<== Retour


Marie-Anne Barbier

ARRIE ET PETUS

tragédie


 

La source est une lettre de Pline le Jeune (III,16) qui évoque, comme exemple de femme forte, Arria, épouse de Caecina Paetus, un « homme consulaire » qui, après avoir été consul à Rome, dirigeait une province. Selon Pline, elle montra sa force d'âme lors de la mort de son fils.

Son mari et son fils étaient en même temps attaqués d'une maladie qui paraissait mortelle. Le fils mourut. C'était un jeune homme d'une beauté, d'une modestie qui charmaient, et plus cher encore à son père et à sa mère par de rares vertus, que par le nom de fils. Arria donna de si bons ordres pour les obsèques que le père n'en sut rien. Toutes les fois même qu'elle entrait dans la chambre de son mari, elle lui faisait entendre que leur fils se portait mieux. Souvent, pressée de dire comment il était, elle répondait qu'il n'avait pas mal dormi, qu'il avait mangé avec assez d'appétit. Enfin, lorsqu'elle sentait qu'elle ne pouvait plus retenir ses larmes, elle sortait; elle s'abandonnait à sa douleur; et, après l'avoir soulagée, elle rentrait les yeux secs, le visage serein, comme si elle eût laissé son deuil à la porte.

En l'an 42, Lucius Arruntius Camillus Scribonianus, qui avait avait soulevé l'Illyrie contre l'empereur Claude, fut vaincu et tué. Caecina Paetus fut arrêté comme complice et emmené à Rome.

Arria conjure les soldats qui l'escortent de la recevoir dans leur bord. Vous ne pouvez, leur dit-elle, refuser à un homme consulaire quelques esclaves qui lui servent à manger, qui l'habillent, qui le chaussent. Seule, je lui rendrai tous ces services. Les soldats furent inexorables : Arria loue une barque de pêcheurs, et, dans un si petit bâtiment, se met à la suite d'un gros vaisseau. Arrivée à Rome, elle rencontre dans le palais de l'empereur la femme de Scribonien, qui révélait les complices, et qui voulut lui parler. « Que je t'écoute, lui dit-elle, toi qui as vu tuer ton mari entre tes bras, et qui vis encore ! »

Paetus fut condamné à mort et Arria ne cachait pas sa volonté de mourir avec lui.

Thraséas, son gendre, la conjurait de quitter la résolution où elle était de mourir : « Vous voulez donc, si l'on me force à quitter la vie, que votre fille la quitte avec moi ? ». Elle lui répondit, sans s'émouvoir : « Oui, je le veux, quand elle aura vécu avec vous aussi longtemps et dans une aussi parfaite union que j'ai vécu avec Pétus ». Ce discours avait redoublé l'inquiétude et l'attention de toute sa famille. On l'observait de beaucoup plus près. Elle s'en aperçut. Vous perdrez votre temps, dit-elle. Vous pouvez bien faire que je meure d'une mort plus douloureuse, mais il n'est pas en votre pouvoir de m'empêcher de mourir. A peine a-t-elle achevé ces paroles, qu'elle se lève précipitamment de sa chaise, va se heurter la tête avec violence contre le mur, et tombe comme morte. Revenue à elle-même : « Je vous avais bien promis, dit-elle, que je saurais m'ouvrir les passages les plus difficiles à la mort, si vous me fermiez ceux qui sont aisés ».

Paetus ayant été condamné à se tuer lui-même avec un poignard, Arria, voyant qu'il hésitait, lui prit le poignard, s'en fappa elle-même et le lui tendit tout sanglant en disant : « Pétus, cela ne fait pas mal ! » [Paete, non dolet]


 

RÉSUMÉ DE LA TRAGÉDIE

 

La tragédie se déroule dans une journée de l'année 48 ou 49.

Après la mort de Caligula, Claude a été élevé à la dignité impériale en 41. Sous son règne, Silanus (Gaius Appius Junius Silanus), consul en 28 sous Tibère, puis proconsul d'Espagne en 41, a épousé la mère de Messaline. Comme il avait refusé à sa belle-mère de devenir son amant, elle s'était vengée en l'accusant et en le faisant tuer par Claude (en 42). M.-A. Barbier imagine qu'avant de mourir Silanus avait confié sa fille Arrie au consul Petus et que les deux jeunes gens étaient tombés amoureux l'un de l'autre. Et Arrie ne songeait qu'à venger son père, victime de l'empereur et de son affranci Narcisse.

En 49, la mort de Silanus et le gouvernement tyrannique de Claude ont suscité contre lui une conspiration avec Annus Vinicianus à sa tête et avec l'appui du Sénat. Scribonianus, alors légat en Dalmatie avec deux légions, se dispose à marcher sur Rome pour faire abdiquer le tyran.

Claude, débarrassé de son épouse Messaline (en 48) a d'abord décidé d'épouser sa nièce Agrippine, fille de Germanicus. La découverte du complot retarde ce mariage, mais surtout le fait que Claude est tombé amoureux d'Arrie et souhaite l'épouser, estimant que l'ambition et la perspective de régner lui feront oublier la haine qu'elle lui porte. Mais Arrie refuse tout net.

Bien plus, elle apprend au consul Petus qu'une conspiration se monte contre l'empereur et elle lui demande d'en être. Certes elle hésite à mettre ainsi la vie de son amant en danger; mais le succès du complot est pour elle le seul moyen d'échapper au mariage avec Claude. Elle assure Patus que, s'il meurt dans cette affaire, elle le suivra sans hésiter dans la mort.
Claudius est informé de la conspiration et du rôle qu'y joue Arrie, toujours soucieuse de venger son père. Il pense que Scribonianus veut non seulement s'emparer du pouvoir, mais aussi épouser Arrie. Il sait qu'il doit se venger, mais ne peut se résigner à mettre à mort celle qu'il aime. Il temporise, parle de convoquer le Sénat, espère pouvoir la contraindre à l'aimer…

Agrippine, qui ne sait pas le rôle que joue Petus dans l'affaire, compte d'abord sur lui pour châtier les conjurés, et surtout Arrie, sa rivale dans le cœur de Claudius. Elle ne comprend pas les hésitations du consul et elle le menace. Alors il lui avoue qu'il aime Arrie. Finalement Agrippine accepte de favoriser la fuite loin de Rome d'Arrie et de Petus, ce qui lui permettrait de se faire épouser par Claude. Mais Arrie refuse cette conduite qu'elle juge indigne d'elle. Elle dit qu'elle préfère mourir, laissant à Petus le soin de venger Silanus. Petus à son tour refuse. Alors elle accepte de fuir avec lui pour rejoindre l'armée de Scribonius. Mais, auparant, elle épouse Petus en présence d'Agrippine. Aussitôt, avec l'aide de Maxime, le chef de la garde, les deux jeunes gens quittent Rome. Mais Proculus, le second capitaine des gardes, les arrête sur la route d'Ostie et les ramèe au palais.
Agrippine est furieuse de voir Arrie de retour, ce qui compromet son mariage avec Claudius. Elle est décidée à la mettre à mort avec son amant, par le fer ou le poison. Mais Narcisse, craignant la colère de l'empereur ou celle d'Arrie si elle accédait à l'empire, lui suggère d'employer un artifice :  il suffirait de susciter la haine de Claude contre Petus, en lui révélant qu'il est son rival et son rôle dans le complot ; ainsi l'empereur le ferait mourir et Arrie, conformément à la promesse qu'elle s'est faite, le suivrait dans la mort.

Claudius convoque Petus, qui ne lui cache rien : il dit qu'il a voulu libérer Rome d'un tyran et qu'il est prêt à mourir. Mais Claude hésite encore. Arrie, elle, affirme que, loin de fuir, elle serait revenue pour tuer l'empereur ; elle demande à mourir, mais que Petus soit épargné. Claude serait disposé à l'indulgence lorsque Arrie lui apprend qu'elle vient de se marier avec Petus. Claude, qui se dit au-dessus des lois, lui demande une dernière fois de l'épouser pour échapper à la mort.

Alors Arrie perduade Petus qu'il leur faut mourir tous deux, mais de leur propre initiative. Elle sort un poignard qu'elle dissimulait dans ses vêtements et s'en frappe; puis elle le tend à Petus et lui disant « Ça ne fait pas mal ». Et Petus se tue à son tour.

En cette année 49, Claude épousera Agrippine. Mais, avant de mourir, Arrie a laissé entendre à Claude qu'il sera tué par Agrippine et celle-ci par son fils Néron…


<== Retour