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Marie-Anne Barbier

CORNÉLIE

tragédie


LES GRACQUES DANS L'HISTOIRE

Vers -133, Rome est devenue la première puissance du bassin méditerranéen, mais le clivage patricien/plébéien s'est effacé de la vie politique : la classe sénatoriale monopolise le pouvoir politique et la richesse foncière; les affairistes de l'ordre équestre, négociants, publicains et banquiers se sont enrichis par l'exploitation des provinces. Les factions politiques se divisent entre populares et optimates, groupes d'aristocrates conservateurs.

Les « Gracques » sont deux frères et hommes d'État romains qui se sont mis du côté des populares et ont tenté de réformer le système social romain. Fils du consul Tiberius Sempronius et de Cornelia Africana, ils sont les petits-fils de Scipion l'Africain.

Tiberius, tribun de la plèbe en -133 av. J.-C., soumet une proposition de loi agraire prévoyant la limitation au droit de possession individuelle et la redistribution aux citoyens pauvres des terres récupérées. Les sénateurs s'opposent à cette loi et achètent un autre tribun de la plèbe, Marcus Octavius, pour qu'il fasse usage de son droit de veto; sous la pression du peuple, la loi est néanmoins votée. Tiberius se présente alors à un second tribunat, mais ce nouveau mandat lui est refusé. Un émeute éclate, au cours de laquelle Tiberius, harcelé par son cousin Cornelius Scipion, est tué sur le Capitole ainsi que 300 de ses partisans. Son corps est jeté dans le Tibre.

Caius  est à son tour élu tribun de la plèbe pour l'année -123. Il veut lui aussi diminuer les pouvoirs du Sénat et accroître ceux des comices, ce qui lui vaut les faveurs de la plèbe. Il tente ensuite une réforme agraire, qui lui vaut une grande popularité et lui permet de se faire réélire tribun pour l'année suivante. Pour lutter contre lui, le Sénat utilise le tribun Marcus Livius Drusus, qui surenchérit sur les lois de Caius, mais fait voter une loi favorable aux grands propriétaires terriens, donc aux sénateurs.

Caius réplique en proposant la création d'une colonie de six mille hommes sur le site de Carthage et l'octroi de la citoyenneté romaine complète aux Latins et partielle aux Italiens afin de s'attirer leurs faveurs. Mais ces propositions de Caius sont trop avancées pour l'époque : il perd l'appui d'une partie du peuple et celui du consul Caius Fannius Strabo, dont il avait soutenu l'élection. N'étant pas réélu pour l'année suivante, il tente de faire sécession avec ses partisans. Le Sénat autorise alors son élimination par n'importe quel moyen. Caius fuit avec son esclave Philocrate sur le Janicule. Là il meurt, exécuté par Philocrate.


LES GRACQUES DANS LA TRAGÉDIE CORNÉLIE

La tragédie commence alors que Tiberius a été massacré depuis dix ans.

On y retrouve Cornélie, à la vertu toute romaine, son fils le tribun Caïus Gracchus, le tribun Livius Drusus qui trahit son ami en suivant les consignes du Sénat, le consul Opimius, l'ennemi mortel de Caïus.

Mais, dans la tragédie,
- Caïus Gracchus n'a ni femme ni enfants
- Le consul Opimius est plus accommodant et semble vouloir trouver une solution pour réconcilier le peuple et le Sénat
- Il a une fille, Licinie (qui porte le même nom que, dans l'histoire, la femme de Caïus)
- Caïus Gracchus est amoureux de cette Licinie, dont il est aimé
- Livius Drusus est lui aussi amoureux de Licinie; c'est la raison pour laquelle il a pris le parti du consul Opimius
- Licinie est troublée par un oracle qui semble prédire que son père Opimius sera tué par Gracchus.
- Caïus Gracchus, poursuivi, se suicide.


RÉSUMÉ DU TEXTE DE PLUTARQUE

 Tibérius et Caïus Gracchus étaient fils de Tibérius Gracchus, qui, honoré de la censure, de deux consulats et d'autant de triomphes, fut choisi pour époux de Cornélie, fille de  Scipion l'Africain, le vainqueur d'Annibal. Il mourut, laissant douze enfants, dont Cornélie ne conserva qu'une fille, Sempronia, et deux fils, Tibérius et Caïus Gracchus. Elle  les éleva avec tant de soin, qu'ils étaient des jeunes Romains les plus heureusement nés pour la vertu.  Tibérius avait neuf ans de plus que son frère. Il était doux et tranquille alors que Caïus avait de la rudesse et de l'emportement. Lorsque Appius Claudius lui proposa sa fille en mariage, Tibérius accepta, sans balancer, une proposition si flatteuse ; il en eut plusieurs enfants.

Le jeune TIBERIUS servant en Afrique surpassa en peu de temps tous les jeunes gens de l'armée en valeur et en soumission à la discipline. Après cette guerre, il fut nommé questeur et le sort l'envoya servir contre les Numantins. Puis il fut nommé tribun du peuple, et il proposa des mesures en faveur des pauvres. Les riches et les grands propriétaires voulurent détourner le peuple de la ratifier ; mais  le peuple environnait en foule la tribune du haut de laquelle Tiberius parlait en faveur des pauvres. Laissant donc toute discussion, les riches propriétaires s'adressèrent au tribun Marcus OCTAVIUS qui, sous la pression, se déclara contre Tibérius, et s'opposa à la ratification de sa loi. Alors Tibérius réplique en rendant une ordonnance qui suspendait l'exercice des fonctions de toutes les magistratures, jusqu'à ce que sa loi eût été soumise aux suffrages du peuple. Malgré l'opposition des possesseurs de terres et du Sénat,  Tiberius obtint du peuple la déposition d'Octavius, ce qui choqua non seulement les nobles, mais même une partie du peuple qui y voyait l'avilissement et la ruine de la dignité tribunitienne.

Ayant suscité la haine des riches (qui songèrent même à le faire assassiner),Tiberius fut amené à proposer à nouveau des lois pour flatter le peuple. Ses amis crurent alors qu'il importait à sa sûreté de demander un second tribunat. Il recommença donc à flatter le peuple par d'autres lois, à la suite desquelles ses ennemis le présentèrent comme un tyran qui insultait à la dignité publique. Son cousin Scipio Nasica, n'ayant pu obtenir une intervention du consul, prit la tête d'une troupe de sénateurs et de leur clients qui poursuivirent Tiberius sur le Capitole où il fut assommé, plus de trois cents de ses partisans étant ensuite massacrés à coups de bâtons et de pierres. Son corps fut jeté dans le Tibre avec les autres morts. C'était en l'année -132 ; Tiberius avait 30 ans.

Le Sénat, pour apaiser le mécontentement du peuple, lui permit de nommer, à la place de Tiberius, Publius Crassus, allié des Gracques, dont la fille Licinia avait épousé Caïus. Et, pour soustraire Scipio Nasica à la vengeance des populares, il l'envoya en mission en Asie, à Pergame.

CAIUS GRACCHUS, soutenu par sa mère Cornélie, inspira lui aussi de la crainte aux riches, qui se concertèrent entre eux pour l'empêcher de parvenir au tribunat. Nommé par le sort pour aller en Sardaigne en qualité de questeur, il fit en sorte de gagner la faveur populaire, et le sénat en fut alarmé.

A cette époque Rome refusait le droit de cité aux Italiques et, en -125, les habitants de Frégelles, au sud de Rome, se révoltèrent, révolte qui fut durement réprimée par le préteur Lucius OPIMIUS. On accusa Caius Gracchus d'avoir été l'instigateur de la révolte, mais il se justifia de ces accusations. Il se mit alors sur les rangs pour le tribunat, sans être arrêté par l'opposition que tous les nobles firent éclater contre lui. Il  fut élu dans l'enthousiasme par le peuple qui voulait affirmer sa fidélité au souvenir de son frère assassiné et son respect pour sa mère Cornélie.

Caïus proposa alors des lois pour augmenter le pouvoir du peuple et affaiblir celui du sénat. Le peuple lui conféra même le droit de choisir lui seul les chevaliers romains qui seraient admis au nombre des juges, droit qui l'investissait d'une autorité presque monarchique. Il fut nommé tribun du peuple pour la seconde fois, sans l'avoir ni sollicité ni demandé, et par le seul effet de l'affection du peuple.

Le sénat, craignant qu'il n'acquît un pouvoir qui le rendrait invincible, essaya un moyen nouveau de détourner la faveur du peuple : ce fut de flatter à son tour la multitude et de chercher à lui complaire dans les choses même les moins justes. Parmi les collègues de Caïus était LIVIUS DRUSUS. Les principaux de Rome, s'adressant à lui, le conjurèrent de s'opposer à Caïus et de s'unir avec eux contre lui en faisant  des lois qui, sans offrir aucun motif d'honnêteté et d'utilité, n'avaient d'autre but que de surpasser Caïus en complaisance et en flatterie pour le peuple. Et Livius fit croire que c'était par les conseils du sénat qu'il proposait toutes ces lois, dont le seul but était de complaire au peuple et de le satisfaire.

Rubrius, un des tribuns du peuple, ayant proposé par une loi le rétablissement de Carthage ruinée par Scipion, et cette commission étant échue par le sort à Caïus, celui-ci s'embarqua pour conduire cette nouvelle colonie en Afrique. Drusus, profitant de son absence, s'éleva plus ouvertement contre lui et s'attacha davantage à gagner le peuple, surtout par ses déclamations contre Fulvius, ami intime de Caïus et mortellement haï du sénat, que l'on accusait d'exciter secrètement à la révolte les peuples de l'Italie. Bien plus, lorsque Scipion Emilien fut trouvé assassiné dans son lit, on accusa Fulvius, et même Caïus Gracchus.

Celui-ci, apprenant que son ami Fulvius était vivement pressé par Drusus, quitta Carthage et revint à Rome. Là il se heurta à nouveau à Lucius Opimius, toujours très attaché à l'oligarchie et puissant dans le sénat. L'année précédente, il avait été écarté du consulat par Caïus, mais, soutenu cette année-là par une faction nombreuse, il ne pouvait manquer de l'obtenir. Et l'on ne doutait pas qu'une fois consul il ne renversât Caïus, dont la puissance commençait à s'affaiblir, le peuple étant rassasié des lois populaires.

De fait Opimius, nommé consul, commença l'exercice de sa charge par abroger plusieurs des lois de Caïus. Mais celui-ci rassembla de nouveau assez de monde pour tenir tête au consul. Sa mère, dit-on, entra dans ce projet séditieux, et soudoya secrètement un certain nombre d'étrangers, qu'elle fit venir à Rome, déguisés en moissonneurs.

Alors le sénat chargea par un décret le consul Opimius d'employer tout ce qu'il avait de pouvoir pour maintenir la sûreté publique et pour exterminer les tyrans. Menacé, Caïus s'apprêtait à sortir de chez lui en toge, sans autre précaution que de porter un petit poignard, lorsque sa femme Licinia, inquiète, l'arrêta pour le mettre en garde.

Le consul Opimius commença par faire massacrer Fulvius et l'aîné de ses enfants. Caïus, lui, s'était retiré dans le temple de Diane, résolu de s'y donner la mort; mais il en fut empêché par ses deux amis les plus fidèles, Pomponius et Licinius, qui lui arrachèrent son poignard des mains et lui conseillèrent de prendre la fuite. Caïus, qui avait pour compagnon un esclave nommé Philocrate, eut le temps de se jeter dans un bois consacré aux Furies ; et là il reçut la mort de la main de Philocrate, qui se la donna ensuite lui-même. Quelques historiens racontent qu'ils furent arrêtés tous deux en vie, et que l'esclave serra si étroitement son maître dans ses bras qu'on ne put porter aucun coup à Caïus avant que son esclave eût péri des blessures qu'il avait reçues.

Les corps de Fulvius et de Caïus, et ceux de tous leurs partisans qui avaient été tués, au nombre de trois mille, furent jetés dans le Tibre, et leurs biens confisqués ; on défendit même à leurs femmes d'en porter le deuil. Cornélie, elle, supporta son malheur avec beaucoup de courage et de grandeur d'âme.


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