Charles Barbara
EXTRAITS DES RAPPORTS D'UN AGENT DE POLICE
RÉSUMÉ
Cette nouvelle est la satire d'un agent de police borné, qui fait du zèle, qui tient ses capacités en haute estime, mais qui en fait ne comprend rien à ce qui se passe sous ses yeux. Il a reçu mission de surveiller un certain Hégésippe Vannier et, dans les mois de novembre et décembre 1843, il envoie huit rapports à son chef.
Ce Vannier est un poète incompris bien inoffensif qui vit dans la misère. Mais l'agent est persuadé qu'il a affaire à un dangereux anarchiste qui cache bien son jeu : il se lave régulièrement (!), il ne se nourrit que d'une tranche de pain, il fait de la musique avec « un gros violon qu'il tient entre ses jambes », il feint de faire ses prières… Très fier d'avoir réussi son chef-d'œuvre (un trou dans la cloison qui lui permet de voir et d'entendre), l'agent note tout scrupuleusement, enregistrant en sténograhie les moindres propos de l'homme qu'il espionne et qu'il souponne de cacher, derrière un mode de vie apparemment très banal, « de sinistres projets » : quand il voit que cet homme lit et écrit « les yeux hagards », il s'inquiète ; quand il l'entend dénoncer les méfaits du tabac, il voit là une preuve que c'est un fou dangereux. Même les mœurs de sa chatte angora lui paraissent aussi singulières et inquiétantes que celles de son maître.
Dans ses rapports, l'agent ne peut s'empêcher de mettre des réflexions personnelles, des « écarts d'orgueil ». Quand son chef de service le lui reproche, il exprime un vif repentir et promet de devenir un modèle d'humilité et d'abnégation ; et il le flatte par des formules telles que : « Un sourire de vous est plus doux à mon âme qu'un rayon de soleil par un jour de pluie et la foudre m'est moins redoutable qu'un de vos regards de colère ».
Plein de zèle, il dit avoir employé un sous-agent – un médiocre, un incapable qu'il a péniblement essayé de former – en lui demandant de jouer l'anarchiste afin d'amener le sieur Vannier à se dévoiler ; mais il a été impossible, avoue-t-il, de « soulever un des coins du linceul sous lequel Vannier enterre ses pensées coupables ».
Lorsqu'il entend Vannier dire qu'il se sent observé depuis plusieurs jours par « un homme à face plate, à l'air abruti, au teint livide, à la barbe étiolée comme une toison galeuse », il commente : « Je ne pense pas qu'il voulût parler de moi : le miroir que je consulte me renvoie une image qui ne ressemble nullement au portrait ».
Dans le personnage d'Hégésippe Vannier, Barbara fait évidemment une caricature du jeune romantique (1843, c'est la fin de la mode « romantique »). Hégésippe a cru qu'il avait du génie et il s'est évertué à écrire, dans une sorte de rage ; mais il s'est aperçu que personne ne voulait publier ses manuscrits, qu'il ne se heurtait qu'à des rebuffades du genre : « Quand on veut tenir une plume, il faut avoir quelque chose à dire ». Se sachant condamné à vivre dans une extrême misère, il a refusé d'épouser une jeune fille, Louise, qui l'aime et qui l'aime, ne voulant pas « lier le sort d'une femme à son horrible sort et voir à sa suite une demi-douzaine de misérables affamés » Il est persuadé qu'une fatalité le suit, « comme font les corbeaux un convoi de morts ». Dans son médiocre logement, dont il ne peut payer le loyer, il comprend trop tard qu'il s'est isolé, qu'il s'est privé des joies de la famille et qu'à sa vie, qui n'aboutit qu'à la misère et au désespoir, est prérable celle du paysan ou de l'ouvrier.
Et donc, après avoir mis ses affaires en ordre, il va se suicider sous les yeux du policier, qui, jusqu'à la fin, a cru qu'il jouait une pantomime.Quand il constata que Vannier était mort, l'agent termina son huitième rapport par ces phrases : « Cette mort était autant de besogne de moins pour nous, pour les juges et pour le jury … D'ailleurs mes instructions me faisaient simplement le devoir de le surveiller et non celui de lui sauver la vie ».
Finalement, il se félicite de l'intelligence qu'il a su déployer dans ce beau travail, ayant, pour remplir sa mission, passé des heures sans bouger, l'oeil au trou, la plume à la main. Et il termine en demandant poliment le remboursement des frais qu'il a engagés…