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L'ORIGINE DE LA VILLE D'ORLÉANS,
ses singularités et mœurs de ses habitants
avec son triomphe
par celui de la
MAGNIFIQUE ENTRÉE DE MESSIRE PIERRE DU CAMBOUT DE COISLIN
son évêque, conseiller et premier aumônier de sa Majesté, abbé de S. Victor, etc.
et les circonstances de ce qui s'y passera de plus remarquable le 19 octobre prochain, tant en la délivrance des Criminels qu'autres particularités très curieuses et agréables.

Orléans, Gilles Hotot, 1666 [Médiathèque d'Orléans H5789]

réédité : Orléans, Herluison, 1859 [H5770.12]


 

Beau séjour éclatant sur les rives de Loire,
Où règne la Vertu, la Sagesse et la Gloire,
Où triomphent les Arts, la Science et les Mœurs,
Où la Justice est sourde à toutes les clameurs,
Où les lois s'expliquant au gré de l'Innocence
En exilent le Crime et bravent sa puissance,
Où tous les Magistrats par admiration
Les font vivre et régner sans altération,
Orléans grande ville en merveilles féconde,
Et que l'on peut nommer le Palais du beau monde, [10]
Le Jardin de la France et le Climat heureux
D'un Peuple aussi courtois comme il est généreux,
Comme il est libéral, comme il est magnifique,
Comme il est complaisant, comme il est pacifique,
Et comme il est partout l'illustre Entrepreneur
De porter au plus haut les maximes d'honneur.
 
On y voit l'Officier d'une adresse civile
Expliquer les douceurs de cette belle Ville,
On y voit le Bourgeois avecque l'Étranger
Vivre sans contredit et sans fin l'obliger ; [20]
On y voit le Marchand où la candeur s'explique
Avec la politesse agir dans sa boutique ;
On y voit l'Artisan par nature et sans fard
Être aussi bien réglé que peut être son Art.
Mais on y voit encore une illustre Jeunesse
Que la grâce produit aussi bien que l'adresse,
Qui, réglée à la mode et soumise à l'Amour,
N'a pas moins d'agréments que celle de la Cour ;
On y voit le galant de même que le brave,
Tous deux sur le bon pied et tous deux sur le grave, [30]
Qui, s'accordant aux lois, n'ont jamais de débats
Que pour plaire au respect qui marche sur leurs pas ;
Ils révèrent la Paix sans mépriser la Guerre,
Pour suivre les humeurs de cette noble Terre,
Car, comme la douceur occupe son enclos,
L'lre n'y peut trouver ni place ni repos.
 
On y voit mille Amants auprès de leurs Maîtresses
Exprimer de leurs cœurs les brillantes tendresses ;
On y voit chaque Amante auprès de chaque Amant,
Émousser par ses traits son pointu compliment, [40]
Répondre éloquemment à la plainte amoureuse,
En se montrant modeste aussi bien que pompeuse,
En se donnant des lois pour les faire observer,
En recherchant l'Amour sans le vouloir trouver,
S'approcher de son feu pour connaître sa flamme,
L'allumer par ses sens, la régler par son âme,
Et dans un noble orgueil aussi doux que charmant
Braver par sa pudeur et l'Amour et l'Amant.
 
Mais si, dans le brillant de tant d'illustres belles,
Quelqu'unes par hasard sur leurs jambes chancellent * [50]
Ce n'est qu'en exposant avec humilité
Cet innocent défaut par la civilité,
Car, étant sur leurs pieds toujours comme en balance,
Elles font en marchant partout la révérence,
Et d'un branle aussi gai qu'il est respectueux,
Inclinent sans chagrin du côté que l'on veut.
Oui, l'on y voit clocher ces charmantes boiteuses,
Toujours de belle humeur et toujours vertueuses,
En relevant sans fard leur chancelant maintien
Sur la pointe, et sur l'art du plus doux entretien, [60]
Qui forment dans le cercle où l'adresse fait montre
Mille galants discours de sur chaque rencontre
Que la prudence règle avec un si bon sens
Qu'il n'est rien de plus fort, ni de plus ravissant.

50- Chancellent est orthographié "chancelles" (elles sont boiteuses).

 

Mais si je vous distingue, ô beautés éloquentes !
Des belles comme vous, un peu plus éclatantes,
C'est que la médisance avec son cor honteux
Fait sonner qu'Orléans ne produit que boiteux *
Que des monoculés, et que vos droites tailles *
Ne s'y font qu'en carton, qu'en baleine et qu'en pailles, [70]
Que chacune de vous dessous son corselet
Y loge le plastron avec le bourrelet,
Et que sans le Tailleur, ou son art qui vous aide,
Que vos corps seraient faits de même comme un Z.
Oui belles, c'est ainsi que la témérité
Déclame contre vous, hors de la vérité.
C'est ainsi que s'explique aigrement la malice,
De qui je fais l'écho, sans en être complice,
Ou plutôt c'est le bruit d'un langage imposteur,
Dont je suis l'Interprète, et non pas l'inventeur. [80]
Mais je le veux sonder jusqu'au fond de sa source,
Et par vos seuls attraits l'arrêter dans sa course.

68- Boiteux : On disait que de nombreux Orléanais étaient bossus et boiteux. Idée qui a été reprise par La Fontaine dans son Voyage en Limousin : « On me voulut outre cela montrer des bossus, chose assez commune dans Blois, à ce qu'on me dit, encore plus commune dans Orléans ». Et Dancourt, à propos d'Orléans : « C'est le pays des Boiteux que ce pays-là » (Le Diable boiteux, 1707, prologue).

69- Monoculé : borgne. Selon le Dictionnaire de l'Académie française (1718), "On dit, qu'un homme est marqué au B, pour dire, qu'il est ou borgne ou bossu ou boiteux ; et on entend par là que c'est un homme malin, et que les bossus, les borgnes et les boiteux le sont ordinairement."

   
On dit, mais c'est on dit, qu'Orléans autrefois
Ce n'était qu'un Village assis le long d'un bois,
Où roulait comme fait à présent Ligérique,
En tombant de son lit dans le sein Britannique,
Qui, trouvant ce Village aussi gai que charmant,
Le fit par I'intérêt son hôte et son amant,
Car c'est par I'intérêt qu'on dit qu'Orléans aime
Et que sans l'intérêt, il n'aime que lui-même. [90]
Mais comme c'est un bruit aveuglément semé,
Je dis qu'Orléans aime autant qu'il est aimé.
Ainsi devait-il bien aimer cette coureuse, *
Puisqu'elle promettait d'être sa pourvoyeuse,
Et de lui prodiguer avec facilité
Les moyens de fournir à sa nécessité.
D'abord elle y porta pour en faire une Ville
Le fer, le bois, la chaux, et l'ardoise et la tuile,
La pierre, avec ses eaux, en tirant de son sein
Le sable pour fournir à ce fameux dessein. [100]

85- Ligérique : la Loire.

93- Cette coureuse : la Loire.

Ligérique tirait la grandeur de son être
Du mont qui la produit, du mont qui la fait croître,
Qu'on appelle aujourd'hui la montagne du Puy, *
Qui semble jointe au Ciel et lui servir d'appui,
Mais qu'on nommait alors le mont de Ligérique,
Pour avoir engendré cette belle hydropique,
Ce mont qui, par un flux de I'Océan banni,
Marque de cette errante un double être infini,
N'eut pas plutôt coulé sa liqueur empruntée
Dans les flancs maternels, qu'elle fut enfantée, [110]
Et qui n'eut pas aussi plus tôt reçu le jour
Qu'elle quitta sa mère et s'enfuit de sa Cour,
Laissant par son départ cette moite Naïade,
Dans un torrent de pleurs tombant comme en cascade,
Mais qui fit par le flux de son débordement,
Suivre cette effrénée avec empressement.
103- La montagne du Puy : Le mont Gerbier-de-Jonc.
Ligérique toujours en poursuivant sa course
Et toujours s'éloignant de son humide source,
Rencontra, dans un pré serpentant à longs tours,
Lignon le confident des plus chastes amours ; * [120]
Aussi descendait-il des monts de Ségusie,*
Où depuis a régné la Princesse Amasie, *
Le grand Druide Adamas, Silvandre, Calidon,
Et la Bergère Astrée avec son Céladon,
Qui, couchés sur ses bords tapissés de verdures
Exprimaient de leurs cœurs Ies flammes les plus pures,
Prouvant, par les effets de l'honnête amitié,
Qu'un amour sans pudeur n'est amour qu'à moitié.
Ligérique, obligée à ce premier rencontre
De faire de ses droits une rapide montre, [130]
Efface par le cours de son activité
Jusqu'au nom de Lignon, et sa fluidité
Oppose à son courant, sans finir sa carrière,
Sa diaphane, liquide et roulante barrière,
Qui l'arrête et l'enferme en recevant son eau
Dans son sein qui Iui sert d'un muable tombeau.
Ligérique orgueilleuse, autant que vagabonde,
D'avoir enseveli Lignon dans sa claire onde,
Elle apprend par les flots de ce Fleuve amoureux
Qu'on ne peut sans aimer être jamais heureux, [140]
Que l'amour est le charme et la douce jointure
Des différents objets qu'enfante la Nature,
Et que sans son lien on verrait l'univers
Dans la désunion de ses êtres divers.
Cette belle inconstante à l'instant devenue
Adhérante à l'amour sans en estre connue,
Fait ce murmurant vœu de respecter ses feux,
Sans en prendre la flamme et sans aimer par eux,
Sans recevoir d'Amants qu'ils ne soient tous humides,
Et sans les éprouver aussi froids que liquides. [150]

120- Lignon : Le Lignon-du-Forez, qui se jette dans la Loire au nord-ouest de Feurs.

121- Ségusie : Le Lignon prend sa source au pied de la Montagnette, dans les monts du Forez (la Ségusie).

122- La princesse Amasie : dans l'Astrée d'Honoré d'Urfé, Amasis, dame du Forez, est la mère de Galathée.

C'est pourquoi, s'écoulant avecque gravité,
Sur le sable criblé par sa rapidité,
Sans arrêter son cours dans un choix volontaire,
Elle prit pour époux Allier son tributaire,
Qui la venant baiser assez humidement,
Lui rendit son baiser aussi fort froidement.
 
Ce fut par ces baisers dans une vaste fosse
Que cette vagabonde en devint grande et grosse,
Qui pour se décharger de son roulant fardeau,
Laissa de sa matrice écouler toute l'eau. [160]
Alors elle accoucha, dans le fond d'une Canche,
D'une Fille tortue et boiteuse d'une hanche,
Qui perdit en naissant la lumière d'un œil
Pour avoir regardé fixement le Soleil.
Son père la nomma sa petite Loirette,
Qui fut près d'Orléans la première coquette,
Dont plusieurs maintenant, afin de l'imiter,
S'en vont dessus ses bords souvent y coqueter, *
Car l'on dit qu'Orléans, par sa galanterie,
Se délecte et se plaît dans la coquetterie. [170]
Mais moi qui le connais et qui sais ses humeurs,
Je dis qu'il n'est coquet que par ses belles mœurs,
Qu'il est bien difficile, où la beauté s'exprime,
De ne pas témoigner pour elle de l'estime,
Et qu'un doux compliment que chacun s'entrefait,
N'est pas de l'entretien un criminel effet.
168- Les bords du Loiret étaient une promenade favorite des Orléanais.
Ligérique, agissant pour établir sa fille
Ou pour la marier dans sa future Ville,
Fit choix, en y portant un bateau de charbon,
D'un homme qu'on nommait le fameux Génabon * ; [180]
Il était fils d'un Dieu, mais de ce Dieu rustique
Qui dans son chalumeau rencontra la musique ;
Génabon, retenant de sa rusticité,
Observait peu les lois de la civilité ;
Il était d'humeur haute et parfois méprisante,
Humeur qu'on peut nommer la plus désobligeante,
Puisque, par sa rudesse et par son seul aspect,
Elle fait succéder le mépris au respect.
Ligérique, ignorant cette humeur faible et forte,
Enlève Génabon sur son dos, et l'emporte [190]
Dans un petit bateau gouverné par sa main,
Pour lui livrer sa fille auprès de Saint-Mesmin. *
C'est ainsi que l'on nomme à présent ce village,
Où Génabon reçut Loirette en mariage,
Et qu'on nommait alors, pour plaire à cet amant,
Le petit Génabon qui rend l'autre charmant.
Oui, ce fut dans ce lieu jouant de la musette,
Que le grand Génabon épousa sa Loirette,
Qu'il y cueillit le fruit de son humide amour,
Au milieu des plaisirs qu'offre ce beau séjour. [200]
Mais si l'on me demande en suivant ma carrière
Comme a pu épouser cet homme une Rivière,
Ou bien comme une fille, en recevant le jour,
S'est pu rendre nubile et capable d'amour,
Je réponds que tous deux prenant leur origine
D'une nature prompte aussi bien que divine,
Pour braver tous les temps et tous leurs lents effets,
Naquirent sans leur aide éclatants et parfaits,
Si ce n'est Génabon qui suivant la pratique
De ce peuple qu'on nomme en ce monde rustique, [210]
Pour complaire à son père et pour suivre ses mœurs,
Méprisait les appas des civiles humeurs ;
De plus c'est qu'autrefois les Dieux et les Déesses,
Pour goûter les douceurs des humaines caresses,
Afin de les conjoindre à leurs félicités,
Se joignaient aux mortels sous des corps empruntés,
Prenaient différents noms et des formes diverses
Pour rendre leurs amours sans crainte et sans traverses.
C'est pourquoi Génabon passant pour amoureux,
Loirette pour Déesse, et tous deux pour heureux, [220]
Sous le mouvant Cristal d'une onde claire et nette,
Génabon épousa son aimable Loirette,
Lui fit le beau présent de sa Virginité
Sachant que sa pudeur égalait sa beauté.

180- Génabon : d'après "Genabum", le nom d'Orléans dans l'Antiquité.

192- Saint-Mesmin : Commune de Saint-Hilaire-Saint-Mesmin où le Loiret de jette dans la Loire.

Mais comme par les temps se change le langage
Et que rien n'est constant sous le courant de l'âge,
Ce qu'on nommait Loirette autrefois savamment,
On le nomme aujourd'hui Loiret, ignoramment.
On suppose un garçon dans le corps d'une fille,
Dont le sexe est connu de toute sa famille, [230]
Qui prouve par sa mère et qui l'a déposé,
Que ce jeune Loiret n'est qu'un fils supposé,
Que son nom est en blanc dans les vieilles Chroniques,
Et méconnu de tous les vieux Hydrographiques,
Et que jamais Docteur n'a fait cette leçon
Qu'une fille existant pût devenir garçon.
Or comme à son sujet l'attribut participe,
Et que dans l'Univers tout tient de son principe,
Loirette donc boiteuse et Génabon goutteux
N'eurent de leur hymen que des enfants boiteux, [240]
Qui, se multipliant de lignées en lignées,
Ont partout épanché leurs races fortunées,
Ont du grand Orléans produit les habitants
Qu'on y verra boiter jusqu'à la fin des temps.
 
Mais, comme mes Auteurs ne savaient pas bien lire,
Ils ont fait ce discours sans le pouvoir décrire :
Ils en ont endormi les enfants au berceau,
Ils en ont fait railler les mariniers sur l'eau,
Ils le l'ont fait prêcher par de vieilles Mégères,
Ils le l'ont fait chanter par de jeunes Bergères. [250]
Et le font aujourd'hui sans aucun fondement
Publier par des gens que ma plume dément.
 
Oui, je veux soutenir contre cette Canaille
Qui veut toujours parler et ne dit rien qui vaille,
Ou contre les Auteurs de ce sot entretien
Que le grand Génabon était enfant de Gien *
Car ceux qui de César ont lu le Commentaire
Ne m'obligeront pas sur ce point de me taire.
Il était doux, civiI, affable, généreux,
Droit de corps et d'esprit, éloquent, amoureux, [260]
Qui voulant visiter tout son beau voisinage,
Commença sagement par ce riche Village,
Où d'abord iI y vit tous les hommes d'honneur
En leur interprétant par ses lèvres son cœur,
Fit de riches présents à toutes leurs familles,
Donna souvent le Bal à leurs aimables filles,
Et comme cet Hameau respectait son renom
Voulut à son départ en retenir le nom,
Voulut pour honorer sa vertu magnifique,
Que son peuple portât le nom de Génabique, [270]
Et I'aurait conservé sans le grand Aurélien *
Qui, depuis, a voulu le baptiser du sien. *

256- Allusion au débat qui eut lieu à propos de l'emplacement de la Genabum dont parle César dans ses Commentaires : Gien ou Orléans ?

271- Aurélien : empereur romain (215-275).

272- Au IIIe siècle une partie de la région occupée par les Carnutes prit le nom de civitas Aurelianorum, d'où vient le nom d'Orléans.

Mais comme cette Histoire est du temps que Morphée
Fit goûter ses pavots à la première Fée,
Que les fables passaient avec mille agréments
Comme des vérités dans l'esprit des amants,
Que tout était crédule, et tout dans l'ignorance,
Ne pouvant distinguer le vrai de l'apparence,
Je dis pour terminer ce conte superflu :
Ce qui fut autrefois qu'à présent il n'est plus. [280]
Que les corps arcadés et les jambes clochantes *
Ne sont plus d'Orléans les fructueuses plantes.
Oui, belles, vous prouvez en tous temps, en tous lieux,
Par vos esprits perçants, par l'éclat de vos yeux,
Par vos corps alignés, par leurs rares merveilles,
Par vos civilités qui n'ont point de pareilles,
Que c'est une imposture, où le crime s'est ioint,
De placer ces défauts où l'on ne les voit point ;
C'est vouloir rencontrer la chaleur dans la glace
Que de trouver en vous ces sujets de disgrâce, [290]
Car, excepté vos pieds qui vous font chanceler,
Il n'est point de beauté qui vous puisse égaler.
Un chacun vous prendrait, hors de cette aventure,
Pour les plus beaux objets de toute la nature.
Et pour moi je soutiens, contre ces médisants
Qui sont de vos défauts les lâches artisans,
Qu'un boiteux d'Orléans, même avec des béquilles,
Vaut bien ceux qui vont droit dedans les autres Villes ;
Que ce n'est pas du dos ni des pieds ni des yeux
Que chacun se produit illustre et précieux : [300]
Puisque c'est de l'esprit d'où procède notre être,
Que la beauté se forme et se fait reconnaître.
Car sans les dons de l'âme il n'est point de beau corps
Qui ne soit indigent auec tous ses trésors ;
Mais vous les possédez d'une adresse si sage
Qu'on les prend comme un lot de votre heureux partage,
Qu'il est beaucoup de gens de ces dons disetteux
Qui, pour les posséder, voudraient être boiteux.
C'est pourquoi vivez donc sans haine et sans colère
Contre ces insensés, Belles que je révère ; [310]
D'autant que ce serait une faiblesse en vous
Que de vous courroucer d'un langage de fous.
Vous les empêcherez désormais de médire
Si vous les déclarez indignes de vostre ire,
Ou si vous faites voir sur ce sujet boiteux
Que tous leurs quolibets vous font plus rire qu'eux.
281- Corps arcadé : bossu.
Enfin votre Cité, le fameux domicile
D'un peuple si pompeux, si doux et si facile,
Jette si bien son charme au gré de la raison
Que jusqu'aux Criminels en aiment la prison. [320]
Chacun la vient chercher pour y trouver sa grâce, *
Chacun s'y jette en foule, ou chacun y prend place,
Et dans ce triste lieu que tout le monde fuit,
Chacun avecque joie humblement s'y réduit.
321- Y trouver sa grâce : L'évêque d'Orléans ayant la privilège de faire grâce, le jour de son entrée, criminels et autres bandits affluaient dans la ville dans les jours qui précédaient cette entrée.
   
Mais ce qui rend encore Orléans plus aimable,
C'est d'avoir pour conduite un homme inestimable,
Un héros de la Robe, un savant Magistrat
Capable de régler le plus confus État,
Un terme complaisant de la haute Sagesse,
Un prudent affermi de sur la politesse, [330]
Un juge sans reproche, un arbitre sans yeux,
Qui se laisse conduire au mouvement des Cieux,
Qui prend pour une erreur cette aveugle science
Qu'on ne peut accorder avec la conscience,
Qui n'a de mouvement ni d'inclination
Que pour mettre les Iois dans leur perfection,
Qui les sait accorder avec la Politique,
Sans ternir leur beauté ni changer leur pratique,
Assurant par son cœur et par sa probité
L'innocent opprimé de sous l'iniquité, [340]
Qui forme par l'éclat de sa rare prudence
Celui des Magistrats comme de l'Intendance,
Le brillant de leur gloire et le solide appui
De toutes les vertus qui triomphent par lui.
DAUBRAY, c'est assez dit, sans pouvoir assez dire *
Que tes illustres mœurs ont partout leur empire,
Leur puissance, leur charme, et leurs effets divers,
Pour te faire admirer dedans tout l'Univers.
Orléans, je te peux appeller bienheureuse
D'avoir pour ton support cette âme généreuse, [350]
Ce fameux truchement des ordres de mon Roi,
Digne de son amour comme de son emploi,
Qui fait, malgré ce siècle enivré de malice,
Triompher hautement l'amour et la justice,
Qui réduit ses excès dans le tempérament,
En le faisant couler contre son mouvement.
345- Antoine d'Aubray (1633-1670) a été intendant de la Généralité d'Orléans de décembre 1665 à mars 1667. Comte d'Offémont, conseiller au parlement de Paris en 1653, maître des Requêtes le 13 octobre 1660, lieutenant civil en succession de son père empoisonné par sa fille, la marquise de Brinvilliers, il meurt empoisonné par sa sœur.
   
Mais afin de te rendre Orléans sans seconde
Par l'éclat des vertus aussi bien qu'en beau monde,
J'apprends de toutes parts qu'un docte et saint Prélat *
S'en vient pour te donner ce précieux éclat, [360]
Pour te sanctifier, si tu suis son exemple,
Et de ses belles mœurs t'en ériger le Temple ;
Te rendre le palais de sa charmante Cour,
Où la grâce va faire éclater son amour,
Où ses soins vont agir pour te rendre modeste,
Pour décorer ton cœur d'une beauté céleste,
Et pour guider tes pas avec facilité
Dans le sacré chemin de la félicité.
359- Saint prélat : Le nouvel évêque Pierre Cambout de Coislin a fait son entrée dans Orléans le 19 novembre 1666. Le rituel de l'Entrée des évêques d'Orléans a été exposé dans Lemaire, Histoire et Antiquités de la Ville d'Orléans, 1848.
Mais j'aperçois déjà de toute la contrée
Arriver mille gens pour être à son Entrée, * [370]
Pour venir recevoir, avec dévotion,
De ses illustres mains la Bénédiction.
370- L'Entrée de Pierre du Cambout de Coislin a été reconstituée à partir de plusieurs documents par Micheline Cuénin, Le cardinal de Coislin, 2007.
Je vois le fameux corps et l'âme des sciences,
L'œil avec le miroir des grandes connaissances,
L'interprète des Arts et de la vérité,
Qu'on nomme avec respect sage Université, *
Qui s'en va lestement au Cloître Saint-Euverte *
Haranguer ce Prélat par sa bouche diserte, *
Pour Iui faire savoir que son intention
Est de toujours régner sous sa direction. [380]

376- L'Université était représentée par le Recteur Edme Rivière, deux docteurs régents et le procureur de la Nation germanique.

377- Au lieu d'aller coucher à l'abbaye de la Cour-Dieu, il était allé dîner et coucher à l'abbaye Saint-Euverte.

378- Harangue en latin, prononcée par le recteur, à laquelle l'évêque répondit en latin.
Après ce savant Corps, je vois celui de Ville, *
Aussi majestueux qu'il est brave et civil ;
On le prendrait, voyant ses diverses couleurs,
Pour un mouvant parterre entrelacé de fleurs ;
Aussi va-t-il offrir des fleurs de Rhétorique
À ce prudent Évêque en faveur du Public,
Et pour lui témoigner, par sa soumission,
Que l'honneur de lui plaire est dans sa passion.
381-  Le Corps de Ville : le maire, Caillard, étant récemment décédé, il était représenté par le receveur et les échevins. Ils portaient des vêtements de riches couleurs. Harangue en latin fut portée par Claude Chantard, avocat en parlement et au baillage et siège présidial d'Orléans.
Sur sa route s'étend avec ordre et mesure
Le Corps des Magistrats exempt de la censure, [390]
L'appui des belles mœurs, l'Interprète des lois,
L'âme de la Justice, et sa fidèle voix,
Qui, faisant éclater son zèle et sa pratique,
Montre qu'il est actif autant que juridique,
Que le droit se termine à sa perfection,
Dès l'instant qu'il en fait la distribution ;
Que son âme est sévère aussi bien comme humaine,
Qu'il est sans intérêt, sans faveur et sans haine,
Prouvant par le mérite et par la vérité
Qu'il n'a jamais fait brèche à sa sincérité. [400]
À sa tête je vois un prudent sans finesse,
Un homme sans défauts, un Juge sans faiblesse,
Un docte Sénateur, l'illustre BEAUHARNAIS, *
La gloire et l'ornement de tout l'Orléanais,
Qui va faire un discours fondé sur ses Chroniques,
À l'éloquent CAMBOUT toujours prêt aux répliques.
403- François de Beauharnais, lieutenant général du baillage.
Mais après tous ces corps vient celui des Élus,
Qu'on dit qui ne sont pas partout les bien voulus,
Et, quoiqu'un savant Roi les nomme gens ignares,
Ils ont pourtant entre eux des hommes assez rares [410]
Qui savent l'Authentique avec Scribonien,
Le Digeste, le Code et le Justinien,
Qui montrent comme il faut imposer les finances,
Terminer les procès suivant les Ordonnances,
Selon les règlements que la Cour leur prescrit,
En donnant à chacun sa leçon par écrit,
Car, comme ils sont Élus par Lettre et par nature,
Ils doivent s'appliquer souvent sur l'écriture,
Sur le jet pour compter quand roulera le temps *
De la félicité qu'un chacun d'eux attend, [420]
Car puisqu'ils n'ont jamais éprouvé que misère,
Ils ont droit d'aspirer après cette étrangère,
Après cette insensible à leur adversité
Qui ne regarde plus que l'homme de côté.
Or comme tous nos Rois par leur bouche s'expliquent *
Ils ne sauraient manquer de discours magnifiques,
Pour bien complimenter ce Prélat généreux,
Qui les écoutera puisqu'ils sont malheureux.

419-  Jet : calcul qui se fait par les jetons (Littré).

425- S'expliquent est orthographié « s'expliques ».

Après ce triste Corps suit celui des boutiques,
Que l'on nomme Consuls, ou Marchands pacifiques, [430]
Qui, pour rendre à chacun ce que veut l'Équité,
N'écoutent pas Imbert, ni sa formalité ; *
Mais qui rendent pourtant bonne et prompte Justice,
Sans user d'appointé, ni sans prendre d'épice, *
Et qui vont présenter à notre grand Prélat
Un compliment d'honneur, qui n'est docte ni plat.

432- Jean Imbert (1522-av. 1603), avocat, auteur de Institutiones forenses (« La pratique judiciaire tant civile que criminelle reçue et observée par tout le Royaume de France »).

434- Appointé : rémunération.

Mais pendant que ces Corps vont faire leurs harangues
Par la diversité des plus fameuses langues,
Écoutons ce grand bruit qui n'a trêve ni fin,
Pour toujours répéter le beau nom de COISLIN. [440]
L'amour qu'on a pour lui comme un Écho s'explique
Dans la confusion par la bouche publique,
Par les cris redoublés de mille et mille voix,
Que l'air pour l'honorer répète autant de fois.
À voir tout ce grand peuple et sa magnificence,
On prendrait Orléans pour le cœur de la France,
Pour le fameux Paris qui découvre l'éclat,
La force et l'agrément de tout ce grand État.
 
Mais voici le Clergé de notre belle Ville,
Toujours sage et discret, toujours docte et civil, [450]
Toujours dans la prudence et dans l'intégrité,
En marquant sa grandeur par son humilité,
En soutenant son rang qui gravement s'explique
Par sa marche modeste autant que magnifique,
Qui va trouver aussi notre aimable Pasteur,
Pour lui porter ses vœux par le feu de son cœur,
Pour rendre à ses décrets sa volonté soumise,
Comme digne Sujet de ce Prince d'Église.
 
Mais, pendant cette marche, on sonne à carillon,
Non pas pour Dandelot sorti de Châtillon, * [460]
Qui, méprisant la Foi de ses braves Ancêtres,
Faisait couper l'oreille aux Sonneurs comme aux Prêtres ;
Et s'il était encore au pouvoir d'ordonner,
Je crois que ces Sonneurs cesseraient de sonner,
Qu'un chacun sauterait pour éviter sa rage,
Du plus haut du clocher jusqu'au plus bas étage,
Et Iaisserait, quittant le brimbalant plancher,
Le silence en sa place au beffroi du Clocher.
460- François d'Andelot de Coligny, né à Châtillon-sur-Loing en 1521, mort à Saintes en 1569, fut un des principaux chefs huguenots.
Mais chacun auiourd'hui sonne par allégresse,
Pour un sujet de joie et non pas de tristesse, [470]
Pour le charmant CAMBOUT qui s'en vient par douceur
Apaiser l'hérésie, et lui gagner le cœur,
La rendre à la raison dorénavant soumise,
La remettre au giron de sa fidèle Église,
Et vaincre son orgueil et sa férocité,
Par le modeste appas de son humilité ;
Traiter par la rigueur, s'il en fait la rencontre,
Sa petite Cadette hardie à faire montre, *
À se manifester en couvrant son erreur
Du manteau décevant d'un bel extérieur, [480]
Qui parle éloquemment, qui paraît fort bonace,
Se disant Augustine et fille de la grâce, *
Qui se plaît de gloser sur le texte divin,
Suivant les sentiments de Maître Jean Calvin, *
Et qu'on nomme à présent Madame Janséniste,
Qui n'est qu'une voilée et fine Calviniste,
Qui voulait détrôner jusqu'à la Papauté, *
Qui voulait décevoir toute la Royauté.
Mais par la Papauté la Dame est condamnée,
Et par la Royauté bannie et confinée, [490]
En ne lui restant plus, pour charmer ses tourments,
Que la fidélité de ses secrets Amants.
Mais jusqu'à maintenant cette trompeuse Dame
N'a pu rendre Orléans amoureux de sa flamme,
N'a pu y rencontrer ni Femmes ni Docteurs
Pour goûter son venin, ni vanter ses Auteurs, *
De sorte que CAMBOUT, notre Prélat sincère,
Manque de l'y trouver, ne la pourra défaire ;
Ne lui pourra prouver que ses appas si doux
Ne sont que des menteurs, non plus que des filous. * [500]

478- Sa petite cadette : le jansénisme.

482- La grâce : Le jansénisme s'en tenait à la doctrine de saint Augustin sur la grâce divine (sans laquelle l'homme ne peut ni faire le bien ni obtenir le salut.

484- Calvin estimait lui aussi que celui qui n'a pas reçu la grâce ne peut être sauvé.

487- La Papauté : Le jansénisme trouvait excessif le pouvoir du Saint-Siège.

496- Le jansénisme devait prendre une grande importance à Orléans au XVIIIe siècle. Voir Claude Michaud, Un jansénisme provincial, l'exemple d'Orléans, éd. de la Sordonne, 2021.

500- Cambout de Coislin, dont l'entourage familial avait quelque sympathie pour le jansénisme, conserva une sage neutralité à l'égard des nouvelles opinions.

Mais déjà je découvre, avecque son escorte,
Ce Prélat déchaussé, qui s'en vient à la porte *
Du Cloître Saint-Aignan, où son docte Clergé
L'attend avecque joie, en ordre bien rangé,
Et comme il veut entrer dans son auguste Temple,
Alors que ce grand Corps l'admire et le contemple,
Il observe à sa tête, ou bien voit éclater
Un savant Orateur pour le complimenter,
Ou pour mieux qui lui vient débiter une harangue, *
À laquelle il répond et de geste et de langue, [510]
Assurant ce Clergé, sans simulation,
Des tendres sentiments de son affection.
Puis, entré dans ce Temple aussi beau comme antique,
Au bruit du doux concert d'une forte musique, *
Il s'adresse, après Dieu, avec zèle et douceur
À l'aimable portrait de son Prédécesseur,
Du fameux saint Aignan, homme digne d'envie, *
Qu'il prend pour le modèle des actes de sa vie,
Pour le puissant secours de son pénible emploi,
En s'offrant à ses pieds par les mains de sa foi. [520]
« O glorieux Aignan ! dit cet Amant céleste
En parlant dans son cœur, devant Dieu je proteste,
Avec autant d'amour comme j'ai de respect,
D'avoir vos actions tousjours à mon aspect.
Vous avez autrefois pris en main la défense
Du peuple d'Orléans réduit sous ma puissance,
Vous avez fait trembler le fameux Attila,
En regardant son Camp sans aller jusque là,
Vous l'avez fait sortir de votre voisinage,
Sans l'emploi de vos bras, ni de votre courage ; [530]
Vous avez effrayé tous ses braves guerriers,
Nombrés à six cent mille, couronnés de lauriers,
Et, sans autre secours que de votre prière, *
Vous avez triomphé de sa force guerrière.
Je ne demande pas cette grande vertu
Qui vous en fit vainqueur sans l'avoir combattu ;
Mais je prie humblement, occupant votre place,
Que pour Ia bien remplir j'en obtienne la grâce.
Vous êtes assez puissant auprès de l'Immortel
Pour m'obtenir ce don en servant son Autel, [540]
Ou pour me faire vivre en soutenant ma charge,
Dans toutes les vertus où son emploi m'engage. »
À ces mots relevant sa génuflexion,
Sans quitter la ferveur de sa dévotion,
On le mène aussitôt dedans la Sacristie,
Où les Marguilliers avecque modestie,
Avec humble respect, avec dévotion,
Avec autant de soin que d'inclination,
Ils lui lavent les pieds, les essuient, les chaussent *
D'un bas à rouge éclat que l'or et l'argent haussent, [550]
Qu'ils parsèment de Croix au dessus des souliers,
En expliquant l'amour de tous ces Marguilliers ;
Et comme l'héritier du vainqueur des Vandales,
Ils le chaussent encor de deux belles sandales. *
Puis, étant revêtu de nouveaux ornements, *
Avec la Mitre en tête, avec ses agréments,
Il retourne à l'Autel jurer sans sacrilèges
D'appuyer ce Clergé dans tous ses privilèges,
Dans ses immunités, dans sa direction,
Et de mettre le tout sous sa protection. * [560]
Alors pour couronner cette vieille pratique,
Qui satisfait l'esprit et les yeux du public,
Il va prendre séance en descendant au Chœur
Dans la Chaise où régit le premier rang d'honneur, *
Dans ce lieu destiné pour y faire connaître
En s'y venant placer d'Orléans le grand Prêtre,
Le bel Astre brillant de sa société,
Et le solide appui de la Fidélité.

502- Déchaussé : le rituel prévoyait que l'évêque marche jusqu'à Saint-Aignan jambes et pieds nus, dans de simples sandales. Mais Cambout de Coislin voulut mettre des bas de soie couleur de chair pour aller de Saint-Euverte au cloître Saint-Aignan.

509- Harangue latine du doyen Michel Houmain, à laquelle l'évêque répond.

514- Entrée accompagnée de l'hymne Salus, honor, virtus, suivie d'un Te Deum.

517- Saint Aignan: Anianus (358-453) fut appelé comme évêque d'Orléans. En 451, il sauva sa ville des hordes d'Attila en appelant le général romain Aetius qui vint au secours des Orléanais assiégés.

533- En fait, alors que la ville allait succomber aux assauts des Huns, Aignan alla dans le camp ennemi pour négocier la reddition. Attila mit comme condition que tous les habitants seraient emmenés comme esclaves et tous leurs biens pillés. C'est alors qu'intervint Aetius qui put massacrer les Huns qui étaient déjà entrés dans la ville. Voir Iaroslav Lebedynsky, La campagne d'Attila en Gaule : 451 apr. J.-C., 2011

549- En fait l'évêque les dissuadera d'accomplir ce rite prévu par le protocole.

554- « L'évêque est mené par le doyen et sous-doyen en la marelle [sacristie] et revestiaire de l'église, où, étant assis en une chaise se présentent devant lui les marguilliers, clercs d'icelle Église, lesquels lavent avec eau tiède, dans un bassin où il y a des herbes odorantes, les pieds du révérend évêque, les ayant essuyés et nettoyés d'un linge, ils lui chaussent ses sandales et souliers, par-dessus son aube le vêtent de sa tunique de taffetas incarnat, mettant l'étole et chappe de velours rouge et sur sa tête sa mitre couverte de pierreries et broderies, avec ses gants de soie cramoisi rouge et son anneau épiscopal, découvrant la crosse du linceul dont elle était couverte. » (Lemaire, Antiquités de l'Église et diocèse d'Orléans, p. 44).

555- Ornements : Dalmatique en taffetas rouge, étole et chape de riche brocart d'or et d'argent, gants de soie rouge garnis de broderies d'or.

560- « Le Révérent Évêque jure de conserver les privilèges, exemptions et immunités de l'Église de Saint-Aignan. » (Lemaire, Antiquités de l'Église et diocèse d'Orléans, p. 45).

564-La chaise : On le fait asseoir dans la première stalle de l'église pour lui indiquer sa place comme chanoine de Saint-Aignan.

Mais comme le temps coule, ou s'échappe à la fuite,
Et qui ne le sait prendre a bien peu de conduite, [570]
Notre agissant Prélat qui le veut accorder
Avec ses actions sans sur lui les fonder,
ll résout de sortir de cette belle Église,
Pour conduire à sa fin sa dévote entreprise,
Pour rendre d'abondant très humble grâce à Dieu,
Et pour se séparer des Messieurs de ce lieu.
C'est pourquoi ce Chapitre exprimant sa tendresse,
Avecque les soupirs, avecque la tristesse
De voir que ce Prélat est près de le quitter,
Il produit sa douleur pour mieux l'interpréter, [580]
Il en marque l'excès par le bruit de sa plainte,
En ne pouvant parer l'effort de son atteinte,
Et comme notre Évêque en paraît affiigé,
Pour le moins attendrir, il prend de lui congé,
Et le laisse sortir de ce glorieux Temple,
En le nommant toujours le Prélat sans exemple.
 
Alors on voit paraître un Trône étincelant *
D'un or en broderie aussi pur que brillant,
Qu'on lui fait présenter par la magnificence
Qui semond ce Pasteur d'y prendre sa séance. * [590]
Et comme il est placé dans ce beau lieu d'honneur
Avec autant d'éclat comme il a de douceur,
II s'y voit emporté jusqu'aux portes du Cloître
Par de graves porteurs que l'habit fait connoistre,
Par des gens de mérite et de dévotion,
Qui rendent ce dépôt non sans affliction.
Mais je vois approcher quatre illustres personnes,
Qui couvrent leurs blasons de diverses couronnes,
Qui voulant succéder à ce Clergé fameux,
Autant par le devoir que par de justes vœux, [600]
Ils offrent leurs respects, leurs bras et leurs épaules
Pour porter ce Prélat le plus parfait des Gaules.
Oui, ces quatre Barons ou ces quatre Guerriers, *
Que la naissance explique avecque les lauriers,
Portent le grand CAMBOUT, cet Ange tutélaire
De tout l'Orléanais aux yeux du populaire.
Mais quoi qu'ils soient égaux par cette humble action
Il faut pourtant ici faire distinction
De l'un de ces Barons des trois autres qui restent, *
Non pas pour ses grands biens ni ses vertus modestes, [610]
Mais par son rang connu de tous les environs,
Qui surpasse celui des trois autres Barons.
On le nomme Sully ; mais pour moi je l'appelle
Le Duc incomparable et des Ducs le modèle.

587- Trône : une chaise à brancards couverte de velours rouge cramoisi, garnie de franges de soie et de crépines d'or.

590- Semondre : inviter

603- « Nos évêques, à leur nouvelle entrée, sont portés par les barons et seigneurs d'Yèvre-le-Châtel, de Sully, d'Achères, de Cheray, Montpipeau et Rougemont. » (Lemaire, Antiquités de l'Église et diocèse d'Orléans, p. 49). En fait ce sont leurs représentants qui vont porter la chaise de l'évêque.

609- Restent est orthographié "restes".

Sur ce trône mouvant notre Prélat placé,
Vers la Conception s'avance un peu lassé, *
Où d'abord il entend crier "Miséricorde"
Par des gens que l'on dit qui méritent la corde,
La galère, la roue et le fer et le feu, *
Et prêts à retourner au premier de leur jeu, [620]
Car c'est un axiome imprimé sans étude
Qu'on retombe aisément au péché d'habitude,
Qu'on cède sans la grâce à la tentation,
Et que rien n'est plus fort que l'inclination. *
Ce Pasteur généreux observant sans mot dire
Ces nombreux Criminels et dignes de son ire,
La proie et le désir d'Archers et de bourreaux
Prêts à fondre sur eux comme chiens sur Ievrauts,
Par la compassion qui le meut sans faiblesse,
Il épanche sur tous les soins de sa tendresse, [630]
Fait marcher devant lui tout ce galeux troupeau,
Crainte que les bourreaux ne sautent sur sa peau,
N'en surprennent quelqu'un en s'écartant des autres,
Et veille incessamment sur tous ces bons Apôtres.

616- La Conception : tout près de Saint-Aignan.

 

619- Les évêques d'Orléans étaient les seuls à avoir conservé le privilège de libérer les condamnés le jour de leur entrée, réduisant ainsi à néant le travail de la justice civile (voir Yves Guérold, Le droit de grâce des évêques d'Orléans, 1969). Ce jour-là, ils  étaient environ 3000 à avoir envahi Orléans , au grand dam de ses habitants ; après examen de leur cas, 865 avaient été retenus.

624- Les cas de récidive étaient nombreux.
Mais mon juste Pasteur, hélas ! que faites-vous
De traiter en brebis ce grand troupeau de loups,
Qui n'auront pas plus tôt écarté votre Ville,
Qu'on leur verra former une guerre Civile,
Attendre le passant de sur les grands chemins
Et rougir de son sang leurs criminelles mains ? [640]
Il est vrai que quelqu'uns de cette troupe infâme
Peuvent quitter le vice et le pleurer dans l'âme,
Mais il est aussi vrai que beaucoup de ces gens,
Marqués au coin du Roi bien mieux que des Sergents, *
N'auront pas plus tôt pris de leurs mains votre grâce
Qu'on les verra courir sur leur première trace,
Se servir de la nuit et des lieux écartés
Pour pratiquer le vol et mille cruautés,
Braver en plein midi, par vos fortes Patentes, *
Les plus hardis Prévôts et leurs troupes errantes, * [650]
Regorger devant eux de crimes inhumains,
Sans craindre en les couvrant leurs surprenantes mains,
 Se moqueront des Lois comme de la Justice,
N'auront pour revenu que les présents du vice,
Et le débiteront dedans les cabarets
Où l'excès seulement les retient en arrêts.

644- Marqués : Chaque condamné ou galérien était "flétri", c'est-à-dire marqué au fer rouge d'un signe distinctif.

649- Patente : brevet établissant un privilège.

650-  Prévôt : Officier de justice qui avait compétence pour juger en première instance les causes ne relevant pas de la juridiction des baillis et des sénéchaux.

Mais comme mon Prélat est toujours pitoyable,
Toujours judicieux et toujours charitable,
Il croit qu'il obtiendra, sans user de rigueur,
De ces faux repentants un changement de cœur, [660]
Remplira de vertus leurs âmes vicieuses,
Guérira le troupeau de ces brebis galeuses,
Et les rétablira dans le bercail heureux
Offert à leur demeure aussi bien qu'à leurs vœux.
 
C'est pourquoi, sans vouloir se servir de remise,
ll conduit ce troupeau dans sa fameuse Église, *
Où d'abord s'en voulant mettre en possession,
Par son zèle amoureux, par sa soumission,
Par le droit qu'il en a du Ciel et de la terre,
Par toutes les vertus que son grand cœur enserre, [670]
Par sa capacité, par son puissant crédit,
Il s'en voit cependant humblement interdit,
Il s'en voit empêché par un grand personnage,
Homme docte et discret, homme prudent et sage,
Homme de belles mœurs, homme de probité,
Homme doux et civil, homme de charité,
Et pour mieux l'exprimer sans que je le déguise,
C'est le dévôt MEUSNIER, Doyen de cette Église,
Qui par les puissants traits d'un éloquent discours,
Où la science brille avec tous ses atours, [680]
Où l'adresse et la pointe enflamment l'éloquence,
Autant sur le sujet que sur la conséquence,
Il arrête en faisant ce discours éclater
L'admirable CAMBOUT ravi de l'écouter,
Qui confesse charmé par l'âme et par l'oreille,
Qu'on ne peut jamais faire une harangue pareille.
Mais comme ce Doyen aime l'antiquité,
Sa coutume, ses lois et sa formalité,
Pour rendre à ce grand jour ce que veut la pratique,
Ce que veut du Clergé la juste politique, [690]
Ce que veut l'Ordre saint, ce que veut le François,
Ce que veut du Romain les formulaires lois,
Il fait jurer CAMBOUT, cet Évêque intrépide,
De conserver ses droits sur la foi qui le guide,
Sur le saint Évangile, affirmant devant lui
Qu'il en sera la garde, aussi bien que I'appui.
Oui, ce digne Pasteur pour suivre la mesure
De ses prédécesseurs en pareille aventure,
Promet de maintenir sans nulles exceptions
Ce que tient ce Clergé dans ses possessions, [700]
D'entrer dans son Église avecque tout le zèle
Et l'amour et les soins où sa charge l'appelle. *

666- Les prisonniers s'entassent dans la chapelle Saint-Yves.

702- Avant d'entrer, l'évêque devait confirmer qu'il entrait en pasteur "pacifique".

Puis, ayant terminé par son humilité
Cette cérémonie avec solemnité,
Il entre dans ce Temple en observant les marques
De la rage et des mains de nos hérésiarques, *
De ces bons Réformés qui, dans l'aveuglement,
Prétendaient tout régler par leurs dérèglements,
Qui nous ont expliqué leurs plus saintes maximes
Par le feu, par le fer et par les plus grands crimes, [710]
En nous prouvant encor, par l'état de ce lieu,
Qu'ils étaient sans respects ni pour Rois ni pour Dieu.
706- Hérésiarques : La cathédrale Sainte-Croix a été en partie détruite par les protestants en mars 1568.
Mais le Sage CAMBOUT, ainsi que je présume,
Ayant pris la séance au gré de la coutume, *
Il entend aussitôt le Te Deum chanter
Que l'écho de son Chœur fait cent fois répéter,
Qui pousse, en exprimant les élans de son âme,
Mille amoureux soupirs vers l'objet qui l'enflamme,
Ne pouvant s'écarter dans ces ravissements
De la possession de l'Amant des amants. [720]
714 -  Il s'asseoit sur le siège épiscopal ; alors retentit le Te Deum.
Puis après ces transports où son amour s'applique,
Après ce Te Deum chanté par la Musique,
Après le Sacrifice auguste et tout puissant,
Qui confère la grâce au faible et languissant,
Qui fait trembler l'Enfer, qui lave notre crime
Par le sang précieux de sa sainte victime,
Et qui pour expliquer sa libéralité,
Ne nous promet pas moins que l'immortalité.
Il redouble ses vœux avecque sa prière
Pour ce peuple accablé d'une juste misère, [730]
Demandant humblement au Monarque Éternel
Qu'il le rende aussi saint comme il est criminel ;
Qu'il plaise à sa bonté suivant ses ordonnances
De modérer l'excès de ses intempérances,
De conduire ses mœurs et sa férocité
Au gré de son amour et de sa volonté,
Et de le préserver, en suivant ses maximes,
De la tentation aussi bien que des crimes.
 
Mais pendant les transports de ce cœur amoureux,
Pendant sa charité, pendant ses tendres vœux, [740]
Pendant le doux excès de sa ferveur divine,
Pendant qu'un saint amour embrase sa poitrine,
On voit ces Criminels, dedans ce lieu divin,
Qui s'enflamment la gorge et l'estomac de vin !
J'en remarque quelqu'uns, pensant faire merveilles,
À l'ombre d'un pilier qui vident des bouteilles
J'en découvre après eux d'autres plus écartés
Qui boivent librement chacun à leurs santés,
Faisant un cabaret de ce précieux Temple,
Pour donner de leurs mœurs Ie plus parfait exemple. [750]
 
Mais ce n'est pas ainsi, Messieurs les étourdis,
Que l'on gagne la grâce avec le Paradis ;
Ce n'est pas remplissant votre gourmande panse
Que l'on fait du péché la dure pénitence ;
Ce n'est pas en perdant le respect pour ce lieu
Qu'on peut devenir juste et qu'on peut plaire à Dieu.
Mais comme l'habitude égale la nature,
Je n'ai pour vous ni foi ni bonne conjecture ;
Je ne peux croire au vrai de vous voir repentants,
Ni paraître meilleurs dans la suite des temps. [760]
Néanmoins je consens que l'on vous satisfasse *
Qu'on vous pare des coups qui de près vous menacent
Et qu'on fraie la voie à la conversion
Pour tenter de vos cœurs l'ingrate affection.
761- Satisfasse est orthographié "satisfacent".
Mais notre humble Prélat ayant fait ses prières
Pour ces bons pèlerins des forêts passagères,
Pour ceux qui par l'honneur sont réduits à ce point
De se battre sans gants, sans chausse et sans pourpoint,
Pour tous ces généreux qu'un simple mot offence,
Qui frappent bien plus tôt que l'on n'est en défence, [770]
Pour ces sages discrets que l'on voit brusquement
Assassiner sans cause et sans raisonnement,
Pour ces hardis amants aussi saints que pudiques
Qui font régner l'inceste en s'en rendant critiques,
Pour ces doux confidents de la facilité
Qu'interprète le rapt et l'infidélité,
Pour le Corps innocent de Messieurs les Chanoines,
Du vallon de Trefou qui volent jusqu'aux Moines:
Pour ce sexe dévôt où l'amour s'est borné,
Qui fait mourir son fruit aussitôt qu'il est né ; [780]
Pour tous ces bons amis qui viennent à l'envie
Vous ôter en dormant et le bien et la vie,
Et pour d'autres encore indignes de nommer
Que leur crime pourra mieux que moi exprimer ;
Il regarde à ses pieds cette troupe méchante,
Alors dans le respect faisant la repentante, *
Qui se trouve distincte en acte, en volonté,
Aussi bien comme en ordre et comme en cruauté,
Et pour chasser de tous la crainte et la menace
Il leur dit par son cœur : « Revivez dans la grâce [790]
Que l'énorme grandeur de vos crimes divers
Vous avait dérobée en les croyant couverts ;
Oui, vivez, contristez de ces crimes sans nombres,
N'en commettez jamais, fuyez jusqu'à leurs ombres,
Et pour avoir du Ciel leur abolition,
Je vous épanche à tous ma bénédiction ;
Que le Monarque immense en tous lieux vous accorde
Le trésor infini de sa miséricorde. »
786- L'abolition des crimes se faisait selon les prescriptions du sacrement de pénitence. Nicolas Delisle, prêtre, docteur et chanoine théologal, depuis une haute fenêtre, les exhorta à se repentir, à promettre de ne pas récidiver et à s'infliger des pénitences volontaires. Tous alors se sont agenouillés, ont crié trois fois "miséricorde" en se frappant la poitrine. A été lue ensuite la formule par laquelle étaient octroyées grâce et abolition des crimes.
Puis, ayant de sur eux son regard détaché,
Il se lève, et s'en va dans son bel Évêché, [800]
Où le suit chaque corps de la Ville Guêpine,
Avec autant de faim comme de bonne mine ;
Car les corps, offensés d'une longue action,
Demandent par la faim leur réparation ;
Ils veulent tous agir, en pareille aventure,
Pour se montrer fidèles aux lois de la Nature,
Ne pouvant assurer leurs dehors et dedans,
Que par l'emploi des mets et la force des dents.
C'est pourquoi ces Messieurs les Aurélianiques,
Nommés comme j'ai dit autrefois Génabiques, [810]
Ne sont pas plus tôt vus dans le sacré Palais
Que, pour les secourir, on les sert sans délais.
On leur fait à l'instant fumer cinq ou six tables
De mets aussi nombreux comme ils sont délectables
De mets où l'abondance avec la propreté,
Avec la politesse, avec la rareté,
S'expliquent par l'éclat de la magnificence,
Pour leur rendre service en si belle occurrence.
 
Mais comme mon Pasteur n'aime que la vertu,
Qui se plaît de se voir sous ces coups abattu, [820]
Qui ne vit que pour Dieu, qui ne vit que pour I'âme,
Qui ne traite son corps qu'avecque trop de blâme,
N'approche ce festin de somptuosité
Que par le pressant goût de la nécessité :
On dit qu'à voir manger l'appétit s'intéresse,
Que les friands morceaux relèvent sa paresse,
Qu'on aiguise sa pointe et son avide emploi
Alors que chacun mange ou bien que chacun boit.
Mais le Divin CAMBOUT, qui suit la tempérance,
Ne regarde ces mets qu'avec indifférence, [830]
Se satisfait de voir Messieurs ses Conviés
Braver son appétit sans en être enviés.
 
Puis, après ce festin d'honneur et de délices,
Après avoir goûté ces différents services,
Après l'étonnement d'un si pompeux régal,
Notre agissant Pasteur fait, par son Théologal, *
Savoir aux Criminels que la force du crime
Est la persévérance où ce lâche s'anime,
Qu'elle rend ses effets plus noirs et plus puissants
Alors que l'âme cède au désordre des sens ; [840]
Qu'il les faut corriger avec la pénitence,
Avoir de leurs excès une aigre repentance,
Et rendre en chaque lieu comme en toute saison
Ces aveugles rebelles soumis à la raison ;
Qu'ils ont grand intérêt de conserver la grâce,
Afin de l'obliger de leur être efficace, *
D'autant que, sans l'appui de la Divinité, *
L'homme n'est que faiblesse et que fragilité ;
Qu'il faut si l'on le peut satisfaire à partie
Qu'on appelle civile, et moi mal assortie, [850]
Puisque l'or et l'argent et la grâce parmi
Ne rendent pas le mort vivant à son ami.
Mais ce grand Orateur par bien d'autres morales,
Que prêchent savamment ses Vertus Théologales,
Fait par son éloquence et par l'occasion,
Triompher puissamment la persuasion,
Fait par le doux effort de son charmant langage,
Promettre à chacun d'eux désormais d'être sage,
Puisque de retomber dans des crimes nouveaux
C'est se livrer au Diable aussi bien qu'aux Bourreaux. [860]
Alors notre Prélat qui n'a pas son semblable
Pour tirer de la peur ce troupeau misérable,
Pour ne plus différer son abolition,
Il lui redonne encor sa bénédiction,
Ordonne qu'à chacun sa Patente on délivre,
En la forme qu'elle est à la fin de ce Livre, *
Et là, pour terminer cette solemnité,
Fait épancher à tous sa libéralité. *

836- Théologal: chanoine institué dans le chapitre d'une église cathédrale pour enseigner la théologie, et pour prêcher en certaines occasions.

846- La grâce efficace est une position théologique défendue par saint Augustin, et dont les Jansénistes se sont servis dans leur polémique contre les Jésuites. Selon sa définition, les hommes n'accèdent au salut et ne peuvent gagner le Paradis que si Dieu leur a accordé la grâce. Seule cette grâce divine peut les soutenir dans la foi. Le mérite et les efforts dans le monde terrestre ne sont donc pas suffisants pour atteindre la grâce, réservée aux élus du Seigneur.

847- Sans l'appui de la Divinité : sans la grâce; idée commune à Calvin et aux jansénistes.

866- Voir à la fin le texte de la Patente.

868- Sa libéralité : On distribue alors viandes, pain et vin (restes du festin offert par l'évêque aux autorités) et même quelque argent pour que les plus démunis puissent rentrer chez eux.

Mais tous ces Prisonniers plongés dans la tristesse,
En déclarant leur crime avecque leur faiblesse, [870]
Ils font, en apparence ou de vrai, retentir
Le regret d'en avoir sursis le repentir,
Ils voudraient à les voir surpasser I'éloquence,
Pour en faire éclater toute la conséquence,
Et pour rendre à CAMBOUT avec quelque agrément
De sa grâce obligeante un doux remerciement.
Mais comme ce Prélat a l'âme trop discrète
Pour être de leurs cœurs la publique interprète,
Expliquant par douceur leur sombre intention,
Il en fait sagement sa satisfaction.  [880]
Il est assez content de voir la repentance,
Qui promet de se joindre avec la pénitence,
Avecque la prière et la sévérité,
Pour les retirer tous de la perversité.
Mais si depuis longtemps cette troupe dolente,
Préparée à lui faire une harangue coulante,
N'a pu en regardant ses vertus éclater
Trouver aucun discours pour bien s'interpréter.
 
   
Moi qui n'ai fait ces vers qu'avecque promptitude
Pour Iui prouver mon zèle et non pas mon étude, [890]
Comment pourrai-je, étant de la presse pressé
D'achever cet ouvrage où j'ai fort peu pensé,
Offrir à sa Grandeur un beau Panégyrique,
Et n'avoir pas le temps d'enfler ma Rhétorique ?
Mais je serais aussi de vanité rempli,
De prétendre former un langage accompli,
Un langage éloquent, un langage agréable,
Pour dignement louer ce Pasteur vénérable,
Ce terme glorieux de la perfection,
Où la grâce et l'amour sont sans distinction. [900]
Oui, comme je sais bien que toute la science
Que l'homme peut placer dedans sa connaissance
N'a pas assez d'adresse et de force et de traits
Pour tirer le tableau de ses dévôts attraits,
Je serais criminel autant que téméraire
Si j'avais le penser et la foi de le faire.
C'est pourquoi je m'adresse à ces savants Esprits
Qui ne sauraient jamais être courts, ni surpris
Pour faire, à mon défaut, éclater ses louanges;
Puisque tout est possible à la vertu des Anges, [910]
Venez donc Chérubins de vos suprêmes lieux
Pour dignement louer ce Prélat glorieux,
Il n'appartient qu'à vous d'en dire les merveilles,
Car l'on s'entreconnaît ayant vertus pareilles.
 

Formule de la Patente délivrée aux prisonniers par Monseigneur du CAMBOUT DE COISLIN.
Nous PIERRE, par la grâce de Dieu et du S. Siège Apostolique, Évêque d'Orléans, suivant le Privilège à Nous octroyé, et dont nos Prédécesseurs ont joui d'un temps immémorial, Vous donnons et octroyons grâce, rémission et abolition des crimes, forfaits et délits par vous commis ; Vous remettons les peines afflictives que vous avez méritées, et ès quelles vous pourriez être condamnés pour raison d'iceux ; et vous restituons à votre fame et renommée, et en la possession et jouisssance de vos biens, sans préjudice toutefois de l'intérêt Civil et des Parties.


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