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DANTE, TRAJAN ET LA COLONNE TRAJANE

 

La divine providence avait voulu que le monde fût en ordre au moment que Dieu avait choisi pour envoyer sur terre son fils unique. Sous les coups des Grecs, agents perfides et inconscients d'une intelligence dont ils ignoraient les desseins, Troie s'effondra pour qu'Énée pût en partir et aller fonder Rome. Dans les mêmes temps naissait David. A force de vertu, de courage et, vers la fin, de violence nécessaire, Rome étendit sa puissance et rangea le monde à ses lois. Quand "le bon Auguste" eut établi l'ordre et la paix dans l'univers, les conditions les meilleures furent enfin réalisées; le Christ pouvait venir, ses bourreaux étaient prêts pour le sacrifice et le Rachat du monde enfin possible, comme Dieu l'avait résolu dans sa bonté (1).

Liés l'un à l'autre par une continuité providentielle, le monde païen et l'univers chrétien se mêlent étroitement tout au long de la Divine Comédie et les vertus antiques ont aux yeux de Dante autant de prix que les vertus chrétiennes ; c'est ainsi que dans le Purgatoire les exemples proposés aux pénitents après celui de la Vierge Marie, sont très souvent d'origine païenne (2).

Si la mission confiée aux Grecs sans qu'ils le sachent en a fait des héros intelligents mais fourbes et rusés, que Dante voue presque tous aux cercles de l'Enfer (3), Rome devait être nécessairement mieux traitée, puisque son destin était de créer l'Empire Universel, dans lequel se développerait le monde chrétien.

Plus de Romains que de Grecs ont donc mérité de passer leur éternité dans la relative paix du Limbe (4) et trois d'entre eux seront même sauvés : Stace (5) d'abord, qui achève ses 1200 années de pénitence au moment même où Dante traverse le Purgatoire, Caton d'Utique ensuite (6), promu gardien du Purgatoire et appelé par conséquent à gagner le Paradis, quand arrivera l'heure du Jugement Dernier, Trajan enfin dont le destin nous intéresse ici d'autant plus que le poète, pourtant peu sensible aux monuments antiques, nous semble avoir sauvé en même temps que lui, sinon l'image exacte, du moins l'idée de la colonne triomphale que l' "Optimus Princeps" avait fait ériger en 113 pour célébrer sa victoire sur les Daces.

Pour répondre au "che cose son queste ?" (7) qui vient inévitablement aux lèvres, il faut parler d'abord de Trajan, même si le rapport entre sa présence au ciel de Jupiter et l'image de la Colonne Trajane que nous offre le Purgatoire ne peut être établi que par intuition.

I - DANTE ET LA LÉGENDE DE TRAJAN

Contrairement à Stace et à Caton, Trajan n'a pas été sauvé par la seule volonté de Dante; l'histoire anecdotique, l'erreur archéologique et la foi miraculeuse ont dû s'unir pour lui assurer le repos éternel; elles sont à l'origine d'une tradition (8) que Dante a reprise en grande partie, après en avoir trouvé la confirmation dogmatique dans St Thomas [18].

Au départ de la légende de Trajan se trouve en effet une brève anecdote rapportée par Dion Cassius (9) et relative à I'Empereur Hadrien : une femme que l'Empereur avait rencontrée sur sa route lui demandait une faveur; il répondit d'abord "je n'ai pas le temps" ; mais elle cria "alors, ne règne pas" ; il revint sur ses pas pour examiner la requête. Comme on voyait au Forum un bas-relief sur lequel Trajan était représenté devant une femme à genoux, qui figurait sans doute une province vaincue et semblait implorer la grâce du Prince, l'image l'emporta vite sur le texte et le "remords" d'Hadrien fut attribué à son prédécesseur. Quelques détails supplémentaires (Trajan à cheval, le départ en guerre, le geste vers le frein de l'animal, le fait qu'il s'agisse maintenant d'une veuve demandant justice pour son fils) permirent ensuite d'obtenir un récit que Dante reprend intégralement dans le chant X du Purgatoire.

"Là était figurée la gloire sublime du prince romain dont la vertu valut à Grégoire sa grande victoire,
je parle de l'empereur Trajan : une pauvre veuve se tenait au frein de son cheval, dans une attitude de douleur et de larmes.
Autour de lui, le sol était foulé et plein de cavaliers ; et au-dessus de lui les aigles sur champ d'or au vent semblaient se mouvoir.
Parmi tous ces gens, la pauvrette paraissait dire : "Seigneur, venge-moi la mort de mon fils, qui me désespère!" Et il paraissait lui répondre : "Attends que je sois de retour." Mais elle, comme une personne que la douleur rend impatiente : "Mon Seigneur,
et si tu ne reviens pas ?" Et lui : "Celui qui sera à ma place te vengera." Mais elle : "Le bien fait par un autre, à quoi te servira-t-il si tu négliges celui qui t'incombe ?"
Et lui alors : "Or, sois satisfaite, car il faut que je remplisse mon devoir avant de partir, la justice le veut, la pitié me retient ici." (10)

On voit que la tradition médiévale s'est enrichie d'éléments chrétiens qui ne figuraient évidemment pas dans la version originale: c'est à la charité qu'il est maintenant fait appel, c'est le salut de l'Empereur, autant que le sort de la pauvre mère, qui se trouve mis en question et les dernières paroles de Trajan : "giustizia vuole, e pietà mi ritiene" [la justice le veut, la pitié me retient ici - Purgatoire, X, v. 93 ], qui contiennent les deux mots-clefs de la Divine Comédie (11), paraissent déjà presque inspirés par Dieu.

Mais la légende s'était vite compliquée. Les textes anciens que Dante avait pu lire ne se bornent plus à rapporter l'anecdote de la veuve ; ils ajoutent que, cinq cents ans plus tard environ, le pape Grégoire, profondément ému par ce récit, se lamentait souvent en songeant à la damnation du vertueux Empereur; poussé par ce tourment, le Pape avait même fait déterrer le corps de Trajan (12), que l'on avait trouvé réduit en poussière, à l'exception des os et... de la langue (13). Cédant aux pleurs et surtout aux prières du Saint Pape que ce miracle avait rendues encore plus instantes, Dieu accepte alors de sauver Trajan : "il le sort des peines et le place dans la Gloire" (14).

Cependant, un Ange fut dépêché à Grégoire pour lui ordonner de ne plus créer de fâcheux précédents en priant pour l'âme des païens. Une punition lui fut même infligée, pour laquelle le divin messager lui donna le choix entre deux jours au Purgatoire et une douleur continuelle au côté droit (14). Grégoire préféra la seconde peine, signe de repentir et de foi mais aussi, oserons-nous dire, manque de curiosité!

Dante, cette fois, ne retient que les éléments fondamentaux de la légende : dans le ciel de Jupiter (15), celui des Justes et des Sages, lui apparaît l'une des plus belles images de la Divine Comédie, celle de l'Aigle impériale, que dessinent sans fin, dans la lumière et le mouvement, les âmes de tous les élus. Autour de l'œil, au centre duquel est David, c'est-à-dire à l'endroit le plus noble, siègent cinq âmes privilégiées : près du bec Trajan, à l'autre extrémité Rhipée, au milieu et au-dessus Constantin, à sa gauche Ezechias, à sa droite Guillaume le Bon. L'Aigle parle d'une seule voix, qui est celle de tous les Justes ensemble, et quand le poète s'étonne de trouver ici deux païens (16), l'Aigle explique ainsi le cas de l' "Optimus".

"Des cinq qui forment le cercle de mon sourcil, celui qui est le plus rapproché de mon bec a consolé la veuve de la mort de son fils ;
il connaît maintenant combien il coûte cher de ne pas suivre le Christ, par l'expérience qu'il a, et de notre doux sort, et du sort opposé.
...........................................................
Celle-là, de l'enfer où l'on ne revient jamais à une volonté bonne, retourna à sa chair, et ce fut la récompense d'un vif espoir,
d'un vif espoir qui mit toute sa force à prier Dieu qu'il le ressuscitât, pour que sa volonté pût être redressée.
L'âme glorieuse dont je te parle, retournée dans sa chair, où elle resta peu de temps, crut en Celui qui pouvait lui venir en aide;
et, en croyant, elle s'embrasa d'un tel feu de véritable amour, qu'à sa seconde mort elle fut digne de venir à cette fête." (17)

Dante a donc retenu les éléments de la légende, dont St Thomas lui avait fourni la confirmation dogmatique (18). Mais, comme il l'avait déjà fait déjà pour Stace et pour Caton, le poète aurait pu se passer de cette autorité, car l'admiration, l'amour même, qu'il éprouve pour les héros de l'Antiquité, l'emportent aisément chez lui sur le respect de l'histoire et du dogme officiel; évidemment très soucieux des règles de la Foi, Dante ne cède cependant jamais à un conformisme, qui lui paraît sans doute un peu lâche.

A travers l'exemple de Trajan, Dante exalte une fois encore I'Empereur et l'Empire Universel, que les Antonins avaient porté jusqu'à son plus haut degré de perfection. C'est pourquoi sans doute Trajan se trouve face à Rhipée, au lieu d'être près de Constantin ; Rhipée le Troyen, compagnon d'Énée le Fondateur, est en effet à la racine même de Rome, dont Trajan figure l'apogée, tandis que Constantin, qui a laissé la Ville aux Papes et "s'est fait Grec" (19), a rejoint, pour ainsi dire, le camp des destructeurs : en admettant ici Constantin, le poète cette fois cède au dogme, mais avec de nettes réserves et comme à regret. Face à Constantin, le chrétien qui a "cassé" l'Empire, Trajan, le païen qui en a étendu les limites une dernière fois, méritait bien sa place au Paradis des Justes.

II. - DANTE ET LA COLONNE TRAJANE.

Le cas de Trajan est donc très clair ; sa présence est suffisamment marquée, son rôle assez important, la place qu'il occupe est le résultat d'une réflexion assez soutenue pour que Dante ait également songé aux monuments que le Prince avait fait construire. S'il ignore en général les œuvres des autres Empereurs, dont il parle si peu, pourquoi n'aurait-il pas retenu celle de l'Empereur élu, la Colonne, dont la forme et la conception pouvaient en outre s'intégrer parfaitement à son dessein ?

Le poète pourtant ne s'intéresse guère aux œuvres architecturales des Anciens dont on cherche en vain la trace dans la Divine Comédie (20); cependant les seules allusions un peu précises à la sculpture se trouvent au chant X du Purgatoire et concernent précisément Trajan. Le cas est troublant et vaut qu'on s'y arrête.

a) Les "sculptures" du chant X.

Au chant X, Dante et son guide accèdent enfin à la première corniche du Purgatoire, celle des orgueilleux, condamnés à marcher courbés, les yeux à terre, les genoux ramenés à la poitrine, en portant un lourd fardeau. Les poètes découvrent alors que l'essentiel de l'espace est occupé par "une muraille circulaire ... de marbre blanc, orné de sculptures : telles que non seulement Polyclète, mais la nature en concevraient du dépit" (21).

Ces sculptures, en fait des bas-reliefs, sont au nombre de trois; la première représente l'Annonciation, la seconde David dansant devant l'Arche, la troisième Trajan et la veuve. Elles se suivent immédiatement et sont placées très bas, de manière que les orgueilleux, pliés sous leurs fardeaux, puissent constamment les voir en passant.

"L'ange qui vint sur la terre pour annoncer cette paix, implorée tant de siècles avec larmes, par laquelle fut ouvert le ciel longtemps fermé,
devant nous apparaissait si vrai, représenté là dans une suave attitude, qu'il ne semblait pas être une image muette. On aurait juré qu'il disait : "Ave !" parce que là était figurée celle qui tourna la clef pour ouvrir la porte de l'amour divin ;
par son attitude elle exprimait cette parole : "Ecce ancilla Dei", aussi nettement qu'une image se grave dans la cire.
"Ne fixe pas ton esprit sur un seul point", me dit le doux maître qui m'avait près de lui du côté où l'on a le cœur.
Aussi détournai-je mes regards, et je vis derrière Marie, du côté où se trouvait celui qui me guidait,

une autre scène taillée dans la roche ; c'est pourquoi je passai au-delà de Virgile, et je m'en approchai pour qu'elle fût mieux exposée à mes regards.
Il y avait là sculpté, dans le même marbre, le char et les bœufs traînant l'arche sainte, qui fait craindre d'usurper un office dont on n'a pas la charge;
en avant, apparaissait une foule, toute divisée en sept chœurs, et qui faisait dire à l'un de mes sens: "Non, elle ne chante pas", et à l'autre : "Mais si !"
Pareillement, sur la fumée de l'encens qui était représentée là, les yeux et les narines ne s'accordaient point, luttant pour oui et pour non.
Là, l'humble psalmiste, ses vêtements relevés, précédait en dansant l'arche bénie, et se montrait dans cette scène plus et moins que roi.
Représentée en face à la fenêtre d'un grand palais, Michol regardait dans la stupeur, comme une femme dédaigneuse et attristée.
Je quittai le lieu où je me trouvais pour voir de près une autre scène, qui, derrière Michol, m'attirait par son éclat blanc (22).

En ce qui concerne la scène de Trajan et de la Veuve, que nous avons citée plus haut, les indications purement descriptives sont très succinctes; elles se limitent à la position de la femme qui "se tenait au frein de son cheval (celui de Trajan) dans une attitude de douleur et de larmes" (23) et la peinture de l'Empereur est remplacée par celle du décor qui l'entoure : "autour de lui, le sol était foulé et plein de cavaliers; et au-dessus de lui les aigles sur champ d'or au vent semblaient se mouvoir" (24).

La description proprement dite cède en effet rapidement la place au dialogue entre les deux personnages et l'interprétation dantesque demeure finalement bien proche du récit original, puisque le seul élément qui en diffère est la présence des "aigles sur champ d'or", détail splendide, quoique évidemment anachronique.

En fait, ce que le poète cherche à suggérer, c'est une vie miraculeuse, plutôt qu'une vraie sculpture ; ce qu'il peint, c'est une vision surnaturelle, plutôt qu'une œuvre figée dans le marbre ; ce qu'il montre au seuil du Purgatoire, c'est la puissance créatrice de Dieu, plutôt que l'habile travail des hommes : on voit donc bouger les drapeaux, on entend parler les personnages et chanter la foule, "toute divisée en sept chœurs", on respire même "la fumée de l'encens" (25). Ce n'est pas ici l'œuvre approximative d'un homme, qu'il soit ou non Polyclète, œuvre toujours éloignée d'une réalité qu'elle reproduit par des faux-semblants et des "comme si", en demandant sans cesse au spectateur de participer à la création et d'y ajouter la vie qui lui manque : c'est l'œuvre parfaite d'un Dieu, une espèce de "spectacle total", dans lequel tous les sens sont frappés à la fois; le but n'en est pas d'accéder à la beauté pure, mais de faire rayonner une idée morale, de faire vivre un exemple convaincant et douloureux pour ceux qui ne l'ont pas suivi. Marie, David et Trajan ne sont "en sculpture" que parce qu'ils ont valeur d'exemple; ils sont "en spectacle" et "mis en scène", distingués du reste et présentés dans un cadre qui attire l'attention sur eux.

Pourtant, même si les scènes figurées à l'entrée du Purgatoire dépassent l'art et la nature, parce qu'elles sont l'œuvre d'un créateur supérieur à tout, leur aspect miraculeux ne parvient pas à faire oublier qu'il s'agit de bas-reliefs sculptés, et Dante apparemment n'y tient pas. Il voit, il sent, il entend, mais sa raison combat ses sens et ses sens eux-mêmes se contredisent : "une foule ... qui faisait dire à l'un de mes sens : Non, elle ne chante pas, et à l'autre. Mais si!. Pareillement, sur la fumée de l'encens qui était représentée là, les yeux et les narines ne s'accordaient point, luttant pour oui et pour non" (26). La nature réelle des tableaux nous est aussi plusieurs fois rappelée ["une autre scène taillée dans la roche..." (27), "il y avait là sculpté, dans le même marbre, le char et les bœufs..." (28) et le poète signale toujours que les êtres ne sont pas "vrais", que les attitudes immobiles suggèrent seules gestes et paroles, qu'il est victime d'une illusion artistique parfaite : l'ange... "devant nous apparaissait si vrai, représenté là dans une suave attitude, qu'il ne semblait pas être une image muette. On aurait juré qu'il disait : "Ave!" (29); "par son attitude, elle exprimait cette parole" (30); "la pauvrette paraissait dire" (31), "et il paraissait lui répondre" (32).

Il s'agit donc bien de sculptures, merveilleuses certes (33), mais de sculptures quand même, comme il s'agit bien de Virgile ou de Stace, des ombres certes, mais Virgile ou Stace quand même. D'autre part, quoique les tableaux ne traitent pas de sujets semblables, ils sont disposés les uns à côté des autres et présentent une continuité de sens évidente ; enfin ces "métopes" sont sculptées dans une paroi de marbre blanc et montrent à la fin Trajan dans sa splendeur chrétienne.

Dès l'entrée du Purgatoire, nous est ainsi proposée une image, qui fait penser, par sa nature et sa disposition, à la frise de la Colonne Trajane ; mais nous allons voir que ces bas-reliefs font partie d'un ensemble également très évocateur.

b) La structure matérielle du Purgatoire.

Tel qu'il a été conçu par Dante, le Purgatoire ressemble en effet, dans sa structure d'ensemble, à une colonne triomphale, comme l'Enfer évoque le système moral d'Aristote et comme le Paradis reprend le schéma du ciel ptoléméen.

Sur l'île, au centre de laquelle il se dresse, apparaît d'abord la masse épaisse et large de l'Antipurgatoire, dont les parois sont si raides et si abruptes que Dante ne peut les gravir qu'avec le secours de Sainte Lucie venue le chercher pendant la nuit (34); toute cette partie qui sert d'assise aux sept corniches évoque évidemment la base, plus large et plus massive, d'une colonne triomphale.

Au-dessus de l'Antipurgatoire s'élèvent les sept terrasses concentriques du Purgatoire proprement dit, qui sont plus étroites et plus fines que la roche sur laquelle elles reposent. Abruptes et raides (35), leurs parois sont en marbre blanc (36) ; de forme ronde (37), elles sont très élevées et forment au-dessus de la tête des voyageurs une espèce d'escarpement gigantesque ; en bas, elles sont, nous l'avons vu, sculptées de bas-reliefs, plus haut (38), d'images horizontales, mais ce motif disparaît dès la seconde terrasse (39). On tourne autour de chaque niveau (40) en suivant une route étroite et vertigineuse (41), qui constitue la corniche proprement dite et se trouve être le seul endroit accessible ; quand on passe d'une corniche à l'autre, en gravissant un escalier souvent très raide, il faut toujours prendre à main droite (42), et, par conséquent, toujours se déplacer en tournant autour des parois de la gauche vers la droite (43). A tous les étages enfin apparaissent des personnages occupés à mille actions diverses ; tout est animé, de haut en bas, d'un mouvement et d'une "vie" qui ne cessent pas, mais le but de chaque ombre est d'aller vers le sommet, de monter un jour, comme Stace (44), vers la terrasse finale, qui est celle du Paradis Terrestre.

Toute cette description suggère évidemment le fût sculpté d'une immense colonne, au sommet de laquelle se dresse l'Arbre de la Connaissance (45), pareil à la statue qu'on voit en haut des colonnes romaines. Tout y est en effet : le marbre blanc des parois, la forme ronde des terrasses posées les unes sur les autres comme des tambours, les sculptures, l'escarpement vertigineux (46), le chemin courbe sur lequel s'animent les personnages et jusqu'au sens du déplacement, orienté, comme celui des frises sculptées, de gauche à droite et de bas en haut. En suivant Dante et Virgile sur l'étroit sentier qui longe la muraille, on a parfois l'impression de n'être plus qu'un minuscule personnage obstinément accroché aux parois formidables d'une colonne gigantesque.

Pourtant, le Purgatoire paraît plus court et plus trapu qu'une colonne triomphale ; c'est que l'image initiale, qui n'a servi sans doute que de schéma d'inspiration, a été, volontairement et nécessairement, déformée par le poète, ce qui la rend moins sensible, sans empêcher de la reconnaître.

c) De la Colonne au Purgatoire.

L'ordonnance morale du Purgatoire ne permettait, tout d'abord, d'utiliser que sept corniches (47), correspondant chacune, on le sait, à un péché capital. Le "fût" se trouve ainsi réduit, mais l'impression d'écrasement est compensée par le fait que les terrasses concentriques sont de plus en plus élevées, détail que le grand Botticelli n'a sans doute pas assez souligné (48).

D'autre part, les personnages ne peuvent évidemment apparaître que dans un espace qui leur permet de se déplacer; ils ne peuvent pas se trouver, comme dans le cas d'une colonne, sur la paroi ellemême, bien que cette idée soit un instant rendue possible par les sculptures du chant X.

Limitées d'un côté par le vide et de l'autre par la paroi de marbre devant laquelle vont évoluer les pénitents, les terrasses, toujours très étroites (49), constituent en fait une véritable frise qui court tout autour de l'axe circulaire central, comme la bande sculptée s'enroule autour du fût d'une colonne. Mais la largeur que ce chemin devait nécessairement avoir, pour que de "vrais" personnages puissent y évoluer, contraignait le poète à restreindre à chaque fois la dimension de la partie supérieure, afin d'éviter que toutes les corniches ne se trouvent engagées les unes sous les autres, comme des galeries couvertes n'ouvrant que sur le vide. Pensant à une colonne, Dante ne pouvait donc la reproduire que sous une forme relativement conique. Il ne s'agissait pas d'ailleurs, pour le poète, de reproduire exactement son modèle, mais seulement de s'en inspirer.

Enfin, la nécessité de distinguer les uns des autres les différents vices que les défunts expient au Purgatoire interdisait de maintenir une continuité régulière entre les étages. Il n'aurait pas été logique de passer insensiblement, comme dans le cas d'une frise sculptée, d'un châtiment à un autre; il fallait que chaque pénitent vécût dans son propre univers, enfermé sur lui-même, prisonnier du sentiment de ses propres erreurs, sans avoir d'autre spectacle possible que celui de sa propre image reflétée dans l'ombre de ses compagnons. Chaque étage est donc clos et l'on ne peut accéder au suivant que par un escalier vertigineux, que Dante et ses compagnons mettent parfois beaucoup de temps à gravir, si l'on en juge par la longueur des conversations qu'ils y tiennent (50). Il n'en reste pas moins que le dessein d'ensemble rappelle, dans sa structure interne, le schéma des grandes colonnes sculptées, même si la "frise" vivante ne s'enroule pas avec la même régularité autour de l'axe vertical.

Malgré les déformations, finalement plus logiques qu'esthétiques, auxquelles elle s'est nécessairement trouvée soumise, la forme du Purgatoire s'inspire bien, nous semble-t-il, de la colonne romaine et le rôle joué par Trajan dans la Divine Comédie nous pousse à croire que Dante a plus particulièrement pensé à la Colonne Trajane quand il imaginait la configuration matérielle de son Purgatoire.

Cependant quelques problèmes restent encore à résoudre.

d) Le choix du modèle est-il possible ?

La première question qui se pose est évidemment de savoir si Dante avait vu la Colonne Trajane ou s'il ne la connaissait que par des reproductions souvent imprécises (51) ; ses options politiques – il était, on le sait, du parti gibelin – lui rendaient en effet difficile un séjour prolongé dans la ville des Papes.

En fait, ce sont ces positions politiques mêmes qui lui permirent de connaître Rome. En octobre 1301, le poète fut dépêché près du Pape Boniface VIII par la Commune de Florence ; les deux messagers qui l'accompagnaient furent aussitôt renvoyés, mais Dante ne put jamais revenir : le Pape l'avait en effet retenu et c'est pendant cette absence involontaire que Florence prononça contre lui les sentences d'exil, qui devaient l'éloigner pour toujours de sa patrie (52).

Le séjour à Rome dura près de deux mois. Il serait évidemment inconcevable que Dante, qui jouissait d'une relative liberté, ne soit pas allé, pendant cette période, contempler les vestiges de l'Urbs. On considère pourtant que ce grand admirateur de Rome n'a guère été sensible aux ruines des monuments républicains et impériaux, parce qu'on n'en trouve pas trace dans son œuvre (53). On doit certes tenir compte de l'esprit médiéval, mais il ne faut pas oublier non plus que l'architecture n'a rien à faire dans la Divine Comédie.

Les grands monuments, signes mêmes de la vanité des hommes, surtout quand ils apparaissent ruinés devant celui qui vit dans l'admiration du passé (qu'on pense, par exemple, à Du Bellay, deux siècles plus tard), les théâtres, les cirques, les Fora, les temples mêmes, n'ont aucunement leur place dans l'évocation de l'au-delà; constructions passagères, ils ne sont pas au rythme de l'éternité, constructions de pierre, ils n'entrent pas dans l'harmonie d'un Dieu qui n'est que souffle et clarté, constructions des hommes, ils ne peuvent rien pour les âmes devenues au Paradis lumière insaisissable; en Enfer, leur vue serait une consolation, au Purgatoire, une distraction ; il est donc naturel que les monuments anciens n'apparaissent, pas plus que les modernes, dans l'univers sacré de la Divine Comédie.

Pourtant, l'architecture n'est pas absente de l'œuvre, mais elle est, pour ainsi dire, abstraite et imaginaire ; elle se trouve dans l'équilibre des parties du poème et dans l'agencement des trois mondes qui composent l'Au-delà. L'Enfer, le Purgatoire et le Paradis sont en eux-mêmes de gigantesques constructions à la taille d'un monde et répondent chacun à une conception précise, avec leurs entrées, leurs sorties, leurs escaliers, leurs séjours successifs et complexes; le Purgatoire n'échappe naturellement pas à cette règle ; plus "solide", plus "concret" encore que les autres, il pourrait bien être le plus "monumental" des trois et refléter une œuvre que le poète avait admirée dans une période sombre et dramatique de sa vie.

e) Les raisons du choix.

Le choix d'une colonne triomphale comme modèle à la disposition matérielle du Purgatoire n'est donc en soi nullement invraisemblable; il nous reste cependant à montrer qu'il entre bien dans le dessein général de l'œuvre.

Tout d'abord, et même s'il ne considérait pas l'Art, et spécialement l'Architecture, comme une activité fondamentale, à laquelle une vie méritât d'être sacrifiée, Dante avait quand même "choisi le Purgatoire, pour y sauver, suivant le mot d'Ozanam, les souvenirs de cette Renaissance des Arts et de la Poésie qui fit la gloire de l'Italie du XIIIe siècle" (54). Il ne pouvait, dans ce cas, trouver de meilleur modèle que l'œuvre d'art la plus caractéristique et la plus signifiante d'une époque particulièrement riche, œuvre qui, en outre, s'il s'agit bien, comme nous le pensons, de la Colonne Trajane, exaltait l'Empereur le plus vertueux et se trouvait ainsi la moins suspecte de paganisme (55).

Entre l'Enfer, dessiné à partir du système moral d'Aristote, et le Paradis, construit d'après le schéma ptoléméen du monde, le Purgatoire trouvait tout naturellement son agencement physique dans un univers différent, mais complémentaire, celui de l'Art monumental, qui prenait logiquement place entre la Philosophie d'un côté, la Science de l'autre et rappelait, entre deux conceptions grecques, l'existence du monde romain. Ainsi, à travers ce qu'ils avaient eu de meilleur, l'intelligence pour les Grecs, le génie bâtisseur et organisateur pour les Romains, les deux mondes anciens se trouvaient fondus dans l'unité d'un univers uniquement chrétien, qu'ils avaient l'un et l'autre contribué à faire naître et dont ils avaient été le support matériel.

Du même coup, et d'une manière très légitime, Rome se trouvait placée au centre d'un système qui devenait comme l'image du rôle qu'elle avait joué entre les temps d'ombre et d'horreur et l'ère lumineuse de la Révélation. Le chant VI de l'Enfer attaque Florence, le chant VII du Paradis célèbre la gloire de l'Empire, mais c'est l'Italie que décrit le chant VI du Purgatoire et c'est Rome qu'exalte la forme que le poète lui a donnée, Rome qui fit de l'Italie tout entière le cœur de l'Empire universel, dans lequel le Christ devait naître pour sauver le monde des Limbes et de la damnation, où Florence croupit encore. Ni damnée, ni sauvée, mais prédestinée, Rome se dresse toujours entre l'Ancien et le Nouveau Testament; le souvenir de ses colonnes triomphales rappelle, au Purgatoire, toutes les victoires qu'elle a dû remporter pour créer l'ordre du monde et ouvrir aux hommes la voie du Paradis retrouvé. C'est donc bien de triomphe qu'il s'agit, car le triomphe de Rome sur l'anarchie du monde barbare, c'est aussi le triomphe de la justice, et surtout, quand il s'agit du Purgatoire, celui de la Pitié divine.

Mais l'évocation de la colonne triomphale, déjà riche de multiples résonances, revêt aussi une valeur esthétique. La colonne romaine, c'est le fût qui s'élance vers le ciel, c'est le trait droit qui sépare les cercles de l'Enfer et les sphères du Paradis ; au-dessus du gouffre, c'est l'image de l'essor et de l'ascension continuelle, mais difficile, vers une victoire suprême et définitive. De même que les héros sculptés, suspendus dans le vide, acharnés aux travaux pénibles et aux combats douloureux, semblaient tous tendus vers le haut, vers l'image exaltante de l'Empereur triomphant, de même, au bord du précipice, au long des étroites corniches circulaires, les ombres du Purgatoire s'élèvent sans bouger vers un monde supérieur, qu'elles n'ont pas su mériter tout de suite, mais qui leur est inévitablement promis, quand elles auront accompli leur part de travaux et de souffrances; et de nouveau se retrouvent, étroitement unis par le symbole de la colonne triomphale, les images complémentaires de deux mondes, l'un celui de la Terre encore présente au Purgatoire et des travaux infinis de Rome pour unifier l'univers, l'autre celui de l'Au-Delà et des travaux éternels pour atteindre à la nécessaire perfection des âmes.

Ainsi, la Colonne Triomphale entrait parfaitement, et sous tous ses aspects, dans le dessein général de la Divine Comédie. Hommage à l'Empereur païen que Dieu avait admis pour ses vertus dans le ciel des Justes, image de l'art de Rome entre la science et la philosophie grecques, image de l'élan entre le gouffre et l'Empyrée, symbole de la victoire difficile de la lumière sur l'ombre, la Colonne Triomphale pouvait inspirer la forme du Purgatoire, où les âmes souffrent et gémissent, mais où triomphent aussi la Pitié divine et l'Espérance humaine.

CONCLUSION

Force nous est cependant de reconnaître, au terme d'une démonstration que nous avons conduite jusqu'au bout, sans vouloir l'interrompre, qu'elle ne nous satisfait pas entièrement et ne nous paraît pas définitive. Elle ne constitue en fait que la première partie d'une étude plus étendue, qui sortirait trop du cadre de notre spécialité pour que nous puissions nous y engager sans risques.

D'autres modèles ont pu s'imposer à Dante. Sans penser à la Tour de Pise, dont la valeur symbolique nous paraît trop mince et qui serait nécessairement soumise, comme la Colonne Trajane, à d'importantes modifications, il faut au moins s'interroger sur l'image que Dante pouvait avoir de la Tour de Babel.

Le texte de la Genèse (56) ne lui proposait aucune représentation précise, mais il pouvait avoir été illustré par des enluminures, qui auraient fourni au poète un schéma très net; dans ce cas, le Purgatoire aurait la forme d'une ziggurat (57). C'est à ce genre de monument d'ailleurs qu'a certainement pensé Botticelli quand il a illustré le Purgatoire (58).

Mais le thème de la Tour de Babel, qui était moins incorporé que les autres dans l'ensemble des sujets que l'interprétation des Écritures avait rendus familiers au Moyen Age, apparaît tardivement dans l'iconographie biblique et semble donc plus difficilement accessible à Dante (59). Surtout, la Tour de Babel est l'image de l'orgueil et du mal ; elle illustre une tentative démesurée de l'homme pour s'égaler à Dieu ; sa construction conduit à l'échec, au désordre, à la solitude, au désespoir ; en ce sens, sa valeur symbolique est contraire à celle du Purgatoire, où les âmes souffrent et gémissent dans l'humilité et dans la conscience de leurs péchés, avec en elle le sentiment confus d'une vertu parfaite à venir et d'un bonheur accessible, le jour où, grâce à la Pitié divine, le sol tremblera enfin pour elles, comme il a tremblé pour Stace.

L'image de la Tour de Babel, si proche soit-elle de celle du Purgatoire, nous semble donc moins bien convenir au sujet que celle de la Colonne Trajane, surtout si l'on pense aux sculptures du chant X et au fait que Dante parle assez peu de l'Ancien Testament. Il n'en reste pas moins que la question reste ouverte et qu'une étude précise et approfondie de l'iconographie de la Tour de Babel dans les enluminures de la fin du XIIIe siècle serait absolument nécessaire.


NOTES

1. Dante expose cette théorie en plusieurs endroits et spécialement dans le "Convivio" (IV, V, 3). On en trouvera l'exposé détaillé dans l'ouvrage de P. Renucci, Dante, Disciple et juge du monde gréco-latin, Paris, 1954, auquel nous devons beaucoup. Voir particulièrement p. 281 à 350 et, en ce qui concerne l'influence de St Augustin et d'Orose, p. 194 et note 2 p. 351.

2. On trouve ainsi Trajan (chant X), Oreste (chant XIII), Pisistrate (chant XV), César (chant XVIII), Fabricius (chant XX), les Romaines d'autrefois (chant XXIII) et même Diane (chant XXV). César n'est cité que pour sa "celeritas" (XVIII, v. 100-102), mais on sait l'admiration que Dante éprouvait pour lui.

3. Il existe pourtant des exceptions notables, par exemple Euripide, Simonide, Antigone, Ismène, etc... , qui sont près de Virgile dans les Limbes, ainsi qu'Homère ou Aristote (cf. Purgatoire, chant XXII, v. 106 à 114 et Enfer, chant IV, v . 85-145).

4. Enfer, chant IV et Purgatoire, chant XXII, v . 97-102.

5. Stace est sauvé, parce qu'il serait devenu chrétien, mais on peut penser que l'admiration sans limite, et à nos yeux excessive, que l'auteur de la "Thébaïde" éprouvait pour Virgile est la raison fondamentale, et symbolique, de son salut ; avec Stace, c'est un peu la "figura" de l'ombre de Virgile qui entre au Paradis. Virgile en effet n'est pas sauvé ; on estime en général que sa vie et ses œuvres spirituelles n'ont pas été à la hauteur de ses œuvres littéraires. Le "doux guide" restera donc dans le Limbe, mais on sait qu'il est choisi pour accompagner Dante jusqu'aux portes du Paradis, comme il l'a accompagné tout au long de sa vie poétique. Pour Stace, voir P. Renucci, op. cit., p. 332-337; pour Virgile, idem, pp. 337-350.

6. Païen, suicidé et... anti-césarien, Caton d'Utique avait au moins trois raisons d'être damné. Mais, célébré par Cicéron, Horace, Virgile, Sénèque et Lucain, l'austère opposant de César incarne la continuité de la République à l'Empire et porte en lui l'image même d'une certaine grandeur romaine. Type parfait, pour Dante, de l'homme de parti, qui s'engage et défend ses idées jusqu'à la mort, il est le symbole même de la vertu intègre au service de la liberté; à ce titre, il mérite d'être le gardien sévère et bourru du Purgatoire, sur la plage duquel il attend le Jugement Dernier en faisant respecter la "loi" divine. Sur Caton, voir P. Renucci, op. cit., pp. 302-311 et note 728 pp. 395-396.

7. Paradis, XX, v. 82.

8. Sur les sources de Dante et la légende médiévale relative à Trajan, voir G. Paris, La légende de Trajan, Bibliothèque de !'École des Hautes Études, XXXV, 1878, pp. 261-298 et P. Renucci, Gaston Paris et la légende de Trajan dans la Divine Comédie, Bulletin de la Faculté des Lettres de Strasbourg, novembre 1947, p. 1. On trouvera dans P. Renucci, op. cit. : 1) pp. 452-453, une bibliographie relative au "cas-Trajan", 2) p. 192, note 761, p. 399, note 778 et page 400, note 787, une discussion rapide sur les sources de Dante, 3) pp. 318-322, un développement sur la présence de Trajan au Paradis. Le texte du "Novellino" (LXIX: "qui conta della gran iustizia di Traiano imperadore") et celui des "Fiori e Vita di filosaphi ed altri savi ed imperadori" (XXVI : "Traiano") sont rassemblés dans "Novellino e conti del duocento", a cura di Sebastiano lo Nigro, Turin, 1963.

9. Dion Cassius, LXIX, 6, 3.

10. Purgatoire, X, v. 73 à 93. Les citations de Dante figurant dans cet article sont toutes extraites de l'édition bilingue de la Divine Comédie, présentée, avec une reproduction des dessins de Botticelli, par Alexandre Masseron (Club Français du Livre, 3 vol., Paris, 1964).

11. Voir, par exemple, le discours de l'ange au chant XI du Purgatoire (v. 37 spécialement) et celui de !'Aigle au chant XIX du Paradis (v. 13 spécialement).

12. Qui avait été, comme on sait, incinéré et placé dans une urne à l'intérieur de la base de la Colonne Trajane !

13. Sans doute parce que la justice et la piété de Trajan s'étaient manifestées par des paroles.

14. "Traiano", dans Fiori e vita di filosaphi ed altri savi ed imperadori, op. cit. – En fait, Trajan a été ressuscité, a connu la foi, puis est mort après avoir reçu le baptême; mais, cette version, que Dante retient, ne figure pas dans tous les textes. Le problème dogmatique était en effet complexe, car on ne peut accéder au Paradis sans avoir eu la Foi ; il fallait donc que Trajan la connût et fût baptisé ; cependant, une âme ne peut être jugée deux fois : celle de Lazare, par exemple, n 'avait pas comparu devant Dieu, quand le Christ la ressuscita ; c'est pourquoi, au 17e siècle encore, on estimera, à Salamanque, que l'âme de Trajan était restée sur sa langue intacte et avait elle-même demandé le baptême ! (cf. P. Renucci , op. cit., p. 400, note 787).

15. Paradis, chant XX, v. 16 à 72.

16. "Che cose son queste"? v. 82. Les deux païens sont Trajan et Rhipée, obscur compagnon d'Enée, qu'il resprésente peut-être, comme Stace peut représenter Virgile.

17. V. 43-48 et 106 à 117.

18. Summa theologica, III, suppl., LXXI, 5 : "Praeterea, Damascenus in eodem sermone narrat quod Gregorius pro Trajano orationem fundens, audivit vocem sibi divinitus dicentem: 'Vocem tuam audivi et veniam Trajano do' ; cujus rei, ut Damascenus dicit in dicto sermone, 'testis est Oriens et Occidens'. Sed constat Trajanum in inferno fuisse quia 'multorum martyrurn necem amaram instituit', ut ibidem Damascenus dicit. Ergo suffragia Ecclesiae valent etiam in inferno existentibus." (Il faut noter cependant que la dernière proposition est niée dans le développement suivant). – Id., IX, suppl., 71, A5 ad 5m : "De facto Traiani hoc modo potest probabiliter aestimari, quod precibus Gregorii ad vitam fuerit revocatus, et ita gratiarn consecuturus sit, per quam remissionem peccatorum habuit, et per consequens immunitatem a poena".

19. Paradis, XX, 57 - Sur Constantin et la "Donation de Constantin", voir P. Renucci, op. cit., pp. 322-326.

20. Voir P. Renucci, op. cit., pp. 53-56.

21. Purgatoire, X, v. 31-33.

22. Purgatoire, X, v. 34 à 72. La scène où Trajan figure a été citée plus haut (v. 73 à 93).

23. Id., v. 77-78.

24. Id., v. 79-81.

25. Les mêmes remarques seraient à faire à propos des dessins qui figurent sur les pavements au chant XII ; voir spécialement les vers 67-69.

26. Id., v. 60-63.

27. Id., v. 52.

28. Id., v. 55.

29. Id., v. 37-40.

30. Id., v. 43.

31. Id., v. 82-83.

32. Id., v. 85.

33. P. Renucci (op. cit., p. 55) insiste trop, nous semble-t-il, sur le fait que les sculptures n'en sont pas vraiment, pour souligner l'absence chez Dante de toute représentation lapidaire – Voir, en revanche, les remarques très pertinentes de G. Becatti au début d'un article sur la Colonne Trajane (La Colonna Traiana, espressione somma del rilievo storico romano), à paraître dans ANRW, II, Rubrique "Künste".

34. Purgatoire, IX, pp. 52-57.

35. "De son rebord où il confine au vide jusqu'au pied de l'escarpement, qui s'élève continuellement..." (Purgatoire, X, v. 22-23) – "...ainsi la paroi, qui tombe là à pic du cercle supérieur adoucit sa pente, mais, de part et d'autre, elle rase la haute muraille". (Id., XII, v. 106-108).

36. "Cette muraille circulaire qu'aucun accès ne permettait de gravir, était de marbre blanc" (Purgatoire, X, v. 29-31) – "La paroi apparaît, la route apparaît unie, sous la couleur livide de la pierre" (Id., XIII, v. 8-9).

37. Cf. note 36 (Purgatoire, X, v . 29-31) – "Là aussi une corniche forme une ceinture autour du pic, semblable à la première, sauf que son arc est plus courbé" (Id., XIII, v. 4-6).

38. Purgatoire, XII, v. 10-69.

39. "Il ne s'y trouve point d'image, ni de sculpture visible" (Purgatoire, XIII, v. 7).

40. Cf. notes 36 et 37.

41. "De son rebord (celui du chemin circulaire) où il confine au vide jusqu'au pied de l'escarpement, qui s'élève continuellement, un corps humain donnerait, en trois fois, la mesure, et si loin que mes yeux pussent porter leurs ailes, soit vers la gauche, soit vers la droite, cette corniche me paraissait être de pareille largeur" (Purgatoire, X, v . 22-27) – "Là aussi une corniche forme une ceinture autour du pic..." (Id., XIII, v. 4-5) – "Virgile me venait de ce côté de la corniche, d'où l'on pourrait tomber, parce qu'il n'est entouré d'aucun parapet..." (Id., XIII, 79-81) – "Je craignais ici le feu, et là je craignais de tomber" (Id., XXV, v. 116-117).

42. "Venez avec nous, à main droite, en suivant la falaise, et vous trouverez le passage par où un vif peut monter" (Purgatoire, XI, v. 49-51) – "Puis il fixa les yeux sur le soleil, fit de son flanc droit le centre de son mouvement, et tourna la partie gauche de son corps" (Id., XIII, v. 13-15) – "Si vous venez ici sans crainte d'y rester étendus et que vous veuillez trouver le plus court chemin, gardez toujours votre droite vers le vide" (Id., XIX, v. 79-81) – "Je crois qu'il nous faut encore tenir l'épaule droite vers le bord extérieur, en contournant le mont comme à l'ordinaire" (Id., XXII, v. 121-123).

43. Cf. note 42 et encore : "Nous avions déjà tourné autour de la montagne..." (Purgatoire, XII, v. 73) – "...Nous avions tourné autour de la montagne" (Id., XV, v. 8), etc.

44. A partir du chant XXI.

45. Purgatoire, XXXII, v. 37-60.

46. Les vers du chant X, cités à la note 36, sont à cet égard très saisissants.

47. La limitation du nombre des corniches a certainement fait difficulté. L'Enfer et le Paradis comportent en effet dix régions chacun, mais pour atteindre le chiffre dix au Purgatoire, il faut compter la plage et la terrasse du Paradis Terrestre.

48. Pour les dessins de Botticelli, voir la note 58. – Les terrasses y apparaissent toutes de la même hauteur.

49. Cf. note 40 – D'après le vers 24 du chant X, elles auraient, en largeur à peu près trois fois la hauteur d'un homme, soit environ 5 mètres. Cf. A. Masseron, op. cit., tome II, p. III.

50. Cf. A. Masseron, op. cit., tome II, p. III-IV.

51. Les reproductions de la Colonne Trajanne que Dante pouvait avoir sous les yeux donnaient une importance excessive au balcon supérieur et réduisaient ainsi beaucoup la hauteur réelle du fût, ce qui pourrait éventuellement expliquer que le poète n'ait pas été très sensible à "l'écrasement" de la Colonne dans son Purgatoire. Ce n'est bien sûr qu'une hypothèse.

52. Sur ce séjour à Rome, voir P. Renucci, op. cit., p. 53.

53. Cf. P. Renucci, op. cit., pp. 54-56.

54. A. F. Ozanam, Le Purgatoire de Dante, Paris, 1873, p. 231 (cité par A. Masseron, op. cit., p. 187).

55. Elle célébrait aussi une dernière extension de l'Empire et la victoire de l'ordre sur les forces obscures. A l'époque de Dante, d'autre part, la Colonne Trajane était l'objet d'une vénération particulière.

56. Genèse, III, 11.

57. On sait que les ziggurats (ou ziggourats) étaient des pyramides en briques liées par du bitume ; au sommet se dressait un temple en briques bleues émaillées, auquel on accédait au moyen d'une rampe extérieure en spirale. Dans l'iconographie biblique, les ziggurats sont représentées, mais à partir du 15e s., par des tours à étages se rétrécissant vers le haut, ou par des tours rondes avec une rampe extérieure. Voir L. Réau, Iconographie de l'Art Chrétien, 6 vol., Paris, 1956, vol. II, Iconographie de la Bible, I, Ancien Testament, p. 120 à 123, avec bibliographie.

58. On trouvera une reproduction des dessins de Botticelli dans l'édition de la Divine Comédie par A. Masseron, déjà citée à la note 10. On peut consulter à ce propos : Yvonne Batard, Les dessins de Sandro Botticelli pour la Divine Comédie, Collection Jeu savant, n° 2, Paris, 1952 et La Divine Comédie de Sandra Botticelli, dans Actes du 5e congrès international de langues et littératures modernes : Les langues et littératures modernes dans leurs relations avec les Beaux-Arts, Florence (1951), 1955, pp. 93-97. Voir aussi, du même auteur, Dante, Minerve et Apollon, les images de la Divine Comédie, Belles Lettres, Paris, 1951 – Signalons, d'autre part, que la Divine Comédie fut illustrée aussi par Gustave Doré (Voir : Maurice Mignon, Gustave Doré, illustrateur de Dante, dans Annales du Centre Universitaire Méditerranéen, IX, Nice, 1956, 7 pages) : l'Enfer, le Purgatoire, le Paradis de Dante (1 volume pour chaque), avec les dessins de Gustave Doré, texte italien par P. Florentino, Paris, 1868 et 1885 (réédition); il existe une édition moins belle, mais plus accessible : La Divine Comédie, illustrée par G. Doré, traduite par Artaud de Montor, Marabout Géant Illustré, 1962.

59. Voir A. Parrot, La tour de Babel, Cahiers d'Archéologie Biblique, n° 2, Neuchâtel-Paris, 1954, p. 40 (sur l'iconographie de la Tour, p. 39 à 42). Du même auteur : La Tour de Babel, Bibliothèque de la Faculté de Théologie Protestante, Paris, 1941 et Ziggurats et Tour de Babel, Nlle Clio, 1950, avec bibliographie.


Article publié dans R. Chevallier (éd.), Influence de la Grèce et de Rome sur l'Occident moderne,
Caesarodunum
, XIIbis, Paris, Les Belles Lettres, 1977, p. 67-82.


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