Charles Barbara
UN CAS DE CONSCIENCE
RÉSUMÉ
Le riche marquis de ***, mettant de l'ordre dans le grenier de son hôtel parisien, y trouva un violon en mauvais état dans un vieil étui de cuir. Le trouvant sans intérêt, il s'en débarrassa à le donnant au commissionnaire, maître Joseph Tartenois, qui l'aidait dans ses rangements.
Celui prit l'avis d'un musicien ambulant qui estima qu'il valait six francs tout au plus. Joseph le garda et l'oublia. L'hiver suivant, comme il sombrait dans la misère, il prit le violon et alla le montrer à un brocanteur qui l'estima à dizaine de francs. Il alla ensuite le marchander chez un revendeur qui lui en offrit trente francs. Rendu méfiant, Joseph refusa. Il alla demander l'avis d'un facteur d'instruments qui, après avoir examiné de près l'instrument, eut du mal à cacher son émotion ; il proposa de trouver un acquéreur pour au moins quatre cents francs. Cela conforta le commissionnaire dans l'idée que son violon avait une grande valeur. Un luthier, manifestement intéressé, essaya de le tromper et lui demanda une attestation prouvant qu'il en était légitime propriétaire ; puis il lui offrit de le prendre pour huit cents francs, puis pour mille francs, même sans l'attestation. Joseph, très ému de posséder un objet d'une telle valeur, comprit qu'il avait affaire à un filou,
Il alla trouver le marquis, lui révéla que le violon n'était pas sans valeur. Le marquis, sans s'en émouvoir, lui signa l'attestation demandée. Revenu chez lui, il appris que le luthier était passé pour lui offrir le double.
De plus en plus excité il alla trouver un autre luthier, qui, ayant vu le violon, lui en offrit six mille francs et peut-être plus. Joseph, sûr de posséder un objet d'une grande valeur, demanda à réfléchir.
Il rencontra alors deux frères, plus honnêtes que tous les autres marchands. Ils découvrirent avec enthousiasme une étiquette : « Antonius Stradivarius Cremona faciebat anno 1702 ». Et ils en proposèrent dix mille francs ! Dès lors Joseph fut très malheureux, ne pouvant étouffer les scrupules de sa consience, car il était évident que le marquis ignorait tout de la valeur du violon quand il l'avait donné au commissionnaire. Pourtant l'honnête Joseph se décida et alla vendre le violon contre dix mille francs.
Mais ses scrupules étant de plus en plus forts, il décida d'aller dire la vérité au marquis et de lui donner les dix mille francs. Le marquis l'accueillit plutôt froidement, prit les billets, les glissa dans une enveloppe, y ajouta un mot rédigé sur une feuille de papier, mit une adresse sur l'enveloppe et sortit quelques instants. Revenu, il demanda à Joseph à combien il estimait le violon quand il avait songé à le vendre : quinze ou vingt francs, lui dit Joseph. Alors le marquis lui donna une pièce d'or et le congédia.
Resté seul dans la rue, Joseph commença par regretter son beau geste, qui lui faisait renoncer à une véritable fortune. Puis il se ressaisit et rentra chez lui. Sa femme lui dit qu'un domestique avait, en son absence, apporté une grande envelppe, dans laquelle il trouva les dix mille francs et un mot du marquis confirmant que les billets lui appartenaient bien, car, avait écrit le marquis, il n'était pas dans ses habitudes de reprendre ce qu'il avait une fois donné.
Ainsi Joseph le commissionnaire put ouvrir une boutique de brocante et vivre confortablement, conservant sous verre la lettre du marquis, qu'il put lui montrer un jour que le marquis passa devant sa boutique.