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M. CHAUVEAU

L'HOMME DE COUR

comédie


 

Chauveau a voulu mettre sur le théâtre, sous le nom de Floricour, « l'homme de Cour », alors présenté par les moralistes comme « un fourbe et un scélérat », que ce soit dans le Berger Fidèle de Guarini, dans les Caractères de La Bruyère ou dans les Remarques sur la langue française du P. Bouhours.

Il a fait aussi de son personnage un gourmand et un libertin couvert de dettes, ce qui a permis d'y voir une image du maréchal de Richelieu, l'ami de Voltaire : C'est ce qu'avance le bibliophile P.-L. Jacob dans le Catalogue de la Bibliothèque dramatique de Monsieur de Soleinne, tome II, p. 156, n° 2018 : « Quoique l'auteur "proteste contre toute application personnelle, directe ou indirecte", on peut croire qu'il a en vue le maréchal de Richelieu dans le personnage de Vassigny, duc de Floricour. On comprend qu'il ait attendu pendant quinze mois une lecture à la Comédie Française, qui était alors sous l'autocratie du maréchal. »

L'Homme de Cour a finalement été imprimé à Londres en 1767.

La pièce se déroule dans le XVIIIe siècle, alors que l'Alsace subit la pression des armées de l'Empire, en particulier de côté de Brisach. Le duc de Floricour est un « homme de Cour » qui cumule tous les vices. Il a réussi à s'incruster, à Auteuil, chez la comtesse Cidalise, une coquette pour laquelle il n'a que du mépris, mais dont il a fait sa maîtresse depuis que son mari, le comte de Mirmon, a été donné comme mort. C'est qu'il convoite la fortune de la belle-fille de la comtesse, la jeune et belle Florise, qu'il compte bien épouser. Mais cette Florise est fiancée à un jeune colonel alsacien, Dulis. Floricour, avec l'accord de Cidalise, doit donc éliminer ce rival. Dulis lui facilite la tâche en lui apprenant qu'il a le projet de s'enfuir en Alsace avec Florise. Le plan de Floricour est de dénoncer Dulis au Ministre comme un traître qui veut livrer aux Impériaux l'Alsace devenue française. Floricour a pour complices le chevalier d'Orcy, son frère l'abbé d'Orcy, ainsi que le valet de Dulis, Clairvaux, qu'il a corrompu en lui promettant la main de la femme de chambre de Florise. Le retour inattendu du comte lui complique un peu la tâche. Toutefois, grâce à de fausses lettres, il est sur le point de réussir en faisant arrêter Dulis lorsque le valet Clairvaux, repentant, révèle tous les détails du complot ; c'est qu'il a compris que Floricour a l'intention de l'éliminer une fois son forfait accompli. A la fin, la vertu triomphe du vice : Floricour et les frères d'Orcy seront sans doute sévèrement punis par le Roi, Cidalise finira sa vie dans un couvent et Dulis, soutenu par Mirmon, épousera sa Florise…

Le contexte historique

Au sud, la Provence est menacée par la « Barbarie » africaine et la France a dû intervenir dans la région de Tunis, « foudroyant » la ville et « désolant ses rivages », tout en prenant des otages à Alger et à Tripoli. Finalement soumis, les Africains ont demandé la paix. (I,4)
Au nord, la France doit résister à la pression sur l'Alsace  des « Germains réunis » (I,4). L'Alsace, « autrichienne de coeur » selon Mazarin, mal défendue par « le corps germanique », a été progressivement soumise par la France. En 1648 se sont terminées les incursions françaises.  À la suite du traité de Westphalie, l'Autriche a cédé au royaume de France une partie de l'Alsace, principalement le sud de la région (la République de Mulhouse conservant son statut de ville indépendante). En 1681, la ville libre impériale de Strasbourg a été assiégée par les troupes de Louis XIV, et a dû se rendre. Strasbourg n'a été annexée par la France qu'en 1697 par le traité de Ryswick. L'Alsace sera alors à partir de 1697 gouvernée par un intendant siégeant à Strasbourg et par le conseil souverain à Colmar, la région conservant largement son autonomie.
Mais l'Alsace devenue française « sent encore beaucoup la Germanie » (I,6) et, toujours convoitée par l'Empire, elle pourrait subir l'assaut des Autrichiens. Les troupes impériales envisageraient même de reprendre la place-forte de Brisach (assiégée et prise en 1638 par le duc de Weimar et le vicomte de Turenne, puis en 1677 par le maréchal de Créquy, rendue à l'Empire par les traités de Ryswick, assiégée et prise en 1703 par Vauban. En 1704, les Impériaux ont tenté de reprendre la ville, par la ruse, mais sans succès. La ville sera rendue à l'Empire après le Traité de Rastatt en 1714.
Dulis, né en Alsace d'aïeux allemands, possédant plusieurs châteaux sur les frontières de la province (II,4), est Français « dans le coeur » (III,2), pourtant on le traite de « Germain » (III,12). Pour lui, se réfugier en Alsace, c'est quitter sa patrie pour aller à l'étranger. C'est avec une certaine vraisemblance qu'on l'accuse d'intelligence avec l'ennemi : il pourrait très bien aider les troupes de l'Empire à entrer dans Brisach (III,11).


Dès sa publication, L'Homme de Cour a fait l'objet d'un long compte rendu plutôt élogieux dans L'Année littéraire, 1767, tome 5, p. 30 à 41.

L'Homme de Cour, comédie en cinq actes et en vers, par M. Chauveau

L'auteur, dans sa Préface, nous apprend qu'il y a quinze mois qu'il a présenté cet ouvrage aux Comédiens et  que, las d'espérer une lecture et de se plaindre des délais, il l'a retiré pour le faire imprimer ; on en trouve des exemplaires à Paris chez Barbou rue des Mathurins, Panckoucke rue de la Comédie Françoise, et la veuve Duchesne rue Saint-Jacques. M. Chauveau a tracé son principal personnage d'après l'idée qu'en donne le Père Bouhours et différents écrivains moralistes qui ont peint l'Homme de Cour en noir.

Vassigny duc de Floricourt demeure à la campagne, à Auteuil, chez Cidalise, femme du comte de Mirmon, vieux marin absent et cru mort pendant les premiers actes. Il fait une cour assidue à la comtesse, qui est flattée se voir recherchée par un homme de son rang ; le Duc est amoureux de la fille, et dispose la mère à la lui donner pour épouse. Dulis, jeune Seigneur Alsacien et Colonel, est amant aimé de Florise (c'est le nom de cette jeune demoiselle) ; le père, qui l'aimait beaucoup, voulait les unir. Le Duc travaille en secret à perdre son rival, qui conserve toujours ses prétentions et ses espérances. Dulis se propose de fuir en Alsace avec Florise ; Dalais jeune poète, secrétaire du Duc, est ami de Dulis ; il doit le suivre, ainsi que le valet de chambre du Duc. Dalais apprend cette nouvelle à La France (c'est le valet de chambre) ; il lui peint l'Homme de Cour :

Son rang n'est qu'un triste esclavage.
Le sort de l'artisan est cent fois plus heureux.
Tu crois qu'un Grand doit être au comble de ses vœux…
Eh ! tu l'as vu dormir. Il s'agite, il s'écrie ;
Le sommeil est toujours le miroir de la vie.
L'espérance, la crainte et mille autres soucis
L'éveillent en sursaut sous ses riches lambris ;
Des songes effrayants voltigent sur l'estrade
Et la voix des remords perce la balustrade.
Il est vrai qu'en mettant un frein à ses désirs
Ses jours seraient filés par la main des plaisirs.
Mais, comme il suit toujours ses passions pour guides,
L'abus de tous les biens les lui rend insipides.
La faiblesse, l'ennui, la mauvaise santé,
Les chagrins, les dégoûts dont il est infecté
Sont la suite et les fruits de son intempérance.
La faveur est le dieu qu'en secret il encense.
Au char de l'inconstante il croit voir le bonheur.
Il n'a pas un ami. Conçois-tu ce malheur.
L'envie est dans son cœur un vautour qui le ronge.
Forcé de se masquer, sa vie est un mensonge.
Mais son trouble secret est gravé sur son front.
Un mot du Souverain l'enivre ou le confond.

Ces inconvénients sont attachés à la vie d'un courtisan ; mais Floricourt y joint une âme atroce ; pour perdre Dulis il a formé mille intrigues ; il l'a rendu suspect au Ministre par une lettre dans laquelle on a contrefait son écriture et qui est adressée aux ennemis de la France ; il lui fait conseiller sous main, par une de ses créatures, de fuir et d'enlever Florise, tandis qu'il s'occupe du soin de prévenir l'enlèvement ; c'est un Abbé, créature du Duc, qui vient donner ce conseil à Dulis ; il lui fait entendre adroitement que le Duc le perd, qu'il doit être arrêté le soir même. Dulis désespéré va tout préparer pour fuir avec Florise ; pendant ce temps le Duc développe de plus en plus son caractère affreux dans des scènes qui ne tiennent point à l'intrigue ; il vend les bienfaits qu'il obtient pour les personnes qui le prient de s'intéresse rà elles. Un charlatan offre mille écus pour avoir le privilège de vendre par tout le Royaume un remède de sa composition. L'Ecuyer du Duc, qui est l'entremetteur de ces sortes d'affaires, ne conçoit pas les talents de son maître pour réussir ; le Ministre abhorre ces sortes d'affaires ; le Duc répond :

Vraiment oui, lorsqu'il peut pénétrer ces mystères.
Mais j'ai toujours grand soin de ne lui demander
Que ce que je prévois qu'il voudra m'accorder.
Cela dépend du tour qu'on peut donner aux choses.
Parexemple, aujourd'hui ce que tu me proposes
Me paraît très facile et je crois réussir.
Je vais faire exalter ce nouvel Élixir ;
Mes suppôts le vantant comme un remède utile
Et lui donnant Fabry pour un Chimiste habile,
Le Ministre qui veille, et craint que dans les Arts,
Un homme de mérite échappe à ses regards,
Disposé par ces bruits, donnera dans le piège
Et je suis presque sûr d'avoir ce Privilège.
Un Ministre a beau faire… ignorant nos détours,
Les plus fins y sont pris : nous les trompons toujours.

Le Duc communique à Cidalise la lettre qu'il a fait écrire pour perdre Dulis ; elle la trouve admirable ; elle a cependant des remords ; le Duc rit de sa faiblesse ; Cidalise lui dit :

Quoi, toutes les vertus seraient donc idéales ?
FLORICOUR
Eh ! parbleu ! ce ne sont que des choses locales.
Le vice et la vertu ne font que de grands mots
Qui n'éblouissent plus que le peuple et les sots.
On ne songe à la Cour qu'à tromper le vulgaire ;
Et lorsque la vertu, cette vieille chimère,
Vient prêter au discours des traits forts ou touchants,
C'est un frein pour le peuple, et du bruit pour les Grands.
Je conviens cependant qu'on respecte l'idole ;
Mais vous pouvez aussi croire sur ma parole
Que les gens comme nous se moquent de l'abus.
Son nom sonne à l'oreille et n'en impose plus.

Le Duc a grand soin de prévenir Cidalise qu'il ne faut jamais nuire à demi ; elle s'abandonne au Duc, qui fait ensuite sa toilette ; on lui amène un laquais qui s'est présenté ; mais il n'a que cinq pieds six pouces : il n'en veut point. Son Gouverneur, qu'il avait perdu de vue depuis longtemps, entre,malgré la résistance des gens ; il remet un mémoire au Duc, en le priant de la donner au Minsitre, à qui il demande qu'on lui rende une pension qui a été supprimée. Le Duc lui promet tout et le renvoie ; un moment après, il a besoin de papier pour faire un cornet dans lequel il veut mettre des pistaches ; n'en ayant point assez tôt, il se sert du mémoire de son ancien Gouverneur.

Dulis, cependant, a tout préparé pour prendre la fuite, et le Duc pour le faire arrêter. Dans ces circonstances, on apprend que Mirmon a paru à la Cour ; un instant après on vien dire au Duc que l'Exempt, les Archers n'ont pu arrêter Dulis ; tandis que le Duc se désole, on vien l'assurer que Florise est de retour, que l'enlèvement a fait du bruit et que Dulis sera arrêté dans une heure. Dulis, affligé, revient avec fureur, résolu de se battre avec le Duc, qui se moque de lui. Dulis lui reproche sa lâcheté.

Je connaissais bien mal un Français du bel air.
Mais je vois aujourd'hui qu'un jeune Sybarite,
Dont l'art de la toilette est le premier mérite,
Qui, traînant après soi tout le faste des Cours,
Semble dans les combats mené par les amours,
Sous les traits d'un héros cache une femmelette.

Floricurt s'emporte à ce reproche, met l'épée à la main, et répond à Dulis :

Ce n'est point à Paris, dans le sein de la paix,
Que vous devez juger des courtisans français.
Ce n'est qu'aux champs de Mars qu'on voit ce que nous sommes ;
L'honneur dans ces moments nous rend plus que des hommes.
Vous nous verrez toujours, au milieu des combats,
Traînant tous les plaisirs et les jeux sur nos pas,
Par des chemins de fleurs voler à la victoire,
Revenir couronnés, ou morts couverts de gloire.

Pendant qu'ils se battent, un Exempt arrête Dulis ; le Duc feint d'en être affligé ; Mirmon arrive ; il a un ordre du Roi pour se faire remettre Dulis et pour juger cette affaire ; Dulis se justifie à ses yeux ; Clairvaux, valet de Dulis, vendu à l'Abbé, qui a tramé toutes ces maneuvres, rend à son maître une bourse que cet Abbé lui avait donnée pour reconnaître ses services, et fait entendre qu'il ne l'a reçue que pour porter une lettre qu'il n'a pas remise ; cette lettre charge Dulis ; c'est Clairvaux qui a contrefait l'écriture de son maître. Mirmon est accablé ; il ne décide encore rien ; Clairvaux cependant a des remords ; il conçoit que cette aventure peut se découvrir et qu'il sera pendu ; il voudrait bien savoir si le Duc est pour qielque chose là-dedans ; il se cache sous un canapé pour 'écouter ; le Duc vient avec l'Abbé ; ils se réjouissent de voir tout réssir au gré de leurs vœux ; mais ils craignent Claivaux ; il est consigné aux Archers qui gardent la maison ; le Duc fait entendre à l'Abbé que Clairvaux jaserait avant que d'être pendu ; ilpropose à l'Abbé de le faire sauver par une porte secrète ratqiuée endant l'absence de Mirmon.

Afin de préparer ce qui t'est nécessaire,
Dis-lui dans un moment de passer chez ton frère.
Tu connais la vertu de cette mixtion
Qui ne porte jamais de marques de poison
Mais dont l'effet est sûr en moins de vingt-quatre heures.
Fais venir un bouillon… les viandes les meilleures ;
Et puis tu lui dira, tout naturellement,
De manger un morceau, de faire promptement
Qu'il sorte, qu'il s'éloigne autant qu'il est possible :
S'il échappe une fois, il devient invisible.
Clairvaux près d'un buisson ira mourir ailleurs
Et tu l'arracheras à de plus grands malheurs.
L'Abbé est révolté de cette proposition ; le Duc lui répond :
Nature, humanité : voilà de ces grands mots
Que l'esprit a trouvés pour amuser les sots.
Eh ! vois le monde en grand : lorsqu'un homme succombe,
C'est un fruit qui se sèche, une feuille qui tombe.
D'ailleurs, point de milieu : tu te perdras, ou lui.
Dis-moi, qui s'est jamais immolé pour autrui ?
Clairvaux est dangereux : il fait bien qu'il périsse.
Le sort en nous servant creusait son précipice.
Mais les moments sont chers : j'ai bien lu dans ses yeux,
Il se repend, il tremble, il en est furieux.
Si tu vas l'épargner, tu seras sa victime.

L'Abbé consent à regret ; Clairvaux, qui a entendu toute cette scène, vole à la chambre du Duc, enfonce une malle, y prend des papiers qui justifient Dulis. Le Duc conserve son caractère abominable, et se retire . Dulis épouse Florise ; on chasse Clairvaux ; on arrêre l'Abbé ; Cidalise est enfermée dans un couvent .
**
Cette pièce est l'ouvrage d'un jeune homme ; je lui conseille de prendre des caractères moins odieux que son Homme de Cour : la manière dont il a traité ce sujet ne pouvait que nuire à l'agrément de sa pièce ; il est difficile de plaisanter dans les circonstances ou il met ses personnages ; ou du moins les plaisanteries ne sont pas à leur place ; le frivole, le léger, le brillant qu'il a voulu prêter à son premier personnage est gâté par la morale qui révolte. Dulis et Florise pouvaient être aussi un peu plus intéressants ; le premier surtout aurait dû contraster davantage avec le Duc. L'arrangement que ce dernier propose à Cidalise en épousant sa fille ne peut être présenté sur aucun théâtre un peu décent. Malgré ces défauts, bien pardonnables à son âge et à son inexpérience, l'auteur annonce beaucoup d'esprit, un talent assez marqué pour mériter d'être encouragé, et une facilité très heureuse dans le style ; il y a des morceaux bien écrits dans cet ouvrage, le premier qu'il ait donné au public. Enfin, je pense qu'il peut espérer des succès dans la carrière de la Comédie, lorsqu'il choisira mieux, qu'il envisagera sous des faces moins tragiques, et qu'il traitera plus comiquement ses sujets.


RÉSUMÉ DÉTAILLÉ :


Sous Louis XV, à Auteuil, près du bois de Boulogne, dans l'hôtel du comte de Mirmon. C'est l'époque (vers 1743) où la France était attaquée non seulement en Afrique, mais aussi, sur sa frontière du nord, par l'Empire, qui convoitait l'Alsace.

Le comte de MIRMON, un vieux marin, a eu d'un premier mariage une fille, FLORISE, qui a pour femme de chambre MÉRILLE. Puis il s'est remarié avec une coquette désagréable, CIDALISE.

Il a un ami, DULIS, un jeune colonel alsacien né d'aïeux allemands, qui est amoureux de Florise et en est aimé. Dulis a un valet, CLAIRVAUX, qui est amoureux de Mérille.

Le comte, avant de partir en campagne en Barbarie (Afrique du nord), avait décidé qu'à son retour il prendrait sa retraite : il transmettrait alors sa charge militaire à Dulis et lui accorderait la main de sa fille Florise.

Mais le Comte, après de glorieuses victoires en Barbarie (Tunis, Tripoli), disparu en mer, a été donné pour mort.

Alors Cidalise, se considérant comme veuve, a attiré chez elle un certain Vassigny, un intriguant qui s'était donné le nom de duc de FLORICOUR. Cet « homme de Cour », libertin et sans scrupules, s'est installé dans un appartement de l'hôtel de la Comtesse, en même temps que son secrétaire, DALAIS, et son valet LA FRANCE, l'un et l'autre maltraités par leur maître.

Cidalise, entichée de Floricour, s'est laissée gruger par lui en payant toutes ses dettes, alors qu'en réalité Floricour est amoureux de Florise et compte bien l'épouser (surtout jouir de sa fortune). Cidalise, pour le retenir près d'elle, est prête à favoriser son mariage avec Florise. Aussi fait-elle tout ce qu'elle peut pour empêcher le mariage de Dulis, et cela avec la complicité de l'oncle et du tuteur de Florise.

* *

Quand la pièce commence, Dulis a conçu le projet d'enlever Florise et de rentrer avec elle en Alsace, en même temps que son ami Dalais et le valet La France, tous deux fort contents de quitter l'insupportable Floricour. Dulis croit que Floricour et Cidalise sont favorables à son projet de fuite et à son mariage avec Florise.

En réalité Dulis est victime d'un complot. Floricour intrigue pour l'éliminer, ce qui lui permettrait d'épouser Dorise. Il s'agit de faire croire au Ministre que l'Alsacien Dulis est un traître dangereux pour l'État parce qu'il complote avec l'Empereur de Germanie et que son projet de fuir en est une preuve parmi d'autres. Les complices de Floricour sont le CHEVALIER D'ORCY (capitaine réformé, écuyer de Floricour) et son frère l'ABBÉ D'ORCY (à qui Floricour a promis de faire obtenir une abbaye).

La première manoeuvre a consisté, pour l'Abbé, à faire entrer son valet Clairvaux au service de Dulis et à se le concilier en lui promettant, en échange de ses services, la main de Mérille, la femme de chambre de Dorise. Clairvaux annonce donc à son nouveau maître qu'il ne le suivra pas dans sa fuite, sous le prétexte qu'il ne veut pas se séparer de Mérille, qui doit rester à Auteuil.

Ensuite, une fausse lettre, écrite par l'abbé D'Orcy, a révélé au Ministre que Dulis est sur le point de favoriser l'entrée en Alsace des Autrichiens. Dulis devrait donc être arrêté et envoyé  à Vincennes.

De plus, on se dispose à faire écrire par Clairvaux, imitant l'écriture de Dulis, une autre fausse lettre confirmant une intrigue avec les ennemis. Cette lettre, glissée chez Dulis, serait découverte quand on perquisitionnerait chez lui. Cidalise, d'abord réticente, accepte à condition qu'il ne soit fait aucun mal à Dulis.

Dans l'immédiat, le plan de Floricour, auquel Dulis n'a pas caché son intention de partir en Alsace avec Florise, est de l'avertir qu'il est accusé de trahison et de l'engager à fuir au plus vite. Ainsi la maréchaussée, prévenue, viendrait l'arrêter dans son carrosse, rendant ainsi sa trahison publique.

Le chevalier d'Orcy organise tout : il envoie Clairvaux à Paris chercher la chaise de Dulis et prévient le lieutenant de la Maréchaussée d'aller attendre dans l'appartement de Floricour.

C'est l'abbé d'Orcy, déguisé en soldat, qui se charge de prévenir Dulis qu'il doit se sauver (pour plus de vraisemblance, il prétend que son frère, le Chevalier d'Orcy, veut quitter le duc pour entrer dans le régiment dont il est le colonel).

Floricour alors prend les choses en mains. Faisant toujours croire à Dulis qu'il approuve son projet de fuite vers l'Alsace avec Florise, La France et Dalais, il le félicite de son prochain mariage (il le taquine en lui disant qu'ainsi il pourra devenir l'amant de Florise). Au dernier moment, Florise hésite encore et pose comme condition d'être épousée dès que possible. Cidalise, elle, est enchantée d'être débarrassée de l'ennuyeux Dulis.

**

Surviennent alors plusieurs coups de théâtre successifs :
– l'Abbé vient annoncer que Mirmon n'est pas mort, qu'il est à Versailles et qu'il sera là le lendemain; Floricour pense toutefois que tout n'est pas perdu et que son plan peut encore réussir; il suffit de ne pas prévenir Florise du retour de son père.
– mais le Chevalier annonce que le lieutenant de police n'est pas venu et que, malgré les archers, la chaise de Dulis a pu s'enfuir.
– finalement l'Abbé annonce que la chaise de Dulis a été arrêtée un peu plus loin sur la route, en présence de nombreux villageois.

Floricour montre à l'Abbé la fausse lettre prétendument écrite par Dulis au général des troupes de l'Empire dans laquelle promet de livrer à l'Empereur la place-forte de Brisach, en Alsace. Il suffira de glisser cette lettre dans sa poche ou, chez lui, dans son secrétaire.

Dulis, revenu à Auteuil, a tout compris du complot ourdi par Floricour, qu'il menace de son épée s'il ne renonce par à Florise.Ils sont sur le point de se battre lorsqu'arrive un Exempt, qui vient arrêter Dulis, devant une Florise désespérée et furieuse contre Floricour.

Florise a décidé d'aller trouver le Roi à Versailles pour justifier Dulis. Cidalise fait en sorte qu'elle ne puisse sortir.

Comme le chevalier d'Orcy n'a pas réussi à glisser la fausse lettre dans le secrétaire de Dulis, Floricour conçoit un nouveau plan. Le comte ne devant arriver que le lendemain matin, il pense qu'il peut profiter de l'éloignement de Dulis pour épouser Florise dans la nuit : il n'a besoin pour cela que d'un vieux prêtre, un notaire et le tuteur de Florise comme témoin. Florise, menacée d'être enfermée dans un couvent, ne pourra qu'accepter ce mariage qui fera d'elle une duchesse. Et le comte, scandalisé par la trahison de Dulis, se résignera sans doute à ce mariage déjà consommé. Pour convaincre Cidalise, Floricour lui fait remarquer que, pour avoir le bonheur de rester près d'elle (alors qu'en fait il la méprise), le seul moyen est qu'il épouse Florise; son benêt de mari ne sera certainement pas pour eux une gêne.

Mais, nouveau coup de théâtre, le comte Mirmon arrive, plus tôt que prévu. C'est, dit-il, qu'il a été informé de la trahison et de l'arrestation de celui qu'il voulait pour gendre. Floricour feint de n'être pas au courant. Mais le comte a eu le temps de parler au Roi, qui, persuadé qu'il s'agit d'un complot contre Dulis et que celui-ci n'est pas coupable, a donné à Mirmon un ordre écrit lui permettant de libérer le prisonnier

Alors Cidalise apprend à son mari que Dulis a séduit Florise et a tenté de l'enlever, ce dont tout le village a été témoin. Mirmon se sachant plus que croire, fait libérer Dulis et envoie chercher sa fille.

Cidalise s'affole. Aussitôt Floricour conçoit un nouveau plan, utilisant Clairvaux et la fausse lettre dans laquelle il a imité l'écriture et la signature de Dulis

Il est urgent d'agir, car Mirmon, étonné que l'on ait laissé sa fille dans l'ignorance de son retour, est sur le point de comprendre les machinations de Floricour. Alors Clairvaux, obéissant à l'abbé d'Orcy, entre, disant que, trahissant la confiance de son maître, il vient tout révéler : Dulis lui a donné de l'argent pour qu'il porte une lettre au prince de Torsac qui assiège en Alsace la place-forte de Brisach. Et Clairvaux donne la fausse lettre à Mirmon. Celui-ci est convaincu de la trahison de Dulis, qu'il maudit. Toutefois il s'attendrit devant la douleur de sa fille, qui veut aller se jeter aux genoux du Roi; alors il fait rappeler Dulis et Florise pour tirer cette affaire au clair. En attendant, il fait garder Clairvaux par des archers afin de le remettre entre les mains de la justice.

Clairvaux, qui n'a fait qu'obéir à l'abbé d'Orcy, soupçonne finalement que Floricour est derrière tout cela. Comme les quatre comploteurs (Floricour, Cidalise, l'Abbé et le Chevalier) se réunissent pour prendre des décisions,, il réussit à se cacher sous un canapé. De là, il entend que Floricour va essayer, avec la complicité de l'Abbé, de l'empoisonner pour l'empêcher de parler. Alors Clairvaux pénètre dans l'appartement de Floricour et, dans une malle où sont cachés des papiers, il trouve un billet de l'Abbé à Floricour.

Le plan de Floricour est sur le point de réussir. La police a trouvé chez Dulis un autre papier compromettant et Mirmon, convaincu de la trahison, insensible cette fois aux supplications de sa fille, fait préparer une voiture pour emmener à la Cour Dulis et Clairvaux.

Alors Clairvaux intervient de nouveau, mais cette fois pour tout révéler : l'innocence de Dulis, le rôle des frère d'Orcy, la fausse lettre qu'ils lui ont fait écrire (et dont il montre le brouillon), l'Abbé déguisé en soldat… Alors que Floricour essaie lâchement de rejeter toute la responsabilité sur les frères d'Orcy, Clairvaux remet à Mirmon le billet qu'il a trouvé dans la malle : l'Abbé y annonce à Floricour qu'il a bien remis au Ministre une fausse lettre.

Mirmon, désormais convaincu, se réconcilie avec Dulis et avec sa fille. Floricour continue à nier : il est trop paresseux, dit-il, pour s'être engagé dans une telle affaire. Mais Mirmon ne peut le croire.

Ainsi Dulis épousera Florise. Clairvaux, repentant, est invité à aller se faire pendre ailleurs. Le Duc sera puni par le roi et subira l'opprobre des grands. Les frères d'Orcy, arrêtés par l'Exempt, risqueront la potence et Cidalise finira sa vie dans le fond d'un couvent. C'est ainsi que la vertu a triomphé du vice !


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