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LA REPRÉSENTATION DE L’ESPACE ROMAIN
DANS LES HISTOIRES ET LES ANNALES DE TACITE

1


Introduction

Première partie :
L’ESPACE ET SA DESCRIPTION
(Du décor à la scène dramatique)

I- Forma et natura loci
• L’exemple de César
• Tacite
– Pauvreté et imprécision des éléments descriptifs
– Inutilité relative des descriptions

II- L’espace du récit
• Un espace variable
• L’intention démonstrative
– Recherche de l’expressivité
– Présence de la psychologie
– Un art du symbole

III- L’espace du pathétique et du drame
• L’espace du pathétique
– Les batailles de Bédriac
– Vitellius à Bédriac
– Le bois de Teutbourg
• L’espace du drame
– Les combats des Saturnales
– Le forum de Galba
– La chambre d’Agrippine
– La mort de Vitellius
• L’espace de la destruction
– Crémone
– L’incendie de Rome
– Le Capitole

 

Deuxième partie :
ORBIS ROMANUS
(L’espace romain et l’histoire)

I- Les descriptions de l’orbis romanus
• L’empire d’Auguste
• L’empire de Tibère
• Les provinces en 69
• L’Orient de Vespasien
– Les soldats
– Vespasien
• L’espace rhétorique d’Antonius Primus

II- L’itinéraire de Germanicus
• Germanicus en Germanie
• Germanicus en Orient
• Les deux espaces
• Le début des Annales
• Pison

III- Les itinéraires de 69-710
• Valens et Caecina
• Vitellius ; Othon, Titus
– Vitellius
– Othon
– Titus

 

Troisième partie :
ROME ET L’ESPACE ROMAIN
(L’espace et la vertu)

I- Le nuage d’Atarxate
• La marche des Flaviens
• Le nuage d’Atarxate
• Rome et les Césars
– Les Césars

II- Confins et provinces rebelles
• La Germanie
• L’Afrique et la Bretagne
– L’Afrique
– La Bretagne

III- Les confins parthes
• Avant Corbulon
• Une autre conception
• Corbulon
• Corbulon et Néron

Conclusion

Bibliographie

 



Introduction

La question de savoir ce que le concept d'espace représente exactement dans nos esprits, nos connaissances et nos mentalités reçoit des réponses différentes selon qu'on la considère d'un point de vue purement philosophique, ou d'un point de vue essentiellement psychologique. Comme la notion de temps en effet, la notion d'espace varie avec les hommes, les époques et les circonstances [1]. L'espace mental d'un provincial vivant dans une vaste maison n'est évidemment pas celui d'un citadin confiné dans un appartement, mais les individus, quel que soit le lieu de leur existence, peuvent se retrouver collectivement au détour de l'histoire, dans le sentiment d'un espace national à défendre ou d'un espace vital à élargir.

La question est plus complexe encore quand il s'agit de l'antiquité. Les textes en effet ne nous renseignent pas sur l'idée que les Anciens se faisaient de leur espace, et les philosophies, si elles conçoivent un espace extérieur, celui de la physique ou de l'éternel mouvement des sphères, n'en donnent pas une définition particulière et comme individuelle. L'espace n'y est ainsi jamais présent comme un « ici », mais toujours comme un « ailleurs » ou un « au-dessus », voire un « au-delà » ; les termes de hauteur, d'immensité, de limite ou de direction ne s'appliquent qu'à l'ensemble infini d'un cosmos du haut duquel l'homme, et même les vastes empires, n'apparaissent plus que comme des points sans surface et sans étendue [2]. Les murailles du monde s'envolent [3], l'espace perd ses marques et devient comme semblable au temps; on ne peut plus le définir [4].

En latin, le vocabulaire lui-même est ambigu et ne parvient pas à enclore l'espace dans le sens d'un mot précis. Spatium, auquel on pense immédiatement, désigne à la fois l'espace en tant qu'étendue [5], le mouvement qui le parcourt [6] et l'écoulement du temps [7] ; locus s'applique aussi bien à l'emplacement qu'au moment [8], et reçoit en outre une grande variété de sens abstraits qui dérivent probablement du caractère extrêmement divers des endroits qu'il peut désigner (l'endroit, la place, la position, la contrée, le pays, la région etc.) ; altus qualifie à la fois ce qui est haut et ce qui est profond. C'est en fait dans l'emploi du verbe intercedo que s'exprimerait le mieux notre notion d'espace [9], mais il s'agit alors d'un espace comme isolé du reste et défini par les limites mêmes entre lesquelles il vient en quelque sorte prendre place ; une signification semblable et plus étroite encore se retrouve dans l'usage du mot intervallum, qui s'applique encore une fois à l'espace et au temps. Le concept même d'espace et d'étendue est finalement si vague dans le vocabulaire latin qu'il n'est fréquemment exprimé, pour ainsi dire, qu'au degré zéro par l'adverbe ou le neutre quantum [10].

En fait pour les Latins, comme pour la plupart des hommes de l'antiquité, la représentation de l'espace est incertaine, faute sans doute d'une image consciente et intellectuelle. L'œil est le même que le nôtre, mais la conception est différente. Elle repose plus sur des sensations que sur des mesures, et l'étude des cartes montre bien tout ce que l'effort d'abstraction garde encore de concret. C'est la vue, la marche, la roue ou le chemin qui définissent l'espace et l'image qu'on essaie d'en tracer. Même si l'hodomètre [11] permet d'appréhender la distance aussi bien sur terre que sur mer, c'est encore ce que l'on voit qui semble être plus près, et c'est encore à l'aune de la voile ou du pas qu'on estime l'étendue. Plus qu'une représentation du monde, c'est toujours un moyen de s'y retrouver que l'on recherche [12]

Le concept latin d'espace ne peut ainsi se mettre en place qu'à travers le mouvement ; le déplacement crée l'espace et cette pratique rejoint la définition que donnait Epicure, après qui Lucrèce écrira superbement que l'espace est fuyant et ouvert à la fuite [13]. L'espace en effet glisse à côté de celui qui s'y déplace et dont la marche pourrait être éternelle au cœur de lieux toujours différents et d'un espace toujours semblable à l'infini.

Dans ces conditions l'espace antique ne peut être homogène. On n'y trouve, si l'on peut dire, pas de place pour un espace unique, habité et comme meublé d'éléments toujours comparables; il ne peut y avoir que des espaces divers et fragmentés, qui changent en fonction de la traversée, physique ou intellectuelle, qu'on est en train d'en faire. Espace géographique, espace militaire, espace administratif, espace ethnique etc., c'est la diversité de ces territoires qui définit, d'une manière à chaque fois différente, un monde toujours physiquement identique, et selon ses expériences ou ses projets chaque être les porte tous ensemble en lui.

La description de l'espace qu'entreprend au besoin un historien comme Tacite ne peut donc résulter d'une conception stable et préétablie; elle sera toujours fonction du récit et des événements qu'il met, au sens propre du mot, toujours en scène. C'est cet espace, soumis aux hommes et au temps, c'est-à-dire perçu et décrit [14] à travers les fluctuations de l'histoire, que nous allons rechercher chez lui.

 

Nous partirons ainsi d'une réflexion dans laquelle l'espace, recherché dans la topographie, c'est-à-dire en tant que cadre de l'action, semble être presque inexistant, sans profondeur et pratiquement sans étendue, mais devient en revanche plus sensible, voire plus théâtral, quand il s'agit de raconter des événements pathétiques. Il est donc moins présent dans les scènes de batailles, qui restent sans doute, aux yeux de Tacite, le domaine de l'historiographie d'époque républicaine, que dans le récit d'événements qui mettent en jeu les structures politiques de l'empire.

Nous serons de ce fait conduits à étudier ensuite, et plus longuement, les présentations de l'empire auxquelles Tacite procède à plusieurs reprises. Qu'il s'agisse de l'état des lieux sous Tibère ou du coup d'oeil que Vespasien jette plus tard sur les territoires qui l'entourent, la description répond manifestement aux mêmes caractéristiques : elle n'apparaît qu'à des moments cruciaux de l'histoire de Rome et porte la marque d'une subjectivité qui reflète les inquiétudes de l'auteur. Ces présentations, analytiques et statiques, d'un espace toujours senti dans les mentalités de l'époque comme orbis romanus ou comme orbis subjectus, sont en outre complétées par la narration, plus politique ou morale que géographique, des déplacements qu'effectuent des personnages aussi différents que Germanicus ou Vitellius.

Il nous apparaîtra alors que s'est installée dans l'esprit de Tacite l'image d'un monde où coexistent plusieurs espaces entre lesquels s'établissent des rapports de force contradictoires et dangereux pour l'unité de l'empire. En même temps que les vices s'enracinent toujours plus profondément dans l'espace urbain qui régit l'ensemble à partir du centre, les vertus traditionnelles sont repoussées vers l'extérieur, et spécialement dans ces confins frontaliers où Germanicus d'abord, Corbulon ensuite, Trajan sans doute plus tard, ont su unir l'esprit de conquête à la sagesse de la paix.

L'espace que nous n'avions d'abord considéré que comme un élément de la description devient ainsi l'un des axes fondamentaux de l'ensemble du récit.

 

Première partie – L’ESPACE ET SA DESCRIPTION - DU DÉCOR À LA SCÈNE DRAMATIQUE

En tant que représentation des événements du passé, la narration historique peut être conçue de multiples façons. S'agissant d'un récit de bataille elle peut, par exemple, insister sur le désordre ou l'équilibre des forces antagonistes, adopter le point de vue du combattant ou celui de l'état-major, souligner le déchaînement du furor ou l'exaltation de la virtus, évoquer la poésie du combat ou préférer le graphisme intellectuel. Ces différents points de vue, qui relèvent de préoccupations tantôt littéraires, tantôt morales, tantôt historiques ou esthétiques, ne sont pas incompatibles entre eux et peuvent se combiner de mille manières. De façon générale, le récit historique oscille ainsi toujours entre la poésie et le rapport, entre l'épopée et la relatio, entre Lucain et César.

Quelle que soit l'option choisie, un cadre est cependant toujours nécessaire. Or Tacite ne se range ni du côté de l'épopée, ni du côté de la relatio. Il refuse autant la poésie grandiose que la sécheresse du compte rendu et ne se place ni dans l'irrationnel, ni dans une logique démonstrative. La description des lieux dans lesquels l'action se déroule y perd ainsi la cohérence que seuls auraient pu lui donner un élan lyrique ou un regard plus froid et plus distancié. Le schéma topographique que le lecteur attend fait alors souvent défaut.

En tant que cadre nécessaire à une narration historique, la description tacitéenne est donc faible. Son sens est cependant moins d'encadrer l'action que de la rendre sensible, et c'est dans le récit des événement les plus dramatiques que réapparaît une topographie qui est en fait une mise en scène.

I- FORMA ET NATURA LOCI.

L'exemple de César.

Pour comprendre mieux la position de Tacite, il est possible de partir, à titre de comparaison, d'un autre point de vue, celui de l'état-major, de la relatio ou du rapport au Sénat, en prenant comme exemple le récit du combat qui, sur les bords de la Sambre, oppose César aux Nerviens, aux Atrébates et aux Veromanduens (B.G.,2,18-28) [15].

De cette brève et claire description, deux points essentiels peuvent être retenus : elle est purement fonctionnelle, elle rend très facile une éventuelle restitution des lieux, sous forme de plan par exemple.

Très fonctionnelle, la description de César rejette tout élément pittoresque et, de ce fait, ne situe les lieux qu'en les nommant; il s'agit de la Sambre, mais la scène pourrait aussi bien se situer en Afrique ou en Asie qu'en Gaule. Seuls les éléments essentiels, au nombre de quatre, ont en effet été retenus : la colline sur laquelle les Romains sont installés, la Sambre, la colline qui s'élève de l'autre côté du fleuve et le terrain découvert qui s'étend le long de la rivière [16].

La description du terrain peut donc être très rapidement reproduite sous la forme d'un plan schématique. Loci natura erat haec. Collis ... ad flumen vergebat : on figurera cette première colline descendant jusqu'au fleuve. Ab eo flumine pari acclivitate collis nascebatur adversus huic et contrarius : on figurera cette seconde colline, en ayant soin de laisser, de son côté et le long du fleuve, un espace libre: in aperto loco secundum flumen. Des cotes pourraient même être portées concernant la profondeur du fleuve (altitudo pedum trium), la partie sans arbre de la colline ennemie (passus circiter ducentos) voire, mais au prix d'une approximation, la pente des deux hauteurs (ab summo aequaliter declivis).

Ce genre de description est si clair que le schéma qu'on en tire aisément pourrait être celui qui a servi de point de départ. On peut penser en effet que César, ou l'un de ses officiers, traçaient sur les lieux mêmes de l'action des relevés qui serviraient ensuite à leur mémoire et aux rapports qu'ils devaient adresser au Sénat [17]. Très souvent cependant, si la précision des détails est grande, la localisation précise est malaisée, parce que seuls ont été retenus, indépendamment de toute autre considération, les éléments nécessaires à la clarté du récit [18].

Tacite

Il serait également très difficile de situer un lieu à partir d'une description faite par Tacite. Les présentations qu'il propose ne ressemblent en effet à celle de César que par leurs insuffisances: elles sont sèches et ne comportent qu'un nombre très restreint d'éléments essentiels. Comme elles manquent en outre de précision, il est en général impossible d'en tirer un plan, et les événements ne se déroulent jamais dans un cadre tracé d'avance. Une analyse des composantes de quelques sites nous confirmera dans cette impression.

Pauvreté et imprécision des éléments descriptifs.

L'étude de dix-neuf descriptions caractéristiques [19], choisies dans les Histoires et les Annales, révèle que les descriptions topographiques proposées par Tacite ne contiennent toujours qu'un nombre très faible d'éléments constituants.

Dans le meilleur des cas étudiés, celui de la seconde bataille d'ldistavise (Ann., 2,19,2), qui semble d'ailleurs unique en son genre, le décor est dressé avec cinq éléments: la plaine où va se livrer le combat, le fleuve qui la longe, les forêts qui la bordent, le marais qui la limite et une chaussée sur laquelle l'infanterie prend position.

Si l'on peut trouver trois exemples de descriptions à quatre éléments, le cas le plus fréquent est celui de la description à trois éléments (onze occurrences sur 19) ou à deux éléments (quatre occurrences sur 19).

Peu nombreux, les éléments descriptifs sont en outre presque toujours les mêmes. Les dix-neuf sites étudiés ne rassemblent ainsi que dix-sept indications, dont deux, les hauteurs et les plaines, figurent dix fois et sep [20] trois fois ou plus. Autant dire que, s'agissant de scènes d'extérieur, tous les décors plantés par Tacite ont une fâcheuse tendance à se ressembler.

Ils se ressemblent d'autant plus que, comme César, Tacite rejette en général tout détail pittoresque. Sur les dix-sept éléments qui contribuent à décrire les dix-neuf sites que nous avons retenus, un seul, les « gourbis » d'Auzea (Ann.,4,25,1), donne un peu de couleur locale et permettrait de situer l'endroit, sinon précisément en Afrique du Nord, au moins dans un pays méditerranéen. Si, dans l'épisode d'ldistavise (Id., 2,19,2), dans celui des Longs Ponts (Id, 1,63,4-64,4) ou près de Vetera Castra (Hist.,5,14,2), la présence de digues, de forêts et de zones marécageuses peut éventuellement faire penser à la Germanie, partout ailleurs les hauteurs, les plaines, les fleuves ou les fortins ne correspondent à aucun paysage précis.

A l'exception de Jérusalem (Hist., 5,11,3-12,1), il en est pratiquement de même pour toutes les villes [21]. Dans le cas de Crémone, par exemple, dont la découverte progressive s'étend pourtant sur quatre paragraphes (Id., 3,30-35), Tacite ne signale, au fil des événements qui s'y déroulent, que des murailles, un amphithéâtre, des thermes, des rues, des maisons et des temples, éléments pour le moins attendus dans une cité de cette importance. Seule la présence extra-muros du temple de Méfitis apporte une indication, sinon plus pittoresque, au moins plus précise et plus spécifique de l'endroit [22].

Rues, maisons, temples, hauteurs, forêts, fleuves, les événements de l'histoire semblent toujours se situer dans des endroits semblables et la topographie tacitéenne paraît, dans un premier temps, s'enfermer à l'intérieur de véritables stéréotypes. Il est vrai qu'il s'agit, dans la majeure partie des cas (15 sur 19), de récit de batailles qui justifient la présence répétée de plaines où se battre et de hauteurs où se réfugier, et qu'une remarque semblable pourrait être faite à propos de César. Chez César cependant la description topographique se transpose aisément en schéma; chez Tacite, elle se réduit à un pur signalement, dont on ne peut le plus souvent tirer aucun plan véritablement cohérent. Cinq seulement des dix-neuf passages que nous avions retenus permettaient, par exemple, une mise en place assez cohérente des éléments fondamentaux de l'espace [23]. Partout ailleurs l'établissement d'un véritable schéma s'avérait difficile [24] ou même totalement impossible [25]

Inutilité relative de la description.

C'est évidemment la raison pour laquelle la plupart des maigres indications proposées par Tacite s'avèrent le plus souvent inutiles pour la suite du récit.

Dans l'engagement qui oppose, près d'Antipolis, les Othoniens aux Vitelliens (Hist., 2,14,2), la disposition, pourtant évocatrice et claire, des lignes othoniennes est, par exemple, aussitôt oubliée [26]. De même dans le récit de la seconde bataille d'ldistavise, les données topographiques, pourtant nombreuses et apparemment assez précises, qui figurent au début de l'épisode (Ann., 2,19,2), ne sont par la suite utilisables qu'au prix de réflexions et de recherches incompatibles avec une lecture normale, et sans qu'on obtienne un résultat vraiment satisfaisant.

Dans le cas, également très caractéristique, des deux batailles de Bédriac (Hist., 2,29-45 et 3,16-25), les détails fournis par l'auteur permettent évidemment de reconnaître un certain type de paysage, qui est propre à la vallée du Pô : ruisseaux, arbres et vignes, voies étroites et surélevées, large plaine, etc [27]. IIs ne sont cependant pas organisés de manière à servir de guide au récit et l'espace subit même des variations brutales qui le rendent incohérent [28]; le cas est particulièrement frappant quand il s'agit de la voie sur laquelle, ou près de laquelle on combat [29].

Ces trois exemples, choisis parmi d'autres [30], le montrent suffisamment: le récit tacitéen ne s'installe pas dans une description précise et continue des lieux. II diffère en cela très nettement du récit de César qui s'inscrit pour sa part dans une topographie dont la structure a d'abord été clairement définie.

Dans le cas du combat contre les Nerviens, que nous avons choisi comme point de départ, le récit ne cesse en effet jamais d'utiliser les indications fournies dès le début par l'auteur; les deux collines opposées, la Sambre et la petite plaine qui la borde sont ainsi toujours présentes. L'espace est stable, l'action s'y intègre parfaitement et les dernières lignes du développement reprennent les grands traits de la natura loci qu'elles grandissent en les simplifiant pour rendre hommage à l'ennemi vaincu et célébrer aussi la valeur romaine [31].

Ce n'est donc qu'à la fin de son récit, une fois épuisées toutes les ressources du schéma initial, que César utilise, en conclusion et, pourrait-on dire, comme une clausule, le procédé dont Tacite, nous le verrons, use en fait continuellement: la présentation d'un espace arrangé dont la valeur est moins topographique qu'évocatrice ou symbolique.

Très différent de celui qu'écrirait un officier d'état-major habitué à lire des cartes et à dresser des plans en n'omettant pas les points essentiels et en supprimant les détails inutiles, le texte de Tacite ne donne donc jamais à voir un espace déterminé qui serait si nécessaire à la narration qu'elle ne pourrait plus en sortir. Les renseignements que l'historien fournit cherchent moins en effet à faire comprendre les événements qu'à les rendre plus sensibles au lecteur, et c'est, d'une manière apparemment paradoxale, au moment où il évoque les plaines inondables aux contours indécis dans lesquelles Civilis a construit obliquement une digue, que Tacite emploie l'expression ea loci forma, que nous avons trouvée, dans une formulation différente et avec plus de raisons d'être, dans le texte de César : ea loci forma, incertis vadis subdola et nobis adversa (Hist., 5,14,2) [32]. Chez César cependant, l'expression, placée au début du texte, était immédiatement suivie par la description qu'elle annonçait; chez Tacite au contraire, elle n'est présente qu'à la fin et se trouve immédiatement complétée par deux adjectifs qui insistent sur l'aspect trompeur et désavantageux pour les Romains des lieux dans lesquels ils doivent combattre.

Il apparaît donc bien ici que lorsque Tacite parle de loci forma, la configuration précise des lieux, telle qu'on pourrait la lire sur un plan, n'est pas ce qui l'intéresse, En les dotant de caractères presque humains, la perfidie (subdola) et l’hostilité (adversa), il ne les conçoit pas comme un cadre de l’action, mais leur donne en quelque sorte un rôle actif.


II- L'ESPACE DU RECIT

Puisqu'il n'est pas destiné à servir de cadre fixe au récit, l'espace n'existe jamais en tant que tel chez Tacite et ne peut être détaché des événements qui s'y produisent. En fait, l'espace dépend de l'action [33] et cette dépendance entraîne deux conséquences. D'une part, l'espace se présente rarement comme une composition d'éléments donnés une fois pour toutes, et nous dirons qu'il est variable; d'autre part, sa mise en place répond fréquemment à un dessein plus ou moins caché de l'auteur, et nous dirons qu'il est intentionnel ou expressif. De façon générale, la topographie de Tacite est donc essentiellement littéraire, voire rhétorique.

Un espace variable.

La mobilité de l'espace est à l'origine du sentiment d'incohérence qu'on éprouve à la lecture attentive des deux batailles de Bédriac, que nous avons évoquées plus haut. Dans ce premier exemple, l'apparition ou la disparition d'éléments caractéristiques du décor correspond au désarroi des combattants et à la totale inorganisation de la ligne de bataille.

Cependant, si la mobilité du paysage évoque dans ce cas le désordre, elle peut être aussi, et plus subtilement, l'expression d'un état d'esprit et d'une perception pour ainsi dire personnelle de l'espace.

C'est le cas, par exemple, lorsque Corbulon jette un pont sur l'Euphrate et détourne les Parthes de la Syrie (Ann.,15,9). L'extension progressive de la zone contrôlée par les légions est ici le sujet même du récit qu'elle soutient en rendant presque visible le triomphe romain [34].

C'est le cas encore pour l'épisode des Longs-Ponts (Ann., 1,63) dans lequel l'espace semble tout à coup s'élargir au moment le plus pathétique par l'apparition inattendue d'une plaine dont l'existence n'avait pas été précédemment signalée [35].

Espace décomposé, espace élargi, espace ajouté, dans ces trois cas les lieux changent avec l'évolution des hommes et les actes qu'ils accomplissent. A Bédriac, dans l'anarchie d'une bataille sans chefs, le paysage éclate en unités disparates et répétitives ; sur l'Euphrate au contraire son extension répond aux desseins et à la stratégie d'un général compétent; près du Rhin, la plaine où les Romains pourront enfin se battre sur un sol ferme et triompher des Germains n'apparaît qu'à l'instant où Caecina songe à l'utiliser. L'espace n'existe ainsi que lorsqu'il est vu, désiré ou pensé; il n'est pas en soi, mais par les sens ou l'esprit de ceux qui l'occupent et dépend étroitement de la perception ou du sentiment qu'ils en ont.

Dans tous les cas cependant, les variations qu'il subit tendent aussi à souligner le sens ou l'intérêt dramatique du récit: à Bédriac, l'image du désordre est renforcée ; sur l'Euphrate la victoire est manifeste ; la présence près des Longs-Ponts d'une plaine salvatrice n'est signalée qu'à l'instant le plus pathétique et quand tout semblait perdu. Réglée sur les personnages et sur l'action, la description de l'espace répond aussi aux intentions de l'auteur.

L'intention démonstrative.

L'espace n'est ainsi jamais présent pour lui-même. Qu'il s'agisse d'un simple décor ou d'une présentation plus précise et plus étendue, qu'il soit variable ou fixe, sa présence donne au récit comme une signification seconde, qui peut être tantôt symbolique, tantôt psychologique ou ne servir qu'à renforcer le sens général.

Recherche de l'expressivité.

L'évocation très imprécise des plaines marécageuses de Vetera Castra (Hist., 5,14,2) et la description plus fournie de la plaine d'Idistavise (Ann., 2,19-21) [36] répondent, par exemple, dans des contextes différents, à des intentions expressives semblables: dans un cas comme dans l'autre en effet, la description des lieux contribue à rendre plus sensible la valeur des troupes romaines. A Vetera Castra, c'est l'héroïsme des soldats contraints de se battre dans un terrain particulièrement défavorable et animés, après leur échec relatif, d'un ardent désir de revanche, qui est mis en relief; à Idistavise, c'est la science et l'habileté d'un chef apte à conduire ses hommes et à choisir les emplacements les plus sûrs. Dans les deux cas, la présentation d'une nature hostile et presque barbare est moins utile pour expliquer la stratégie que pour exalter la vertu.

Présence de la psychologie.

Placée cette fois au début du récit, la grande description de Jérusalem (Hist., 5,11,3-12,1) est d'apparence plus classique et plus traditionnelle ; elle est aussi l'une des plus complètes que l'on puisse trouver dans l'ensemble de l'œuvre. Malgré ses caractéristiques plus conventionnelles, elle tend cependant moins à faire connaître l'assiette et la configuration particulière de la ville qu'à en exprimer la puissance et la grandeur, et qu'à faire comprendre ainsi l'état d'esprit de Titus.

La forte enceinte et le coeur fortifié de la cité juive ne sont vus en fait qu'à travers les yeux de celui qui doit les prendre; l'abondance, exceptionnelle ici, des détails donne comme une image de l'angoisse du jeune général en même temps qu'elle explique son impatience et annonce déjà la rage de destruction qui le possédera plus tard [37].

Un art du symbole.

Si la description évoquait ici comme une anxieuse méditation, c'est qu'elle était déjà le symbole de l'effort à fournir pour que Rome triomphe. L'intention symbolique est en effet très présente dans les indications que fournit Tacite, et c'est presque toujours le triomphe de Rome, et sa mainmise sur l'espace, qu'elle tend à exprimer [38].

Cette prise de possession de l'espace était déjà très sensible dans l'épisode des Longs-Ponts ou dans les succès de Corbulon. Elle apparaît plus nettement encore peut-être lorsque l'action se déroule sur des sites en pente que les Romains doivent escalader pour les occuper après en avoir délogé l'ennemi. C'est le cas, par exemple, lorsque Cerialis emporte la place forte de Rigodulum (Hist., 4,71,5) [39] dans un assaut dont la violence est nettement soulignée ; c'est le cas encore, lorsque Ostorius arrache à Caratacus le site abrupt et fortifié sur lequel il s'est retranché (Ann.,12,35,2- 3).

Dans ces deux cas la description permet d'insister, sans le commenter, sur le caractère dynamique et, pourrait-on dire, vertical de la progression romaine. L'élan des armes romaines, qui conquiert l'espace en balayant sans s'arrêter tous les obstacles accumulés devant lui, se présente alors comme un irrésistible mouvement vers le haut ; à l'image des colonnes triomphales, il exalte symboliquement la conquête.

La topographie tacitéenne n'est ainsi composée qu'en fonction des acteurs qui occupent l'espace. Elle dépend non seulement des événements, mais aussi des perceptions, des pensées, des sentiments et des volontés par lesquels s'expriment en même temps les intentions littéraires et idéologiques de l'auteur. Elle peut être sans fin défaite et reconstruite, organisée au désorganisée.

Lié à l'expression des passions humaines, l'espace tacitéen est donc essentiellement dramatisable et c'est dans les convulsions du pathétique et de la tragédie qu'il est sans doute le plus immédiatement perceptible.

III- L'ESPACE DU PATHETIQUE ET DU DRAME.

Certes, dans la plupart des cas que nous avons retenus [40], la description concernait des champs de bataille et la présentation des lieux était liée aux combats qu'on se livrait pour en prendre possession, mais il ne s'agissait encore que de décrire, imparfaitement et non sans intentions, la configuration du terrain, en développant une formule du type haec natura loci erat. Le début des Histoires [41] nous montre cependant que l'espace de Tacite est bien en général un espace de tremblement, de feu et de sang. Prenant place dans une oeuvre logiquement et chronologiquement composée (Hist.,1,4,1) [42], il n'est le plus souvent perceptible qu'aux instants les plus pathétiques et dans le cadre d'une véritable mise en scène tragique de l'histoire ; plusieurs fois même, il ne retrouve sa cohérence qu'à l'instant précis de sa ruine et de sa disparition.

L'espace du pathétique.

Les batailles de Bédriac.

Lors de la première bataille de Bédriac, (Hist.,2,41-43), les éléments du paysage, plantations d'arbres et de vignes (41,2 et 42,2), plaine (43,1), route et fossés (41,3 et 42,2), participent évidemment au récit en entravant le déplacement des troupes othoniennes (41,2-3) ou en dénaturant un combat déjà peu structuré (42,2), mais le terrain ne retrouve à aucun moment son unité pendant l'affrontement même.

Dans la seconde au contraire (Hist.,3,16-25), si la description comme éclatée des lieux [43] souligne évidemment le désordre d'un combat qui se prolonge dans la nuit et paraît comme aveugle, la présence du décor ne se réduit cependant pas à ce rôle purement passif: les détails fragmentaires et spécifiques de la vallée du Pô – rangées d'arbres, haies, ruisseaux et ponts, vaste plaine et chaussée – qu'on rencontrait déjà dans la première bataille ont maintenant un rôle actif à jouer. Contribuant à décrire le terrain sur lequel on se bat, ils ont en outre une présence en quelque sorte vivante : c'est en rappelant leur existence que l'auteur rend le récit plus pathétique.

Sans entrer dans une étude exhaustive du passage [44], signalons d'abord que c'est aux grandes articulations dramatiques et chronologiques du récit [45] que, sans être pour autant décrite, la plaine du Pô est évoquée dans toute son ampleur: en 16,1, quand on annonce l'approche des Vitelliens, en 18,1, quand arrivent la Rapax et l'Italica. Pour rendre l'espace sensible, Tacite utilise des notations de lumière et de son qui contribuent à renforcer l'intensité dramatique; en 16,1, c'est un grondement continu qui paraît se développer sur une vaste étendue [46] ; en 18,1, c'est par l'éclat métallique et menaçant des enseignes [47] que se signale au loin l'approche des légions ennemies. Par la suite ce sont encore des notations du même type qui marqueront le début, le milieu et la fin de la nuit : les ombres s'allongent avec le jour qui baisse (Hist.,3,19,1), la lune se lève (Id., 23,3), les légions venues de Syrie saluent l'apparition du Soleil (Id., 24,3.) [48].

Dans le détail même du texte, les éléments qui composent le paysage et caractérisent le terrain viennent sans cesse participer à l'action. L'étroitesse des chemins accroît l'affolement des fuyards (Id., 16,2), les plantations d'arbres mettent à l'abri des coups (Id., 21,2 ; 23,1), la chaussée de la via Postumia permet l'installation des ballistes (Id., 23,1), le sentier qui la longe favorise la poursuite des vaincus (Id., 25,1), le resserrement des voies aide même Antonius quand il arrête ses troupes en débandade (Id., 17,1) et c'est sur la nature du terrain qu'il s'appuie pour tenter de les remettre en ordre (Id., 21,2) : il ordonne à la treizième légion de prendre position sur la chaussée même de la via Postumia ; en liaison avec elle, à gauche, la septième Galbiana fut placée en rase campagne, puis la septième Claudiana, couverte sur son front par un fossé d'irrigation – telle était la disposition des lieux ; à droite, la huitième, le long d'un chemin à découvert, puis la troisième, protégée par un épais rideau d'arbres. Tel était l'ordre assigné aux aigles et aux enseignes [49].

Comme dans la lumière brutale et crue d'un éclair fulgurant, on voit alors l'espace tout entier retrouver sa cohérence : à gauche de la via Postumia s'étend la plaine où court un fossé d'irrigation ; à droite se trouvent des plantations d'arbres et un sentier. Les termes locus et ordo apparaissent ainsi soudainement dans un texte qui n'est cependant pas la description de l'historien, mais le discours de l'acteur; tous les détails du terrain, jusqu'alors disparates et morcelés, ne sont en effet un instant rassemblés que dans l'esprit et les ordres du chef; ils n'ont pas d'existence réelle et disparaîtront aussitôt dans le hasard, le désordre et la nuit: quant aux soldats, en désordre dans les ténèbres, ils s'étaient placés au hasard (Id., 21,3-4) [50]. La disposition des lieux ne se retrouve que dans des mots destinés à se perdre.

Vitellius à Bédriac.

L'espace de la première bataille, si peu décrit dans le récit de l'historien, ne se reconstruit de même qu'en paroles au moment où Vitellius a l'impudence de visiter, quarante jours plus tard, les lieux de sa victoire éphémère (Hist., 2,70). Un espace plus cohérent ressurgit alors du passé, mais c'est un espace atroce et dénaturé. Le terrain lui-même a disparu sous les corps pourrissants et déchiquetés, les arbres abattus, les moissons broyées (Id., 70,1)51, les trophées d'armes, les monceaux de cadavres (Id., 70,3) et, dans l'esprit des survivants qui l'évoquent et le reconstruisent, l'ordre même de la bataille est devenu comme fantomatique.

Les éléments concrets du paysage cèdent alors la place à des adverbes vagues et la structure des lieux du combat se réduit à des indications squelettiques où la vérité se mêle confusément au mensonge et à l'exagération: aux côtés de Vitellius se tenaient Valens et Caecina, qui lui montraient le théâtre des opérations: d'ici s'était lancée à l'attaque la colonne des légions, de là les cavaliers avaient chargé, de cet endroit étaient partis les auxiliaires pour envelopper l'ennemi; puis tribuns et préfets, chacun exaltant ses propres exploits, mêlaient le faux, le vrai et les exagérations (Id., 70,3) [52]. Seule subsiste en fait la chaussée de la via Postumia (Id., 70,2) que les habitants de Crémone ont jonchée de fleurs par adulation pour un empereur que la pitié ne saisit pas. Tous ignorent que les arbustes et les vignes, les fossés et la route elle-même se retrouveront comme intacts pour un autre combat qui les conduira à leur perte: ils se rassembleront un instant dans les ordres vains d'un chef que les événements dépassent [53] et c'est, avec eux, la ville toute entière qui s'engloutira dans les flammes [54].

Placé, pourrait-on dire, à mi-chemin entre les deux batailles, l'espace de Bédriac est ici celui d'une terrre italienne pétrie de l'horreur et du sang des guerres civiles. N'existant plus à cet instant que pour ce qu'il évoque, il porte à la fois le passé et l'avenir de ceux qui le contemplent: entraînés dans la folie des luttes fratricides, ils y périront à leur tour.

Le bois de Teutbourg.

Très différente dans son esprit, la funèbre description du bois de Teutbourg (Ann., 1,61) [55] est cependant très semblable dans la méthode que l'auteur utilise.

Ici encore, l'espace tragique est reconstruit sous les yeux et dans l'esprit de ceux qui le visitent. Pourtant, bien qu'il s'agisse d'un lieu de bataille et que beaucoup plus de temps ait passé [56], le terrain, loin d'être devenu informe, se retrouve avec une étonnante clarté, comme si toute vie, même celle des broussailles et de la forêt, s'y était définitivement arrêtée [57]. Germanicus et ceux qui l'accompagnent découvrent ainsi successivement le premier camp de Varus, son enceinte et son quartier général, puis le retranchement et le fossé du second camp et, dans la plaine qui les sépare, les restes épars et blanchis des soldats tués au combat; près de là, des arbres où sont clouées des têtes et, plus loin, les autels sur lesquels les chefs ont été sacrifiés: le premier camp de Varus avec sa triple enceinte et l'étendue de son quartier général montrait le travail de trois légions; plus loin, un retranchement à demi écroulé et un fossé peu profond indiquaient l'endroit où s'étaient établis leurs restes déjà décimés; au milieu de la plaine, des ossements blanchis, épars ou amoncelés selon qu'on avait fui ou résisté. A côté gisaient des fragments de traits et des membres de chevaux, et sur des troncs d'arbres étaient clouées des têtes (Id., 61,2-3) [58].

Partant du centre pour s'étendre, jusqu'à la périphérie, la description très ordonnée du site est donc fondée sur une évocation chronologique et fait ainsi pathétiquement revivre toutes les étapes d'un drame qu'on ne peut oublier. La démarche de Germanicus n'est pas en effet celle d'un vainqueur, mais celle d'un vengeur qui relève un honneur perdu; sa piété, qui honore les mânes des Romains tombés devant l'ennemi, s'oppose à l'insensibilité de Vitellius, heureux d'une victoire fratricide et de ce fait éphémère.

Comme à Bédriac pourtant, l'espace se retrouve un instant dans l'émotion des souvenirs, et les mêmes adverbes, ou presque, sont employés par les survivants: et ceux qui survivaient à ce désastre, ayant échappé au combat et aux chaînes, rapportaient qu'ici les légats étaient tombés, là les aigles avaient été prises... (Id., 61,4) [59]. Au Teutbourg cependant ils n'évoquent pas de vains exploits, mais replacent, en des lieux qui durent plus que les hommes, les derniers instants d'une tragédie [60], la mort des chefs, le suicide du général, le discours du barbare triomphant: [ils montraient] où la première blessure fut portée à Varus, où son bras malheureux le frappa d'un coup mortel, sur quelle estrade Arminius harangua ses troupes... (Ibid.) [61].

L'espace du Teutbourg n'est donc pas un espace détruit, c'est un espace retrouvé ; il n'est pas décrit pour sa précarité, mais pour son éternité; il a valeur de témoignage et tire sa cohérence des événements pathétiques qu'il a connus. Le plan qui nous en est ainsi clairement donné n'est pas celui du terrain, mais celui de la mémoire; il ne décrit pas les lieux eux-mêmes, mais l'histoire [62].

L'espace du drame.

A Bédriac, lors de l'odieuse visite de Vitellius, et dans le bois de Teutbourg, lors de l'hommage rendu par Germanicus, il ne s'agit donc pas d'une mise en ordre abstraite, mais plutôt d'une mise en scène a posteriori. Qu'il se dessine dans la violence de l'instant ou dans l'horreur des souvenirs, l'espace de Tacite n'est en effet toujours que celui du drame, et son organisation, en même temps qu'elle apporte plus de force et de réalisme au récit, n'encadre les événements que pour les replacer dans un décor et les faire en toute occasion revivre avec une intensité spectaculaire.

Dans le récit de la première bataille de Bédriac, par exemple, la disposition de la via Postumia, probablement surélevée par rapport à la plaine qu'elle traverse, est utilisée pour dramatiser l'action en transformant un instant les combattants en gladiateurs (Hist., 2,42,2) : ils se connaissent et, montés sur la chaussée, se livrent des combats singuliers sous le regard de tous les autres [63].

C'est encore sur la via Postumia que, pour des raisons stratégiques, les Vitelliens ont installé leurs ballistes pendant la seconde bataille (Id., 3,23,1-2), et que l'une d'entre elles, particulièrement importante, est héroïquement mise hors d'état de nuire par deux soldats flaviens, qui se distinguent ainsi quelques instants du reste des acteurs.

Ce ne sont là cependant que des mises en relief ponctuelles, dans lesquelles un seul élément du décor est utilisé pour mettre en évidence un détail caractéristique et présenter, dans le cours même de la narration linéaire, une sorte de tableau révélateur dans un cas du caractère fratricide de la lutte, et dans l'autre de son acharnement [64].

Il est d'autres passages plus caractéristiques en effet dans lesquels l'espace paraît entièrement organisé comme une scène, et ne devient présent et cohérent que parce qu'il offre précisément quelque chose d'exceptionnel à voir.

Les combats des Saturnales.

Au moment, par exemple, où les Flaviens investissent Rome après l'incendie du Capitole (Hist., 3,82-83), la topographie de certains quartiers se dessine d'abord au rythme de leur progression et des combats qui s'engagent. Après que des étendards brillant sur les collines (Id., 82,1) [65] ont envoyé des signaux hostiles et donné comme une image obligée du site, la via Flaminia, le Tibre, la via Salaria et la porte Colline (Id., 82,2) [66] sont tracés sur le plan que semble suivre le récit. C'est cependant sur les quartiers gauches de Rome, près des jardins de Salluste, que l'action se concentre et l'on y découvre des chemins étroits et glissants, bordés de jardins qu'entourent des murs en pierres sèches (Id., 82,3) [67]. Le champ de Mars servira plus tard d'arène et les rues de Rome, pleines de fêtards au comportement de spectateurs (Id., 83,1), verront enfin se livrer des combats d'une autre nature : suggéré maintenant par les acclamations, les applaudissements et les cris (Id., 83,1-2), un nouvel espace s'organise, et la topographie, jusqu'alors relativement précise, cède la place à une mise en scène évocatrice de violence, de désordre et d'aveuglement scandaleux. La topographie de Rome a disparu sous l'image virtuelle du Grand Cirque [68]: le peuple assistait aux combats en spectateur, et, comme aux jeux du Cirque, il encourageait de ses cris et de ses applaudissements, tantôt ceux-ci, tantôt ceux- là [69].

Le forum de Galba.

Sur le forum Républicain la réalité des lieux reste en revanche très présente en janvier 69, quand on y assassine l'empereur Galba.

Comme dans le cas précédent, l'espace entier de Rome apparaît d'abord à travers les déplacements qu'y effectuent, d'une part Galba lui- même et ses amis, de l'autre Othon qui va se saisir du pouvoir (Hist.,1,27-44).

Quittant brusquement et sous un fallacieux prétexte le sacrifice que l'empereur en titre est en train de célébrer sur le Palatin devant le temple d'Apollon (Id., 27,2), Othon descend au Vélabre en passant par la maison de Tibère et se rend d'abord au milliaire d'Or, au pied du temple de Saturne et sous le Capitole (Id., 27,2) [70] ; de là, il sera transporté en litière jusqu'au camp des prétoriens (lbid. [71]. Apparemment illogique, mais évidemment choisi par prudence [72], l'itinéraire d'Othon trace ainsi sur le plan de la ville un axe sud-ouest/nord-est qui la traverse de part en part (Id., 29,1) [73].

Pratiquement en même temps, les partisans de Galba se rendent, les uns au portique de Vipsanius situé dans le champ de Mars, d'autres à l'atrium Libertatis, entre le forum d'Auguste et celui de César, les derniers au camp des prétoriens, d'où semble partir le mouvement de révolte (Id.,31,2).

Palatin, Vélabre, Capitole, champ de Mars, forums Impériaux, camp des prétoriens, c'est tout le centre vital de la cité qui est évoqué avant que l'action ne se resserre, entre le Capitole et le Palatin, sur le cadre étroit du forum Romanum que le trajet d'Othon a pris soin d'éviter et que l'empereur Galba hésite encore à traverser (Id., 39,1). L'acte final et spectaculaire du drame va en effet se jouer sur le vieux forum de la République, qui retrouvera ainsi, pour un instant lugubre, la configuration qui était la sienne quand on y donnait des jeux de gladiateurs (ld.,40-43) [74].

Pour voir le spectacle qu'elle a déjà réclamé quand elle envahissait le Palatin en demandant la mort d'Othon et des conjurés (Id.,32,1) [75], la foule a comme autrefois pris place dans les basiliques et dans les temples; à la différence toutefois des jours de vrai spectacle, elle reste silencieuse et frémit de colère ou de peur plutôt que de plaisir (Id., 40,1). Bientôt, les soldats dispersent ceux qui se trouvent sur la place et la cavalerie est lancée devant les temples qui se dressent au pied du Capitole (Id., 40,2). Sur le Forum maintenant désert (Id.,41,1), l'empereur Galba, qui ne sait toujours pas s'il doit aller au Palatin, au Capitole ou vers les Rostres, est jeté hors de sa litière et tué près du bassin de Curtius (Id., 41,2) ; Titus Vinius est rattrapé devant le temple du Divin Jules (Id., 42) et Pison, un instant protégé par l'héroïque intervention de Sempronius Densus, parvient à se réfugier dans le temple de Vesta dont on le chassera pour l'égorger (Id., 43,2).

Sous les yeux de ceux qui se sont installés tout autour, le Forum Républicain devient ainsi manifestement semblable à une scène qu'on prépare d'abord en la dégageant, et dont les détails caractéristiques – lac et temples – n'apparaissent qu'avec le déplacement des personnages et les progrès de l'action. Tout entouré de temples et de portiques, dominé par le Capitole qui brûlera quelques mois plus tard, il n'est décrit avec précision que pour le spectacle tragique auquel il servit ce jour-là de théâtre.

Si la narration de Tacite suit d'assez près le récit de Plutarque [76], le désir de rendre l'horreur de l'action plus sensible encore en la situant à l'intérieur d'une espace tragique et rigoureusement défini est cependant chez lui beaucoup plus net.

Chez Plutarque en effet, les indications topographiques n'arrivent qu'au fil d'un récit dont le point central est Galba, tiraillé et ballotté dans sa litière comme au milieu d'une tourmente (Galba, 26,4). C'est à partir de la litière qu'on voit arriver, venant du côté de la basilique Emilienne [77], des hommes à cheval et des fantassins (Id., 26,5) et c'est à cet instant seulement que la foule court vers les portiques et les endroits élevés du Forum comme pour assister à un spectacle (Id., 26,6). Ainsi mentionnée, elle disparaît aussitôt du récit qui revient à la litière (Id., 25,7) près de laquelle Sempronius Densus livre un dernier combat généreux et désespéré (Id., 26,8-10), puis se resserre encore autour de Galba qu'on assassine près du lac Curtius (Id., 27,1) et dont on coupe férocement la tête (Id., 27,2-4). Le lac Curtius n'est donc désigné qu'en passant et comme à titre de précision anecdotique. Le centre d'intérêt s'étant ensuite transporté vers les actes du nouvel empereur, le temple de Vesta ne sera cité, dans le même esprit, qu'au moment où l'on apporte à Othon la tête de Pison (Id., 27,5) ; aucun rapport topographique et dramatique n'est en fait établi entre les deux monuments.

Chez Tacite au contraire, l'action est entièrement présentée dans un espace clos, qu'après l'avoir situé dans l'ensemble vital de l'Urbs, l'auteur délimite avec la plus grande précision. La litière qui porte l'empereur n'est ainsi présente qu'au début (Hist., 35,1 et 41,2) ; la foule est déjà installée dans les basiliques et dans les temples qui entourent la place et regarde le spectacle (Id., 40,1); les cavaliers dégagent l'espace central que dominent le Capitole et les temples (Id., 40,2). Afin sans doute de marquer la rapidité du mouvement et de l'action, ces cavaliers ne sont pas, comme chez Plutarque, escortés de gens à pied, ni un instant arrêtés comme chez Suétone (Galba,19,5). L'historien grec, d'autre part, probablement désireux de fixer un détail historique et un élément connu du décor, faisait arriver les meurtriers du côté de la basilique de Paul (Galba, 26,5), mais Tacite n'indique pas le point par lequel ils pénètrent dans le forum et les fait entrer, directement et au galop, dans l'espace clos qu'il vient de déterminer. Placés enfin comme autant de jalons sur le Forum, le lac Curtius, le temple de César et celui de Vesta marquent les trois emplacements des trois meurtres qui, venant après un sacrifice défavorable, semblent autant d'actes rituels impies; accomplis devant un public, entre Capitole et Palatin, ils tracent en travers du forum Républicain une ligne sanglante et souillent le coeur symbolique de la cité [78].

Tacite organise ainsi un récit dont le caractère spectaculaire n'était qu'un instant évoqué chez Plutarque et n'apparaît pas du tout chez Suétone. Comme Plutarque en effet, Suétone concentre l'action sur Galba; dans un récit beaucoup plus bref (Galba, 19-20), il ne fait que citer le Forum (Id., 19,4) et le lac Curtius (Id., 20,5) [79] et ne mentionne ni l'assassinat de Titus Vinius, ni celui de Pison [80]. L'espace du Forum et la tragédie qui s'y déroule sont donc absents chez lui de la présentation des faits.

Chez Tacite en revanche, l'évocation de l'étendue globale de Rome, puis la délimitation précise de l'espace central où l'essentiel se déroule, placent les événements sous les yeux du lecteur; le récit donne à voir et se réfère ainsi d'une manière presque explicite à la tradition aristotélicienne. Ce « donner à voir » s'établit cependant ici sur deux niveaux, l'un, immédiat, qui est celui du spectaculaire [81] et se réfère à une esthétique pathétique et dramatisante de l'historiographie antique [82], l'autre, indirect, dont on a bien montré déjà toute la valeur symbolique [83].

Remarquons cependant que si Galba commence effectivement cette journée fatale en reproduisant devant le temple d'Apollon l'attitude pieuse dans laquelle Auguste s'était tant de fois fait représenter [84], le parcours qu'il effectue du Palatin vers le forum n'est aucunement précisé; en outre, les noms qui évoqueraient la fondation de Rome ne sont pas cités dans le texte. Les émissaires qu'il envoie au portique de Vipsanius et à l'atrium Libertatis tracent en revanche avec netteté dans la ville un axe virtuel en direction des pères fondateurs de l'empire que sont César, Auguste et même Agrippa. Ce sont donc moins peut-être les monuments en eux-mêmes, déjà cités par Plutarque et correspondant sans aucun doute à une vérité historique ou a une tradition, que leurs emplacements qui prennent ici une valeur à la fois concrète et symbolique: dans l'étendue de la cité, telle qu'elle existe en janvier 69, ils déterminent un espace à la fois historique et dramatique.

Entre le Capitole, symbole éternel mais fragile de Rome et de sa République, et le Palatin, symbole du nouveau pouvoir, s'instaure, cette fois sur le forum de la République, un nouvel espace où trois lieux fondamentaux, réels et symboliques en même temps, ne servent plus que de repère dans une course à la mort qui pourrait être un spectacle et qui est de l'histoire.

Sur cette place fermée, réelle et virtuelle à la fois, les monuments ne jouent effectivement plus leur rôle de monumentum [85]. Ils ne peuvent en effet avertir les soldats qui passent au galop devant eux, parce que ces cavaliers sont devenus semblables à des Parthes; confondant l'empereur de Rome, héritier du Capitole, de César et d'Auguste avec un roi de l'extérieur (Hist.,1,40,2), ils ne peuvent plus comprendre les signaux que leur envoient des constructions qui restent pour eux sans signification, parce qu'elles n'ont pas d'histoire. Ainsi se manifeste une inversion de l'espace et de ses significations profondes, une inversion de la géographie et de l'histoire; les barbares sont dans Rome.

Comme les combats des Saturnales, l'assassinat d'un empereur en plein Forum et sous les yeux du peuple de Rome ouvre au coeur même de la cité un espace dont la théâtralisation met en évidence la barbarie [86] ; par une fêlure qui brise l'unité de l'espace romain, c'est tout l'extérieur qui se déverse ainsi dans l'intérieur.

La chambre d'Agrippine.

Si les descriptions de l'extérieur sont finalement assez fréquentes chez Tacite, celles des intérieurs n'existent pratiquement pas. Quelque pathétiques qu'elles soient, les scènes qui s'y jouent n'ont en effet que rarement besoin d'étendue et l'intensité dramatique se trouve alors plutôt concentrée dans la tension des dialogues et des jeux de physionomie que dans les mouvements et les déplacements [87]. L'évocation de l'espace réduit et clos dans lequel Agrippine s'est réfugiée après l'attentat qu'on vient manifestement d'organiser contre elle n'en est alors que plus saisissante (Ann., 14,8).

Comme dans le cas du meurtre de Galba, l'espace dans lequel se joue le drame est ici décrit par le mouvement des meurtriers marchant vers une victime qui n'a, cette fois, ni l'intention ni les moyens de fuir: la porte qu'on enfonce, le seuil de la chambre (Id., 8,2) et, visibles dans la faible lueur d'une petite lampe, Agrippine et sa servante près d'un lit, dont la présence ne sera signalée que plus tard (Id., 8,3). Toute la distance qui sépare ce lit de la porte est alors franchie, dans un sens par l'esclave qui s'éloigne et qu'Agrippine, inquiète, suit des yeux, dans l'autre sens par les assassins qui s'approchent et viennent entourer le lit sur lequel ils vont tuer l'impératrice (Id., 8,4-5) [88].

Cette mise en scène d'un espace étroit et sans contours précis, dans lequel seuls les acteurs sont éclairés, est complétée par un recours, exceptionnel chez Tacite, au style direct. Après avoir comme intérieurement exprimé son inquiétude, Agrippine s'adresse en effet directement, d'abord à la servante, ensuite aux tueurs. A ce moment de totale solitude morale, aucune réponse n'est cependant à attendre; il ne s'agit en effet, dans un cas, que d'une constatation, dans l'autre que d'un ordre aussitôt exécuté (lbid.) [89].

L'intensité dramatique et théâtrale [90] de la scène tient donc aux échanges de regard et aux paroles ultimes que prononce l'impératrice, mais elle repose aussi très largement sur l'évocation de ce lieu presque vide où s'effectuent, très vite et en sens inverse, deux mouvements différents, celui de l'abandon et celui de la mort.

Le désir d'organiser un espace scénique étroit dans lequel toute l'action se concentre sur un nombre restreint de personnages est en outre souligné par le jeu de contrastes et d'oppositions qu'on trouve dans la structure d'ensemble du paragraphe.

A l'étroitesse obscure de la chambre s'oppose en effet, juste avant, le vaste espace du rivage et de la mer, lui aussi décrit par le mouvement de ceux qui, pour soutenir Agrippine, s'approchent d'elle en utilisant les digues ou des barques et même en s'avançant dans les eaux (Ann.,14,8,1) [91]. Par opposition au silence qui va suivre, des rumeurs et des cris remplissent toute la plage; par opposition à la pénombre, des flambeaux [92] éclairent largement la scène. Pour finir, l'arrivée soudaine d'une troupe d'hommes armés dispersera la foule, comme elle fera bientôt partir les serviteurs et la servante restée seule près de sa maîtresse.
Pour rendre la scène encore plus pathétique, ce sont donc deux espaces construits qui s'opposent théâtralement comme deux tableaux successifs et contrastés dont le décor aurait été rapidement changé : l'un ouvert, extérieur, animé, vaste et presque lumineux, qui est celui de l'espérance, l'autre fermé, intérieur, silencieux, sombre et resserré, qui est celui de la solitude et du désespoir. Juxtaposés l'un à l'autre, ils ne sont décrits que pour renforcer l'effet produit par le drame et sont révélateurs de toute une méthode; ils montrent bien en tout cas que c'est de manière consciente et délibérée que Tacite joue avec l'espace et l'organise dans une référence explicite au théâtre [93].

La mort de Vitellius.

La même opposition entre deux espaces fortement contrastés se retrouve en effet, mais inversée, dans le récit de la mort de Vitellius (Hist., 3,84,4-85). Quittant l'Aventin, où il s'était réfugié dans un premier mouvement spontané, l'empereur, abandonné de tous, erre d'abord, terrorisé, dans les grandes salles désertes du Palatium (Id., 84,4), dont Tacite, à travers l'errance du personnage, évoque le vide et l'immensité, plutôt qu'il n'en décrit l'étendue [94].

Retrouvé dans le réduit infâme où il s'était finalement dissimulé [95], Vitellius est ensuite, hideux spectacle, traîné sans transition à l'extérieur du palais (Id., 84,5). La foule, qui dans la vague immensité des salles silencieuses n'était présente qu'à l'état de souvenir et comme par contumace, réapparaît alors; pleine de fureur, elle va escorter l'empereur déchu en l'accablant jusqu'au bout d'invectives et de coups.

Cependant, alors que Suétone (Vit.,17,2) décrit assez longuement le parcours symbolique et infamant qui, par la voie Sacrée, conduit du Palatin aux Gémonies, Tacite n'en dit rien. La distance est comme figée et contractée dans une longue phrase, ouverte par le nom de Vitellius à l'accusatif et fermée par une forme verbale dont le sujet demeure volontairement indéterminé: ils le poussèrent devant eux. Ce n'est qu'à travers les brefs regards auxquels Vitellius est contraint par la pointe d'un glaive qu'apparaissent, un instant seulement et sans topographie véritable, les statues du Forum, les Rostres, le lac Curtius, où s'était joué un autre drame, et les Gémonies [96].

Comme dans le récit de la mort d'Agrippine, c'est donc d'une manière habile et délibérée que Tacite, en inversant les situations, joue jusqu'au bout avec les ressources qu'offre l'apposition brutale d'un espace intérieur et d'un espace extérieur. Agrippine est acclamée à l'extérieur et meurt à l'intérieur dans la solitude obscure d'une petite chambre; Vitellius erre, à l'intérieur, dans la solitude immense du Palatium où rôdent les souvenirs d'une puissance perdue; il meurt, à l'extérieur, au milieu d'une foule qui l'invective après l'avoir acclamé. Sur son lit Agrippine désigne au centurion en style direct le ventre qui a porté Néron; au pied du Capitole en cendres, Vitellius rappelle au tribun, en style indirect, qu'il a été son empereur. Aussitôt après avoir parlé, tous deux sont accablés de coups [97].

Comme au théâtre, les personnages meurent ainsi après une ultime réplique [98] qui rapproche une dernière fois les deux espaces, celui de la gloire et celui de la mort, que l'auteur avait brutalement et volontairement juxtaposés.

L'espace de la destruction.

L'instant de la mort semble en effet produire comme une ultime restauration de la vie, et c'est ainsi toujours au moment de sa destruction totale que l'espace retrouve chez Tacite la cohérence qui lui manquait auparavant [99].

C'était, par exemple, déjà le cas pour Jérusalem, qui n'était décrite qu'à travers l'impatience et les désirs de celui qui allait bientôt l'anéantir. Tacite n'en donnait en fait une description précise qu'à travers la mort qui se dressait devant elle (Hist.,5, 11,3-12, 1) [100].

Crémone.

Dans la suite logique de la seconde bataille de Bédriac [101], c'est aussi, le cas de Crémone (Hist.,3,26-33).

Quand les soldats d'Antonius s'en approchent, c'est d'abord le camp qui l'entoure et son retranchement renforcé qu'on découvre (Id., 26,1) [102], et c'est au moment où commence l'investissement qui va conduire à la destruction de la ville que l'espace s'ordonne cette fois sans défaut ; la route de Bédriac, par laquelle arrivent les assaillants, la partie droite du retranchement, à l'est, et la porte de Brescia au nord (Id., 27,2) [103] sont alors clairement situées dans le dispositif que choisit Antonius.

Une fois simplement nommée comme un objectif encore lointain à atteindre (Id., 27,3), la ville elle-même n'apparaîtra qu'après que tout l'espace qui la séparait des retranchements vitelliens ait été d'abord rempli de cadavres (Id., 29,2) [104]. Elle se dresse alors, encore menaçante, dans une présentation globale, mais schématique, qui ne retient, comme dans le cas de Jérusalem, que l'importance des obstacles à franchir. Comme sur un bas-relief [105], ne sont donc évoquées que les murailles, les tours et les portes barrées de fer (Id., 30,1) [106].

Ce ne seront plus ensuite que détails évocateurs de massacre et de pillage avant que la cité ne réapparaisse une dernière fois, déjà tout engloutie dans les flammes qui la dévorent (Id., 33,2) [107], à l'exception du temple de Méfitis que protégeaient à la fois sa situation hors des murs et le caractère maléfique de la divinité à laquelle il était consacré [108].

Du retranchement extérieur qui devait la défendre, aux rues et aux maisons dans lesquelles les pillards jettent des torches incendiaires (Ibid.) [109], la malheureuse ville ne nous est ainsi apparue toujours plus proche qu'avec les progrès de l'assaut violent et bref qui la plongeait d'une manière déjà pathétique dans les flammes et le néant

L'incendie de Rome.

D'une manière aussi dramatique, c'est avec la progression de l'incendie qui la ravage que se dessine le mieux la topographie générale de Rome (Ann.,15,38-43).

Quand le feu la parcourt, la Ville apparaît d'abord comme un immense plan dépourvu de détails : seul se dresse, entre le Palatin et le Caelius, le grand cirque que les flammes vont entièrement dévorer (Id.,38,2)l10; autour ne se trouve rien, ni demeures entourées de fortes clôtures, ni temples ceints de murs (Ibid.) [111]. Dans son élan, que souligne l'emploi d'une série de verbes exprimant le mouvement, le feu ravage d'abord les parties planes, gagne ensuite les hauteurs et revient enfin vers les quartiers les plus bas (Id.,38,3) [112]. Comme un instant dégagé des étincelles et des fumées qui le recouvrent, mais déjà perdu et rejeté dans le passé, le cœur de la ville apparaît alors avec ses ruelles étroites et tortueuses, ses immeubles mal alignés, telle que fut la Rome d'autrefois (Ibid.). [113]

Peu à peu cependant d'autres ensembles se dessinent: le Palatium d'abord et sur l'Esquilin les jardins de Mécène (ld.,39,1), les régions épargnées, Champ de Mars et jardins de Néron au Vatican (Id.,39,2), les Esquilies, rempart dressé entre cendres et ruines face au vide du ciel (Id.,40,1), tous les quartiers ensuite, les uns intacts, les autres rasés, d'autres comme hantés de bâtiments en ruine délabrés et à demi-brûlés (Id.,40,2) ; viennent enfin, redressés un instant pour mémoire, tous les monuments perdus, long inventaire d'un passé définitivement englouti (Id.,41,1).

L'espace qui se reconstitue ici par vastes fragments instables dans le mouvement du feu qui le dévore est donc autant celui du plan qui celui du temps. La destruction de Rome n'apparaît ainsi que comme un accident de son éternité : rectiligne, ordonnée, plus basse et plus aérée, décorée de portiques et de vastes espaces [114], une autre ville se dressera bientôt sur les ruines de la précédente ; elle sera cependant largement occupée par l'immense palais de l'empereur et dominée quelques temps encore par le Capitole que les Dieux ont ce jour-là préservé.

Le Capitole.

C'est aux hommes en effet qu'il est réservé de le détruire au moment où les Vitelliens prennent d'assaut la citadelle dans laquelle Flavius Sabinus s'est maladroitement retranché (Hist.,3,71) et le Capitole n'apparaît comme la Ville qu'à l'instant de son agonie.

Avec la progression des soldats sans chef qui l'investissent se découvrent d'abord le Forum et les temples qui se dressent au pied du Capitole, puis la rampe d'accès, bordée, sur la droite, par de hauts portiques dont le sommet est accessible à partir de la colline elle-même (ld.,71,1) [115]. A droite et à gauche de ce premier point d'attaque, on découvre ensuite, simplement mentionnés, mais fortement présents, le bois d'Asile au nord et la roche Tarpéienne au sud-ouest (Id., 71,3) [116].

Même si les précisions qu'apporte ici Tacite ont sans doute pour intention de mieux marquer les responsabilités et de rétablir une vérité que dissimulait la propagande flavienne [117], il n'en reste pas moins que c'est au moment où le monument le plus symbolique et le plus prestigieux de Rome va disparaître que ses alentours au moins deviennent un bref instant aussi lisibles qu'un plan [118].

Le temple lui-même n'apparaît qu'au moment où les portiques qui le touchent et les aigles qui le dominent sont saisis par le feu [119], et le long développement que Tacite consacre à son histoire (Id.,72) se conclut par l'image insistante de l'édifice embrasé: c'est ce temple qui brûlait alors [120].

De Tarquin l'Ancien à Sylla, puis Vitellius, c'est en effet tout ce qui restait de l'histoire et de la gloire de Rome qui est en train de symboliquement disparaître avec la demeure de Jupiter Très Bon, Très Grand. Comme lorsque la Ville tout entière brûlait, le temps rejoint ici l'espace et se consume avec lui: comme la Ville cependant le Capitole renaîtra de ses cendres au moment où la folie des hommes sera pour un temps apaisée.

 

Dans les différents exemples que nous venons d'évoquer, l'espace naît donc du drame et des mouvements qui l'expriment. Particulièrement favorisé par la configuration naturellement spectaculaire des lieux quand il s'agit du Forum, il peut aussi, comme c'est le cas pour l'assassinat d'Agrippine ou les combats singuliers de la via Postumia, se resserrer autour des acteurs et n'occuper, si l'on peut dire, qu'une place restreinte.

La pauvreté manifeste des indications topographiques que nous avons d'abord signalée est donc finalement sans véritable importance, et Tacite ne s'intéresse pas plus à la précision des lieux qu'au détail d'un monument nouvellement construit. La minutie d'un Pline l'Ancien vantant les fondations et la charpente du vaste amphithéâtre que César avait fait élever au champ de Mars (Ann.,13,31,1) [121], ou celle d'un Pline le Jeune décrivant complaisamment ses villas [122], lui sont volontairement et, si l'on peut dire, déontologiquement étrangères : de tels détails ne sont pas dignes d'entrer dans les Annales du peuple romain [123]. Il serait donc aussi faux de dire que Tacite est précis dans certains détails que vain d'affirmer qu'il est confus.

La question se pose en effet différemment. L'ordre ou le désordre de la description correspondent en fait à une préoccupation dont nous avons aperçu les aspects littéraires et qui dépasse de beaucoup le souci du détail. Tacite refuse d'une manière délibérée tous les effets pittoresques qui éloignent de ce qui est directement intelligible et humain ; il rejette tout ce qui est extérieur à l'homme au profit de ce qui lui est propre et intérieur. Il tend, dans une démarche qui n'est qu'apparemment contradictoire, tantôt à dresser les hommes devant des décors schématiques et semblables à ceux de la colonne Trajane, tantôt à les mettre en scène au sein des espaces symboliques dans lesquels se jouent les drames de l'histoire.

On a ainsi le sentiment de trouver chez lui, non pas un espace organisé avant toute chose, mais un espace vécu et senti qui s'exprime d'une manière différente suivant les cas plutôt que suivant les lieux. Dans ce mode de description, qui n'envisage les choses qu'à travers les destructions que les hommes y commettent, s'exprime en fait une angoisse profonde. L'instabilité fondamentale de l'espace n'est qu'un aspect de l'instabilité foncière d'un univers qu'ébranle sans cesse la folie des hommes. En fait, et d'une manière plus générale et plus abstraite, c'est, chez Tacite, l'espace entier du monde romain qui est sans cesse menacé, et l'Histoire n'est souvent rien d'autre que la mise en évidence littéraire de cette menace éternelle.


NOTES

1. Sur ces questions, voir, par exemple, le toujours pertinent ouvrage de Bachelard (G. Bachelard, Poétique de l’espace, Paris, 1984 (1957)), E. Noël et G. Minot, L'espace et le temps aujourd'hui, Paris, 1983, ou les pages d'ouverture de P. Zumthor, La mesure du monde, Paris, 1993.

2. Cf., par exemple, Cicéron, De Republica, 13 : Omnis enim terra, quae colitur a vobis, angusta verticibus, lateribus latior, parva quaedam insula est, circumfusa illo mari, quod Atlanticum, quod Magnum, quem Oceanum appellatis in terris ; qui tamen tanto nomine quam sit parvus, vides.

3. diffugiunt animi terrores, moenia mundi / discedunt... (Lucrèce, De natura rerum, 3,16-17. Traduction P. Hadot, Qu'est-ce que la philosophie antique?, Paris, 1995, pp. 310-311). De même, Cicéron, De natura deorum, 21.

4. Epicure donne cependant comme une définition abstraite de l'espace. L'opposant au vide, il le décrit comme la nature tangible parcourue par un corps, le lieu étant la nature tangible occupée par un corps et le vide la nature tangible sans aucun corps. On voit que c'est le mouvement, ou la possibilité du mouvement, qui permet dans ce cas de définir l'espace : l'espace est comme engendré par le mouvement des corps qui s'y déplacent. Sur cette définition, voir Carlos Lévy, Les philosophies hellénistiques, Paris, 1997, pp. 44-46.

5. Par exemple, Lucrèce, De Natura rerum, 1,523 : ...tout l'espace existant serait un vide absolu (omne quod est spatium vacuum constaret inane), [traduction J. Kany-Turpin, Paris, 1997(1993)] ou, plus en rapport avec notre sujet, Ovide, Fastes, 2, 683-684 : Les autres peuples ont reçu une terre aux frontières définies. Pour Rome, Ville et univers ont la même étendue (Gentibus est aliis tellus data limite certo / Romanae spatium est Urbis et orbis idem) [traduction R. Schilling, C.U.F., 1993).

6. Par exemple, Virgile, Géorgiques, 2, 541 : Mais nous avons parcouru une immense étendue (Sed nos immensum spatiis confecimus aequor). Traduction J. Perret.

7. Le temps est dans ce cas traduit en termes d'espace. Les expresions brevi spatio, hoc spatio, tam longo spatio sous-entendent évidemment le génitif temporis.

8. Par exemple post id locorum, interea loci.

9. Par exemple, César, Guerre des Gaules, 7,26 : palus intercedebat.

10. Par exemple, Tacite, Hist., 3,29,2 : Le carnage comble tout l'espace compris entre le camp et les murs (Completur caede quantum inter castra murosque vacui fuit).

11. Cf. Vitruve, 10,9 et le commentaire de Ph. Fleury (C.U.F., 1986, p. 187 sqq.).

12. Sur ces questions, P. Janni, La Mappa e il Periplo. Cartografia antica e spazio odologico, Rome, 1984.

13. De natura rerum, 1,983 : effugiumque fugae prolatet copia semper. Traduction P. Hadot.

14. Sur les « trois espaces » (textuel, décrit et littéraire), voir P. Zumthor, op. cit., p.363.

15. Pour toute cette partie, A. Malissard, Le décor dans les "Histoires"et les ''Annales'', Aufstieg und Niedergang des Römischen Welt (A.N.R.W.), II,33,4, 1991, pp. 2832-2878.

16. Sur ce passage, M. Rambaud, L'espace dans le récit césarien, Caesarodunum, IX bis, 1974, pp. 121 et 123.

17. M. Rambaud, op. cit., pp. 112-114.

18. Le cas d'Alésia est à cet égard tout à fait caractéristique: à la précision des plans qu'on peut tirer de l'organisation du siège répond le débat traditionnel sur l'emplacement exact de l'ensemble du site.

19. A. Malissard, op. cit., pp. 2835-2842.

20. Ce sont: fleuve, forêt, digue, marais, remparts, fortins, mer.

21. A. Malissard, op. cit., pp. 2840-2842.

22. Elle n'est cependant là que pour sa valeur symbolique. Voir cependant infra, p. 39.

23. A. Malissard, op. cit., pp. 2843-2844 et 2849.

24. Id., pp. 2848, 2850, 2852.

25. Id., pp. 2854, 2860-2862.

26. Id., pp. 2856-2857 et R. Turcan, Tacite et les arts plastiques dans les "Histoires", Latomus, 44, 1985, p.791.

27. A. Malissard, op. cit., pp. 2858-2859 et R. Turcan, op. cit., p. 789.

28. A. Malissard, op. cit., pp. 2859-2860.

29. Id., p. 2870. Suivant les besoins de la narration, elle apparaît tantôt étroite (Hist., 2,41,6-7 ; 3,16,6; 3,17,4-8) et tantôt surélevée (Id., 2,42,6; 3,23,3-6).

30. Id., p. 2855-2862.

31. B.G., 2,27: « On est donc obligé de reconnaître que ce n'est pas sans raison que des hommes d'un tel courage avaient osé franchir une rivière si large, escalader une berge si élevée, s'attaquer à une position si forte » (ut non nequiquam tantae virtutis homines judicari deberet ausos esse transire latissimum flumen, ascendere altissimas ripas, subire iniquissimum locum).

32. « Telle était la configuration du terrain, que des bas-fonds mal connus rendaient perfides et désavantageux pour nous ». Cf César, B.G., 2,18: Loci natura haec erat.

33. Au sens le plus général du mot. Nous verrons en effet qu'il dépend aussi de la pensée des personnages et des opinions de l'auteur.

34. A. Malissard, op. cit., p.2872. Voir aussi infra, p. 129.

35. Id., pp. 2871-2872.

36. Id., pp. 2862-2863.

37. Id., pp. 2867-2868.

38. Id., pp. 2864-2867.

39. Sur la difficulté de la topographie à cet endroit, M.M. Sage, "Tacitus' Historical Works : A Survey and Appraisal", A.N.R.W., II,33, 2, pp. 929-930.

40. 11 sur 19. A. Malissard, op. cit., pp. 2839.

41. Infra, p. 98.

42. Ceterum antequam proposita componam.

43. Supra, p. 12.

44. A Malissard, op. cit., pp. 2870-2871.

45. Sur ce point, A. Malissard, Un exemple de composition tacitéenne : les deux batailles de Bédriac (Tacite, Histoires, 2,31-50 et 3,15-25), Hommages à Jean Cousin, Paris, 1983, pp.159-179.

46. « Une estafette annonça que l'ennemi approchait, précédé d'une faible avant-garde, et qu'on percevait sur un vaste espace du mouvement et du bruit » (Cum citus eques adventare hostes, praegredi paucos, motum fremitumque late audiri nuntiavit). Sur cette phrase, J. Hellegouarc'h (Le style de Tacite: bilan et perspectives, A.N.R.W., II, 33, 4, p. 2449) fait justement remarquer la disposition expressive des trois groupes verbaux. Cette expressivité tend effectivement à souligner l'étendue de la plaine.

47. « A quatre mille de Crémone brillèrent soudain les enseignes des légions Rapax et Italica » (ad quartum a Cremona lapidem fulsere legionum signa Rapacis atque Italicae).

48. Signalons sans trop donner d'importance au détail que les indications de lumière et de bruit sont présentées en chiasme: bruit en 16,1 et 24,1, lumière en 18,1 et 19,1.

49. ...sistere tertiam decimam legionem in ipso viae Postumiae aggere jubet, cui juncta a laevo septimo Galbiana patenti campo stetit, dein septimo Claudiano, agresti fossa (ita locus erat) praemunita ; dextro octava per apertum limitem, mox tertia densis arbustis intersepta. Hic aquilarum signorumque ordo.

50. ...milites mixti per tenebras, ut fors tulerat. Sur le rôle des ténèbres et de la nuit dans ce passage, M. A. Giua, Paesaggio, natura, ambiente come elementi strutturali nella storiografia di Tacito, A.N.R.W.,II, 33, 4, p. 2884.

51. H. Heubner, Die Historien, 2, Heidelberg, 1972, p. 219.

52. Aderant Valens et Caecina, monstrabantque pugnae locos : hinc inrupisse legionum agmen, hinc equites coortos, inde circumfusas auxiliorum manus : jam tribuni praefectique, sua quisque facto extollentes, falsa, vera aut majora vero miscebant.

53. Supra, p. 21.

54. Infra, p. 39.

55. Sur ce passage, voir l'intéressante comparaison stylistique de J. Soubiran, Thèmes et rythmes d'épopée dans les "Annales" de Tacite, Pallas,12, 1964, pp. 55-79 et St. Borzsak, Das Germanicusbild des Tacitus, Latomus, 28, 1969, pp. 596-597.

56. Six ans au lieu de "moins de quarante jours" (Ann.,1,62,1 : sextum post cladis annum et Hist., 2,70,1 : intra quadragensimum pugnae diem).

57. Cicéron, quand il retrouve le tombeau d'Archimède (Tusc., 5,64-66), Sénèque lorsqu'il visite la tombe de Scipion, insistent au contraire sur le délabrement et les progrès de la végétation. Même si, dans ces deux cas, beaucoup plus de temps a passé, il s'agit surtout de développer le thème de l'abandon et de l'oubli : comme la broussaille, le temps fait tout disparaître. C'est le contraire ici : l'espace est net de toute végétation parasite et la mémoire intacte.

58. Prima Vari castra lato ambitu et dimensis principiis trium legionum manus ostentabant ; dein semiruto vallo, humili fossa accisae jam reliquiae consedisse intellegebantur : medio campi albentia ossa, ut fugerant, ut restiterant, disjecta vel aggerata. Adjacebant fragmina telorum equorumque artus, simul truncis arborum antefixa ora. Lucis propinquis barbarae arae, apud quas tribunos ac primorum ordinum centuriones mactaverant. La nature même de la Germanie est ici moins sensible que le caractère de ses habitants (M. A. Giua, op. cit., p.2889).

59. Et cladis ejus superstites, pugnam aut vincula elapsi, referebant hic cecidisse legatos, iIIic raptas aquilas... Ici hic, illic ; pour Bédriac (Hist., 2,70,3), hinc, inde. Ce sont les références fondamentales de tout discours sur l'espace. Cf. P. Zumthor, op. cit., pp. 25-26.

60. A. Malissard, Tacite et le théâtre ou la mort en scène, Théâtre et société dans l'empire romain, Tübingen, 1990, pp. 215-216.

61. Primum ubi vulnus Varo adactum, ubi infelici dextera et suo ictu mortem invenerit ; quo tribunali contionatus Arminius.

62. La comparaison avec Tite-Live (22,51) est à cet égard très édifiante. Retournant sur les lieux de la bataille de Cannes, les Carthaginois vainqueurs n'y voient que des blessés qu'ils achèvent, des mourants et des cadavres; aucune indication topographique n'est fournie. Mais cette visite est faite au lendemain même de la bataille et ne sert que de conclusion définitive au récit qui se termine. L'intention littéraire est donc très différente : il ne s'agit pas de faire ressurgir, à partir des lieux, le souvenir des combats, mais de donner un dernier et sombre écho de leur violence et de l'ampleur de la catastrophe.

63. « Les soldats, se reconnaissant les uns les autres, sous les yeux du reste de l'armée, combattaient pour décider de l'issue de toute la guerre » (Noscentes inter se, ceteris conspicui, in eventum totius belli certabant). Dérisoire parodie du combat des Horaces et des Curiaces ou de celui de Manlius Torquatus!

64. Dans le cas du fils qui tue son père pendant la seconde bataille de Bédriac (Hist., 3,25,2-3), la référence au théâtre est manifeste, mais l'action, détachée du mouvement d'ensemble, se présente plutôt comme un tableau qui serait joué en avant du pulpitum et n'utilise ni le décor, ni l'espace. Cf. A.. Malissard, Tacite et le théâtre..., p. 216 et 220 et Un exemple de composition..., p. 167; P. Jal, La guerre civile à Rome. Etude littéraire et morale, Paris, 1963, pp. 417 et 488 sqq. ; M. Billerbeck, Die dramatische Kunst des Tacitus, A.N.R.W., II, 33, 4, p. 2761.

65. « ...En même temps des étendards brillant sur les collines, quoique suivis d'un peuple inapte à la guerre, avaient donné l'impression d'une année en bataille » (...Simul fulgentia per colles vexilla, quamquam imbellis populus sequeretur, speciem hostilis exercitus fecerant).

66. « Antonius répartit ses forces en trois colonnes : l'une poursuivit sa marche par la voie Flaminia, où il avait fait halte; la seconde s'avança le long du Tibre; la troisième colonne par la via Salaria s'approchait de la porte Colline » (Tripertito agmine pars, ut adstiterat, Flaminia via, pars juxta ripam Tiberis incessit ; tertium agmen per Salariam Collinae portae propinquabat.)

67. « Seuls furent maltraités ceux qui, se dirigeant vers les quartiers gauches de Rome, s'étaient engagés, près des jardins de Salluste, dans des chemins étroits et glissants. Debout sur les murs en pierres sèches des jardins, les Vitelliens ne cessèrent jusqu'au soir de repousser les assaillants à coups de pierres et de javelots... » (Ii tantum conflictati sunt, qui in partem sinistram urbis ad Sallustianos hortos per angusta et lubrica viarum flexerant. Superstantes maceriis hortorum Vilelliani ad serum usque diem saxis pilisque subeuntes arcebant...). Sur les problèmes posés par le déplacement exact des divers corps flaviens, Heubner, op.cit., 3, p. 184.

68. Le thème, évidemment dépréciatif, de la transformation des soldats en gladiateurs, qui apparaît aussi dans la mise en scène de l'assassinat de Galba, est très fréquent dans les Histoires (voir, par exemple, A. Rouveret, Tacite et les monuments, A.N.R.W., II, 33, 4, pp. 3082-3084). Il s'accompagne à chaque fois de l'évocation, sur la topographie de l'Urbs, d'un autre espace, celui de l'arène et des munera. Cf. A Malissard, Tacite et le théâtre..., pp. 218-220.

69. Aderat pugnantibus spectator populus utque in ludicro certamine, hos, rursus illos clamore et plausu fovebat.

70. « ...Il prend par la maison de Tibère, se rend au Vélabre et de là gagne le milliaire d'or, au pied du temple de Saturne ». (...per Tiberianam domum in Velabrum, inde ad miliarium aureum sub sedem Saturni pergit.)

71. Ce trajet d'Othon, porté en litière au camp des prétoriens, fait penser à l'élévation ridicule de Claude telle que Suétone la raconte (Clau., 10,5-6). Voir aussi la ressemblance ironique avec la mort de Vitellius. En ce qui concerne le trajet d'Othon, le texte de Suétone (Othon, 6,6) n'est d'ailleurs pas non plus dénué d'ironie.

72. En fait, comme l'indique simplement et clairement Suétone, Othon sort par derrière (Othon, 6,4 : postica parte Palati) et se rend d'abord vers le sud-ouest, avant de remonter vers le nord-ouest du forum, puis vers le nord-est de Rome. Sur la discussion autour de cet itinéraire : Tacite, Histoires, 1, C.U.F.,1987, p. 148, n.16.

73. En même temps de toute la ville accourent tous ceux qui s'étaient trouvés sur la route d'Othon... (simul ex tota urbe, ut quisque obvius fuerat..).

74. Cf note 54 et R. Auguet, Cruauté et civilisation. Les jeux romains, Paris, 1970, pp. 15-16.

75. « Déjà la plèbe entière remplissait le Palatin, mêlée aux esclaves, et leurs cris discordants demandaient la mort d'Othon et l'exécution des conjurés, comme au cirque ou au théâtre ils auraient réclamé un numéro quelconque ». (Universa jam plebs Palatium implebat, mixtis servitiis et dissona clamore caedem Othonis et conjuratorum exitium poscentium, ut si in circo aut theatro ludicrum aliquod postularent.)

76. Plutarque, Galba, 24,4-27. Pour une comparaison des récits de Plutarque, Suétone, Dion Cassius et Tacite voir, entre autres, N. P. Miller, Tacitus'narrative technique, Greece & Rome,24, 1977, pp. 13- 22.

77. C'est-à-dire en gros sur la droite de Galba, puisqu'il se dirige, tant bien que maI, du Palatin vers le Capitole.

78. On voit ainsi revenir ces souillures dont, en d'autres temps, Cicéron voulait déjà purifier le Forum: expiandum forum populi Romani ab illis nefarii sceleris vestigiis esse dico (Cicéron, Pro C. Rabirio, II).

79. ...atque in forum usque processit ... jugulatus est ad lacum Curti...

80. Rappelé seulement dans Othon, 6,7.

81. Cf. E. Courbaud, Les procédés d'art de Tacite dans les "Histoires",Paris, 1918, pp. 89-90.

82. Voir à ce propos, I. Borzsak, "Spectaculum". Ein Motiv der tragischen Geschichtschreibung bei Livius und Tacitus, Acta classica universitatis scientiarum debreceniensis, 9, 1973, pp. 57-67.

83. Cf. A Rouveret, op. cit., pp. 3070-3072.

84. Id., p. 3070.

85. Id., p. 3071. Monumentum étant pris ici au sens varronien "d'outil de mémoire". Cf. pp. 3051- 3052.

86. Le sentiment de barbarie se trouve renforcé lorsque Othon traverse « le Forum encore ensanglanté » et est « porté par-dessus les tas de cadavres au Capitole, et de là au palais » (Hist.,1,47,2 : Otho cruento adhuc foro per stragem jacentium in Capitolium atque inde in Palatium vectus...). C'est probablement pour permettre ce rappel, qui évoque une fin de tragédie, que Tacite a placé l'action le soir. Cf Histoires, l, C.U.F., op. cit., p. 178, n. 7.

87. Voir, par exemple, la rencontre de Vitellius et de Flavius Sabinus au temple d'Apollon (Hist.,3,65,2), le procès de Valerius Asiaticus (Ann., 11,2), la scène (Ann.,14,7) dans laquelle Néron apprend qu'Agrippine est sauve ou les interrogatoires qui suivent la découverte de la conjuration de Pison (Ann., 15,66-69).

88. Pour la valeur théâtrale de la scène, Billerbeck, op. cit., pp. 2769-2770.

89. « Puis, comme la servante s'éloignait, “Toi aussi, tu m'abandonnes”, lança-t-elle... » (Abeunte dehinc ancilla, “Tu quoque me deseris” prolocuta...) « Alors, montrant son abdomen, Frappe au ventre, s'écria-t-elle, et, percée de coups, elle expira » (...protendens uterum, Ventrem feri, exclamavit, multisque vulneribus confecta est).

90. Pour le talent de Tacite "metteur en scène", A. Michel, Tacite et le destin de l'empire, 1966, p. 174. Pour la construction dramatique de l'ensemble du récit et son rapport avec les règles de la tragédie, L. Muller, La mort d'Agrippine (Tacite, Annales,14,1-13). Quelques éléments tragiques de la composition du récit, Les Etudes Classiques, 62 (1994), pp. 27-43.

91. « ...chacun, en apprenant la nouvelle, se met à courir au rivage. Ceux-ci montent sur les digues, ceux-là dans les barques les plus proches; d'autres, jusqu'à hauteur d'homme, s'avancent dans la mer (...ut quisque acceperat, decurrere ad litus. Hi molium objectus, hi proximas scaphas scandere ; alii, quantum corpus sinebat, vadere in mare...). Sur cette scène d'accueil et sa ressemblance avec celle du retour des cendres de Germanicus, Billerbeck, op. cit., pp. 2755-2758.

92. « Voici qu'accourt une foule immense avec des flambeaux... » (adfluere ingens multitudo cum luminibus...).

93. Sur les diverses lectures possibles de la scène, A Malissard, Tacite et le théâtre..., pp. 216-217 et L'histoire: écriture ou vérité? A propos de Pline (Ep., 6, 16 et 20) et de Tacite (Ann.,14, 3-9), Mélanges Pierre Lévêque, 5, Paris, 1990, pp.236-241. Sur les arrangements littéraires mis en oeuvre, O. Devillers, Tacite, les sources et les impératifs de la narration : le récit de la mort d'Agrippine (Annales, XlV, 1-13), Latomus, 54 (1995), pp.324-345.

94. « ...il revient au palais, qui était vide et déserté ... La solitude l'épouvante, et le silence de ces lieux; il cherche à ouvrir les salles fermées et frissonne de les trouver vides... » (...in Palatium regreditur vastum desertumque ... Terret solitudo et tacentes loci ; temptat clausa, inhorrescit vacuis...).

95. Une seconde fois (supra, n. 71) on remarquera une similitude ironique dans le texte de Suétone qui décrit l'accession ridicule de Claude au pouvoir (Claud., 10,2-3) : Claude terrorisé se cache, il est trouvé par un simple soldat qui en fait un empereur !

96. Hist., 3,85: « Quant à Vitellius, on le forçait avec la pointe des épées tantôt à lever la tête et à l'offrir aux outrages, tantôt à regarder ses statues qu'on renversait, surtout les Rostres, ou le lieu où Galba avait été tué ; enfin ils le poussèrent devant eux jusqu'aux Gémonies, où le corps de Flavius Sabinus avait été jeté » (Vitellium infestis mucronibus coactum modo erigere os et offerre contumeliis, nunc cadentes statuas suas, plerumque rostra aur Galbae occisi locum contueri, postremo ad Gemonias, ubi corpus Flavii Sabini jacuerat, propulere.)

97. Ann.,14,8,5 : « Frappe au ventre! s'écria-t-elle, et, percée de coups, elle expira » (ventrem feri, exclamavit, multisque vulneribus confecta est). Hist.,3,85 : « ... il répondit que tout de même il avait été son empereur; puis il tomba sous les coups qu'on lui porta » (...se tamen imperatorem ejus fuisse respondit, ac deinde ingestis volneribus concidit).

98. De façon générale, sur l'aspect théâtral des dialogues chez Tacite, voir E. Courbaud, op. cit., pp. 219-222, J. Andrieu, Le dialogue antique, Paris, 1954, p. 328 et C. Monteleone, Un procedimento stilistico in Tacito, Annali,14,8-9, R.F.I.C.,103, 1975, pp. 302-306.

99. A. Malissard, Incendium et ruinae. A propos des villes et des monuments dans les "Histoires" et les "Annales" de Tacite, Caesarodum, XVIII bis, 1983, pp. 48-49.upra, p. 17.

100. Sconlumeliis, nunc cadentes statuas suas, plerumque rostra aut Galbae occisi locum contueri, postremo ad Gemonias, ubi corpus Flavii Sabini jacuerat, propulere.

101. Supra, p. 12 et 20.

102. « Pendant la guerre contre Othon, les soldats de Germanie avaient établi leur camp auprès des murailles de la ville, entouré ce camp d'un retranchement et renforcé encore ces ouvrages de défense. A cette vue, les vainqueurs s'arrêtèrent ». (Othoniano bello Germanicus miles moenibus Cremonensium castra sua, castris vatlum circumjecerat eaque munimenta rursus auxerat. Quorum aspectu haesere victores).

103. « La zone voisine de la route de Bédriac fut le lot des soldats de la troisième et de la septième légions, la partie droite du retranchement revint à ceux de la huitième et de la septième Claudiana, ceux de la treizième se portèrent d'un seul élan vers la porte de Brescia ». (Proxima Bedriacensi viae tertiani septimanique sumpsere, dexteriora valli octava ac septima Claudiana ; tertiadecimanos ad Brixianam portam impetus tulit). Sur ce passage, H. Heubner, op.cit., p. 78.

104. « Le carnage comble tout l'espace compris entre le camp et les murs » (Completur caede quantum inter castra murosque vacui fuit).

105. On pense notamment aux villes qui figurent sur la colonne Trajane, telle, par exemple, Sarmizegethusa au tableau CXIV. Voir A. Malissard, Etude filmique de la colonne Trajane. L'écriture de l'histoire et de l'épopée latines dans son rapport avec le langage filmique, Tours, 1974, p. 335-336.

106. « ...les hautes murailles de la ville, des tours de pierre, des portes barrées de fer... » (ardua urbis moenia, saxeae turres ferrati portarum obices...).

107. « Alors que tous les édifices sacrés et profanes s'abîmaient dans le feu, seul le temple de Méfitis resta debout; situé hors des murs, sa position le protégea, ou la divinité ». (Cum omnia sacra profanaque in igne considerent, solum Mefitis templum stetit ante moenia, loco seu numine defensum).

108. Sur les effets de style dans ce passage, E. Aubrion, Rhétorique et histoire chez Tacite, Metz, 1985, p. 363 sqq.

109. Une fois encore on pense aux bas-reliefs de la colonne Trajane (tableau XXV, par exemple, A. Malissard, Etude... , pp. 164-166). Voir Turcan, op. cit., p. 796 sqq.

110. « Le feu prit d'abord dans la partie du Cirque contigüe aux monts Palatin et Caelius ... il dévora toute la longueur du Cirque... » (...lnitium in ea parte circi ortum quae Palatino Caelioque montibus contigua est ... Longitudinem circi corripuit...).

111. « ...Car il n'y avait ni demeures entourées de fortes clôtures, ni temples ceints de murs, rien enfin qui pût ralentir sa marche... » (...Neque enim domus munimentis saeptae vel templa muris cincta aut aliud morae interjacebat...).

112. « Dans son élan, l'incendie parcourut d'abord les parties planes, puis s'élança vers les hauteurs, et, de nouveau, ravagea les quartiers bas, devançant les remèdes par la rapidité du mal... » (...Impetu pervagatum, incendium plana primum, deinde, in edita adsurgens et rursus inferiora populando, anteiit remedia velocitate...).

113. « ...la Ville aux ruelles étroites et tortueuses, aux immeubles mal alignés, telle que fut la Rome d'autrefois... » (...artis itineribus hucque et illuc flexis atque enormibus vicis, qualis vetus Roma fuit...).

114. « Par ailleurs, les parties de la Ville que la demeure impériale avait épargnées ne furent pas, comme après l'incendie des Gaulois, rebâties sans ordre et au hasard, mais on mesura l'alignement des immeubles, on élargit la dimension des rues, on réduisit la hauteur des édifices, on ouvrit des cours, et on ajouta des portiques, pour protéger la façade des îlots ». (Ceterum Urbis quae domui supererant non, ut post Gallica incendia, nulla distinctione nec passim erecta, sed dimensis vicorum ordinibus et latis viarum spatiis cohibitaque aedificiorum altitudine ac patefactis areis additisque porticibus, quae frontem insularum protegerent).

115. « Formés en colonne, ils dépassent rapidement le Forum et les temples qui le dominent, puis ils escaladent en ordre de bataille la colline qui leur fait face, jusqu'à la première porte de la citadelle du Capitole. Le long de la rampe, à droite en montant, il y avait depuis l'antiquité des portiques... » (Cito agmine forum et imminentia foro templa praetervecti erigunt aciem per adversum collem usque ad primas Capitolinae arcis fores. Erant antiquitus porticus in latere clivi dextrae subeuntibus...).

116. « Alors l'ennemi attaque d'autres points d'accès du Capitole, du côté opposé près du Bois d'Asile et à l'endroit où on accède à la Roche Tarpéienne par les Cent Degrés ». (Tum diversos Capitolii aditus invadunt juxta lucum asyli et qua Tarpeia rupes centum gradibus aditur).

117. H. Heubner, op. cit., 3, Heidelberg, 1972, p. 151.

118. A Rouveret, op. cit., p. 3070 remarque, mais à propos des digressions, que « ...les édifices interviennent comme cadre précis du récit. Il s'agit en quelque sorte d'un paysage, mais un paysage fortement symbolique en lui-même... ». Sur la topographie de ce passage, T. P. Wiseman, Flavians on the Capitol, A.J.AH.,3, 1978, pp. 163-178. Sur l'intensité de la scène et sa signification, R. Syme, Tacitus, Oxford, (1958)1967, p. 194.

119. « De là, le feu gagna les portiques adossés au temple; puis les aigles en bois ancien qui soutenaient le faîte attirèrent les flammes et les nourrirent » (Inde lapsus ignis in porticus adpositas aedibus ; mox sustinentes fastigium aquilae vetere ligno traxerunt flammam aleruntque).

120. Ea tunc aedes cremabatur.

121. Cf Pline, N.H., 16,200 et 19,24.

122. Pline le Jeune, Ep.,2,17 et 5,6.

123. « Sous le consulat de Néron, pour la deuxième fois, et de L. Piso, il y eut peu d'événements dignes de mémoire, à moins qu'on ne se plaise à vanter les fondations et la charpente du vaste amphithéâtre que César avait fait élever au Champ de Mars, jusqu'à en remplir des volumes, alors qu'il s'est avéré conforme à la dignité du peuple romain de confier les faits éclatants aux annales et de tels détails au journal de la Vill ». (Nerone iterum, L. Pisone consulibus, pauca memoria digna evenere, nisi cui libeat laudandis fundamentis et trabibus quis molem amphitheatri apud campum Martis Caesar exstruxerat, volumina implere, cum ex dignitate populi romani repertum sit res inlustres annalibus, talia diurnis Vrbis actis mandare).


 

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