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LA COLONNE VENDÔME : UNE COLONNE TRAJANE À PARIS



Dès 1800 sans doute, et spécialement dès la paix de LunéviLLe (1801), qui assurait son autorité pour longtemps, Bonaparte avait décidé de faire ériger à Paris un monument à la gloire des armées victorieuses; il voulait que ce monument fût une colonne triomphale, inspirée de celIes qu'il avait admirées à Rome, et se serait même « contenté » de la Colonne Trajane elle-même, si les circonstances avaient été plus favo rables. Des différents projets qui virent alors le jour, naquit, en 1811, la Colonne Vendôme.

La Colonne Trajane à Paris ?

En 1801, Daunou rassemblait à Rome près de 500 caisses, pesant environ 30000 quintaux et pleines d'œuvres d'art qu'il allait faire venir à Paris pour les placer au Panthéon des Arts (Musée du Louvre) et à la Bibliothèque Nationale.

Bonaparte demanda qu'on ajoutât au convoi... la Colonne Trajane, qu'il voulait placer, au centre de la place Ven dôme, sur le piédestal qui avait autrefois supporté la statue équestre de Louis XIV, abattue pendant la Révo lution.

Daunou fit valoir au Premier Consul que le mécontentement populaire, déjà sensible, serait certainement accru si l'on enlevait la colonne et que le traité de Tolentino, signé entre Bonaparte et le Pape, n'autorisait pas le transfert des monuments; en outre, le coût de l'opératien serait énorme et l'on risquait de briser le fût en le démontant; l'opération paraissait donc impossible.
Se rendant à ces raisons, Bonaparte renonça au pojet, mals l'Idée de la Colonne Vendôme était née.

De la Colonne Trajane à la Colonne Vendôme

Les projets

Différents projets ayant été rejetés, l'idée de la colonne triomphale paraissait abandonnée, quand, en 1801, Auge reau, commandant l'armée des Pays- Bas, offrit à Bonaparte une somme de 400000 F, qui restait dans les caisses après la levée des contributions et le paiement des soldes; il demandait que ce reliquat fût affecté à la construction d'un monument triomphal et proposait même de verser personnellement une somme de 30000 F à l'architecte dont le projet serait retenu.

En juillet 1801, il fut donc décidé qu'on élèverait sur la place Vendôme une colonne imitée de celle de... Gand; dans cette ville, en effet, on avait érigé une colonne triomphale à l'emplacement d'une statue de Charles-Quint. Et les choses en restèrent là.

Mais, deux ans plus tard, le 1er octo bre 1803, parut un décret signé de Bonaparte : « II sera élevé à Paris, au centre de Ia place Vendôme, une colonne à l'instar de celle érigée à Rome en l'honneur de Trajan. Cette colonne aura 2,73 m de diamètre sur 20,78 m de hauteur. Son fût sera orné dans son contour en spirale de 108 personnages allégoriques en bronze ayant chacun 0,97m de proportion et représentant les départements de la République. La colonne sera surmontée d'un piédestal terminé en 1/2 cercle, orné de feuilles d'olivier et suppor tant la statue équestre de Charlemagne ». Le projet est celui du Baron Denon et le plan est de l'architecte Thierry; le monument est prévu en pierre.

On voit que Bonaparte tenait à la ressemblance avec la Colonne Trajane et que les mesures indiquées dans le décret sont en gros celles du monument romain; il en est de même pour la forme générale; seules diffèrent les sculptures de la frise, sur laquelle il n'est pas encore question de raconter une guerre, et la statue, qui est éques tre et ne représente pas le général victorieux.

Cependant, dès mai 1804, la section des Beaux-Arts de l'Institut propose que la statue de Charlemagne, œuvre obscure du XVIIe siècle, qui avait été prise à... Aix-la-Chapelle, soit réexpé diée dans sa ville d'origine et que la future colonne soit surmontée d'une statue de l'Empereur.

La ressemblance entre les deux œu vres devient encore plus nette; il ne manque plus que le bas-relief.

La mise en œuvre

Ce n'est qu'en décembre 1805, peu de temps après Austerlitz, que Napoléon donnera l'ordre de construire la colonne, qui s'appellera Colonne d'Auster litz, avant de s'appeler Colonne des Victoires, puis Colonne de la Grande Armée.

En mars 1806, Champagny, ministre de l'Intérieur, fait savoir que tout est prêt et chiffre la dépense à 1790000 F; il demande en outre que la colonne soit faite en bronze, et non plus en pierre, et couronnée par une statue de Napoléon; il propose enfin que soient coulées dans le bronze des sculptures racontant les événements qui ont conduit à la bataille d'Auster litz. L'Empereur, secondé par Denon qui contrôle les travaux des architectes Lepère et Gaudoin, tient en effet beaucoup à ce que l'ensemble soit le plus proche possible de la Colonne Trajane. Il n'y a plus maintenant, à l'exception du bronze et du sujet, de différence entre les deux colonnes.

Deux jours plus tard, Napoléon ordon ne au ministre de la Guerre de mettre à la disposition de Champagny, "pour être employée à la construction de la colonne d'Austerlitz, la quantité de 150000 livres pesant de bronze en pièces de canons prises à l'ennemi". En fait, il faudra plus tard une "rallonge" de 30000 livres, mais l'ensemble coûtera moins cher que prévu.

En septembre 1806, quand les premiers canons, évidemment hors service, arrivent à Paris, le chantier est installé depuis deux mois; on a rasé le piédestal de la statue de Louis XIV et gardé les fondations très solides du XVIIe siècle; sous la première pierre du nou veau soubassement, on a glissé un coffret de chêne et de plomb contenant un exemplaire de toutes les monnaies et médailles de l'Empire.

La Colonne Vendôme

Les travaux dureront quatre ans et la colonne sera achevée en février 1811. Suivant les plans de l'architecte Le père, on a d'abord superposé des tam bours en pierre, autour desquels on a placé les bas-reliefs en bronze. La spirale qui a 220 mètres de long, pèse 200 tonnes; elle est composée de 425 plaques, qui tiennent à l'aide de 1200 agrafes en bronze, fixées dans la pierre et boulonnées, sous les plaques, à des tenons. L'assemblage n'est pas lié; les contours des plaques ont même été biseautés, pour permettre les variations dues à la température et au tassement éventuel de la pierre.

Conformément aux désirs de l'Empe reur et de Denon, l'ensemble est très proche de la Colonne Trajane. La base est ornée de trophées, représentant des armes et des vêtements autri chiens; sur une des faces se trouve une porte en bronze et l'inscription dédicatoire a été gravée sur le lin teau : « Napoléon Empereur Auguste a dédié à la gloire de la Grande Armée, ce monument fait de l'airain conquis sur l'ennemi pendant la guerre en Allemagne, qui, sous son commandement, fut terminée en 1805 dans l'espace de 3 mois ». Le texte est évidemment en latin.

Vendome dedicace

NEAPOLIO IMP. AVG. MONVMENTVM BELLI GERMANICI ANNO MDCCCV
TRIMESTRI SPATIO DVCTV SVO PROFLIGATI
EX AERE CAPTO GLORIAE EXERCITVS MAXIMI DICAVIT

A l'intérieur du fût s'élève un escalier en pierre de 176 marches. A l'extérieur, les sculptures ont été dessinées par Bergeret, élève de David, ciselées par 31 artistes et moulées par les orfèvres Launay et Canlers; elles racontent les événements de 1805 depuis le camp de Boulogne (15 août 1805) jusqu'au retour triomphal de l'Empereur à Paris, le 27 janvier 1806, après la victoire d'Aus terlitz.

Au sommet se dresse, haute de 3,40 m, la statue de Napoléon en Imperator, ou mieux, en Trajan, œuvre du sculp teur Chaudet; elle ne resta en place que trois ans, puisqu'elle fut abattue par les Ultras en 1814 et fondue, avec celle de Boulogne, pour servir à la fabrication de la statue d'Henri IV, actuellement sur le Pont-Neuf; à sa place, le drapeau blanc à fleur de lys flotta jusqu'en 1830.

Conçue à l'image de la Colonne Trajane, la colonne de Paris n'eut pas un destin aussi tranquille que celui de la colonne romaine; au lieu d'être protégée, elle fut au contraire souvent attaquée, en raison de sa valeur sym bolique, par les divers gouvernements qui se succédèrent en France à partir de 1815.

Le drapeau du roi enlevé dès 1830, Louis-Philippe fit, en 1833, mettre en place une autre statue, œuvre de Gabriel Seurre et du sculpteur Crozatier; elle représentait Napoléon en « petit caporal ». Cette seconde statue fut descendue en 1863 et remplacée par une œuvre de A. Dumont, qui revenait à l'image de Trajan et de l'imperator; la statue de Seurre avait été installée à Courbevoie; jetée à la Seine en 1870 sur l'ordre de Gambetta, elle fut repêchée cinq ans plus tard et trouva place aux Invalides. Quant à la statue de Dumont, elle fut brisée en 1871 avec l'ensemble de la colonne! Le 12 avril 1871, en effet, le peintre Gustave Courbet, chargé des Beaux- Arts sous la Commune, fit voter la décision suivante : « La colonne impé riale de la Place Vendôme étant un monument de barbarie, un symbole de force brutale et de fausse gloire, une affirmation du militarisme, une négation du droit internatienal, une insulte permanente du vainqueur aux vaincus, un attentat perpétuel à l'un des trois grands principes de la République, la Fraternité, sera démolie. »

La colonne de la Grande Armée que les Royalistes n'avaient pas pu faire sauter en 1814, comme ils le dési raient, fut donc abattue, avec de gros ses difficultés, le 16 mai 1871. Le même jour les Versaillais entraient dans Paris. Brisée dans sa chute, elle fut restaurée de juillet à décembre 1875 et redressée en présence de Mac-Mahon. Protégée pendant les deux grandes guerres comme la Colonne Trajane, elle ne connut plus d'autres malheurs.

Trajane 1874

Son rétablissement en 1874

Le bronze résistant mieux que le marbre à la pollution moderne, elle est même maintenant plus solide que la vieille Colonne Trajane, qui n'a jamais suscité que l'envie, mais dont les sculptures se sont, hélas, plus effritées en vingt ans qu'en vingt siècles.

Colonne Vendôme


BIBLIOGRAPHIE

G. CAIN, La Place Vendôme, Paris.
Achille MURAT, La Colonne Vendôme, Paris, 1970.


Cet article a été publié dans Les Dossiers de l'Archéologie,
n° 17, 1976, p. 116-121.


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