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Marie-Anne Barbier

LE FAUCON

Comédie


.
FEDERIC, amant d'Axiane [*a]
AXIANE, amante de Federic
PASQUIN, valet de Federic
LISETTE, suivante d'Axiane

La scène est devant un vieux château situé dans le fond d'un bois.


 

Scène 1 :  Sont en scène FEDERIC et PASQUIN, celui-ci tenant un faucon sur le poing.

FEDERIC.
Te voilà bien chagrin ?

PASQUIN.
                       N'en ai-je pas raison ?
Vainement dans les airs vous lâchez ce faucon :
Il ne rapporte rien.

FEDERIC.
                       Hé, maraut, que t'importe ?
 
PASQUIN.
Comment ! nous ne vivons que de ce qu'il rapporte.
Il nous a jusqu'ici fourni quelques repas,
Mais il ne vaut plus rien depuis qu'il est si gras !
Ah ! que j'aime un oiseau qui, par un seul coup d'aile,
S'en va me tenir lieu de pourvoyeur fidèle !
Je voudrais que son vol fut plus prompt qu'un éclair.
J'appelle tels oiseaux les pirates de l'air. [10]
Un vaisseau trop chargé, Monsieur, n'avance guère,
Et le meilleur voilier est le meilleur corsaire.

FEDERIC.
Rassure-toi, le jour n'est pas encor passé.

PASQUIN.
Ah! le petit ingrat, je l'ai trop engraissé
Et, pour ma récompense, il veut que je maigrisse.
Tenez, voyez plutôt : j'ai déjà la jaunisse,
Me voilà safrané jusques au blanc des yeux.

FEDERIC.
Tant mieux.

PASQUIN.
            Que dites-vous ?

FEDERIC.
                       Tant mieux, Pasquin, tant mieux.

PASQUIN.
Dites plutôt tant pis.

FEDERIC.
                       Hé! hé! hé!

PASQUIN.
                                   Pourquoi rire ?

FEDERIC.
Hé ! qui ne rirait pas ? Ne viens-tu pas de dire [20]
Que, depuis qu'il est gras, ce faucon ne vaut rien ?
Prononçant son arrêt tu prononces le tien :
À te faire jeûner je mettrai mon étude ;
Tu n'en vaudras que mieux.

PASQUIN.
                       L'épreuve est un peu rude.
Et, s'il y faut venir, je ne vous réponds pas
De m'attacher ici plus longtemps sur vos pas.

FEDERIC.
Tu pourrais me quitter !

PASQUIN.
                                   J'irai trouver Lisette
Pour me mettre à l'abri d'une affreuse disette.
Dans ce triste séjour, on ne fait que jeûner.
L'oiseau n'a-t-il rien pris ? il ne faut point dîner ! [30]
Voilà ce qu'ont produit vos feux pour Axiane.
J'en enrage ; à jeûner c'est ce qui me condamne.

FEDERIC.
Ce jeûne-là, Pasquin, te tient bien fort au coeur ?

PASQUIN.
Oui, c'est-là le sujet de ma triste langueur.

FEDERIC.
Le terme est un peu fort.

PASQUIN.
                                   II est de votre style :
Doux, tendre, pathétique, et pourtant inutile.

FEDERIC.
Poursuis ; tout à loisir je te laisse jaser.

PASQUIN.
Nous voici dans un lieu propre à moraliser.
Çà, raisonnons un peu. Pour plaire à votre ingrate,
Dont, malgré ses rigueurs, le souvenir vous flatte, [40]
Vous n'avez épargné ni bijoux, ni cadeaux :
Pour elle tous les jours c'étaient plaisirs nouveaux,
Comédie, opéra, bombance sur bombance.
Cependant, de vos soins quelle est la récompense ?
L'Amour qui vous a fait consumer votre bien
Est ce faucon lâché qui ne rapporte rien.

FEDERIC.
Quoi ! des comparaisons !

PASQUIN.
                                   Ce sont sages paroles ;
Mais vous les écoutez comme des fariboles
Que d'un air dédaigneux il faut mettre à 1'écart.
Et d'ailleurs mes leçons viennent un peu trop tard. [50]

FEDERIC.
Moraliseur fâcheux, n'as-tu plus rien à dire ?

PASQUIN.
Quoi ! vous ne pleurez pas !

FEDERIC.
                                   Va, je n'aime qu'à rire.
Philosophe nouveau, tu le sais bien, Pasquin,
Plus l'Amour autrefois m'a causé de chagrin,
Plus mon cœur du repos goûte aujourd'hui les charmes.
La molle oisiveté succède à mille alarmes.
Si j'ai vu tant de soins, tant d'amour négligé,
Par un profond oubli n'en suis-je pas vengé ?
Je l'avoue, Axiane est toujours jeune et belle,
Elle mérite bien le soin qu'on prend pour elle. [60]
Mais par sa cruauté mon espoir démenti
M'a fait résoudre enfin à prendre mon parti.
Tiens, sa maison des champs n'est pas loin de la mienne :
Vers moi tranquillement j'attendrai qu'elle vienne.
Moi, je l'irais chercher! quelle n'y compte pas,
Eussai-je autant d'amour que je lui sais d'appas :
Non, je suis trop piqué.

PASQUIN.
                                   Monsieur, je me défie [*67]
D'un dépit si contraire à la Philosophie.
Votre cœur me paraît un peu trop agité :
Ne sauriez-vous haïr avec tranquillité ? [70]

FEDERIC.
Moi, je ne la hais point ; mais du moins je te jure
De ne la jamais voir.

PASQUIN.
                                   Je crains peu le parjure :
On ne peut qu'à grands frais se montrer son amant,
Et votre pauvreté me répond du serment.
Ah ! qu'il eût mieux valu…

FEDERIC.
                                   Toujours de la morale ?

PASQUIN.
Ce sont noires vapeurs que l'abstinence exhale.
Mais quand dînerons-nous ?

FEDERIC.
                                   Tu dîneras demain.

PASQUIN.
Peste soit de l'Amour qui fait mourir de faim.

FEDERIC.
Mais toi-même autrefois n'aimais-tu pas Lisette ?

PASQUIN.
Mais, comme sa maîtresse, était-elle coquette ? [80]
Du moins dans mes amours je n'ai rien mis du mien.

FEDERIC.
Et la grande raison, c'est que tu n'avais rien.

PASQUIN.
Qu'importe, à vos dépens je me donnais carrière.
Ô Lisette ! avec toi je faisais chère entière :
Que de charmants repas ! Mais regrets superflus !
Hélas ! j'en ai tant fait que je n'en ferai plus :
Tous mes plaisirs passés ne sont qu'une ombre vaine ;
Vous avez fait la faute, et j'en porte la peine.

FEDERIC.
Mais pour Lisette encor ressens-tu de l'amour ?

PASQUIN.
Je puis de sa cuisine avoir besoin un jour, [90]
Et ce jour n'est pas loin.

FEDERIC.
                                   Imite ma sagesse :
Oublions pour jamais et suivante et maîtresse.
De la seule raison il faut suivre la loi ;
Pour moi je n'aime plus que ce faucon et toi.

PASQUIN.
Passe pour le faucon ; grâce à votre tendresse,
Autant que je maigris, tous les jours il engraisse.

On entend un bruit de cors.

FEDERIC.
Quel bruit vient me frapper ? Cours, va voir ce que c'est.

PASQUIN.
A la chasse d'autrui, prenons-nous intérêt ?

FEDERIC.
N'importe, va savoir…

PASQUIN.
                                   Si c'est votre Diane ?
Elle aime les forêts.

FEDERIC.
                                   Quoi ! toujours Axiane ? [100]
Pasquin, je te défends de prononcer son nom.
Fais ce que je te dis. Va, donne ce faucon.

PASQUIN.
Tenez : je suis ravi que l'on m'en débarrasse.

FEDERIC.
Cours, et viens m'informer de tout ce qui se passe.

 

Scène 2 : PASQUIN sort. FEDERIC reste seul en scène

Toi qui d'un vol plus prompt que celui des zéphirs,
T'élances dans les airs au gré de mes désirs,
Et qui dans les forêts, à mes leçons docile,
Apprends l'art de mêler l'agréable à l'utile,
Cher oiseau, c'en est fait, je veux n'aimer que toi :
J'ai vécu trop longtemps sous une dure loi. [110]

On entend encore le bruit de la chasse, qui fait tourner la tête à Federic.

Cesse bruit importun, cesse de me distraire ;
Ne trouble plus la paix de ce bois solitaire.
Dûsses-tu m'annoncer Axiane en ces lieux,
Avec tous ses appas la montrer à mes yeux ;
À mon fidèle oiseau mon cœur toujours fidèle,
Tout de feu pour lui seul, tout de glace pour elle,
Ne lui laissera voir qu'une noble fierté.
II était dans les fers, il est en liberté.
Quel bonheur de pouvoir dans une paix profonde.
Pour n'être qu'à soi-même, oublier tout le monde ! [120] [*120]

Le bruit de Chasse continue.
 
Hé quoi! ce bruit fâcheux vient toujours me frapper ?
Cher oiseau, de toi seul je prétends m'occuper.
Non, je ne veux plus voir l'insensible, l'ingrate
Qui peut-être en secret de mon retour se flatte.
Je veux bien convenir qu'elle avait mille attraits,
Qu'il partait de ses yeux d'inévitables traits.
Je veux de sa beauté conserver la mémoire,
Mais c'est pour ma vengeance et non pas pour sa gloire.
Si je l'élève ici, c'est pour l'humilier,
Et je ne m'en souviens que pour mieux 1'oublíer. [130]
 
Mais j'aperçois Pasquin.

 

Scène 3 : PASQUIN revient. En scène : FEDERIC, PASQUIN

FEDERIC.
                                   Hé bien ! quelle nouvelle ?

PASQUIN.
Ah ! Monsieur, il n'en fut jamais de plus cruelle.
Ouf ! je ne puis parler tant je suis confondu.

FEDERIC.
Qu'est-il donc arrivé ? Parle.

PASQUIN.
                                               Tout est perdu.

FEDERIC.
Quel étrange accident, Pasquin, viens-tu m'apprendre?

PASQUIN.
Tremblez : votre Axiane en ces lieux va se rendre.

FEDERIC.
Pasquin ?

PASQUIN.
            Ce n'est pas tout : pour nous assassiner,
C'est peu que d'y venir, elle y prétend dîner.

FEDERIC.
Ô comble de bonheur ! Pasquin, un tête-à-tête !
Qu'à la bien recevoir à l'envi tout s'apprête. [140] [*140]
Adorable beauté ! que ne puis-je à tes yeux
Prodiguer l'ambroisie et le nectar des Dieux ?

PASQUIN.
Que parlez-vous ici de nectar, d'ambroisie ?
L'Amour vous a-t-il fait tomber en frénésie ?
Ne vous souvient-il plus de cet ordre inhumain
Qui tantôt pour dîner m'a remis à demain ?

FEDERIC.
Que me rappelles-tu ?

PASQUIN.
                                   Cet oiseau si fidèle
Vous sert mal au besoin.

FEDERIC.
                                   Ô fortune cruelle !
Ne m'as-tu pas encor assez persécuté ?
Je te pardonnerais de m'avoir tout ôté [150]
Si du moins pour premier et pour dernier office
Dans ce pressant besoin je te trouvais propice.
Pasquin ?

PASQUIN.
                       Hé bien ! Pasquin ?

FEDERIC.
                                               N'imagine-tu rien?
Cherche, invente.

PASQUIN.
                       Monsieur…
 
FEDERIC.
                                   Hé bien ! dépêche!

PASQUIN.
                                                          Hé bien !

FEDERIC.
Quoi ! toi-même au besoin tu me manques ?
 
PASQUIN.
                                                                      J'enrage !
De rien on ne fait rien ; et le diable, je gage,
S'il était comme moi dans un si mauvais pas,
Tout inventif qu'il est, ne s'en tirerait pas.
Je ne sais qu'un moyen.

FEDERIC.
                                   Ah ! que j'aime ton zèle !

PASQUIN.
C'est de vous éclipser aux yeux de votre belle. [160]

FEDERIC.
Que me proposes-tu ? Je fuirais ses beaux yeux !

PASQUIN.
Voyez, imaginez quelque chose de mieux.

FEDERIC.
De grâce, cher Pasquin, montre ici ton adresse.

PASQUIN.
Elle est à bout.

FEDERIC.
                       Ah Ciel ! cependant le temps presse
Et l'objet de mes feux sans doute n'est pas loin.
Il y va de ma gloire : il faut en prendre soin ;
II faut, quoi qu'il arrive, aux yeux de ce que j'aime
Dérober, s'il se peut, mon indigence extrême.
Amour, inspire-moi.

PASQUIN.
                       Ma foi, jusqu'à ce jour
Rien de bon ne vous fut inspiré par l'Amour. [170]

FEDERIC, lui parlant bas.
On vient. Écoute.

PASQUIN.
                       Ciel ! je pourrais m'y résoudre!
Ah ! que je sois plutôt écrasé de la foudre,
Monsieur…

FEDERIC.
                       Épargne-toi des conseils superflus ;
Emporte ce faucon, et ne réplique plus.

PASQUIN.
Je suis mort.

 

Scène 4 : PASQUIN sort. Entrent AXIANE en habit de chasse  et  LISETTE – En scène : FEDERIC, AXIANE et LISETTE

FEDERIC.
            Quoi! c'est vous, trop aimable inhumaine !
Auprès de Federic quel destin vous amène ?
J'avais cru pour jamais être oublié de vous.

AXIANE.
Il faut bien vous chercher quand vous nous fuyez tous.

FEDERIC.
Hélas ! en vous fuyant, je fuis tout ce que j'aime ;
Et m'arrachant à vous, je m'arrache à moi-même. [180]
Mais je me cache en vain dans le fond des forêts : [*181]
Des yeux qui m'ont blessé je sens partout les traits.
Se peut-il que l'Amour survive à l'espérance ?

AXIANE.
Vous plaindrez-vous toujours de mon indifférence ?
L'Amour a des tourments qui doivent m'alarmer
Et mon cœur à ce prix ne veut pas s'enflammer.

FEDERIC.
Quoi! je ne puis prétendre au bonheur de vous plaire ?

AXIANE.
Avez-vous des rivaux que mon cœur vous préfère ?

FEDERIC.
Le mal de mes rivaux n'adoucit pas le mien.
Est-ce un bonheur pour moi que ce cœur n'aime rien ? [190]
Que dis-je ? pour ma flamme il vaudrait mieux peut-être
Qu'un rival plus heureux eût su s'en rendre maître.
Comme j'ai plus d'amour, je pourrais aspirer
Au bonheur, sans égal, de me voir préférer.

AXIANE.
Ah ! ne souhaitez pas qu'un autre objet m'enflamme.
Si l'amour une fois s'emparait de mon âme,
J'ose vous l'assurer, ce serait pour toujours ;
Je me connais trop bien. Mais quittons ces discours.

FEDERIC.
Et pourquoi les quitter ? craignez-vous d'en trop dire?

AXIANE.
Mon cœur s'est expliqué, cela vous doit suffire. [200]
Croyez que jusqu'ici vous l'avez mal connu
Et qu'un jour… Mais ce jour n'est pas encor venu.

FEDERIC.
Ciel ! qu'entends-je ? Achevez de rompre le silence.

AXIANE.
Arrêtez, ces transports ont trop de violence.
Mais je m'en prends à moi ; ce que j'ai fait pour vous
A donné lieu, sans doute, à des transports si doux.
Détrompez-vous pourtant. Malgré ce tête-à-tête,
Ne me regardez pas comme votre conquête ;
À ma présence ici l'amour n'a point de part
Et vous ne la devez tout au plus qu'au hasard : [210]
Après avoir longtemps couru de plaine en plaine,
Ma troupe chasse encor dans la forêt prochaine ;
Moi, pour me reposer, je viens l'attendre ici.

FEDERIC.
Me voilà de mon sort pleinement éclairci.
Ah ! cruelle.

 

Scène 5 : Entre PASQUIN – En scène : FEDERIC, AXIANE, LISETTE, PASQUIN.

PASQUIN.
                       Monsieur, je n'ai pas le courage
De…

FEDERIC, bas.
            Si tu dis un mot, crains d'éprouver ma rage.
 
PASQUIN.
Dussai-je être cent fois et mille fois battu,
J'en aurai le cœur net.

FEDERIC, bas.
                       Bourreau, te tairas-tu ?
à Axíane.
Madame, pardonnez, pour certaines affaires
Je donne à ce valet des ordres nécessaires. [220]

à Pasquin bas, puis haut d'un ton radouci
Prends garde de broncher ! Pasquin, tu m'entends bien,
De tout ce que j'ai dit, fais qu'il ne manque rien.

PASQUIN.
Non, je ne saurais plus me faire violence ;
Ce serait vous trahir que garder le silence.
Madame…

FEDERIC à part.
            Ce coquin va me déshonorer ;
D'un pas si dangereux, tâchons de nous tirer.
à Axiane.
Pasquin depuis un temps est sujet au délire,
Il est fou.

PASQUIN.
            Moi !

FEDERIC.
                       Voyez, comme son mal empire ;
Il est d'autant plus fou qu'il croit ne l'être pas.

PASQUIN.
Quoi donc ?

FEDERIC, tout bas à Pasquin.
                       Si tu réponds, je te casse les bras. [230]

PASQUIN.
Je serais trop heureux si l'en perdais l'usage.

FEDERIC, à Axiane.
Voyez comme il répond, et jugez s'il est sage.

LISETTE.
Ah, mon pauvre Pasquin ! éloignement maudit !
En cessant de me voir, il a perdu l'esprit.

PASQUIN.
C'est bien en vous voyant en ces lieux l'une et l'autre ;
Qu'y venez-vous chercher ? Quel malheur est le nôtre !

LlSETTE.
Madame, il est trop vrai ; n'en doutons nullement.
De ses yeux enfoncés voyez l'égarement :
L'amour l'a rendu fou.

PASQUIN.
                                   Mais toi-même es-tu folle
De croire que l'amour…

LISETTE.
                                   Cette seule parole [240]
Ne me fait que trop voir que son timbre est fêlé,
ll peut nier qu'il m'aime ! il est ensorcelé.

PASQUIN.
Trêve d'amour, Lisette, et de sorcellerie.
Veux-tu savoir d'où vient toute la diablerie ?
C'est…

FEDERIC, bas à Pasquin.
            Pour un mot lâché, deux cents coups de bâton.

PASQUIN.
Ouf ! c'est le prendre là sur un diable de ton.

FEDERIC, à Axiane.
Je lui dis certains mots d'un médecin arabe.

PASQUIN.
Je n'ai garde d'en perdre une seule syllabe :
Ce sont mots d'un grand poids, ils opèrent des mieux.

FEDERIC.
Voyez comme son mal lui fait rouler les yeux. [250]

PASQUIN.
Que je dise à Lisette un seul mot à l'oreille.
Écoute.

FEDERIC, à Lisette.
            Garde-toi d'une épreuve pareille :
ll te l'arracherait.

LISETTE.
                       Ah ! ah ! n'approche pas.
Je vais m'évanouir si tu fais un seul pas.

FEDERIC, à Lisette.
Il est temps de finir tes mortelles alarmes.
à Axiane.
Madame, votre vue a pour moi mille charmes.
Mais au mal de Pasquin il faut aller pourvoir,
Et préparer ces lieux pour vous y recevoir.

PASQUIN, à Axiane.
Allez, vous nous ruinez ; c'est une conscience.

AXIANE à Federic.
Au moins ne faites pas ici de la dépense ; [260]
Je ne veux qu'un seul plat.

FEDERIC.
                                   Un plat, et très léger.

PASQUIN.
Quelque léger qu'il soit, il nous coûtera cher.

 

Scène 6 : FEDERIC et PASQUIN sortent. – En scène : AXIANE, LISETTE

AXIANE.
Pasquin me fait pitié.

LISETTE.
                                   Je suis inconsolable.
Encor si de son mal j'étais seule coupable,
Si pour me trop aimer il perdait la raison,
D'où le mal est venu viendrait la guérison.
Je sens que ma fierté rendrait bientôt les armes
Et d'ailleurs sa folie honorerait mes charmes.
Mais, Madame, c'est vous que j'en dois accuser.

AXIANE.
Moi !

LISETTE.
            Je vous parle ici sans vous rien déguiser, [270]
Je vous garantis fous le valet et le maître :
L'un l'est déjà ; pour l'autre il n'est pas loin de l'être.

AXIANE.
Tu perds l'esprit toi-même.

LISETTE.
                                   Oh que non !

AXIANE.
                                                          Mais enfin,
Que veux-tu dire ?

LISETTE.
                       Hélas ! si vous plaignez Pasquin,
Federic plus que lui sera bientôt à plaindre.

AXIANE.
Mais à devenir fou qui pourrait le contraindre ?

LISETTE.
La faim. Quand malgré soi l'on jeûne trop souvent,
L'estomac au cerveau ne porte que du vent.
Du corps et de l'esprit la sympathie est telle
Que, l'un s'affaiblissant, l'autre baisse et chancelle. [280]
Et voilà ce qui fait que le pauvre Pasquin,
Des Petites Maisons enfilant le chemin, [*282]
Vient, par tous ses discours, de vous faire connaître
Qu'il y va préparer la loge de son maître.

AXIANE.
Soit, mais de tout cela suis-je coupable, moi ?

LISETTE.
Qui donc ? morbleu, qui donc ? Parlez de bonne foi :
Avez-vous pu souffrir en bonne conscience
Que pour vous Federic épuisât sa finance,
Que pour vous nuit et jour il fît tant de fracas ?
Car enfin vous l'aimiez ou vous ne l'aimiez pas. [290]
Parlez : si vous l'aimiez, c'est un trait d'étourdie ;
Si vous ne l'aimiez pas, c'est une perfidie.
Ç'a que répondez-vous sur l'un et l'autre point ?

AXIANE.
Que j'aime Federic, que je ne l'aime point,
Qu'importe ?

LISETTE.
            La réponse est tant soit peu normande, [*295]
Et c'est ce qu'on appelle éluder la demande.

AXIANE.
Moi ! je n'élude rien. Choisis ce que tu veux:
J'aime, je n'aime point.

LISETTE.
                                   Lequel choisir des deux ?

AXIANE.
Tout est égal pour moi.

LISETTE.
                                   Me voilà bien instruite :
Quoi ? dans tous vos discours trouver fuite sur fuite ! [300]
Je m'y perds.

AXIANE.
            Mais pourquoi me presses-tu si fort ?

LISETTE.
C'est que de Federic je déplore le sort.

AXIANE.
Va, ne le plains pas tant.

LISETTE.
                                   Quoi ! serait-il possible,
Qu'enfin à son amour votre cœur fût sensible ?

AXIANE.
Je ne dis pas cela.

LISETTE.
                       Quoi donc ?

AXIANE.
                                               Que Federic
Peut-être n'aime point.

LISETTE.
                                   Ha ! ha ! voilà le hic.
Nous n'osons pas aimer, ou nous n'osons le dire,
Que sur de bons garants que pour nous on soupire.
Mais quel garant plus sûr voulez-vous de l'amour
Dont Federic pour vous brûla jusqu'à ce jour ? [310]
Ces fêtes, ces cadeaux, cette énorme dépense
Dont il n'obtint jamais la moindre récompense
Et dont il fait ici pénitence à loisir,
Tout cela s'est donc fait, pourquoi ?

AXIANE.
                                                          Pour son plaisir.
Voilà comme ils sont tous. Crédules que nous sommes,
Ne serons-nous jamais que les dupes des hommes ?
Quoi qu'ils fassent pour nous, toute leur passion
N'est qu'orgueil, qu'amour propre et qu'ostentation.
C'est pour faire du bruit seulement que l'on aime.
Le véritable amour s'explique-t-il de même ? [320]
Ne peut-on renfermer son secret dans son cœur
Sans que d'une maîtresse on triomphe en vainqueur ?
Je rends à Federic un peu plus de justice ;
Et, s'il faut te parler enfin sans artifice,
Mon cœur le distinguait du reste des amants.
Mais combien sont changés mes premiers sentiments
Depuis que, loin de moi méditant sa retraite,
Il ne m'en a laissé que la honte secrète.
L'inconstant, à mes yeux soigneux de se cacher,
Triomphe et me réduit à le venir chercher. [330]
Que dis-je ? Sans raison vois si je le condamne :
Un oiseau qu'il chérit lui tient lieu d'Axiane,
Et je vois dans son cœur succéder en ce jour
La fureur de la chasse aux transports de l'amour.
Et tu te plains encor ! C'est moi que tu dois plaindre ;

LISETTE.
Que j'aime à voir enfin que vous cessiez de feindre !
Je me doutais déjà que vous l'aimiez un peu.

AXIANE.
Moi ! l'aimer !

LISETTE.
                       Est-il temps d'en rétracter l'aveu ?
Mais, quand de Federic votre cœur se défie,
Permettez un moment que je le justifie. [340]
S'il vous fuit, c'est qu'il craint de vous importuner.
Quiconque comme lui n'a plus rien à donner
Auprès d'une maîtresse est bientôt incommode.
N'aimer que pour aimer : ce n'en est plus la mode,
Et l'on risque de perdre et ses soins et son temps,
Quand on ne fait l'amour qu'à beaux soupirs comptants.
Pour la chasse, entre nous, fait-il mal quand il l'aime ?
Il veut vous imiter, être un autre vous-même.
Pour le faucon, malgré votre mauvaise humeur,
Je ne puis m'empêcher d'en rire au fond du cœur  [350]
Et, d'un oiseau chéri vous voyant inquiète,
Je vous dirais tout franc, si vous étiez coquette,
Qu'avec vous Federic le fait aller de pair
Et qu'il n'a jamais eu que des amours en l'air.

AXIANE.
Tai-toi : je n'aime pas sur ce point qu'on plaisante.

LISETTE.
Ah ! vous le prenez là sur un ton qui m'enchante.
Poursuivez, redoublez ce charmant sérieux :
Vous ne fûtes jamais plus aimable à mes yeux.
Continuez, Madame, aimez qui vous adore ;
Que Federic apprenne…

AXIANE.
                                   Il n'est pas temps encore. [360]

LISETTE.
Qu'attendez-vous ? qu'il perde ou l'esprit ou le jour ?
Voyez où l'a réduit l'excès de son amour !
Avec le seul Pasquin, dans un séjour sauvage,
Il cache le débris d'un éclatant naufrage.
Lui qu'on vit autrefois, entouré de laquais,
Remplir pompeusement un superbe palais,
Les mets les plus exquis inondaient ses cuisines,
Il ne vit que de fruits, peut-être de racines ;
Et s'il mange parfois un morceau de gibier,
Il le tient d'un oiseau, son père nourricier. [370]
Cependant… j'en ressens une douleur amère;
Hélas ! s'il s'est ruiné, ce n'est que pour vous plaire.
Voilà de son amour le déplorable effet.

AXIANE.
Ah ! s'il est vrai qu'il m'aime, il n'en a que trop fait.
Mais si son triste sort est mon funeste ouvrage,
Quelle gloire pour moi d'en réparer l'outrage !

LISETTE.
Ah ! j'attendais de vous ce généreux retour.

AXIANE.
Voyons si Federic mérite mon amour.
Par quelque piège adroit qu'il faut que je lui dresse,
Je veux savoir pour moi jusqu'où va sa tendresse. [380]
J'en doute encor, Lisette, et prétends l'éprouver.
Toi, ne suis point mes pas, et me laisse y rêver.

 

Scène 7 : AXIANE sortEn scène : LISETTE, seule

LISETTE.
Quel est donc son dessein ? D'un amant si fidèle
Elle veut faire encore une épreuve nouvelle !
Mais quoi ? que pourrait-elle enfin se proposer ?
Federic l'aime trop pour lui rien refuser.

Je vois Pasquin. Ô Ciel ! quelle mélancolie !

 

Scène 8 : Entre PASQUIN – En scène : PASQUIN, LISETTE.

PASQUIN.
Hélas!

LISETTE, à part.
            Je sens venir quelque accès de folie.

PASQUIN, sans voir Lisette.
Hélas! il ne vit plus ! ô comble de malheurs !
Je viens de voir son sang couler avec mes pleurs. [390]

LISETTE.
Quoi ! Federic est mort ? parle : que veux-tu dire ?

PASQUIN.
Qui te parle de lui ?

LISETTE.
                       Grâce au Ciel ! je respire.
Et qui donc pleures-tu?

PASQUIN, à part.
                                   C'est… gare le bâton.

LISETTE.
Achève…

PASQUIN.
            C'est…

LISETTE.
                       Hé ! bien.

PASQUIN.
                                   C'est… le meilleur oison
Par qui l'on puisse voir des basse-cours peuplées.
Qu'allez-vous devenir, ô veuves désolées ?

LISETTE.
Ah ! Ciel ! peut-on plus loin porter l'égarement ?
Sans doute son délire augmente en ce moment.
Fuyons.

PASQUIN.
            Dans mon malheur, Lisette m'abandonne :
Fortune, ç'en est trop. Demeure.

LISETTE.
                                               Je frissonne. [400]

PASQUIN.
Quoi ? Ton pauvre Pasquin t'inspire de l'effroi !

LISETTE.
Je crains les fous.

PASQUIN.
                       Mon maître est moins sage que moi.
Peste soit de l'amour qu'il a pour Axiane !
Puisqu'à mourir de faim tous deux il nous condamne…

LISETTE, à part.
Jc l'ai bien dit : la faim lui trouble la raison.
Mais, par bonheur pour lui, j'ai le contre-poison :
II en faut sur le champ employer la recette.
Pasquin ?

PASQUIN.
            Hé bien.

LISETTE.
                       Un mot.

PASQUIN.
                                   Je vais mourir, Lisette.

LISETTE.
Bon, tu ne mourras pas pour un oison de moins
Et l'Amour va bientôt pourvoir à tes besoins. [410]

PASQUIN.
Vraiment, il s'y prend bien, d'un coup il nous accable.

LISETTE.
C'est un grand médecin.

PASQUIN.
                                   Le mal est incurable ,
Nous n'avons plus d'espoir. Ô le maudit repas !

LISETTE, en riant.
Ha ! ha !

PASQUIN.
            Tous les oisons ne se ressemblent pas ;
Et le nôtre était tel que tout notre ménage…
Federic me défend d'en dire davantage.
Mais ce jour malheureux, le dernier de nos jours,
À ta seule pitié me fait avoir recours :
Jette fur ton Pasquin un regard favorable;
M'abandonneras-tu dans mon sort déplorable : [420]
Souviens-toi de ces temps que nous trouvions si doux :
Tous les jours se levaient clairs et sereins pour nous ; [*422]
Nous les passions ensemble à bien manger et boire.
J'irai t'en rafraîchir quelquefois la mémoire
Et, promenant mes yeux sur quelque plat charmant,
Dans l'office avec toi soupirer goulûment.
Là, mes boyaux plaintifs de mes langueurs secrètes
Au défaut des échos seront les interprètes :
Là le tendre Pasquin, t'assurant de sa foi,
Lisette, dira-t-il, puis-je vivre sans toi ? [430]

LISETTE.
Va, Pasquin, tu vivras, c'est moi qui t'en assure :
Ton destin va changer.

PASQUIN.
                                   Hé ! par quelle aventure ?
Je suis trop malheureux.

LISETTE.
                                   Laisse-là tes regrets ;
Tu jouiras bientôt d'un sort rempli d'attraits.

PASQUIN.
Que viens-tu m'annoncer ?

LISETTE.
                                   La plus grande nouvelle…
Axiane à la fin cesse d'être cruelle,
Et ton maître pourrait s'en ressentir un jour.
Mais, Pasquin , elle doute encor de son amour.

PASQUIN.
Et peut-il en donner une preuve plus grande
Que…? Je n'ose achever.

LISETTE.
                       Quoi qu'elle lui demande, [440]
À lui complaire en tout il faut le disposer.

PASQUIN.
II ne peut désormais donner, ni refuser :
II n'a plus rien.

LISETTE.
                       N'importe, il faut la mettre à même,
Offrir tout, donner tout, pour lui prouver qu'il l'aime.
Elle veut de son cœur s'assurer aujourd'hui.
Tiens, s'il ne promet tout, tout est perdu pour lui.

PASQUIN.
Pour promettre, il le peut ; pour donner c'est le diable :
II est sec.

LISETTE.
            Quoi ! son sort est si déplorable ?
 
PASQUIN.
J'en pleure tous les jours.

LISETTE.
                                   Va, cesse de pleurer;
L'Amour a fait le mal, il peut le réparer. [450]

PASQUIN.
Au moins s'il se pouvait que ta riche maîtresse
Jusqu'à nous épouser fît aller sa tendresse ;
Jc braverais la faim, muni d'un tel appui,
Et me consolerais du repas d'aujourd'hui.
Mais les moments sont chers; et pour peu qu'on diffère.

LISETTE.
Va, dans un jeune cœur l'Amour ne s'endort guère ;
II fait bien du chemin.

PASQUIN, gaiement.
                                   Ah ! quel est mon bonheur !
Allons, plus de soucis, plus de mauvaise humeur :
Rions, chantons, dansons. Ô ma chère Lisette !
Je ne me connais plus ; ma joie est si parfaite [460]
Qu'il ne tient plus qu'à moi de te sauter au cou.

LISETTE.
Modère ce transport : tu deviens encor fou !

PASQUIN.
On le serait à moins. Oui, ma belle princesse,
On devient fou de joie, ainsi que de tristesse.
D'un excès de plaisir les traits sont si puissants
Que, quand il surprend l'âme, il fait perdre le sens.
Je sens que ma raison…
                                   Mais Federic approche.
Je sens que c'est à moi d'aller tourner la broche.
Je t'invite au convoi de défunt notre oison.

 

Scène 9 : Entre FEDERIC – En scène : FEDERIC, LISETTE, PASQUIN.

PASQUIN.
Vous le voyez, Monsieur, je n'en dis pas le nom. [470]

FEDERIC.
Bien en prend à ton dos.

PASQUIN.
                       Ah ! nous savons peut-être
Le respect qu'un valet doit porter à son maître,
Et nous n'avons à cœur que son propre intérêt.

FEDERIC.
Va, fais-nous avertir lorsque tout sera prêt.

 

Scène 10 : PASQUIN sortEn scène : FEDERIC, LISETTE.

FEDERIC.
Lisette, qu'as-tu fait de ta belle maîtresse ?

LISETTE.
Dans le bosquet prochain certain souci la presse ;
Elle y rêve.

FEDERIC.
            Quoi ! seule ? il faut l'aller trouver.

LISETTE.
Non, vous ne perdrez rien à la laisser rêver.

FEDERIC.
Lisette, que dis-tu ?

LISETTE.
                       Quoi qu'elle vous demande…
Je crains qu'elle ne vienne et qu'elle ne m'entende. [480]
Justement, la voici. Monsieur, songez-y bien :
Quoi qu'elle exige enfin, ne lui refusez rien.

 

Scène 11 : AXIANE entreEn scène : FEDERIC, AXIANE, LISETTE.

FEDERIC.
Madame, pardonnez si je vous ai quittée.
D'un soin pressant mon âme était inquiétée
Et ma présence était nécessaire à Pasquin.
On va bientôt servir.

AXIANE.
                       Au moins point de festin.

FEDERIC.
Ce séjour écarté ne permet pas d'en faire.

AXIANE.
Tant mieux.

FEDERIC.
            Dans un désert on fait mauvaise chère.
Cependant je prends soin qu'on vous offre en ces lieux
Ce que j'ai de plus cher et de plus précieux. [490]

AXIANE.
Je ne regarde ici que la main qui le donne.
Quel que soit un repas, le bon cœur l'assaisonne.
Jc compte sur le vôtre, et j'ose me flatter…
Mais non, n'achevons point.

FEDERIC.
                                   Quoi ! vous pourriez douter,
Quoique vous ordonniez, que je ne l'exécute ?
La Fortune ennemie en vain me persécute ;
Elle m'a tout ôté par une dure loi,
Mais ce cœur qui me reste est plus à vous qu'à moi.

AXIANE.
Que vous me rassurez !

FEDERIC.
                                   Expliquez-vous, de grâce.
Que puis-je ?

AXIANE.
                       Federic, vous savez que la chasse [500]
Dès mes plus tendres ans fit mes soins les plus chers.
Vous avez un oiseau plus prompt que les éclairs…

FEDERIC, à part.
Je tremble.

AXIANE.
            De plaisir je me sens éperdue
Sitôt que je le vois se perdre dans la nue.
Je l'aime, et je mettrais mon cœur même à ce prix
Si…

FERERIC.
            Juste Ciel!

AXIANE.
                       Quel trouble agite vos esprits ?
 
FERERIC.
Ai-je bien entendu ? Quoi ! vous voulez, Madame…

AXIANE.
Non, je ne veux plus rien : le trouble de ton âme
M'apprend trop tes refus. Que puis-je demander ?

LISETTE, bas à Federic.
Accordez tout, Monsieur.

FEDERIC.
                                   Hé ! que puis-je accorder ?  [510]
Fortune impitoyable, achève, prend ma vie.
Barbare, je croyais ta fureur assouvie,
Mais tu mets aujourd'hui le comble à mon malheur
Par le coup imprévu dont tu frappes mon coeur.
Ô rigueur sans égale ! ô tyrannique empire !

AXIANE.
Qu'entends-je ! avec le sort c'est donc moi qui conspire ?
Je viens à votre cœur porter les derniers coups.
Quoi! pour un seul oiseau…

FEDERIC.
                                   Que me demandez-vous ?
Hélas ! si vous saviez, Madame, à quel usage…

AXIANE.
Va, tu n'as pas besoin d'en dire davantage. [520]
Je sais qu'à le garder tout doit t'intéresser,
Qu'il t'est cher, précieux. Mais as-tu pu penser
Que pour te le ravir je fusse assez cruelle ?
Je voulais de tes feux une marque nouvelle.
Triste épreuve ! ton coeur, d'un seul mot alarmé,
Ne m'a que trop fait voir qu'il n'a jamais aimé.

FEDERIC.
Je n'ai jamais aimé ! quel injuste langage !
Hélas ! et dans quel temps me fait-on cet outrage !
Je viens de me réduire au plus funeste état ;
Et, quand j'ai tout donné, je passe pour ingrat. [530]

AXIANE.
Ah ! c'en est trop enfin, ce reproche me blesse.
Pour m'en sauver la honte, il faut que je vous laisse.
Adieu.

FEDERIC.
            Non, demeurez ; ou dans mon noir transport,
De ce fer à vos yeux je me donne la mort.
Il faut sur mes refus que je me justifie.
Heureux, si vous n'aviez demandé que ma vie !
Je vous l'aurais donnée, elle est en mon pouvoir :
L'amour que j'ai pour vous m'en eût fait un devoir.
Mais faut-il que le sort à tous mes vœux contraire
M'ôte le seul moyen que j'avais de vous plaire ? [540]
Avec plus de noirceur peut-il m'assassiner ?
Hélas ! l'oiseau n'est plus, vous en allez dîner.

AXIANE.
L'oiseau n'est plus !

FEDERIC.
                       Le sort à tel point m'est funeste
Que je vous offre en vain le seul bien qui me reste.
Mais n'importe : en ces lieux prêt à vous recevoir,
Ai-je pu trop payer le plaisir de vous voir ?

AXIANE.
Hélas ! qu'avez-vous fait ? et qu'ai-je fait moi-même ?
Quel outrage ! quel prix de votre amour extrême !
Et comment réparer cet excès de rigueur ?
Est-ce assez de mes biens ? de ma main ? de mon cœur ? [550]
Tout est à vous.

FEDERIC.
                       Quels mots ont frappé mon oreille !
Votre cœur est à moi ! Je doute si je veille.
Ah! dans le doux transport qui vient de me saisir
Permettez qu'à vos pieds j'expire de plaisir.

AXIANE, en le relevant.
Federic, il est temps qu'une chaîne éternelle
Unisse à mon destin l'amant le plus fidèle :
Mon cœur est tout à vous, ma main dépend de moi,
Je vous la donne.

FEDERIC.
                       Amour, ai-je trop fait pour toi ?

 

Scène 12 : Entre PASQUIN – En scène : FEDERIC, AXIANE, PASQUIN, LISETTE.

PASQUIN.
De chasseurs une troupe s'avance !
Quoi ! viendrait-on encor me rogner ma pitance. [560]

LISETTE.
Rassure-toi, Pasquin, tout répond à tes vœux ;
Axiane est sensible, et ton maître est heureux.

PASQUIN.
Que m'apprends-tu, Lisette ? Ah ! tu me rends la vie !
Que je vais m'en donner ! ô sort digne d'envie !
Qu'un repas succulent commence un sort si doux.
à Axiane.
Mais croyez-moi, Madame, allons dîner chez vous.

 

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NOTES

[*a] Federic : Nom emprunté à Boccace : Federigo Degli Alberighi.

[*67] Piqué : irrité, vexé, dépité.

[*120] Peut-être écho de Boileau Epître VI : « Ne puis-je ici fixer ma course vagabonde / Et, connu de vous seul, oublier tout le monde ».

 [*140] À l'envi : sans aucune retenue, en faisant de notre mieux.

 [*181] Echo de la Phèdre de Racine, vers 543 : « Dans le fond des forêts votre image me suit ».

 [*282] « Petites Maisons » était le nom d'un asile d'aliénés fondé en 1557 à Paris. Boileau, Satires (1666) : « Et qu'il n'est point de fou, qui par belles raisons / Ne loge son voisin aux Petites-Maisons… ». La Fontaine, Les Oreilles du lièvre (1668) : « J'aurai beau protester ; mon dire et mes raisons / Iront aux Petites-Maisons. ». Quelques années plus tard, dans La Joie Imprévue de Marivaux (1738), Pasquin demandera à Lisette : « Me loges-tu toujours aux Petites-Maisons ? ».

[*295] Faire une réponse de Normand : répondre d'une manière évasive, volontairement ambiguë.

[*422] Écho de Racine (Phèdre, IV, 6) : « Tous les jours se levaient clairs et sereins pour eux ».


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