou volant une dîme.
Tels ont voulu changer quelque lettre à leur nom
Pour se montrer issus de races de renom. [960]
Mais ce fin à dorer, cet argus sans lunettes [961]
En va faire bientôt des crieurs d’allumettes.
Ce malheureux sourdaud, qu’un notaire a surpris [963]
Et qui n’entendit pas le titre qu’il a pris,
Qui jure avoir signé son contrat à veuglette [965]
Ne saurait en sortir que poche ou bourse nette.
On les va tous dauber d’une étrange façon
Celui qui veut passer pour un duc d’Alençon
Ne sera dans trois jours qu’un vendeur de vinaigre
Sa mine est éventée, il est déjà tout maigre. [970]
La courante lui prit, arrivant à Paris, [971]
Buvant de l’eau de Seine et du soin qu’il a pris
De se voir au mois d’août chez lui si nécessaire
De laisser à ses gens tout son ménage à faire.
Tel en a pris la goutte et ne boit plus son sou.
Tel en d’autres pays en est devenu fou
Ainsi dans tous endroits tous les braves soupirent
Et de ce mauvais pas peu d’amis les retirent.
ARONTE
Quel diable de jargon vas-tu recommencer ?
FANCHON
Plus on pense à cela, plus on y veut penser. [980]
Chacun prône sa race et vante sa noblesse.
Nul d’eux n’ose en public dire où le bât le blesse.
Nul ne veut confier à ses meilleurs amis
Un attentat si noir qu’eux-mêmes ont commis.
ARONTE
Je t’entends aussi peu que j’entends le Grimoire [985]
As-tu lu ce matin des romans, quelque histoire
Qui trouble ta cervelle et la fait dévoyer ?
FANCHON
Voici venir quelqu’un : il semble un Écuyer.
ARONTE
Qui ? le connais-tu bien ? faut-il encor l’entendre ?
FANCHON
Il est de ce pays : c’est un nommé Lisandre, [990]
Le fils d’un receveur, en biens assez puissant,
Qui suit le prince Alphonse et qu’on voit en passant.
[Entre Lisandre]
III.2 - Entre LISANDRE, rejoignant ORONTE et FANCHON.
LISANDRE
Obligeant citoyen d’une ville fidèle,
Dont la sage conduite et le généreux zèle
Devraient vous élever aux plus nobles emplois,
Je vous viens rendre ici l’honneur que je vous dois,
Et demander celui d’être en votre alliance
Avec cette beauté, la plus rare de France.
ARONTE
Je ne veux point d’un gendre, à moins d’un Écuyer.
LISANDRE
Je suis celui d’un prince et, de plus, le premier. [1000]
J’ai l’honneur d’être encore celui de la princesse,
Qu’elle aille au bal, au cours, en visite, à la messe,
C’est à moi sur tout autre à lui donner la main.
FANCHON [à part]
C’est, à l’ouïr parler, un petit souverain.
LISANDRE
Je dispose de tout, dans leur grande écurie,
Leurs pages, leurs laquais sont de ma seigneurie.
Cochers, palefreniers fléchissent sous ma loi,
Et carrosse et calèche y dépendent de moi,
Et nul de leurs chevaux ne marche[nt] sans mon ordre.
FANCHON [à part]
Nul d’eux n’ose, sans lui, ruer, hennir ni mordre. [1100]
ARONTE
Rien, dans ce beau garçon, ne peut-il te charmer ?
FANCHON
On dit qu’il faut connaître auparavant d’aimer :
Je ne puis, mon papa, faire une autre réponse.
LISANDRE
Je suis un peu pressé : demain le prince Alphonse
S’en retourne à Paris et m’emmène avec lui.
FANCHON
Je ne suis pas, Monsieur, prête pour aujourd’hui.
ARONTE
Vous pourrez sur le soir avoir de mes nouvelles.
[Lisandre sort, laissant seuls ARONTE ET FANCHON.]
Qu’en dites-vous, ma fille ? Il a les mains fort belles.
Ce petit ornement ne déplaît pas à voir
Quand on touche une fille auprès de son mouchoir. [1110]
FANCHON
Il faut qu’il ait la main aussi douce que soie
Pour porter sur le poing ce beaux oiseaux de proie.
ARONTE
Railleuse, à quel propos me dites-vous cela ?
C’est un double Écuyer.
FANCHON
Écuyer quinola. [1114]
Le meneur de Madame, ou Comtesse, ou Marquise,
Voilà deux qualités qu’Écuyer autorise.
ARONTE
Pourquoi donc Écuyer te charme-t-il si fort ?
FANCHON
Le mien et celui-ci n’ont entr’eux nul rapport.
Si vous entriez chez lui, voudriez-vous entendre
Crier de la fenêtre : « Où va ce sot Lisandre ? [1120]
Cocher, page, laquais, palefrenier brutal,
Appelez mon meneux, je veux aller au bal, [1122]
Les chevaux au carrosse, en diligence, fille,
Mon loup, mes gants, ma coiffe ! » Aussitôt chacun drille [1124]
Et mon pauvre Écuyer, à pas longs et pressants,
Court, l’épée au côté, les deux mains dans ses gants,
Car il n’ose à main nue approcher de la dame,
Si d’un peu de tendresse il n’a touché son âme.
On rebute autrement la main de l’Écuyer :
Elle veut sur son bras seulement s’appuyer. [1130]
Il la mène au palais, ou chez une accouchée.
Il pique un tabouret toute une après-dînée,
Si ce n’est par bonheur qu’il cause une heure ou deux
Avec quelque soubrette ou bien d’autres meneux :
Voilà votre Écuyer et tout son exercice.
ARONTE
Je suis plus que jamais vaincu par ton caprice.
FANCHON
Cependant, mon papa, ce Lisandre vous plaît,
Avec ses belles mains, tout jocrisse qu’il est.
Quand j’aurai des chevaux, il sera nécessaire.
Vous m’en donnerez six, avec un volontaire, [1140]
Avec un beau carrosse, il faut trois Écuyers :
Un qui dompte chevaux, cochers, palefreniers,
Un qui me mène au cours, en visite, à la messe. [1143]
Le seul Écuyer noble obtiendra ma tendresse,
Quand le Ciel et papa l’ordonneront ainsi.
J’en crains un quatrième : ah ! bons Dieux, le voici !
J’ai de ces Écuyers la tête toute pleine !
Quelle sotte aventure auprès de nous l’amène.
Ce n’est point mon ragoût qu’un oblat d’Écuyer ! [1149]
Que ne va-t-il servir à Paris son quartier ? [1150]
Parce qu’il est au Roi, je n’ose lui déplaire ;
Mais il croit m’enjôler en enjôlant mon père,
Et vient assurément pour lui parler de moi.
[Entre Bertrand]
III.3 - Entre BERTRAND, rejoignant ARONTE et FANCHON.
BERTRAND
Je suis un Écuyer de la maison du Roi
Qui, touché des beautés de cette aimable fille,
M’estimerais heureux d’entrer dans sa famille.
ARONTE
Quand on parle du Prince et de ses officiers,
On ne doute de rien : ils sont vrais Écuyers.
A ce coup, mon enfant, il te faudra résoudre.
De tes péchés passés l’amour te veut absoudre. [1160]
On voit aux gens du Roi de bonnes qualités.
BERTRAND
Je la mènerai voir dîner leurs Majestés.
FANCHON
Monsieur, j’ai déjà vu des bateaux sur la Seine,
Jacquemart à Saint-Paul et la Samaritaine.
J’ai passé dans Paris presque tout un hiver.
On m’a fait compliment à la place Maubert.
J’ai vu la place aux veaux, le port au foin, la halle,
Et le cheval de bronze à la place Royale. [1168]
BERTRAND
Vous aurez bien au Louvre un plus charmant plaisir.
FANCHON
Nous en pourrons parler avec plus de loisir. [1170]
Pour maintenant, Monsieur, je n’ai rien à vous dire.
BERTRAND
Attendant ce loisir, Monsieur, je me retire.
[Bertrand sort, laissant seuls ARONTE et FANCHON.]
ARONTE
Ces diables d’Écuyers me feront enrager.
Je ne sais tantôt plus que dire et que songer.
Ces gens, qui pensent creux, font, dans leurs rêveries
Des châteaux en Espagne, et moi des écuries.
Si je sais bien encor calculer sur mes doigts,
J’ai compte un, deux, trois, quatre et cinq mis à ton choix.
Pas un d’eux ne te plaît ; nul d’eux ne t’accommode.
Ne t’en puis-je trouver un qui soit à la mode ? [1180]
Laquais, va promptement, cours dans tous les quartiers,
Que je sache aujourd’hui qui vend des Écuyers.
FANCHON
Mon laquais n’est pas là : vous parlez à votre ombre.
ARONTE
Ce tracas d’Écuyers rend mon esprit tout sombre
N’ai-je pas là quelqu’un. Encor fait-il savoir
Qui vend des Écuyers ; il en faut bien avoir.
Je t’en veux donner un, fût-il de pain d’épice.
FANCHON
Il m’en faut un qui parle, et qui soit de service.
ARONTE
Je le commanderai tel que tu le voudras.
Et s’il te peut servir, ventrebleu, tu l’auras. [1190]
Je te veux faire voir où va ma complaisance.
Mais raisonnons un peu sur ton extravagance.
Cet officier du Roi, qui sort présentement,
Ne sait-il pas parler, est-il sans mouvement ?
N’est-il pas vigoureux ; n’a-t-il pas bonne mine ?
N’est-il pas Écuyer ?
FANCHON
Écuyer de cuisine,
Tel que l’Écuyer Paul, l’Écuyer Mathurin,
L’Écuyer Cristolet, l’Écuyer Tabarin, [1198]
Ou l’Écuyer Bertrand, c’est ainsi qu’on l’appelle.
La qualité, papa, vous paraît assez belle : [1200]
Leurs femmes à Paris lavent leurs chauderons.
Si la chose vous plaît, mon papa, nous irons.
Ces sales marmitons que vous pourrez connaître
Sont Monsieur l’Écuyer, ou bien Monsieur le Maître
L’un sera mon neveu, l’un sera mon cousin,
L’autre mon camarade et l’autre mon voisin.
ARONTE
Je ne puis plus ouïr les fatras que tu contes.
FANCHON
Il est des Écuyers ainsi qu’il est des contes.
On voit un conte borgne, un conte de vielleux
Conte à dormir debout, sots contes, contes bleus, [1210]
Certains contes de vieille et des contes pour rire
Des contes violets qui sentent la satire
Des contes saugrenus des reines et de rois,
Comtes neuf, que Bousseau veut soumettre à ses lois.
Des contes vert de mer ou de ma mère l’Oie,
Mille contes piteux, surnommés rabat-joie,
Comptes de revenus que rendent les fermiers,
Comtes de qualité, qui sont vrais Écuyers.
Et cependant, papa, tous sont contes en France :
Rien qu’une seule lettre y met la différence. [1220]
ARONTE
Quels contes tu me fais ! En vérité, je crois
Que tu pourrais passer pour la folle du Roi.
J’ouïs des gens près de moi qui de rire en éclatent.
FANCHON
Sauvons-nous, mon papa, ce sont gens qui se battent.
O Dieux ! ils ont tous deux une épée à la main.
Suivez-moi promptement.
III,4 - Aronte et Fanchon sortent ; entrent LICIDAS, DAMON et CLIDAMOR.
DAMON [attaquant à l’épée Clidamor, qui se défend mal]
Tu recules en vain,
Traître : je t’apprendrai que Fanchon t’est fatale,
Que tu n’es rien qu’au rang des Écuyers de balle
Qu’il ne t’appartient pas de posséder un bien
Que mes soins m’ont acquis, où tu n’eus jamais rien. [1230]
Demande-moi pardon de ton effronterie.
[Licidas essaie d’intervenir]
Ne nous sépare point, Licidas, je te prie.
Tu me ferais mourir.
CLIDAMOR
Je demande quartier. [1233]
DAMON
Rends-moi donc ton épée, avec ton baudrier ;
Désarme-toi toi-même, et confesse, à ma gloire,
Qu’à moi seul appartient Fanchon, et la victoire.
CLIDAMOR
Laisse-moi mon épée.
DAMON
Aimes-tu mieux mourir ?
CLIDAMOR
Il faut tout accorder plutôt que de périr.
[Clidamor donne son épée et sort. Restent LICIDAS et DAMON.
LICIDAS
Quel désordre est ceci ? D’où vient un tel vacarme ?
Tu l’as fort mal traité.
DAMON
C’est lui qui me désarme. [1240]
Lui qui me vient voler mon bien et mon bonheur,
Qui me veut arracher et la vie et l’honneur,
Lui qui, n’ignorant pas jusqu’où l’amour m’engage,
Demande effrontément Fanchon en mariage.
Me veux-tu voir souffrir un pareil traitement ?
LICIDAS
J’eusse voulu te voir t’en venger autrement.
Damon, la paix est faite, et le Prince en puissance [1247]
De se faire obéir jusqu’aux bouts de la France.
Il te souvient assez de ces édits cruels
Que ce victorieux fait contre les duels, [1250]
Si l’on doit appeler de ce nom téméraire
Les plus justes édits qu’on ait pu jamais faire,
Qu’autorisent les dieux et qu’approuve la Cour.
DAMON
L’autorité des rois ne peut rien sur l’amour.
Leur Majesté royale à ses lois est soumise
Et, comme leurs sujets, en ses filets est prise.
On veut m’ôter la vie : il est toujours permis
De défendre son sang contre ses ennemis.
Ce n’est qu’une rencontre : on ne me peut rien dire. [1259]
Il n’est blessé ni mort : c’est un conte pour rire [1260]
Et qui divertira les soixante soigneurs
Quand il sauront qu’ici l’on lui rend ces honneurs.
LICIDAS
Qui t’a si bien dépeint sa valeur, et son style ?
DAMON
Ne sais-tu pas toujours ce qu’on dit par la ville ?
Et cet exploit d’amour peut-il m’être caché ?
LICIDAS
Tu parais à Fanchon fortement attaché,
Puisque sa folle tête et celle de son père
Ne sauraient adoucir ton ardente colère.
DAMON
J’aime la pauvre fille en tel état qu’elle est.
Fanchon sage me plut, Franchon folle me plaît. [1270]
Et j’aurais dans mon âme une joie infinie
De pouvoir de mon sang guérir sa maladie.
Je n’ai pu d’aujourd’hui lui parler, ni la voir.
LICIDAS
Tu pourras posséder ce bonheur sur le soir.
Et même la trouver plus civile et moins sotte
Que ne dit, ou ne croit, ce barbon à marotte. [1276]
DAMON
Je le veux espérer ; l’apparence en effet
Qu’un instant trouble ainsi ce cerveau si bien fait ?
LICIDAS
Mais on voit dans ta main une seconde épée :
Cette ville, à médire ardemment occupée, [1280]
Ira prôner partout que je suis ton second
Et nous attaquera de volée ou de bond [1282]
Un combat maintenant est d’extrême importance :
Si la vérité blesse, aussi fait l’apparence.
Sortons de cette place, il nous faut envoyer
A ta belle Fanchon épée et baudrier.
[Rideau]
Acte IV
IV.1 - Sont en scène CLIDAMOR et LE PRÉSIDENT.
CLIDAMOR
En parle qui voudra, qu’il en raille ou s’en rie,
On a quelque plaisir à revoir sa patrie,
Et les bons naturels des petits et des grands
Ne peuvent s’empêcher d’estimer leurs parents. [1290]
J’ai goûté de la joie à voir ici mon frère,
A saluer ma tante, un voisin, un compère,
A manger avec eux le matin et le soir ;
Mais j’y serais venu tout exprès pour vous voir,
Quand quelque peu de bien d’un oncle, dont j’hérite,
N’aurait pas de deux mois avancé ma visite.
Je vous l’avais mandé, je vous l’ai vingt fois dit,
Vous ayant à Paris offert tout mon crédit.
Mais vous enchérissez quand je suis dans la ville,
Aux lieux où mon pouvoir vous est le moins utile [1300]
Car le plus noble accueil, l’honneur le plus parfait
Est celui que chez vous, Monsieur, vous m’avez fait.
Vous m’avez régalé d’une façon si belle
Que ma reconnaissance en doit être éternelle.
LE PRÉSIDENT
Monsieur, je n’ai rien fait qui soit digne de vous
Mais on aime à se voir, quand on a comme nous
Passé ses jeunes ans dans une même école,
Battu le fer ensemble, appris la capriole,
Caressé même fille. Un si doux souvenir
Réveille l’amitié, sert à l’entretenir [1310]
Et fournit des sujets d’une aimable entrevue
Quand on ne se verrait qu’en passant dans la rue.
CLIDAMOR
Vous ne doutez donc pas que je n’ai éprouvé
Cette aimable douceur en ceux que j’ai trouvé.
Mais si, d’un autre sens, vous tournez la médaille,
Si vous examinez comme ici on me raille,
Si vous envisagez mon côté désarmé,
Pour acquérir Fanchon, dont les yeux m’ont charmé,
Qui m’a fait entreprendre un si soudain voyage,
Plus que succession, amis et parentage, [1320]
Apprenant que Damon venait pour l’épouser,
Puisqu’un solide ami ne doit rien déguiser,
Il faut que je m’emporte et que je vous avoue
Que je supporterais et le fer et la roue
Et tous les plus grands maux que les tyrans nous font
Plutôt que cet indigne et si sensible affront.
Mon âme en est encor si rudement frappée
Que j’abandonne tout, que je pars sans épée,
Quoique surpris, honteux de ne la plus porter.
Sans en vouloir d’emprunt, sans en faire acheter [1330]
Pour ne pas publier que je suis un infâme,
Moi qui faisais souvent voir, gravé sur ma lame,
Que, quand on perd la vie, il faut sauver l’honneur
Et que le sage doit être son gouverneur.
Ajoutez à cela le déplaisir extrême
De perdre pour jamais la personne qu’on aime,
D’apprendre, en arrivant, qu’elle a perdu l’esprit,
Elle dont la beauté si fortement me prit
Et qui vous prit aussi dès ses tendres années,
Comme si nous avions les mêmes destinées, [1340]
Elle que vous aimiez et dont, peut-être encor,
Vous faites plus d’état que de votre trésor…
A moins que sa folie ait adouci vos flammes.
LE PRÉSIDENT
Lorsqu’il nous est permis de voir souvent les dames,
Notre cœur s’en rebute et n’en prend plus de soin.
On les aime toujours moins de près que de loin :
Je n’ai plus avec elle aucune intelligence.
CLIDAMOR
Puisque vous m’assurez de votre indifférence,
Parlez-lui de ma part de son triste Écuyer.
LE PRÉSIDENT [à part]
Dans quel sot embarras me va-t-il employer. [1350]
CLIDAMOR
Vous paraissez surpris d’entendre ce langage.
Vous ne répondez rien ; vous changez de visage.
Ouvrez-moi votre cœur…
LE PRÉSIDENT
Les plus fermes esprits
En certains incidents sont quelquefois surpris
Et n’osent découvrir leurs secrètes pensées.
CLIDAMOR
Je vous ai découvert présentes et passées.
Mais si Fanchon vous touche au point que je le crois
Je vous quitte de tout : ne parlez point pour moi. [1368]
Votre amitié me plaît d’être ainsi cordiale.
LE PRÉSIDENT [à part]
Le moyen d’échapper d’un si fâcheux dédale ? [1360]
Feignons de se trouver dans le commun malheur.
[à Clidamor]
Je pense à votre amour bien moins qu’à mon honneur.
CLIDAMOR
Si l’honneur vous défend de me rendre service,
En vous le demandant je fais une injustice.
LE PRÉSIDENT
Il m’oblige à celer un innocent péché
Qu’aux yeux de mes amis jusqu’ici j’ai caché
Et que je couvrirais d’un éternel silence
Si je n’en craignais pas la rude pénitence.
CLIDAMOR
Le cœur ne pêche point en aimant un objet
Qu’il estime une reine et dont il est sujet. [1370]
Fanchon, depuis vingt ans, a sur vous un empire.
LE PRÉSIDENT
Ce n’est pas là, monsieur, ce que je vous veux dire.
Mais, puisqu’il faut, enfin, vous parler en ami,
Qu’à ce nom d’Écuyer mon visage a blêmi,
Je vous veux confesser à quel point j’appréhende
Qu’on me fasse payer une si rude amende
Pour avoir, par malheur, pris une qualité
De qui je n’ai jamais nulle part profité,
Que je souhaiterais qui me fût confirmée
Pour l’honneur de ma charge et de ma renommée. [1380]
Jugez si ce chagrin est un chagrin d’amour !
CLIDAMOR
Ce parti, je l’avoue, est cruel à la Cour.
On va même à Paris commencer la recherche.
On la fait dans le Mans, dans l’Anjou, dans le Perche,
Et nul canton français ne s’en exemptera.
Ici Monsieur Bousseau vous considèrera .
Il sait que vous marchez le premier dans la ville,
Que vous êtes soldat et juge fort habile :
On dit que de dépit certains s’en sont tués.
Mais pour vous désormais les grands coups sont rués [1390]
Et vous ne craignez rien du côté des notaires :
Ils vous respectent trop.
LE PRÉSIDENT
Ceux qui font mes affaires
Sont gens, pour la plupart, intéressés et mous,
Et qui se donneraient au diable pour cinq sous.
Nos principaux bourgeois dans ce parti furètent [1395]
Et, pour quatre deniers, comme coquins nous traitent.
Un visage étranger à présent me fait peur :
Dès qu’il vient m’aborder, mon front est tout en sueur.
CLIDAMOR
Celui-ci vous aborde.
LE PRÉSIDENT
Il est de connaissance.
[Entre un sergent]
IV.2 - Entre un SERGENT, rejoignant LE PRÉSIDENT et CLIDAMOR.
LE PRÉSIDENT
Quel coquin vient ici troubler ma conférence ? [1400]
Retire-toi d’ici.
LE SERGENT
Monsieur…
LE PRÉSIDENT
Retire-toi,
Pendard ; si je…
LE SERGENT
Monsieur, c’est de la part du Roi.
Maître Thomas Bousseau vous donne trois semaines.
LE PRÉSIDENT
A moi-même ?
LE SERGENT
Oui, Monsieur,
LE PRÉSIDENT
Oui, tes fièvres quartaines.
Vous voyez bien, Monsieur, qu’on m’assigne à Paris.
[A part]
Je suis puni, bons Dieux ! Je riais, je suis pris.
O destin rigoureux ! ô fortune inhumaine !
L’amour, le bien, l’honneur.
CLIDAMOR [ayant lu l’exploit]
N’en soyez pas en peine.
J’ai d’excellent amis : je vais les employer.
En dépit de Bousseau, vous serez Écuyer. [1410]
LE PRÉSIDENT
Puis-je espérer de vous cet important service ?
CLIDAMOR
Moquez-vous du destin ; riez de son caprice ;
Ses desseins contre vous s’en iront à vau-l’eau.
Apaisez ma Fanchon.
LE PRÉSIDENT
Apaisez mon Bousseau.
CLIDAMOR
Contez-lui mes regrets.
LE PRÉSIDENT
Contez-lui mes alarmes.
CLIDAMOR
Obtenez-moi pardon d’avoir quitté les armes.
LE PRÉSIDENT
Obtenez-moi pardon pour cette qualité,
Ce titre que j’ai pris sans l’avoir mérité.
Il enverrait piller ma maison jusqu’aux briques
CLIDAMOR
Ne vous chagrinez point de ces terreurs paniques. [1420]
Je détournerai bien un semblable embarras.
Pensez à ma Fanchon.
LE PRÉSIDENT
Pensez à mon Thomas.
CLIDAMOR
Dites-lui que je pars le plus triste du monde.
LE PRÉSIDENT
Dites-lui que ma peur est ici sans seconde.
CLIDAMOR
Contez bien à Fanchon que je meurs à demi.
LE PRÉSIDENT
Contez bien à Bousseau que je suis son ami.
CLIDAMOR
Exagérez-lui bien mes soupirs et mes peines.
LE PRÉSIDENT
Obtenez de Bousseau que mes terreurs soient vaines.
CLIDAMOR
Qu’elle garde mon cœur, tout malheureux qu’il est.
LE PRÉSIDENT
Qu’il me renvoie ici mon exploit, s’il lui plaît. [1430]
CLIDAMOR
Ménagez bien pour moi son cœur en mon absence.
LE PRÉSIDENT
Ménagez bien pour moi ma bourse en sa présence.
CLIDAMOR
Pour vous deux à regret j’abandonne ce lieu.
Adieu, mon camarade.
LE PRÉSIDENT
Adieu, mon cher.
CLIDAMOR
Adieu.
LE PRÉSIDENT
Encore un coup, mon cher, sauvez-moi cette somme,
Contez bien à Bousseau que je suis un brave homme,
Qu’en quelque occasion qu’on le puisse servir…
CLIDAMOR
Allez, je vais pour vous haranguer à ravir.
[Clidamor sort. Le sergent le suit.]
LE PRÉSIDENT, seul.
Mon amour, ma douleur peut-elle être plus grande ?
Je fuis ce que je veux, je suis sûr, j’appréhende. [1440]
Je vois bien que Fanchon hait un cœur roturier.
Grands dieux ! si Clidamor me va faire Écuyer,
Je crois cette inhumaine à mes vœux favorable.
Je t’aime, Clidamor, je suis ton redevable.
Mais si j’ai cet honneur, foi d’ami Président,
Je ne t’en laisserai croquer que d’une dent.
Chacun excusera mes anciennes flammes.
[Entre Amérinte]
IV.3 - Entre AMÉRINTE, rejoignant LE PRÉSIDENT.
AMÉRINTE
Monsieur le Président, un peu d’honneur aux dames !
Arrêtez un moment.
LE PRÉSIDENT
Madame, excusez-moi !
Je ne vous pouvais voir en marchant.
AMÉRINTE
Je le crois. [1450]
J’ai du chagrin au cœur, et l’âme encor troublée
De cette impertinente et fougueuse mêlée
Où mon fils s’est tantôt embarqué brusquement.
Quoiqu’il l’ait terminée assez heureusement,
Ces sortes de combats sont toujours téméraires.
Chacun peut éprouver les armes journalières.
L’on n’est jamais assez de tout le monde aimé
Pour dissiper un bruit, qu’un traître aura semé,
Et l’ombre d’un duel pour un objet qu’on aime
Donne autant de frayeur, parfois, qu’un duel même. [1460]
L’édit est maintenant à tel point rigoureux
Qu’il doit faire trembler tous ces sots amoureux.
Mon fils a trop d’amour et trop de hardiesse.
Je crains que Clidamor ne lui joue une pièce,
Qu’il n’arme contre lui ses soixante écoliers,
Que même il ne lui fasse insulte en ces quartiers.
LE PRÉSIDENT
Mettez-vous en repos : son âme est trop bien faite
Pour aller à Paris publier sa défaite.
Rien ici n’est à craindre ; il en est déjà loin.
AMÉRINTE
Que vous me délivrez de crainte, et d’un grand soin. [1470]
Sa Fanchon, cependant, m’est un objet funeste.
Je ne puis dissiper le chagrin qui me reste,
Quand je vois que mon fils l’aime avec tant d’excès
Qu’il entreprendra tout, sans craindre le succès ;
Qu’il ne respectera, passant par la province,
Ni l’Écuyer d’un roi, ni l’Écuyer d’un prince ;
Qu’il ne peut pardonner à ses meilleurs amis,
Dès qu’aux lois de Fanchon il les a vus soumis ;
Qu’il est persuadé que sa folie est feinte ;
Que jamais nulle part il n’a connu la crainte [1480]
Et que je souffrirais un tourment sans égal
S’il fallait qu’une fois il vous crût son rival.
LE PRÉSIDENT
Il a sur Clidamor signalé son courage ;
A Lisandre et Bertrand il fait plier bagage ;
Il peut aisément vaincre un homme désarmé,
S’il croit que sa Fanchon m’ait autrefois charmé.
Mais, pourvu qu’il m’attaque en homme de ma sorte,
Je sais comme une épée et se tire et se porte
Je m’en souviens encor.
AMÉRINTE
Vous n’en viendrez pas là.
Vous n’êtes maquignon, Bertrand, ni Quinola. [1490]
LE PRÉSIDENT
Ni féru de Fanchon au point qu’il se figure.
Il a peut-être appris ma burlesque aventure,
Qu’ayant dit au barbon que je veux m’allier,
Je serais son beau-fils si j’étais Écuyer.
AMÉRINTE
Il croit donc que mon fils ne soit pas gentilhomme ?
Avez-vous remarqué de quel nom il le nomme ?
LE PRÉSIDENT
Il paraît qu’il en doute ou qu’il ne le croit pas.
AMÉRINTE
Souffrez que je m’en aille éclaircir de ce pas.
Voulez-vous bien, Monsieur, m’y tenir compagnie ?
LE PRÉSIDENT [en se reculant]
Madame.
AMÉRINTE
J’en aurais une joie infinie. [1500]
Venez.
LE PRÉSIDENT
Je n’aime guère à parler à des fous.
AMÉRINTE
Vous ne parlerez pas ; vous jugerez des coups.
LE PRÉSIDENT
Il n’est rien, hors cela, que pour vous je ne fasse.
AMÉRINTE
Je m’en vais faire un tour vers le bout de la place.
Dans un quart d’heure au plus, trouvez bon d’y passer,
Que nous nous puissions là sans dessein amasser. [1506]
Ne me refusez pas ce peu de complaisance.
LE PRÉSIDENT
Il faut, puisqu’il vous plaît, vaincre ma répugnance.
Mais ne m’obligez point d’entrer dans sa maison.
AMÉRINTE
Il n’a point de logis dans la belle saison. [1510]
La place est son jardin ; c’est sa chambre et sa salle.
Ce qu’il dit, ce qu’il fait, tout en ce lieu s’étale.
[A part]
J’ai bien de plus grands maux à vaincre, à supporter,
Quand je pense à mon fils, que je ne puis dompter.
LE PRÉSIDENT [à part]
J’aime mieux courtiser mon Code et mon Digeste
Que de m’embarrasser d’une amour si funeste
Grâce à mon mauvais sort, j’ai de quoi m’employer,
Sans le titre d’amant, pour celui d’Écuyer.
IV.4 - Le Président sort. Entre CÉLIMÈNE rejoignant AMÉRINTE.
AMÉRINTE
Est-ce elle ? Oui. Je vous ai de bien loin aperçue.
CÉLIMÈNE
Que vous avez, madame, une excellente vue ! [1520]
AMÉRINTE
Notre race a les yeux fort clairs et fort perçants.
Ma mère et ma grand-mère, à soixante et quinze ans,
Discernaient un ciron, même au clair de la lune.
CÉLIMÈNE
On estime le lait et les yeux d’une brune. [1524]
AMÉRINTE
Mais d’où vient que la brune est hors de vos papiers,
Aussitôt que son fils rentre dans ces quartiers ?
Que je ne reçois plus, ainsi qu’en son absence,
De Fanchon ni de vous aucune bienveillance ?
A-t-on dit quelque mot mal pris, mal entendu ?
CÉLIMÈNE
Non, c’est que son papa nous l’a trop défendu. [1530]
AMÉRINTE
Que peut avoir commis ou le fils ou la mère
Pour avoir ainsi mis ce bonhomme en colère ?
CÉLIMÈNE
Je n’en sais rien, Madame.
AMÉRINTE
Encor faut-il savoir
Quel sujet vous avez de n’oser plus nous voir ?
Vous connaissez mon fils : est-ce un garçon qui cause ?
De Fanchon ou de vous a-t-il dit quelque chose ?
Dit-on que, quand votre oncle a partout piaillé
Qu’elle était une folle, il en aura raillé ?
Ne l’a-t-il pas toujours également servie ?
Hier encore pour elle il hasarda sa vie. [1540]
Et si de sa maîtresse il disait quelque mal,
Ne souffrirait-il pas aisément un rival ?
CÉLIMÈNE
Quoiqu’on nous ait juré qu’il n’est pas gentilhomme,
Que d’un nom roturier quelqu’un d’ici le nomme,
Nous n’avons jamais pu, ma cousine ni moi,
A ces mauvais discours ajouter nulle foi.
Ainsi qu’il vous a plu d’honorer sa sagesse,
Nous avons toutes deux respecté sa noblesse.
AMÉRINTE
Et votre oncle le croit ?
CÉLIMÈNE
Je ne le sais pas bien.
[Entre le Président]
IV.5 - LE PRÉSIDENT revient, rejoignant AMÉRINTE et CÉLIMÈNE.
AMÉRINTE
Monsieur le Président, soyez de l’entretien, [1550]
Puisqu’un heureux hasard en ce lieu vous amène.
Tirez-nous toutes deux d’une burlesque peine.
Vous savez que mon père a servi quatre rois, [1553]
Qu’il a fait à la guerre un tas de grands exploits,
Que l’on mena ma mère à la Cour bien petite,
Qu’elle a servi vingt ans la reine Marguerite, [1556]
Qu’elle fut mariée à l’âge de trente ans,
Qu’en vingt et quatre mois elle eut deux beaux enfants.
Après cela l’on dit qu’une âme aussi guerrière
Qu’est celle de mon fils est basse et roturière. [1560]
Croyez-vous les caquets que ces sottes gens font ?
Pourriez-vous bien souffrir un si sensible affront ?
Dites m’en votre avis ; raisonnons-en ensemble.
LE PRÉSIDENT [à part]
Voilà burlesquement raisonner, ce me semble.
AMÉRINTE
Quoi ?
LE PRÉSIDENT
Si je le croyais, je serais bien marri.
CÉLIMÈNE
Une femme ne peut anoblir son mari,
Ni la mère son fils, excusez-moi, Madame,
Si je déclare ainsi les pensers de mon âme.
AMÉRINTE, regardant vers l’extérieur
Mais d’où vient que votre oncle a l’épée au côté.
Ne va-t-il pas aux champs ?
CÉLIMÈNE
Non, il serait botté. [1570]
IV.6 - Rejoignant LE PRÉSIDENT, AMÉRINTE et CÉLIMÈNE, paraît ARONTE, ayant au côté l’épée de Clidamor.
AMÉRINTE
Je vous trouve à présent tout guerrier, mon compère.
ARONTE
C’est un échantillon d’une noble colère
Que ma fille a reçu de votre brave fils
et que, pour l’honorer, à mon côté j’ai mis.
LE PRÉSIDENT
Mais Clidamor vous cherche. Il faut bien vous attendre,
S’il vous rencontre ici, qu’il vous la fera rendre.
ARONTE
Je ne me serais pas de la sorte atourné [1577]
Si je ne savais bien qu’il s’en est retourné,
Car on reprend son bien partout où l’on le trouve.
Contre tout autre brave à l’instant je m’éprouve. [1580]
LE PRÉSIDENT
Je ne suis pas vaillant jusqu’à vous défier
Et vous n’en voudriez pas, à moins d’un Écuyer, [1582]
Comme il vous en faut un pour être votre gendre.
AMÉRINTE [à part]
Cet entretien railleur me fera tout comprendre.
[à Aronte]
Mais dites-moi, compère, à propos de cela,
Avez-vous pris mon fils pour quelque Quinola ?
Vous publiez partout qu’il n’est pas gentilhomme :
Il l’est, s’il en est un d’ici jusques à Rome.
Et je vous ferai voir des anciens papiers
Où vous remarquerez plus de trente Écuyers. [1590]
ARONTE
Je ne les veux point voir, ces gens porte-marotte :
Pour en avoir vu trois, j’ai ai ta tête sotte
Et ma pauvre Fanchon en a perdu l’esprit :
En prononçant ce nom, son fâcheux mal lui prit.
J’honore votre fils et sa noble vaillance
Son grand-père a fait voir quelle était sa naissance,
Puisqu’en place de Grève on lui coupa le cou. [1597]
AMÉRINTE
Cet arrêt fut rendu par un Président fou
Qui présidait tout seul, dans le temps de la Ligue :
Le moindre courtisan fait assez cette intrigue [1600]
Et l’on ne nous en peut aucun mal reprocher.
ARONTE
Je ne vous l’ai pas dit aussi pour vous fâcher,
Mais pour mieux honorer votre illustre noblesse.
AMÉRINTE
Ce n’est pas là aussi tout le mal qui me blesse.
ARONTE
Il est vrai que j’ai dit, dans mon patois grossier,
Que Monsieur votre fils n’était pas Écuyer.
AMÉRINTE
Un Noble, un Écuyer n’est-ce pas même chose ?
ARONTE
Ah ! je n’ai jamais lu dans la Métamorphose.
Faites venir ma fille : elle est dans le donjon.
Elle sait mieux que nous expliquer ce jargon. [1610]
LE PRÉSIDENT
Cependant, Célimène, agréez mes services.
Avouez que Fanchon a pour moi des caprices.
Souffrez que je vous offre un cœur qui lui déplaît :
Ne le méprisez pas, tout méprisé qu’il est.
CÉLIMÈNE
C’est trop d’honneur pour moi.
AMÉRINTE
Sa paresse m’assomme. [1615]
CÉLIMÈNE
La voici…
IV.7 - FANCHON paraît, rejoignant AMÉRINTE, CÉLIMÈNE, LE PRÉSIDENT et ARONTE.
ARONTE
Ça, Damon n’est-il pas gentilhomme ?
FANCHON
Je l’ai cru ; mais quelqu’un le veut ici nier.
J’ai pourtant toujours dit qu’il était Écuyer.
ARONTE
Et moi je suis toujours de contraire pensée.
AMÉRINTE
Nous voici pis que mieux ; la chance est renversée. [1620]
ARONTE [à Fanchon]
Tu me parlais tantôt tout d’une autre façon.
AMÉRINTE
Compère, c’est de vous que je prends la leçon.
ARONTE
Soyez donc raisonnable, ou soyez raisonnante,
Je l’aurais fait vingt fois comprendre à ma servante.
Écuyer en français veut dire un Écuyer,
Gentilhomme en français n’est pas un roturier.
Comprenez-vous, Madame ?
AMÉRINTE
Oui, je comprends, compère.
Mais…
ARONTE
Quoi ?
AMÉRINTE
Je n’entends pas encore tout ce mystère.
ARONTE
Je vais recommencer, si je m’expliquais mal.
Écuyer en français est un noble à cheval. [1630]
Or est-il…
AMÉRINTE
Mais, compère…
ARONTE
Or est-il…
AMÉRINTE
Mais…
ARONTE
Madame…
Ne saurait-on jamais faire taire une femme ?
Or écoutez donc.
AMÉRINTE
Quoi ?
ARONTE
Vous troublez mon cerveau.
Diantre, on oit braire un âne, on oit beugler un veau.
Je dis… Je ne sais plus ce que je voulais dire.
FANCHON
Papa…
ARONTE
Tais-toi. Non, parle, attend.
LE PRÉSIDENT
Je meurs de rire.
ARONTE
J’y suis. Non fait. Si fait. Non. Si. Je n’y suis pas.
Je ne m’en souviens plus. Diantre soit du tracas.
CÉLIMÈNE
Mon oncle.
FANCHON
Mon papa…
AMÉRINTE
Mon compère.
LE PRÉSIDENT
Il va l’amble. [1639]
FANCHON
Revenez.
ARONTE
Non.
FANCHON
Papa.
ARONTE
Vous parlez tous ensemble. [1640]
FANCHON
Ne faut-il pas conclure, avant de s’en aller ?
ARONTE
Que l’on se taise donc ; je retiens à parler.
Je dis donc qu’Écuyer… — j’ai l’esprit en écharpe — [1643]
Dis-moi, parle, ils sont tous plus muets qu’une carpe.
Que l’on me dise un mot ; qu’on me donne la main,
Pour me remettre encore un peu dans mon chemin.
Hé bien ! Je m’en vais donc. Au diable soit les filles.
Apportez-moi tantôt votre sac… et vos quilles. [1648]
Vous serez bien venus, et vous et vos papiers.
Mais je ne veux point voir de ces fous d’Écuyers. [1650]
[Rideau]
Acte V
V.1 - Au lever du rideau, sont en scène AMÉRINTE et LICIDAS.
AMÉRINTE
N’est-ce pas une chose extrêmement étrange
Qu’on ne l’ait jamais vu content s’il ne se venge ?
Que les pleurs d’une mère aient si peu de pouvoir,
Et que jamais ce fils ne rentre en son devoir ?
Il ne lui suffit pas d’être couvert de gloire,
D’avoir sur Clidamor remporté la victoire :
Son courage invincible à tel point est ardent
Qu’il veut couper la gorge au pauvre Président.
S’il reste encore un homme acquis à ma famille
Il faut — c’est son rival — malgré moi qu’il l’étrille. [1660]
Il ne lui suffit pas d’avoir vu dans les yeux
De sa belle Fanchon des regards gracieux,
D’être assuré par lui que la folie est feinte,
De n’avoir plus au cœur ce grand sujet de crainte.
Alors qu’il la croit sage, il veut faire le fou
Et son cœur, pour sa mère, est plus dur qu’un caillou.
Ce fils sans amitié jamais ne me console.
Parce qu’Aronte est fou, croit-il que je sois folle ?
Il est vrai qu’en l’état où me met cet ennui,
Je ne raisonne pas quelquefois mieux que lui. [1670]
Mon fils est le vrai fou, s’il en tire avantage.
L’amour que j’ai pour lui le doit rendre plus sage.
Souvent un tel dépit produit un autre amour
Et je suis jeune assez pour lui jouer un tour. [1674]
Je me souviens fort bien quelle est la différence
D’un mari qui me flatte et d’un fils qui m’offense.
LICIDAS
Chassez de votre esprit de pareils sentiments.
AMÉRINTE
Chassez plutôt du sien tous ses emportements.
[Regardant vers l’extérieur]
Je l’entends : le voici. Faites-lui bien la guerre.
Il vous aime et vous craint plus qu’un coup de tonnerre. [1680]
V.2 - Amérinte sort. Paraît DAMON, rejoignant LICIDAS.
LICIDAS
Voici ce brave enfant, dont la mère se plaint,
Qui désarme les gens, que tout le monde craint.
N’es-tu pas satisfait de ton nouveau trophée ?
D’avoir à ta Fanchon envoyé cette épée ?
Ton esprit, à son tour, veut-il être égaré ?
Veux-tu te battre encore contre un bonnet carré
Et de ton pistolet en abattre les cornes ?
Sont-ce de ta valeur les véritables bornes ?
Me veux-tu pour second ? Crois-tu mieux triompher
D’un bras qui vient d’apprendre à battre un peu le fer. [1690]
Il faut toujours monter et jamais ne descendre :
Bats-toi contre un César ou contre un Alexandre,
Et ne regarde pas un jeune jouvenceau
Qui n’a point encor vu d’épée hors du fourreau.
Quel dépit t’a-t-il fait, qui t’est si dommageable ?
Il aime ta Fanchon : n’est-elle pas aimable ?
Quoi ? ta mère t’adore, et tu veux l’ennuyer ?
Je la vois toute prête à se remarier.
Ta fortune vient d’elle, et la moindre sottise
Te va rendre plus gueux que n’est un rat d’église. [1700]
Tel que tu ne sais pas pourrait bien l’empaumer [1701]
Elle n’a pas encore oublié l’art d’aimer.
Crois qu’elle peut choisir et l’épée et la plume
Et qu’un tison éteint aisément se rallume.
DAMON
Serait-il bien possible ?
LICIDAS
Il n’en faut point douter.
Elle est riche, il suffit, propre à tout écouter
Et j’aurais peur de tout, si j’étais en ta place.
DAMON
Tu ne m’as que trop dit ce qu’il faut que je fasse.
LICIDAS
Médite là-dessus, sans faire le brutal.
Une femme en colère est un fier animal. [1710]
Dès que la passion une fois la possède,
Rien ne la peut dompter ; il faut que tout lui cède.
DAMON
Mais…
LICIDAS
Quoi?
DAMON
Ne sais-tu pas que de jeunes garçons… ?
LICIDAS
Ce que tu vas conter ne sont que des chansons.
Songeons, sur toute chose, à conclure une affaire
Que madame désire, et qui t’est salutaire.
Va-t’en, tout de ce pas, préparer tes papiers.
Cesse d’entretenir ce barbon d’Écuyer
Et vois le Président, que Madame l’amène.
Il est assez content quand il voit Célimène. [1720]
Nous en avons parlé tantôt bien joliment.
Il ne faut point pour toi d’autre accommodement.
Fanchon est riche, est belle, est sage et bien nourrie :
Surtout ne gâtons rien avec notre écurie.
Mais souffrons son papa, sage, fou, tel qu’il est.
DAMON
Ne m’abandonne point, Licidas, s’il te plaît.
LICIDAS
Bien ?
DAMON
Mais d’où vient qu’Aronte a des façons si folles ?
LICIDAS
C’est qu’il n’a rien appris qu’à compter ses pistoles.
Et tu sais que la ville, où règnent les filous,
Appelle ce pays “La Garenne des fous”. [1730]
Va !
V.3 - Damon sort. Paraît ARONTE, songeur, qui rejoint LICIDAS.
LICIDAS
Vous rêvez, monsieur, dans votre promenade.
ARONTE
Ces diantres d’Écuyers font mon esprit malade.
J’ai le corps abattu de ne point sommeiller :
Quelqu’un d’eux, malgré moi, vient toujours m’éveiller.
Ces traîtres, en dormant, à mes yeux se présentent.
Ils ne suivent partout, me courent et m’éventent. [1736]
Dès que je fais trois pas, ils sont sur mes talons.
J’en vois de beaux, de laids, j’en vois de courts, de longs.
J’en vois des bleus, des verts et de couleur d’aurore.
J’en vois de blancs, de bruns et de plus noirs qu’un More, [1740]
De couleur d’amarante et de diable-enrhumé [1741]
Je crois qu’en mon jardin quelqu’un en a semé.
J’en vois de violets, d’incarnat, d’isabelle.
Tout cela, Licidas, la nuit, et sans chandelle.
LICIDAS
Oh ! dieux !
ARONTE
Holà, j’en vois de bons et de méchants,
J’en vois de conseillers et de fils de marchands.
J’en vois comme meuniers à cheval sur des ânes,
Et d’autres en justaucorps, en manteaux, en soutanes.
J’en vois de tous nouveaux qu’on vient de dénicher.
J’en vois la tête en bas et les pieds au plancher, [1750]
Se promenant dans l’air à cinq pieds de la terre,
Comme ces gens qu’on voit à travers un gros verre.
J’en vois de tout pays, de petits et de grands,
D’entassés dans un caque ainsi que des harengs.
J’en vois de contrefaits, j’en vois de belle taille.
J’en voit d’or et d’argent, et de neige, et de paille. [1756]
J’en vois de tous chenus, dans un verre entassés,
Se cachant dans un coin de peur d’être cassés.
Je vois des gens mêlés qui fument et qui boivent ;
Et de tous ces gens-là la plus grand part me doivent. [1760]
Et celui-là de tous qui veut le moins payer,
C’est Monsieur le Messire ou Monsieur l’Écuyer.
J’ai mêlé ma serrure en ouvrant mes cassettes.
J’en ai perdu les clefs ; j’ai cassé mes lunettes.
J’appelle à mon secours Perrine et Cascaret. [1765]
Je crois que le coquin est dans le cabaret.
Il s’éveille, il se lève et heurte contre un coffre,
Se blesse à chaque pas, contre tout ce qui s’offre.
Perrine, à ses hauts cris, se réveille en sursaut.
Elle saute du lit, les pieds dans un réchaud. [1770]
A sa voix, je réponds : « Que veux-tu que j’y fasse,
Paresseuse guenipe, était-ce là sa place ? »
Elle cherche la porte, et rencontre un volet.
Elle descend en bas, y trouve mon valet.
Ils se heurtent tous deux dans cette chambre obscure…
LICIDAS
Ne l’interrompons point : la plaisante aventure !
ARONTE
Et, ne se pouvant voir l’un l’autre qu’à tâtons,
Je crois que, par malheur, il la blesse aux tétons.
Perrine se défend, Cascaret la renverse.
Je ne sais s’il la bat, je ne sais s’il la berce. [1780]
Je ne sais que penser de ce gros animal.
Mais la servante crie : « « Aïe, tu me fais mal ! »
Je crie encore un coup : « J’ai perdu mes lunettes.
Tôt, découvrez ce feu, prenez des allumettes.
Regardez bien partout ; ces gens sont étonnés
De me les voir encor entières sur le nez.
Je crois qu’un gobelin tourmente la famille [1787]
Ou que ces Écuyers veulent forcer ma fille.
Je m’inquiète alors bien plus fort que devant.
Je parle, je raisonne et m’écrie en rêvant. [1790]
Plus j’ai d’inquiétude et plus fort je sommeille.
Aussitôt, Licidas, le clocheteur m’éveille [1792]
Et d’un lugubre ton recommande à prier
Pour l’âme de Paul Tron, lui vivant Écuyer
Pour une jeune fille enjouée et bien sage
Qui s’en va voir les dieux avec son pucelage.
Dès que je suis levé, l’on parle de papiers,
Que l’on m’y fera voir plus de trente Écuyers,
Que plus de trente fois le diable les entraîne :
C’est comme s’ils mettaient un forçat à la chaîne [1800]
LICIDAS
Il n’en faut plus parler, mais faire voir aux gens
Que Damon est bien noble, et depuis trois cents ans.
ARONTE
Vous vous moquez : à peine en a-t-il vingt et quatre.
Dieux ! combien, en ce cas, en faudrait-il rabattre ?
LICIDAS
Quand je dis trois cents ans, j’entends de père en fils
Ses aïeuls, bisaïeuls et trisaïeuls compris.
ARONTE
Ah ! je vous entends bien en parlant de la sorte.
Je pense voir quelqu’un qui m’attend à ma porte :
Souffrez que j’aille faire un petit tour chez nous.
Je vous laisse ma fille et ma nièce avec vous. [1810]
Je reviens sur mes pas.
V.4 - Aronte sort. LICIDAS est rejoint par FANCHON et CÉLIMÈNE.
FANCHON
Bien.
LICIDAS
Vous sortez du temple. [1811]
FANCHON
Oui, Licidas, et vous d’en entretien fort ample,
Car mon père, sans doute, a pu vous ennuyer.
LICIDAS
Il m’a fort bien appris qu’il hait un Écuyer.
CÉLIMÈNE
Il n’a point à présent d’autre nom en la bouche.
Ce qu’il ne connaît pas horriblement le touche.
LICIDAS
Il n’en faut plus parler. Vous avez, en tout cas,
Dit fort heureusement que Damon ne l’est pas.
FANCHON
J’eusse encore mieux fait si j’eusse pu me taire.
Que n’a-t-il à Paris terminé son affaire ? [1820]
Puisqu’en si peu de jours il la pouvait finir,
Il y fallait rester, et non pas revenir.
LICIDAS
Il fallait vous aimer avec moins de tendresse,
N’être point si pressé de revoir sa maîtresse.
Tout est en bon état : il a de bons agents.
FANCHON
Il l’eût fait en trois jours : il leur faudra trois ans.
LICIDAS
Vous nous désespérez avec un si long terme.
V.5 - Paraît DAMON, rejoignant LICIDAS, FANCHON et CÉLIMÈNE.
FANCHON
Est-ce là cet esprit si constant et si ferme
Qui croit que je suis folle aussitôt qu’on lui dit ?
CÉLIMÈNE
Il en paraît encore tout à fait interdit. [1830]
DAMON
Si je vous aimais moins, je serais moins sensible.
N’en ayant point parlé, ma faute est rémissible. [1832]
Mais n’avez-vous pas cru que j’étais roturier ?
FANCHON
Si je vous aimais moins, l’aurais-je pu nier ?
N’en ayant point parlé, ma faute est pardonnable.
DAMON
Vous avez un esprit tout à fait admirable.
Je ne sais maintenant qui de nous deux a tort.
FANCHON
C’est vous, de qui l’esprit doit être le plus fort ;
DAMON
Au moins, je n’ai rien dit contre votre sagesse.
FANCHON
Au moins, je n’ai rien dit contre votre noblesse. [1840]
DAMON
Vous n’en dites que trop, quand vous ne voulez pas
Délivrer mon esprit de ce cruel tracas.
FANCHON
Vous n’en dites que trop, en me pressant de faire
Un contrat solennel, qui déplaît à mon père,
Que vous pourriez vous-même en trois jours terminer.
DAMON
Il est vrai, ma Fanchon, qu’on me devrait berner. [1846]
Je pouvais, il est vrai, si j’eusse été plus sage,
M’exempter de ces maux et d’un second voyage.
Mais je ne pouvais vivre un moment sans vous voir.
FANCHON
Et ma vue à présent vous met au désespoir. [1850]
J’ai de votre valeur un aimable trophée :
Que je voie un arrêt aussi bien qu’une épée.
Je n’ai jamais douté du sang de vos aïeux ;
Mais j’en veux une preuve éclatante en ces lieux.
DAMON
J’ai de votre vertu des marques héroïques.
J’en veux, de votre amour, qui soient aussi publiques,
Sans faire cette injure à mon illustre sang.
FANCHON
Vous connaissez Filarque, et sa race, et son rang.
Il est de ces quartiers, aussi bien que sa femme.
Il est connu pour noble, et sa femme est Madame. [1860]
Ignorez-vous l’affront qu’on lui fait aujourd’hui ?
Trente sont condamnés, nobles, et plus que lui.
Voulez-vous que demain un même affront m’afflige.
En vous désobligeant, Monsieur, je vous oblige.
La belle Chevalière, en fardant son museau,
Croit tirer son mari des griffes de Bousseau.
Mais Bousseau, plus fin qu’elle, et plus opiniâtre,
Veut des visages d’or, non pas des teints de plâtre.
Tous ces gens condamnés faisaient les entendus [1869]
Ils s’en seraient parés, s’ils s’étaient défendus. [1870]
FANCHON
Défendez-vous en donc, sans quitter la partie.
Qui la quitte la perd.
DAMON
Oui, quand mal on la lie. [1872]
J’ai là de bons agents, qui me défendront bien.
FANCHON
J’aperçois mon papa : ne parlons plus de rien.
V.6 - Paraît ARONTE (accompagné d’un LAQUAIS), rejoignant LICIDAS, FANCHON, CÉLIMÈNE et DAMON.
ARONTE
Je ne vois point ici Madame votre mère :
Ne viendra-t-elle bientôt ?
DAMON
Oui, je l’espère.
[Regardant vers l’extérieur]
Monsieur le Président l’a trouvée en chemin,
Car je vois que là-bas il lui donne la main.
Il ne tiendra qu’à vous, Monsieur, puisqu’on s’assemble,
Qu’un lien conjugal ne nous unisse ensemble. [1880]
Je vous vais faire voir, par différents contrats,
Que notre race est noble à plus de vingt carats. [1882]
C’est tout ce que Fanchon désire et nous demande.
Je prétends en donner une preuve assez grande
Que dans l’Armorial nous sommes des premiers. [1885]
V.7 - Paraissent AMÉRINTE et LE PRÉSIDENT rejoignant LICIDAS, FANCHON, CÉLIMÈNE, DAMON et ARONTE (au fond le LAQUAIS d’Aronte).
ARONTE
Puisque vous le voulez, visitons vos papiers.
Ça, le premier venu.
AMÉRINTE
La place vous plaît-elle ?
ARONTE
On croira qu’entre nous je lis quelque nouvelle ;
Ainsi donc, par respect, nul n’en approchera.
L’endroit est écarté.
AMÉRINTE
Tout ce qu’il vous plaira. [1890]
ARONTE
Baillez-moi votre sac. Va quérir mes lunettes.
Vite !
FANCHON
Vous les avez : fouillez dans vos pochettes.
ARONTE [en cherchant]
Les voici. Non. Si fait. Non, je ne les ai point.
Je les tiens.
LE PRÉSIDENT
Le voilà satisfait sur ce point !
ARONTE
Commençons donc à voir. “Contrat de mariage
de Philippe Damon, Écuyer”. Ah ! j’enrage
De voir ce chien de mot, qui partout me poursuit,
Qui ne m’a pas laissé dormir toute la nuit.
LE LAQUAIS
Je ne les trouve point.
ARONTE
Elles sont sur ma table.
As-tu bien regardé près ma montre de sable ? [1900]
Du côté du miroir ? Va, cherche bien partout,
Traître ; cours.
AMÉRINTE
Souffrons-en de grâce jusqu’au bout.
ARONTE
Écuyers et laquais me troublent la cervelle.
LE PRÉSIDENT
Cette comparaison me paraît assez belle.
ARONTE
J’ai vu des procureurs qui, sur tous leurs dossiers,
Écrivaient ce matin : Jean, Paul, Pierre, Écuyers.
Ainsi donc tout le monde en ce pays se nomme.
LE PRÉSIDENT
Monsieur, un Écuyer veut dire un gentilhomme.
Ne vous y trompez pas, c’est un honneur bien grand ;
Et l’on punit celui qui sans titre le prend. [1910]
Telle est la volonté du grand Roi, notre sire.
ARONTE
Monsieur le Président, vous deviez me le dire.
C’est à vous à m’instruire, en cette occasion.
LE PRÉSIDENT
Si je ne l’ai pas fait, c’est par discrétion.
LE LAQUAIS
Je ne les trouve point.
ARONTE
Diantre, il me désespère.
AMÉRINTE
Touchez à votre nez : vous les avez, compère.
ARONTE
Je cherche mon baudet lorsque je suis dessus.
Ne perdons pas de temps en discours superflus.
Je suis tout glorieux d’être instruit à la mode,
Vous m’en avez appris galamment la méthode. [1920]
Or ça, j’en suis d’accord, Damon est Écuyer.
Mais Madame, avouez qu’il ne l’est qu’en papier.
AMÉRINTE
Non.
ARONTE
De bon parchemin durerait davantage :
Je n’en vois pas ici seulement une page.
AMÉRINTE
Tous les originaux au procès sont repris.
ARONTE
Il est donc Écuyer seulement à Paris ?
AMÉRINTE
Nous n’en pouvons avoir chez nous que la copie.
Mais, l’affaire vidée, alors…
ARONTE
Fou qui s’y fie :
Tantôt mon avocat me l’a bien défendu.
AMÉRINTE
Pourquoi ?
ARONTE
Si ce procès allait être perdu, [1930]
Cette perte aussitôt ruinerait ma famille.
[Au laquais]
Laquais, va me quérir le portrait de ma fille.
[Le laquais sort.]
FANCHON
Quel besoin avez-vous de ce vilain tableau ?
ARONTE
En vouloir tant savoir, cela n’est guère beau.
Dépêche vivement. Une fille innocente
Est bien plus à chérir que d’être si savante.
Quand il sera venu, vous saurez assez tôt
A qui je le destine et quel est son défaut.
LE PRÉSIDENT [à part]
Ce barbon jusqu’au bout pousse la comédie.
ARONTE [à Amérinte]
Vous ne m’avez guéri que d’une maladie. [1940]
Il en reste, Madame, encore une à guérir
Et dont la prévoyance empêche de mourir.
LE PRÉSIDENT
M’expliquerez-vous bien ce jargon, Célimène.
CÉLIMÈNE
C’est pour moi de l’hébreu.
LE PRÉSIDENT
J’aurais la même peine.
ARONTE
Ne me prendriez-vous pas pour un gros animal
D’allier la copie avec l’original ?
Copie et copiée ainsi jointes ensemble
Feront un mariage assez beau, ce me semble.
Madame, il faut toujours épouser son pareil.
AMÉRINTE [à part]
N’étais le bien qu’il a, je suivrais son conseil. [1950]
[à Aronte]
Chaque pièce du sac d’un notaire est signée
Et sur l’original bien collationnée.
ARONTE
Ce portrait par un peintre est collationné ;
Jouxte à l’original son pinceau l’a signé.
Madame, pouvez-vous me prouver le contraire.
Sur vos originaux, nous parlerons d’affaire.
Remportez vos papiers ; reporte ce portrait.
Jamais, de mon vivant, il n’en sera rien fait.
Ma Fanchon n’est pas fille à livrer sa personne
Pour de méchants papiers que quelque clerc griffonne. [1960]
Il faut du parchemin qui soit signé des dieux.
Ainsi peau contre peau s’accommodera mieux.
Je vous souhaite heureux et je vous remercie.
DAMON
Quoi ! ci cruellement rompre ainsi la partie !
Monsieur, encore un coup, écoutez ma raison.
ARONTE
Un sujet plus pressant m’appelle à la maison.
Il n’en sera jamais de ma vie autre chose.
DAMON
Parlez en ma faveur, belle Fanchon.
FANCHON
Je n’ose ;
Et mon plus beau parler se servirait de rien.
LE PRÉSIDENT
Quel sot raisonnement d’être esclave du bien. [1970]
DAMON
Monsieur, Fanchon, Madame, Aronte, Célimène,
Me voulez-vous laisser dans cette étrange peine ?
Fanchon, ne suis-je plus dans votre souvenir ?
Licidas, cours après, et les fais revenir.
J’aperçois mon laquais : il aura des nouvelles !
V.8 - Le LAQUAIS revient, rejoignant LICIDAS, DAMON, FANCHON, ARONTE, AMÉRINTE, CÉLIMÈNE, LE PRÉSIDENT.
DAMON
Tôt, dépêche laquais, dieux ! que n’a-t-il des ailes.
Hé vite, viens, accours, ai-je obtenu l’arrêt ?
LE LAQUAIS
Monsieur, je n’en sais rien.
FANCHON
Il n’est pas encore prêt.
LE LAQUAIS
Je ne vis en partant ni voisins, ni voisines.
DAMON
Encor, que disait-on ?
LE LAQUAIS
On disait les matines. [1980]
DAMON
Que dit mon avocat ? Que dit mon procureur ?
LE LAQUAIS
Ils sont toujours tous deux d’aussi plaisante humeur.
Ils boivent la santé de Fanchon, de Madame.
Je crois qu’il vont pour vous faire une épître à l’âme.
DAMON
Diantre d’épithalame !
FANCHON
A quoi sert ce caquet ? [1985]
Ce laquais ne sait rien. Ouvrez votre paquet.
LE PRÉSIDENT
Le maître et le valet font également rire.
DAMON
C’est ici quelque arrêt.
ARONTE
Baillez : je le veux lire.
FANCHON
Non, papa ; vous lisez un peu trop lentement.
Donnez-moi, s’il vous plaît.
ARONTE
Vous parlez sottement. [1990]
Il est fort bien écrit, et les lettres sont nettes.
FANCHON
Dépêchez donc, papa.
ARONTE
Je cherche mes lunettes.
FANCHON [à Damon]
Regardez, cependant, ce que la lettre dit.
LE PRÉSIDENT [à Célimène]
Ce pauvre garçon tremble ; il est tout interdit.
DAMON
La lettre ne dit rien. Si fait. Non. Si, j’espère.
FANCHON [à Aronte]
Baillez.
AMÉRINTE
Laissez-le lire à Monsieur votre père.
FANCHON
Il le tient à rebours : tournez d’un autre sens.
DAMON
Tout va bien, ma Fanchon. Reprenons tous nos sens.
FANCHON
C’est ainsi ; là, lisez.
LICIDAS
Quelle bouffonnerie ?
FANCHON
Monsieur le Président, aidez-lui, je vous prie. [2000]
LE PRÉSIDENT
Cet arrêt est bien long.
ARONTE
Je n’en ai jamais lu.
FANCHON
Montre-lui…
LE PRÉSIDENT
Commencez à ces deux mots.
ARONTE
« Tout vu.
Sur la production par nous examinée,
La Cour dit que Damon est de noble lignée ;
Le déclare Écuyer ; veut que la qualité
passe en loyal hymen à la postérité
Née et qui pourra naître ; ordonne qu’en la France
Ils jouissent des droits des nobles de naissance ;
Défend de les troubler, en vivant noblement,
Pour le nom d’Écuyer par lui pris justement. » [2010]
LICIDAS
C’est donner à tes maux de souverains remèdes.
DAMON
Les dieux en soient loués !
ARONTE [continue]
Fait à la Cour des Aides
Le treize de janvier.
LE PRÉSIDENT
Non, Monsieur, c’est le trois,
Six cent soixante et cinq, l’an, et le jour du mois.
Vu les conclusions du procureur du Prince
Et le désistement de Bousseau (qui nous pince),
Scellé de cire jaune, et signé du greffier.
ARONTE
Comment le nomme-t-il ?
LE PRÉSIDENT
Regardez bien.
ARONTE
Paulmier.
Mon voisin le connaît. Puisque la Cour l’ordonne,
Je le veux bien, Fanchon.
DAMON
Et vous ?
FANCHON
Je m’abandonne, [2020]
Puisque mon cher papa me le commande ainsi.
DAMON
Et moi, belle Fanchon, je m’abandonne aussi.
Vous ne me croirez plus noble à simple tonsure ?
FANCHON
Vous ne me croirez plus folle qu’en miniature.
Cette peinture agrée et de près et de loin.
DAMON
Que vos comparaisons viennent juste au besoin.
ARONTE
Allons tous chez ma sœur, pour la tirer de peine,
Et régler les moyens d’appointer Célimène. [2028]
LICIDAS
Monsieur le Président peut la désennuyer.
LE PRÉSIDENT
J’espère aussi, bientôt, passer pour Écuyer. [2030]
FIN
NOTES
[a] Académie : institution où l’on apprenait l’équitation.
[b] Chargé de lui "donner la main" pour l’aider à monter dans sa voiture et de l’accompagner dans ses sorties en ville.
[c] En charge de la nourriture.
[d] En 1659, le traité des Pyrénées avec l’Espagne a permis à la France d’annexer une partie de l’Artois et du Hainaut ; la frontière est donc reportée vers le nord.
[8] Ils sont venus à Paris pour montrer aux employés de la Cour des Aides les documents prouvant leur droit de porter le titre d’écuyer.
[10] Mazette : mauvais petit cheval.
[11] Répit : convocation assortie d’un délai (répit) accordé en raison de leur bonne foi présumée.
[19] Guêpins : surnom donné aux Orléanais.
[22] Plier la toilette : voler les vêtements de quelqu’un, et, par extension, le dévaliser (une toilette était un sac de toile dans lequel on mettait ses vêtements lorsqu’on voyageait).
[28] Mettre au billon : mettre au rebut, comme on le fait des pièces de monnaie défectueuses.
[35] Contrat : acte écrit destiné à faire preuve (ici, peuve de noblesse).
[38] Les hommes du Roi : les employés de la Cour de Aides.
[41] Chacun agit au nom de Thomas Bousseau.
[47] Camelot : étoffe originellement en poil de chameau, puis en poils de chèvre mêlés de laine, puis en laine tissée sur une chaîne de soie.
[48] Ballot ou balle : paquet de marchandises (en particulier d’étoffes) emballées dans de la grosse toile, tenu par des ficelles.
[49] Panne : étoffe de laine, de soie ou de coton à poils ras couchés, brillante, travaillée comme le velours.
[50] Rabat : grand col rabattu, comportant une partie retombant sur la poitrine, tenant office de cravate. — Franchipane ou frangipane : parfum dont on imprégnait les peaux servant à faire des gants (de Frangipani, nom de son inventeur romain).
[51] Ambrés : parfumé à l’ambre gris. — Martial était un marchand parfumeur à la mode, valet de chambre de Monsieur; Molière le cite comme gantier dans La Comtesse d’Escarbagnas, scène 5.
[53] Gland : ornement de bois, de métal ou de passementerie ayant la forme d'un gland et souvent terminé par des galons pendants ou des freluches.
[58] Train : suite de gens qui accompagnent une personne de qualité dans ses déplacements en ville.
[60] Assigner : sommer à comparaître.
[63] Faire quartier : faire grâce, faire preuve d’indulgence.
[65] Se marquiser : ici, se faire passer pour marquis.
[68] Contrairement aux autres personnages de la pièce, la noblesse de Licidas n’a pas fait l’objet de contestation.
[104] La version imprimée était "aujourd’hui qu’autrefois ; Claveret a indiqué, dans l’erratum, qu’il fallait lire "qu’hier au soir", pour respecter l’unité de temps.
[117] Brocard : étoffe de soie brochée d’argent (la brocatelle est une étoffe plus modeste).
[131] Solenniser : célébrer avec un cérémonial.
[156] L’ois-je : présent du verbe ouïr. — L’ai-je songé ? : est-ce que j’ai rêvé ?
[163] Fanchon entend "écurie" au sens de "titre d’Écuyer", d’où le quiproquo qui suit.
[193] De balle : de pacotille, peu de valeur, de mauvaise qualité ("rimeur de balle" dans Molière, Femmes savantes, III,3) ; primitivement, "marchandises de balle", marchandises que les colporteurs enveloppent dans une toile grossière.
[204] Les Petites Maisons est le nom donné à un asile d’aliénés de Paris créé en 1557. Originellement, il se nomme maladrerie de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, et se trouve à l’extrémité du quartier de Saint-Germain-des-Prés. En 1557, il est transformé en hôpital et déménage à la rue de Sèvres, dans le quartier du Luxembourg "pour des personnes insensées, faibles d’esprit ou même caduques". Le nom de cet asile vient des petites maisons basses (ou loges) qui entouraient les cours de l’établissement. Elles servaient à loger plus de 400 personnes qui étaient à la charge du Grand Bureau des Pauvres. Boileau: "Et qu’il n’est point de fou, qui par belles raisons / Ne loge son voisin aux Petites-Maisons…" — Mme de Sévigné : "Si cela était ainsi, je mériterais les Petites-Maisons et non pas votre haine" (lettre à Ménage, 1652). — La Fontaine : "J’aurai beau protester ; mon dire et mes raisons / Iront aux Petites-Maisons." (Les Oreilles du Lièvre, V, 4)
[215] Lanternier, dans Rabelais, Tiers Livre : celui qui débite des fadaises, des sottises.
[220] Folichon : Qui est d'une gaieté libre, légère, un peu folle.
[223] Chemin scabreux : chemin raboteux, rude, sur lequel il est difficile de marcher.
[250] Défaite : mariage (défaite = le fait pour des parents de réussir à se défaire de leur fille ; on disait d’une fille qu’elle était “d’une bonne défaite” si on pensait qu’elle serait facile à marier ; une marchandise “d’une défaite difficile” était une marchandise facile à écouler).
[253] Tout à l’heure : sur le champ.
[291] Arrêter les violons : engager les violonistes qui joueront à la noce.
[294] Ombre est au masculin, comme souvent au XVIe siècle.
[319] Ménagez votre amour : gouvernez votre affaire amoureuse.
[339] Bailler (ou donner) à garder à quelqu’un : berner quelqu’un, lui en faire accroire.
[340] Goguenarder : se moquer.
[367] Bretteur : qui aime à jouer de l’épée.
[374] Ravaler : abaisser, dénigrer, déprécier.
[376] Damon s’est rendu à Paris pour aller convaincre la Justice de l’authenticité de sa noblesse. Mais il est revenu en Picardie sans attendre la décision des juges.
[378] En l’occurrence, la cour des Aides, qui avait pour compétence le contentieux des impôts. Elle a été créée cour souveraine à Paris en 1425.
[418] Éveillés : en éveil, sur leurs gardes.
[419] S’inscrire en faux contre : nier la valeur de.
[420] Titres ou actes originaux constitutifs de noblesse. On appelle Titres originaux les premières grosses délivrées sur les minutes par les notaires ou autres officiers publics qui les ont reçues ; et expédition, les transcriptions faites sur les mêmes minutes par les notaires ou autres officiers publics qui en sont détenteurs, comme successeurs des premiers. Ces titres sont les contrats de mariage, création de tutelle, curatelle et de garde-nobles, partages, transactions, hommages, aveux, dénombrements, provisions de charges et places, etc. Les actes d'église n'étaient jamais admis en preuves de noblesse, mais de filiation seulement. Cependant, comme par les dérangements assez ordinaires dans les familles, ces premières grosses ou expéditions ne se trouvaient pas toujours, on admettait comme titres originaux les secondes grosses ou expéditions délivrées soit par les notaires soit par les greffiers, propriétaires des minutes ; et, dans ce dernier cas, il fallait faire légaliser, c’est-à-dire attester les signatures par le principal officier de la justice. Par un arrêt du 23 septembre 1666, les notaires, greffiers et autres personnes publiques étaient tenues de représenter leurs minutes aux préposés à la recherche des usurpateurs de noblesse ; et le 3 octobre 1667, le conseil d'État ordonna que la représentation des minutes serait exigée en preuves de noblesse. (D'après le Dictionnaire encyclopédique de la noblesse de France).
[423] Minute : original d'un acte notarié ou d'un jugement qui doit être conservé par le notaire ou le greffier du tribunal qui en délivrent des copies, grosses ou expéditions.
[429] Mirer : examiner à contre-jour (du vin, des œufs…).
[432] Produire : présenter une pièce, un document, un certificat à l’appui de sa cause.
[436] Exempt : officier de police qui procédait aux arrestations.
[439] Trompeter : claironner, proclamer à grand bruit. — Vergogne : honte.
[441] En héraldique, ornement surmontant l’écu et servant à désigner la qualité de la personne qui le porte.
[442] Bouffonner qqch ou de qqch : railler, se moquer de.
[443] La Chambre des Élus était chargée de trancher en première instance les contestations relatives à la répartition de certains impôts (dans le Tartuffe de Molière, au vers 662, est citée "Madame l’Élue").
[446] Asseoir qqn à qqch : établir qqn dans une certaine situation. — Le sel : l’impôt indirect sur le sel (appelé "gabelle"). — La taille : le seul impôt direct jusqu’en 1695 ; les nobles ne payaient pas la taille personnelle, qui était assise sur les facultés des taillables qu’appréciaient des collecteurs d’impôts.
[453] Queue : extrémité d’une robe qui traînait par terre à l’arrière et qui nécessitait d’avoir un porte-queue, souvent un jeune domestique.
[455] Carreau : coussin (par ex. sur lequel on s’agenouillait à la messe).
[458] Insulte pouvait être un mot masculin.
[460] Filiations : on exigeait que la noblesse remontât de trois à cinq générations.
[462] Relief : droit que le seigneur recevait de son vassal, lors de certaines mutations ; on pouvait éviter un droit aussi onéreux en versant chaque année une rente au suzerain; on était alors en régime de “relief abonné”. — Partage : acte qui contient la division d’une succession.
[466] Phénix : oiseau qui n’existe que dans la fable.
[467] Achevé : parfait dans son genre, répondant à toutes les conditions.
[468] Cordon bleu : appartenant à l’ordre du Saint-Esprit. — Relevé : de noble condition, de qualité.
[476] Contrat débile : titre insuffisamment probant.
[489] Ressort : circonscription territoriale dans laquelle s’exerce la juridiction d’un tribunal.
[494] Ladrerie : cysticercose musculaire, maladie parsaitaire des porcins provoquée par le développement dans les muscles de larves du ténia, qui les rend impropres à la consommation.
[495] Langueyeur : homme chargé d’examiner le dessous de la langue des porcs soupçonnés de ladrerie ; des kystes ou vésicules dans la muqueuse buccale sont révélatrices de la maladie.
[504] Traitant : celui qui se chargeait du recouvrement des deniers publics à des conditions réglées par un traité.
[534] Le titre d’Écuyer ne leur a pas rapporté un sou (une maille).
[537] Bélître : homme qui n’est pas mieux considéré qu’un mendiant.
[538] Percés de coups : portant des blessures reçues à la guerre.
[539] Son bel entretien : l’agrément de sa conversation.
[561] Brave : bien vêtue, bien parée.
[562] Elle prétend qu’on la traite en esclave.
[570] Atterrer : accabler, consterner, affliger.
[574] Grimace : comportement feint.
[587] Oison : fille sans intelligence.
[600] C’est parce que vous êtes en colère que vous la dépeignez aussi mal.
[615] Recevoir son compte (ou son paquet) : s’entendre dire des choses désagréables.
[626] Baiser la botte (ou les bottes) : faire son compliment avec soumission. — D’importance : avec force. [636] Entendu : compétent.
[659] La noblesse de robe rassemblait tous les nobles qui occupaient des fonctions de gouvernement et de justice, principalement dans la justice et les finances. Ces personnes devaient, notamment dans le cas des juristes, avoir fait des études universitaires et donc revêtir la robe ou toge des gradués de l'université. Ils furent surnommés robins, hommes de robe, et le groupe qu'ils formaient "noblesse de robe". Cette expression s'oppose à celle de "noblesse d'épée", c'est-à-dire aux nobles occupant les traditionnelles fonctions militaire de leur groupe social.
[676] Ustensile : droit pour les troupes de passage de prendre logement chez l'habitant (« avoir le lit, le pot et place au feu et à la chandelle ») ; l'ustensile était quelquefois fourni en argent.
[680] Les procès en appel se tiennent tous à Paris.
[688] A Paris, l'Arsenal royal s'est implanté au milieu du XVIe siècle entre le couvent des Célestins et un bras de Seine, boulevard Morland. Á l'origine, l'Arsenal est non seulement un lieu militaire et "industriel" où l'on fond et entrepose des canons et des armes, oú l'on fabrique de la poudre, mais également la résidence du grand-maître de l'Artillerie.
[700] Un demi-setier <de vin> : un quart de litre.
[706] Caresser : flatter, faire compliment.
[731] Avoir le pas : par droit de préséance, avoir le droit de marcher le premier.
[768] Barbe : cheval de selle, de race orientale, venant souvent du Maroc.
[769] Isabelle : de couleur jaune pâle.
[770] Bai : rouge brun. — Rouan : poil mêlé de blanc, de gris et de bai — Hirondelle : bleu très sombre, noir bleuté.
[772] Le grand Carrousel de 1662.
[773] Peut-être Armand de Bourbon, prince de Conti.
[778] École : exercice dans le manège, la "haute école" étant constituée d’excercices de voltige.
[779] Guilledin : cheval anglais qui va l’amble.
[781] Cheval bien ouvert, cheval qui a les jambes, particulièrement celles de devant, éloignées comme il faut l'une de l'autre. Courbette : air relevé de manége consistant en un saut dans lequel le cheval lève et fléchit les deux membres antérieurs, pendant que, tenant les hanches basses, il les avance sous le ventre.
[782] Lunettes de cheval, sorte de petits ronds de feutre qu'on met sur les yeux d'un cheval vicieux.
[785] Passade : course d'un cheval qui se compose le plus souvent d'une demi-volte, faite rapidement aux deux extrémités d'une piste, pour revenir au point de départ. — Volte : mouvement que le cavalier fait exécuter au cheval en le menant en rond ; dans la volte, le cheval plie les reins, le dos et les membres supérieurs, trousse les jambes de devant et chasse les hanches sous le ventre.
[791] Caveçon : demi-cercle de fer, qu'on met au nez des chevaux, pour les dompter par la contrainte qu'il leur cause en leur serrant les narines. — Filet : bridon léger à mors articulé, remplaçant la brise ordinaire pour les chevaux de tirage commun, pour les chevaux de course, pour ceux qu'on mène à la promenade ou à l'abreuvoir.
[792] Chapelet : couple d'étrivières, garnies chacune d'un étrier, qui s'attachent au pommeau de la selle.
[793] Manège : lieu couvert entouré de murs, où se pratiquent les exercices d’équitation. — Carrière : sorte de manège à découvert dans un haras.
[797] Chambrière : fouet léger à long manche.
[800] Louis de France dit le Grand Dauphin, fils de Louis XIV, avait quatre ans en 1665.
[801] Créat : sous-écuyer dans une école d’équitation.
[803] Cheval alezan : cheval dont le corps est recouvert de poils rouges ou bruns plus ou moins foncés, les crins et les extrémités étant de même couleur ou d'une nuance plus claire ; on distingue l'alezan fauve, l'alezan clair, l'alezan cerise, l'alezan doré, l'alezan châtain, l'alezan brûlé.
[804] Bague : anneau qu'on suspend à un poteau, au bout d'une carrière où l'on court la bague.
[813] Arçon : pièce de bois cintrée à l’avant et à l’arrière de la selle.
[814] Nerver : coller des nerfs (ou ficelles) sur le bois.
[816] Les quartiers d'une selle sont les parties sur lesquelles portent les cuisses du cavalier. — Roussi : cuir teint en rouge ou en brun, et qui vient de Russie.
[819] Contre-sangle ou contre-sanglon : courroie clouée sur l'arçon de la selle, et qui sert à arrêter la boucle de la sangle.
[820] Panneaux : coussinets placés sous les bandes de l'arçon d'une selle.
[821] Epluchée : débarrassée des bourres, des peluches.
[828] Chaperon : pièce de cuir qui recouvre les fourreaux des pistolets pour les garantir de la pluie.
[834] Etrivière : courroie fixée à la selle, à laquelle est suspendu l’étrier.
[854] Hoc : ma fille vous est assurée (expression empruntée à l’ancien jeu de hoc, un jeu de cartes).
[869] Offrande : procession en usage à certaines messes, pendant laquelle les fidèles vont baiser la patène présentée par le prêtre et offrent leurs dons.
[875] Bonnet carré : toque portée par les juges.
[923] Fronder : railler qqn dont on conteste l’autorité.
[933] Arnantel dit Decourt, chef des Espagnols dans Amiens.
[935] Noix : allusion à une ruse qui permit aux Espagnols d’entrer dans Amiens. "Trente ou quarante soldats, déguisés en paysans, s’avancèrent, précédés de trois chariots dont l’un était chargé de pieux et couvert de paille. Parvenu sous la porte Montre-Écu, ce dernier chariot s’arrêta. Alors ceux qui le conduisaient coupèrent les traits des chevaux et le laissèrent à l’endroit où la herse était suspendue, afin qu’on ne pût la baisser. Au même instant, un des soldats qui suivait le chariot et qui portait un sac de noix, ayant fait semblant de le relever sur son dos, le délia si adroitement que presque toutes les noix qu’il contenait roulèrent par terre. La garde, qui n’était composée que de malheureux artisans, se jeta aussitôt sur ces noix. Mais, tout à coup, les Espagnols, saisissant les armes qu’ils portaient sous leurs jacquettes de toile, firent main-basse sur ceux qui les ramassaient et s’emparèrent du corps de garde. Cependant la sentinelle placée au haut de la porte, entendant les cris des blessés, coupa la corde de la herse, qui tomba sur le chariot, s’y arrêta et ne put ainsi fermer l’entrée de la ville aux assaillants." (Dusevel, Histoire de la ville d’Amiens, p. 204).
[950] A simple tonsure : qui n’est pas fort habile (pour un docteur, un avocat).
[954] Manger sa chemise : dépenser ses derniers sous.
[961] Fin à dorer : très fin, par allusion à l'or qui doit être très fin pour être employé en dorage. — Argus : qui voit tout, difficile à tromper (comme l’Argus de la mythologie à qui l’on donnait cent yeux).
[963] Sourdaud : qui est dur d’oreille.
[965] A veuglette : à l’aveuglette.
[970] Sa mine est éventée : son stratagème a été découvert.
[985] Grimoire : Livre de sorcellerie, qui donne, entre autres recettes, le moyen d’évoquer des démons.
[1110] Mouchoir de cou, morceau d’étoffe qui cache le haut de la poitrine des femmes (dans La Fontaine, Le Jardinier et son seigneur, [Le seigneur] Auprès de lui la fait asseoir [la fille du jardinier], Prend une main, un bras, lève un coin de mouchoir…)
[1114] Quinola : valet de cœur au reversi ; d’où valet chargé de mener une dame.
[1122] Meneux ou meneur : celui qui accompagne une dame et lui donne la main pour l’aiderà marcher (Dans le Roman comique de Scarron, I, 13 : "Il s'était fait écuyer ou meneur d'une dame de Paris assez riche.")
[1143] Cours : lieu de promenade en dehors de la ville.
[1149] Oblat : moine laïque, que le roi mettait dans chaque abbaye de sa nomination, et qui était ordinairement quelque vieux soldat.
[1168] La Place Royale (devenue place des Vosges en 1848) avait été inaugurée en 1612.
[1198] Tabarin (selon Voltaire, Dictionnaire philosophique) : "Tabarin, nom propre, devenu nom appellatif. Tabarin, valet de Mondor, charlatan sur le Pont-Neuf du temps de Henri IV, fit donner ce nom aux fous grossiers." Tabarin était mort en 1626.
[1233] Demander quartier : demander grâce.
[1247] Le roi a désormais le pouvoir de se faire obéir dans tout le royaume.
[1250] Entre juin 1643 et octobre 1711, Louis XIV promulgua pas moins de onze édits interdisant le duel et renforçant les peines.
[1259] Rencontre : duel non prémédité.
[1276] Marotte : attribut de la Folie.
[1282] De volée ou de bond : d’une manière ou d’une autre (emprunt au vocabulaire de la balistique).
[1368] Quitter : dispenser, tenir quitte.
[1390] Ruer : Être porté, frappé, en parlant de coups. cf. "Tous les matins, il [Monseigneur] allait prendre du chocolat chez Mlle de Lislebonne ; là se ruaient les bons coups", Saint-Simon, 96, 15. "Apparemment que les grands coups s'y ruaient [chez Mme de Maintenon] pour le successeur [de Chamillart]", Saint-Simon, 235, 136.
[1395] Fureter : Chercher, fouiller partout.
[1506] S’amasser : se regrouper.
[1524] On disait que le lait des vaches de race brune était le meilleur !
[1553] Quatre rois : Henri III (avant 1589), Henri IV, Louis XIII, Louis XIV (après 1643). Il est donc resté une soixantaine d’années au service de la monarchie.
[1556] Peu vraisemblable : la « reine Margot », fille d’Henri II et de Catherine de Médicis, née en 1553, a passé dix-huit ans en Auvergne (entre 1587 et 1605) et n’est restée à Paris que dix ans (entre 1605 et sa mort en 1615)
[1582] = Vous jugez sans doute que seul un Écuyer est digne de croiser le fer avec vous.
[1597] Les nobles condamnés à mort avaient le privilège d’être exécutés par décollation et non par pendaison.
[1615] Paresse : lenteur nonchalante.
[1639] Amble : allure dans laquelle le cheval lève ensemble les deux jambes du même côté, alternativement avec celles du côté opposé. Ici, il va l’amble : il a l’esprit fatigué.
[1643] En écharpe : comme le bras malade soutenu par une écharpe passée autour du cou, d’où, ici, l’esprit malade, confus.
[1648] Sac dans lequel on enfermait les papiers, en particulier en vue d’un procès. Les quilles avec le sac pour les ranger sont à l'origine de plusieurs expressions : Trousser (ou prendre) son sac et ses quilles (s'en aller, décamper) - Donner à quelqu'un son sac et ses quilles (mettre quelqu'un dehors, s'en défaire, le chasser) - Avoir son sac et ses quilles (être chassé) - Ne laisser aux autres que le sac et les quilles (prendre le meilleur et laisser aux autres ce qui ne vaut rien, proprement prendre l'argent du jeu et ne laisser aux autres que les quilles et leur sac). Voir La Fontaine (L'huître et les plaideurs) : "Mettez ce qu'il en coûte à plaider aujourd'hui; / Comptez ce qu'il en reste à beaucoup de familles; / Vous verrez que Perrin tire l'argent à lui, / Et ne laisse aux plaideurs que le sac et les quilles."
[1674] Si elle se remarie, Damon perd sa fortune.
[1701] Empaumer qqn : se rendre maître de son esprit (cf Molière, École des femmes, III, 5 : "Je vois qu’il a, le traître, empaumé son esprit".)
[1736] Courir qqn : le poursuivre. — Eventer : trouver la trace de (comme, à la chasse, le chien trouve la voie d’un lièvre).
[1741] Diable-enrhumé : terme de couleur ; dans Le railleur ou la Satyre du temps, comédie d’André Mareschal (1638), Clorinde décrit le vêtement de Clarimand :"A cause du faux jour et d'un volet fermé / Je pensais que ce noeud fût de Diable enrumé; / Je suis d'avec vous pour l'Espagnol malade, / La couleur en est morne, insensible et trop fade."
[1756] De paille : sans valeur.
[1765] Cascaret : homme d’apparence mince et chétive (Littré).
[1787] Gobelin : esprit follet.
[1792] Clocheteur (des trépassés) : homme qui précédait les convois funèbres en tenant à la main une clochette qu'il faisait sonner de temps en temps.
[1832] Rémissible : digne d’être pardonnée.
[1846] Berner qqn : le faire sauter sur une couverture en signe de moquerie.
[1869] Faire l'entendu : agir en personne qui s'entend aux choses, et, le plus souvent, en un sens défavorable, faire l'important, le capable.
[1872] Lier sa partie : "il a bien (ou mal) lié sa partie" signifie "il a bien (ou mal) concerté son entreprise".
[1882] On considère que l’or pur est composé de 24 carats. Au sens figuré, "ignorant à vingt-trois carats" signifie "presque totalement ignorant"; "noble à plus de vingt carats" exprime une noblesse d’une grande pureté.
[1885] Le César armorial, ou Recueil des armes et blasons de toutes les illustres, principales et nobles maisons de France, curieusement recherchez et mis en ordre alphabétique, par le sieur de Grand-Pré, Paris, H. Legras et M. Bobin, 2e éd. 1654.
[1980] "La coutume de dire matines dès le soir vers les quatre à cinq heures pour le lendemain est si répandue que je ne crois pas qu'on en doive faire aucun scrupule." Bossuet, Lett. abb. 39.
[1985] Epithalame : petit poème pour célébrer un mariage.
[2028] Appointer qqn : régler son sort.