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L’AFFAIRE CLODIUS
Choix de textes latins commentés


P 1, P 2, P 3… : renvoie aux Tableaux de Personnages
T 1, T 2, T 3…… : renvoie aux Tableaux de Civilisation
V 1, V 2, V 3… : renvoie aux Tableaux de Vocabulaire


Introduction
– La notion de scandale à Rome
– Le récit de Plutarque

I- LE CONTEXTE DE L'AFFAIRE
– Bona Dea et son culte
– Rome en 62-61
– Le héros principal, Clodius
– Le cadre chronologique

II- LE DÉROULEMENT DE L'AFFAIRE
– Le scandale
– Un nouveau scandale, le procès de Clodius
– Les conséquences du scandale

III- QUELQUES ÉCHOS
– Juvénal
– Sénèque


INTRODUCTION

LA NOTION DE SCANDALE A ROME

L'idée que les Romains se font d'un scandale est assez proche de la nôtre. Il s'agit, en général, de l'effet produit par des actes ou des propos qui heurtent profondément l'ensemble des idées du moment et provoquent du désordre et des esclandres, à cause des réactions violentes qu'ils entraînent chez les autres.

Cependant, l'origine religieuse des scandales est plus fréquente à l'époque romaine que de nos jours; le sens religieux des Latins, leur désir de respecter le plus scrupuleusement possible des rites dont parfois ils ne comprennent plus très bien le sens expliquent cette différence notable.

Mais ne nous leurrons pas. Si beaucoup de scandales, comme l'affaire des Bacchanales (186 av. J.-C.) ou l'affaire Clodius, ont une origine religieuse, ils deviennent vite politiques, et la religion n'y joue plus qu'un rôle tout à fait secondaire. D'autre part, les Romains ont connu, comme nous, un grand nombre de scandales financiers, économiques et sociaux.

LE VOCABULAIRE DU SCANDALE – Les mots qui désignent un scandale en latin sont peu nombreux et ne paraissent jamais recouvrir exactement le sens que nous attribuons au mot; en réalité, il n'y a pas de terme qui réponde parfaitement à la définition que nous avons donnée plus haut: le fait existe, mais il n'est pas exactement répertorié dans le vocabulaire, qui reste plus vague et, si l'on peut dire, plus tolérant que le nôtre.

Deux mots dominent cependant, qui insistent, l'un sur la notion de bruit, de tapage et d'esclandre, l'autre sur l'idée de commentaires, de rumeurs et d'échos dans un public.

– Flagitium, ii, n désigne, à l'origine, un grand charivari fait à la porte de quelqu'un pour protester contre sa conduite. A l'époque classique, le mot désigne, de façon plus générale, une chose honteuse, infamante, ignominieuse. L'adjectif flagitiosus, a, um s'applique donc, par exemple, à un homme à scandale, mais le verbe flagito, as, are revient au sens d'origine et signifie l'idée de réclamer quelque chose avec insistance ou en criant.

– Infamia, ae, f désigne les conséquences, dans un public qui en parle, d'une action scandaleuse: c'est le déshonneur, la très mauvaise réputation, l'infamie; les effets étant, en général, plus durables que l'acte même, le mot infamia se rencontre plus fréquemment que le mot flagitium; il est souvent renforcé par des adjectifs dont le plus courant est insignia, e. Quand une affaire est, comme l'affaire Clodius, « insigni infamia », cela signifie qu'elle se distingue particulièrement (Cf. signum, i, n, la marque) par les commentaires (Cf. les mots fama, ae, f – fabula, ae, f – fatum, i, n, etc. dont la racine commune fa évoque l'idée de parler) oraux très critiques et très désobligeants qu’elle suscite: elle fait parler d'elle au mauvais sens du terme: c'est un vrai scandale.

A côté de ces deux mots dominants, la langue emploiera parfois le verbe offendo, is, ere, fensi, fensum : c'est alors le concept de choquant qui est mis en avant; mais offensa, ae, f désigne plutôt l'offense subie. Enfin, le mot scandalum, i, n n'est attesté qu'à l'époque chrétienne. Il est calqué directement sur le grec et fait partie du vocabulaire religieux. Il désigne une occasion de pécher provoquée par quelqu'un qui incite les autres à fuir Dieu.

LE RÉCIT DE PLUTARQUE

Plutarque 1
Plutarque 2

Traduction :

Publius Clodius était un homme de naissance patricienne, remarquable par sa fortune et par son éloquence, mais qui, pour l'audace et l'insolence, ne le cédait à aucun des Romains décriés à cause de leur dépravation.
Il aimait Pompeia, l'épouse de César, qui, elle-même, n'était pas insensible à sa passion. Seulement, le gynécée était rigoureusement gardé, et la mère de César, Au- relia, personne d'une grande sagesse, veillait sans cesse autour de la jeune femme, et rendait la rencontre des amants difficile et dangereuse pour eux.
Comme, cette année-là, la fête était célébrée par Pompeia, Clodius, qui était encore imberbe et qui espérait passer ainsi inaperçu, prit les vêtements et l'attirail d'une joueuse de harpe et vint à la maison sous l'apparence d'une jeune femme. Il trouva la porte ouverte et fut introduit en toute sécurité par une servante qui était complice et qui courut avertir Pompeia. Mais un certain temps s'écoula, pendant lequel Clodius, n'ayant pas la patience d'attendre à l'endroit où on l'avait laissé, se mit à errer dans la maison, qui était grande, en essayant d'éviter les lumières. Une suivante d'Aurelia le rencontra et, croyant s'adresser à une femme, elle l'invita à jouer un air. Comme il refusait, elle le tira au milieu de la pièce et lui demanda qui elle était et d'où elle venait. Clodius répondit qu'il attendait la servante favorite (habra) de Pompeia (Habra était justement son nom), mais sa voix le trahit, et la suivante s'élança aussitôt vers les lumières et vers l'assemblée en criant qu'elle avait surpris un homme. L'épouvante saisit les femmes; Aurelia fit cesser la cérémonie et voiler les objets sacrés, puis elle ordonna de fermer les portes et parcourut la maison avec des flambeaux à la recherche de Clodius. On le trouva réfugié dans la chambre de la jeune servante qui l'avait introduit. Les femmes le reconnurent et le jetèrent à la porte. Puis aussitôt, alors qu'il faisait encore nuit, elles sortirent et allèrent conter l'affaire à leurs maris. Avec le jour, le bruit se répandit par la ville que Clodius avait commis un sacrilège et qu'il devait une satisfaction non seulement à ceux qu'il avait outragés, mais encore à la cité et aux dieux. En conséquence, un des tribuns de la plèbe le poursuivit pour impiété, tandis que les sénateurs les plus influents se groupaient contre lui et attestaient qu'entre autres abominations il s'était rendu coupable d'inceste avec sa sœur, qui était la femme de Lucullus. Mais leurs efforts se heurtèrent à l'opposition du peuple, qui défendit Clodius et lui fut d'un grand secours auprès des juges effrayés et redoutant la foule. César répudia aussitôt Pompeia, mais, appelé au procès comme témoin, il déclara qu'il ne savait rien des faits reprochés à Clodius. Cette déclaration parut étrange, et l'accusateur lui demanda : « Pourquoi donc as-tu répudié ta femme? » « Parce que, répondit-il, j'ai j’estimé que la mienne ne devait pas même être soupçonnée ». Les uns prétendent qu’en parlant ainsi César était sincère ; les autres, qu’il voulait plaire au peuple, bien décidé à sauver Clodius. Quoi qu’il en soit, Clodius fut absous del’accusation qui pesait sur lui, la plupart des juges ayant écrit leur verdict de façn illisible : ils voulaient ainsi éviter à la fois de s’exposer au danger devant la foule par une condamnation, et de perdre leur réputation auprès des nobles par un acquittement

Plutarque, Vie de César, 9-10


I- LE CONTEXTE DE L' AFFAIRE


LA BONA DEA ET SON CULTE

1 - LA BONA DEA

Bona Dea (on dit aussi Damia) est le surnom d'une déesse de la fécondité, sans doute proche de Demeter, dont le nom véritable devait être tenu rigoureusement secret; il nous est, de ce fait, inconnu. Son rôle principal étant de faire fructifier la terre et de rendre les épouses fécondes, elle était vénérée par les femmes, et son culte leur était entièrement réservé.

Diverses légendes s'efforcent d'expliquer sa mystérieuse personnalité. Selon les uns, elle était la fille du Dieu Faunus qui, saisi d'une coupable et incestueuse passion, la frappa avec du myrte, la fit boire et abusa d'elle, après s'être changé en serpent. Selon les autres, elle était, sous le nom de Fauna, la femme de Faunus. Ayant un jour goûté sans mesure au vin de son époux, elle s'enivra: le dieu, mécontent, la frappa avec du myrte et la tua.

Que l'on admette la version « féministe » qui fait de la déesse une fille innocente et martyre, ou la version malveillante qui la transforme en une épouse à laquelle on ne peut vraiment pas confier les clefs de la cave, il reste que le myrte, le serpent, la terre, le vin, sont caractéristiques des religions les plus anciennes de l'Asie Mineure et que, d'une manière ou d'une autre, la Bona Dea peut être considérée comme une manifestation durable des grands cultes féminins de la période matriarcale: l'absence de nom et le mystère en sont une preuve supplémentaire.

Pour ces raisons, la Bona Dea était parfois assimilée à Ops ou à Maia, autres vieilles déesses de la terre féconde et du Printemps; comme celle de Maia, qui développe les choses et les fait fructifier (cf. magis et majus), la fête principale de la Bona Dea se célébrait à l'origine au premier Mai.

La mystérieuse déesse nous est connue par quelques figurations qui sont parfois douteuses. On reconnaît toujours près d'elle, sur certaines monnaies de Paestum notamment, la cruche de vin, les serpents, le cep de vigne, souvenirs de légendes très anciennes et symboles fréquents dans ce type de religion.

Dans les sanctuaires qui lui étaient consacrés en Italie du Sud et spécialement dans la région de Naples, on sait aussi que les prêtresses élevaient des serpents.

A Rome, le temple de la Bona Dea se trouvait sur l'Aventin, au pied du rocher d'où Remus avait suivi le vol des oiseaux [dans la version primitive de la légende telle qu’Ennius la rapporte, c’est Romulus qui se trouvait sur l’Aventin]; pour cette raison, on appelait la déesse Subsaxana. Le temple avait été consacré, vers 120 av. J.-C. par une Vestale (P 2) de la gens Claudia, nommée Licinia, c'est-à-dire par une lointaine grand tante de Clodius. Plus tard, il fut rénové par Livie, femme de l'Empereur Auguste, d'où l'expression « Bona Dea Restituta ».

2 - BONA DEA ET LA LEGENDE ROMAINE D'HERCULE.

De l'autre côté de l'Aventin, dans une position presque exactement symétrique, se dressait le temple d’Hercule, dont l'accès était rigoureusement interdit aux femmes.

C'est qu'aux temps lointains où Hercule, conduisant les boeufs de Géryon, était passé par Rome, il avait eu sur l'Aventin de tristes aventures. Déjà l'horrible Cacus, pour lui ravir ses boeufs, les avait fait entrer en marche arrière dans une grotte afin de faire croire qu'ils en étaient sortis La ruse ayant été déjouée par les mugissements désespérés des malheureuses bêtes plutôt que par la réflexion de l'Alcide*, Hercule avait dû jouer de la massue, récupérer son troupeau, le remettre en ordre et le recompter. Ces émotions lui avaient donné soif : laissant un instant les bêtes sur l'emplacement qui deviendra plus tard, et grâce à lui, le Forum Boarium*, il s'éloigne à la recherche d'une source.

VOCABULAIRE 1 (V 1)

*Forum Boarium : Situé entre le Capitole, le Tibre, l'Aventin, et le Palatin.

*Alcides, ei : Hercule, né à Thèbes, est le fils d’Alcmène, épouse d’Amphitryon, et de Jupiter; son père légal est donc Amphitryon, son grand-père Alcée, père d’Amphitryon; descendant d’Alcée, Hercule est un Alcide. Mais Alcide évoque aussi l'idée de force (grec : alcos).

 

 

Sed procul inclusas audit ridere puellas.
Lucus ab umbroso fecerat orbe nemus,
feminae loca clausa deae fontisque piandos,
impune et nullis sacra retecta uiris.
Deuia puniceae uelabant limina uittae,
putris odorato luxerat igne casa,
populus et longis ornabat frondibus aedem
multaque cantantis umbra tegebat auis.
Huc ruit in siccam congesta puluere barbam
et iacit ante fores uerba minora deo :
« Vos precor, o luci sacro quae luditis antro,
pandite defessis hospita fana uiris.
Fontis egens erro circaque sonantia lymphis
et caua suscepto flumine palma sat est.
Audistisne aliquem, tergo qui sustulit orbem ?
Ille ego sum : Alciden terra recepta uocat.
Quis facta Herculeae non audit fortia clauae
et numquam ad uastas irrita tela feras
atque uni Stygias homini luxisse tenebras ?


Properce, Elégies, IV, 9, v. 23-41.
Soudain il entend rire des jeunes filles dans l'enceinte éloignée d'un bois sacré. Un épais bocage entourait de son ombre des lieux consacrés à la Bonne Déesse, des sources et des mystères, dont l'accès, interdit aux hommes, aurait appelé sur le coupable une éclatante vengeance. Des bandelettes de pourpre couvraient le seuil écarté du temple ; un bois odoriférant éclairait l'antique lambris ; un peuplier dominait l'édifice de ses branches majestueuses, et de nombreux oiseaux, que protégeait son ombre, répétaient leurs chants harmonieux. C'est là qu'Hercule précipite ses pas, la barbe chargée d'une poussière aride, et le héros s'abaissa devant le temple à ces humbles prières : «Jeunes filles, qui vous livrez dans cette enceinte à des jeux folâtres, ouvrez à l'homme épuisé de fatigue, qui réclame de vous l'hospitalité. Je cherche une source d'eau vive et je l'entends bruire auprès de vous : laissez-moi puiser avec la main de quoi apaiser la soif qui nie consume. Avez-vous entendu dire qu'un seul homme a supporté le ciel ? C'est moi qui l'ai fait, et la terre alors m'a surnommé Alcide. Qui ignore les exploits d'Hercule, et sa massue pesante, et ses flèches, que les monstres n'évitèrent jamais, et l'heureuse audace qui le fit affronter le premier les eaux du Styx ?

 

L'accueil qu'on lui réserve manque, pour le moins, d'aménité :

« Parce oculis, hospes, lucoque abscede uerendo ;
cede agedum et tuta limina linque fuga.
Interdicta uiris metuenda lege piatur,
quae se summota uindicat ara casa.
Magno* Tiresias* aspexit Pallada* uates,
fortia dum posita Gorgone* membra lauat.
Di tibi dent alios fontis: haec lympha puellis
auia secreti limitis una fluit. »

Properce, Elégies, IV, 9, v. 53-60.

« Éloigne, étranger, éloigne tes pas et tes regards de cette enceinte redoutable. Fuis, dérobe-toi au prix de ta témérité : car cet autel, ce temple écarté, sont interdits aux hommes sous les peines les plus sévères. Tirésias ne fut que trop puni pour avoir vu Minerve dépouiller son égide et se livrer au plaisir du bain. Puissent les dieux t'indiquer d'autres sources ! mais pour celle qui coule dans ces retraites solitaires, il n'est permis qu'aux femmes d'en approcher. »

Hercule alors se fâche; il enfonce la porte d'un coup d'épaule, se précipite vers la source et peut enfin étancher sa soif, sous l'oeil effrayé des prêtresses de la Bonne Déesse, dont le sanctuaire était ainsi violé une fois déjà, avant de l'être – bien plus tard et non loin de là – par Clodius. Mais le courroux d’Hercule n'est pas encore totalement apaisé : il ne prend pas le temps de s'essuyer la barbe.

At postquam exhausto iam flumine uicerat aestum,
ponit uix siccis tristia iura labris:
« Angulus hic mundi nunc me mea fata trahentem
accipit : haec fesso uix mihi terra patet.
Maxima quae gregibus deuota est Ara* repertis,
ara per has » inquit, « maxima facta manus,
haec nullis umquam pateat ueneranda puelIis,
Herculis exclusi ne sit inulta sitis ».

Properce, Elégies, IV, 9, v. 63-70.

Quand il a éteint son ardeur dans l'onde qu'il épuise, ses lèvres encore humides laissent échapper l'arrêt vengeur. «Je traînais partout ma misère, dit-il, et ce coin du monde m'a accueilli, et cette enceinte m'a offert un asile après mille fatigues. Cet autel, je le consacre aux dieux pour avoir recouvré mes génisses ; mais si ma main ajoute à sa grandeur, je veux que désormais l'accès en soit interdit à toutes les femmes, et que cette défense me venge de leur refus.»

 

VOCABULAIRE 2 (V2)

Magno : Adverbe à forme d'ablatif évoquant le prix et modifiant le sens de aspexit : (il paya) cher pour avoir regardé, cela coûta cher d'avoir regardé…

Tiresias : Un des plus célèbres devins de la mythologie, fils d’Evère et de la nymphe Chariclo. Il vécut surtout à Thèbes, en Grèce (cf. Oedipe-Roi et Antigone de Sophocle). De nombreuses légendes expliquent la cécité de Tirésias , selon l'une d'elles, il avait vu la chaste Athéna se baigner nue dans une rivière, et la déesse l'avait puni en le rendant aveugle,

Pallas : Nom fréquemment donné à la déesse Athéna, bien qu'il s'agisse sans doute de deux divinités différentes. Les Grecs associent les deux noms : Pallas-Athéna.

Gorgone : Les Gorgones étaient trois: Stheno, Euryale et Méduse qui, seule, était mortelle. D'une beauté fascinante, Méduse était notamment dotée d'une magnifique chevelure. Jalouse d'elle, Athéna transforma ses cheveux en serpents et donna à ses beaux yeux le pouvoir de pétrifier tout ce qu'ils regardaient. Plus tard, Persée fut chargé de tuer la Gorgone Méduse ; il lui coupa la tête et en fit présent à Athéna qui, depuis, la porte représentée sur son égide avec tous les pouvoirs qu'elle possédait vivante. Tirésias n'aurait donc pas pu contempler Athéna si elle avait porté son égide.

Maxima Ara : Grand autel érigé par Hercule sur l'emplacement du Forum Boarium (V1),

La position des deux temples sur l'Aventin, l'un sans hommes et l'autre sans femmes, rappelait encore à l'époque impériale ce conflit autour d'une source qui, elle, n'existait plus.

TABLEAU 1 (T 1) - PROPERCE

Né à Assise entre 54 et 43, mort à Rome en 16 av. J.-C., familier de Mécène, ami d’Ovide et de Virgile, imitateur de Tibulle et des Grecs alexandrins. On a gardé de lui quatre livres d'élégies, composés en 27, 25, 22 et 16.
Le texte cité est extrait de la 9ème élégie du livre IV, presque entièrement consacré à la grandeur de Rome, alors que les autres traitaient des amours malheureuses du poète avec Cynthie.
Au moment du scandale, Properce n'était pas encore né.

 

LE CULTE DE LA BONA DEA

Officiellement, le culte de la Bona Dea, sans doute amalgamé à celui de Fauna, fut introduit à Rome après la prise de Tarente, c'est-à-dire après 272 av. J.-C. ; comme les Bacchanales, il est donc originaire des régions grecques de l'Italie du Sud.

[En fait, on peut penser que dès l'époque royale, c'est-à-dire bien avant la prise de Tarente, il existait à Rome un culte de la Bona Dea, qui subit des influences campaniennes, puis tarentines. Il faut également noter que l'ancêtre de Clodius, Appius Claudius Caecus, qui ouvrit la Via Appia, n'est peut-être pas sans rapport avec la "remontée" vers Rome du culte de la Bona Dea. Or, les Claudii avaient une dévotion particulière pour Hercule et Appius Claudius devint aveugle pour avoir "nationalisé" le culte d’Hercule et l'Ara Maxima. Le rapport entre Hercule et la Bona Dea paraît donc étroit et ancien; la gens Claudia semble, d'autre part, très liée (cf. Licina) au culte de la Bona Dea elle-même. (d’après Paul-Marius Martin)]

Il s'agissait, nous l'avons dit, d'un culte essentiellement féminin; la déesse, en effet, n'avait jamais vu d'homme et n'avait jamais été vue par un homme; d'ailleurs, le malheureux qui aurait posé les yeux sur elle aurait été puni de cécité.

Les Romains ont une divinité qu'ils appellent la Bonne Déesse, et les Grecs, Gynaecéia ; les Phrygiens, qui la revendiquent pour eux, prétendent qu'elle était la mère du roi Midas ; les Homains voient en elle une nymphe des bois, épouse de Faunus ; les Grecs enfin, une des mères de Dionysos, celle qu'il est interdit de nommer. De là vient que les femmes qui célèbrent sa fête couvrent leurs tentes de sarments de vignes et qu'un serpent sacré est placé près de l'image de la déesse, conformément au mythe. Alors il n'est permis à aucun homme de participer à la célébration des mystères ni de se trouver dans la maison où elle a lieu ; les femmes, demeurées seules et entre elles, accomplissent, dit-on, dans leur service religieux beaucoup de rites analogues à ceux de l'orphisme. En conséquence, lorsqu’arrive la date de la fête, le consul ou le préteur sort de chez lui, ainsi que tous les mâles du logis; sa femme prend possession de la maison et la dispose comme il convient. Les cérémonies les plus importantes se font de nuit, et cette fête nocturne est mêlée de divertissements, où la musique tient une large place .

Plutarque, Vie de César, 10.

A Rome, les fêtes de la Bonne Déesse se déroulaient, non plus au premier Mai, mais, par un symbole inverse, dans les premiers jours de Décembre. Officialisées, elle devaient être célébrées par les femmes pour le bonheur, la prospérité, la fécondité du peuple romain tout entier (pro populo romano). Pour cette raison, elles avaient lieu dans une résidence officielle appartenant à l'Etat (domus publica), celle du préteur ou du consul en exercice. Selon Cicéron, qui fait remonter l'origine du culte à l'époque royale, il s'agit d'une cérémonie particulièrement vénérable, et la plus grande piété s'y manifeste.

Etenim quod sacrificium tam uetustum est quam hoc quod a regibus aequale huius urbis accepimus? quod autem tam occultum quam id quod non solum curiosos oculos excludit sed etiam errantis, quo non modo improbitas sed ne imprudentia quidem possit intrare ? quod quidem sacrificium nemo ante P. Clodium omni memoria uiolauit, nemo umquam adiit, nemo neglexit, nemo uir adspicere non horruit, quod fit per uirgines Vestales, fit pro populo Romano, fit in ea domo quae est in imperio, fit incredibili caerimonia, fit ei deae cuius ne nomen quidem uiros scire fas est, quam iste idcirco Bonam dicit quod in tanto sibi scelere ignouerit.

Cicéron, De haruspicum responsis, XVII, 37.

En effet, quel sacrifice aussi antique? Il date de l'origine de Rome, et les rois nous l'ont transmis. Quel sacrifice plus occulte? Il se cache aux regards curieux; que dis-je? Aux yeux même qui ne le cherchent pas. L'accès en est fermé, non seulement à l'audace, mais même à l'imprudence. Qu'on remonte dans les temps : nul mortel, avant Clodius, qui l'ait profané, qui en ait approché, qui ne l'ait respecté, qui n'ait tremblé de l'apercevoir. Il est offert par les vierges vestales; il est offert pour le peuple romain, dans la maison d'un des premiers magistrats, avec des cérémonies ineffables : en un mot, il est offert à une déesse dont le nom même est un mystère impénétrable pour les hommes, et que Clodius nomme la Bonne Déesse parce qu'elle lui a pardonné un tel attentat.


Le point de vue de JUVENAL est tout à fait différent.

Nota bonae secreta deae, cum tibia lumbos
incitat et cornu pariter uinoque feruntur
attonitae crinemque rotant ululantque Priapi
maenades. O quantus tunc illis mentibus ardor
concubitus, quae uox saltante libidine, quantus
ille meri ueteris per crura madentia torrens!
Lenonum ancillas posita Saufeia corona
prouocat ac tollit pendentis praemia coxae;
ipsa Medullinae fluctum crisantis adorat.
Palma inter dominas, uirtus natalibus aequa.
Nil ibi per ludum simulabitur, omnia fient
ad uerum, quibus incendi iam frigidus aeuo
Laomedontiades et Nestoris hirnea possit.
Tunc prurigo morae inpatiens, tum femina simplex,
ac pariter toto repetitus clamor ab antro
« Iam fas est, admitte uiros! »

Juvénal, Satires, VI, v.314-329.

On les connaît, les secrets de la Bonne Déesse, quand la flûte fait remuer des reins et qu'emportées par l'extase mêlée de la trompette et du vin, les Ménades de Priape ululent en tordant leurs cheveux. En elles alors, comme il brûIe fort le besoin de faire l'amour, quels cris lorsqu'elles dansent leur désir, quels grands flots de vin vieilli le long de leurs jambes trempées! Pour une couronne à gagner, Saufeia rivalise avec des filles de souteneurs et remporte le prix de la cuisse à vendre ; mais elle s'incline elle-même devant les déhanchements ondoyants de Medullina. La palme se partage entre des maîtresses de maison, vertus à la hauteur de la naissance ! En cet endroit, rien ne sera pour de rire et pour jouer, tout ce qu'on fera pour de bon pourrait enflammer le fils de Laomédon, pourtant glacé par l'âge, et la hernie de Nestor! Mais la démangeaison lascive ne supporte plus de délais; c'est la femelle et rien d'autre, En même temps, un cri monte de sous les voûtes : « Maintenant, c'est permis: laissez entrer les hommes ! »

 

 

TABLEAU 2 (T 2) - JUVENAL

Né à Aquinum (Campanie) avant 65, mort entre 130 et 140 après J.-C., il a composé 16 satires, sans doute entre 100 et 128, donc sous les règnes de Trajan et d’Hadrien.
Le texte cité est extrait de la Satire 6, dite "des Femmes"; il donne, ainsi que celui qui est cité plus bas, une idée assez juste de la véhémence de Juvénal et de la couleur très vive de son style, volontiers populaire et toujours rhétorique, malgré la verdeur des images,
Juvénal a inspiré Régnier, Boileau et le Hugo des Châtiments ; il a vécu environ un siècle après le scandale.


Entre ces deux extrêmes, influencés, le premier par le désir de grandir le crime de Clodius, le second par les besoins d'une démonstration anti-féministe, il est difficile de choisir. On peut quand même se dire que l'audace de Clodius aurait certainement causé moins de scandale si le déroulement des fêtes avait toujours tourné à l'orgie et si les femmes avaient toujours, comme le dit Juvénal, ouvert les portes de la domus aux hommes afin qu'ils partagent avec elles les moments les plus exaltants de la cérémonie. Il est possible cependant que, sous l'Empire, la fête ait présenté un caractère plus sensuel et, dirons-nous, moins exclusif; mais on ne peut se fier non plus au témoignage, toujours malveillant, des auteurs chrétiens.

Quoi qu'il en soit, les femmes, enfin débarrassées des hommes, devaient, cette nuit-là, profiter pleinement – surtout dans les débuts de la République – des longues heures libres qui leur étaient accordées; à l'époque de Cicéron déjà, quand elles ont acquis plus d'indépendance et peuvent, notamment, assister aux repas et boire du vin, le culte sans doute perd un peu de son charme. De là à ce qu'il dégénère et qu'on y cherche de nouvelles transgressions...

On sait pourtant qu'à l'époque républicaine les femmes se réunissaient la veille sous la direction des Vestales et se purifiaient par une abstinence préalable. A la cérémonie proprement dite, elles devaient apporter des feuilles et des branchages, sauf du myrte. On sacrifiait une truie, des poules noires, et l'on faisait des libations de vin. Aucun rite ou objet ne devait être exactement connu, même les noms étaient modifiés: le vin était appelé « lait », les poules « miel », la victime « Damium », la prêtresse « Damiatrix », et la déesse « Damia » ; ces derniers noms rappellent évidemment celui de Déméter, et Damia peut aussi bien désigner la Bona Dea que la mystérieuse cérémonie qui lui était consacrée (les Damia, pluriel de Damium).

C'est dans cette étrange fête que Clodius devait scandaleusement s'introduire en décembre 62, pendant la préture de César, un an tout juste après l'exécution des complices de Catilina.

 

LA SITUATION A ROME EN 62-61

Vers 62, la situation politique romaine est extrêmement confuse. Les divers projets de lois agraires, électorales ou judiciaires agitent les plus pauvres et inquiètent les plus riches ; une crise économique mal jugulée fait augmenter les prix et le taux d'intérêt des emprunts; une jeunesse instable et turbulente, de plus en plus gâtée par le luxe et l'ambition, semble continuellement prête à entrer dans l'illégalité; les institutions sont malmenées par des lois d'exception, puis par l'agitation violente de multiples bandes armées à la solde des grands hommes politiques; le Sénat, redoublant d'efforts maladroits, perd chaque jour davantage de son autorité face aux chefs militaires, les Imperatores.

En fait, et sans qu'on le sache vraiment, mais on le sent bien, l'agonie de la République Romaine est commencée.

TROIS GRANDS COURANTS POLITIQUES

TABLEAU 3 (T 3) - LES TROIS GROUPES POLITIQUES

I- Les Patres (Sénateurs)
– Aile conservatrice : les Optimates
– Aile active: les Magistrats (Consuls, Préteurs, etc.) en exercice ; appartiennent tous à la Nobilitas, en grande partie composée de Patriciens (nobles de vieille souche ou plébéiens adoptés). Presque tous propriétaires terriens, ils n'exercent pas de fonctions à caractère commercial.

II- Les Chevaliers (Equites)
– forment le « locus ou ordo equestris » ;
– représentent l'activité capitaliste à Rome : sociétés financières, industrielles, commerciales, etc. ;
– sont également chargés de lever les impôts qu'ils versent au Sénat et récupèrent sur les provinces (Publicani)
– jouent un rôle essentiel dans les tribunaux.
Caste non noble, mais héréditaire et très puissante.

III - Les Populares :
Mouvement d'opinion plutôt que groupe social, ils
– s'appuient sur la plèbe et le peuple;
– luttent contre l'hégémonie des Patres et des Optimates, donc du Sénat ;
– cherchent à promouvoir des réformes économiques et sociales destinées à créer une sorte de classe moyenne.
Tous leurs chefs, sauf Marius, sont des aristocrates.

A) Les Patres (Sénateurs)

Recrutés parmi les magistrats qui ont exercé les honneurs (consuls, censeurs, préteurs, etc.) et dans les grandes familles aristocratiques (les Patriciens), ils se divisent en deux tendances: l'une modérée, bien représentée par Aurelius Cotta, auteur de la Lex Aurelia (T 13) , l'autre extrêmement conservatrice, menée par Lucullus (P 3) ou par Caton (P 2). L'aile conservatrice des Patres défend essentiellement les nombreux privilèges acquis depuis des siècles par la Nobilitas et tout spécialement ceux qui touchent aux terres d'Etat (l'ager publicus) d'où les Nobles tirent l'essentiel de leurs revenus ; constituant une espèce d'oligarchie des grandes familles, elle s'est forgé un idéal aristocratiqne et forme ce qu'on appelle le parti, mais il vaudrait mieux dire le groupe, ou le clan, des Optimates.

B) Les Populares

On peut estimer qu'ils existent depuis les Gracques (133-121 av. J.-C.), dont ils reprennent en partie le programme. Les chefs des Populares sont des Patriciens, comme César, ou des Nobles d'origine plébéienne, comme Crassus (P 4), mais veulent affaiblir le pouvoir des Optimates et des magistrats, qui les soutiennent.

Ils se sont donc fixé un certain nombre d'objectifs: pour réduire l'immensité des latifundia: vote d'une loi agraire répartissant les terres d'une façon plus équitable; pour affaiblir la clientèle urbaine des grandes familles, très efficace dans les comices (T 5): distribution à la plèbe de secours en nature (blé, huile) ; pour diminuer l'influence des magistrats dans ces mêmes comices: rétablissement de la puissance des tribuns du peuple, amoindrie depuis Sylla.

Surtout, pour mieux surveiller les magistrats, que peuvent seuls contrôler les tribunaux tout-puissants qui les jugent éventuellement à leur sortie de charge (T 11), ils ont fait entrer, depuis 70, après l'affaire Verrès, deux tiers de Chevaliers parmi les juges: ainsi, les magistrats patriciens doivent rendre des comptes à des jurys qui ne sont pas uniquement constitués de Sénateurs.

Le problème judiciaire joue d'ailleurs un rôle fondamental dans cette période, ce qui montre l'importance du troisième groupe, celui des Chevaliers.

C) Les Chevaliers.

Ils constituent ce qu'on appelle l'ordre équestre (equestris locus) et tirent leur nom des temps anciens où seuls les riches pouvaient faire les frais d'un cheval et entrer dans la cavalerie romaine.

Cette riche et puissante caste n'est pas noble, mais elle est héréditaire; elle dispose en outre du monopole des publica, c'est-à-dire des Douanes, des péages, des travaux publics, et surtout des impôts provinciaux qu'elle lève, à la façon des anciens Fermiers Généraux en France, et reverse ensuite au Trésor Public, après en avoir tiré de substantiels profits. Les Publicains (publicani), chargés des impôts, sont les plus riches et les plus puissants des Chevaliers.

D) Mais cette distinction, Patres, Optimates, Magistrats d'un côté, Populares de l'autre, Chevaliers enfin, n'est pas si simple qu'il y paraît.

D'une part, les Optimates et les Chevaliers constituent deux castes plutôt que deux partis; ils sont, les uns et les autres, extrêmement puissants: la Nobilitas par le pouvoir qu'elle détient, l'ordre équestre par l'argent qu'il possède. Les Optimates, en effet, essentiellement voués aux affaires politiques, ne peuvent pas travailler; ils ne vivent que du confortable revenu de leurs terres, le plus souvent empruntées à l'ager publicus ; Les Chevaliers, en revanche, qui dirigent le commerce et l'industrie, ne devraient pas exercer de charges politiques. Si la fortune des Optimates est menacée par la récession agricole ou par les lois agraires alors que celle des Chevaliers s'accroît par la conquête, les deux groupes sont riches l'un et l'autre, et généralement liés par des intérêts communs d'argent: la politique des uns fait la fortune reconnaissante des autres. De plus, certains Chevaliers « redorent le blason » des grandes familles en s'unissant à elles par des mariages, et désirent alors briguer les honneurs. Cependant, la puissance même de l'ordre équestre fait qu'il peut aussi entrer en conflit avec une aristocratie sénatoriale souvent sourcilleuse et trop attachée à ses privilèges.

Ainsi, la situation politique de Rome dépend très souvent des Chevaliers. Quand, défendant leurs intérêts d'argent ou de classe, ils s'allient aux Optimates, la majorité passe – si l'on peut dire – à droite: c'est le cas au temps des Gracques ou, plus récemment, pendant le consulat de Cicéron pour réprimer la conjuration de Catilina (63); quand, au contraire, ils sont en froid avec les Patres, la majorité penche à gauche, vers les Populares: c'est le cas au temps de Marius ou, en 61 justement, après l'affaire Clodius qui, comme l'affaire Verrès, amène un changement de tendance; dans ce cas, les Chevaliers défendent en priorité leurs intérêts politiques.

D'autre part, les Populares, face à ces deux groupes sociaux ressemblent plus – toutes proportions gardées – à un parti politique, puisqu'ils ont une sorte de programme et quelques objectifs. Du coup, leurs membres se recrutent parmi la Nobilitas aussi bien que parmi les Chevaliers, dont ils respectent les intérêts financiers, mais leur comportement répond plus à des préoccupations personnelles, qui seront de plus en plus celles de César, qu'à une politique démocratique; on voit d'ailleurs que ce groupe, comme les deux autres, ne s'intéresse à la plèbe que pour l'utiliser, principe politique éternel dont nous avons très largement hérité.

TROIS GRANDS HOMMES

A) Pompée (105-48)

En 62, il est de retour à Rome. En 67, il a purgé la Méditerranée des pirates; de 66 à 64, en Asie, il a vaincu Mithridate et Tigrane; de 64 à 63, il a conquis la Syrie; il vient donc d'ajouter deux grandes provinces à la République et célèbrera, en septembre 61, le triomphe « de orbi universo » (sur le monde entier), qui révèle à Rome éblouie de fabuleuses richesses. Bien qu'affaibli par le licenciement volontaire de son armée à Brindes en janvier 61, il reste l'homme fort de cette époque.

D'origine équestre (mais son père a été consul), il est sans aucun doute l'agent des Chevaliers; c'est pour eux, par exemple, qu'il s'est avancé jusqu'à la Caspienne et qu'il a tenté d'atteindre la Mer Rouge, afin de découvrir des voies caravanières favorables au commerce. Il se rapproche d'autant plus de l'ordre équestre que le Sénat lui a fait attendre un an le triomphe qu'il méritait.

En fait, il espère obtenir, sans guerre civile, une espèce de principat sur Rome, qui le mettrait au dessus des clans, des magistrats, et du Sénat. Mais ce destin sera celui d'un plus habile.

B) César (101-44)

Il n'est pas, en 62, aussi puissant que Pompée. Aristocrate de vieille souche et chef brillant des Populares, déjà bien soutenu par l'argent du rival de Pompée, M. Licinius Crassus Divers (P 4), il a été édile curule en 63, et s'est fait remarquer par de folles prodigalités. En 63, il est élu au Grand Pontificat, ce qui lui confère un immense prestige. En 62, il est préteur.
« C'est un homme à suivre », se disent les plus habiles et les plus fous : ils sentent en effet qu'avec moins d'honneurs que Pompée, il a tout autant d'ambitions, plus d'intelligence, plus d'audace, et est capable d'aussi grands exploits.

C) Cicéron (106-43)

Chevalier municipal à l'origine, c'est-à-dire issu de la branche provinciale de l'ordre équestre, c'est en politique un homme nouveau (homo novus), puisqu'il est le premier de sa famille à exercer le consulat.

En 70, il s'est fait connaître en attaquant Verrès et, à travers lui, l'administration provinciale des Sénateurs syllaniens, ce qui a permis aux Chevaliers de revenir dans les tribunaux permanents (T 11) d'où ils avaient été chassés par Sylla. Depuis cette date, il est officiellement l'homme des Chevaliers, mais la conjuration de Catilina, puis l'affaire Clodius, le rapprocheront du Sénat.

Consul en 63, il vient de déjouer les ruses de Catilina; il apparaît encore, un an plus tard, comme un sauveur de Rome et semble donc, même sans armes, aussi fort que Pompée. Depuis 63, rejetant à la fois les Populares et les plus réactionnaires des Optimates, il prêche une grande idée: la concordia ordinum, c'est-à-dire l'union des factions les plus modérées des Patres et des Chevaliers. Ruinée dès le procès de Clodius, cette union des centres n'aura jamais d'application réelle et ne tiendra, comme toujours, que par la peur. En fait, il manque à Cicéron la puissance militaire dont Pompée dispose et que César saura bientôt gagner : à Rome, dès 62, les armes ne cèdent plus à la toge.

ET L'OMBRE D'UN QUATRIEME :

L'ombre de Catilina, tué en janvier 62, plane encore sur Rome.

L'échec de la conjuration donne aux Patres une assurance excessive; comme Pompée vient de licencier ses troupes, ils retardent inutilement son triomphe au lieu de s'appuyer sur lui contre César. La victoire de l'année précédente marque aussi tous les propos de Cicéron, qui se réfère sans cesse aux jours glorieux de décembre, et ne peut oublier que, dans un élan de concordia, chaleureux mais éphémère, il a connu un véritable triomphe civil: les Patres l'ont félicité, les Chevaliers l'ont porté jusqu’à sa maison, la ville a été tout illuminée pour lui seul, on l'a salué du titre de Pater Patriae.

Mais c'est aussi l'exécution des complices de Catilina au Tullianum, ce fameux 5 décembre 63, qui va permettre à Clodius de se venger, en 58, de l'ancien consul et de le faire exiler.

UNE CRISE ECONOMIQUE LATENTE :

L'ombre de Catilina se profile aussi dans une agitation larvée qui va prendre des formes de plus en plus violentes. Si l'homme est abattu, les raisons qui l'ont conduit à la révolte existent encore; une grande partie de la jeunesse aisée, se référant toujours à ses idées, reporte ses espoirs vers César et vers les Populares.

A partir de 67, en effet, une grave crise économique s'est installée dans Rome. Elle a d'abord été provoquée par l'action des pirates, qui ont bloqué pendant plusieurs années les voies commerciales. Elle a rebondi quand les troubles d'Asie ont empêché les Publicains de lever les impôts et les ont brutalement privés de capital. Dès 66, et malgré les campagnes de Pompée, les Chevaliers demandent le remboursement de leurs prêts; pour s'acquitter, les débiteurs sont contraints de vendre des terres et des domaines, dont les cours s'effondrent; en même temps, le taux des prêts augmente, l'argent se raréfie, les prix se mettent à « flamber ».

La crise a principalement frappé les jeunes nobles, tous endettés par leur goût du luxe et les nécessités de leurs ambitions politiques ; elle a touché aussi les Publicains et, par voie de conséquence, une partie des Patres.

En 62, les choses vont un peu mieux, mais les dettes subsistent. Les nobles, qui doivent beaucoup dépenser s'il veulent parcourir la carrière des honneurs, doivent aussi beaucoup emprunter; les espèces monétaires ont encore tendance à se cacher, les revenus de l'Etat sont moins assurés, l'anarchie politique augmente.

ET UNE CRISE DEFINITIVE DES INSTITUTIONS :

En fait, rien ne va plus dans les institutions de la République.

Le Sénat, tout d'abord, fausse les règles institutionnelles en multipliant les charges extraordinaires ; suivant toujours une mauvaise habitude acquise au temps de Scipion l’Africain, il confère à Pompée, puis à Crassus, des magistratures illégales et des commandements irréguliers.

La crise a partagé l'ordre équestre entre publicains, qui réclament leur argent aux Patres, et negotiatores, moins touchés depuis la disparition des pirates et plus favorables à la concordia de Cicéron. De ce fait, les grands blocs traditionnels sont effrités, le système se grippe de plus en plus souvent, et se détruit lui-même.

Dans les comices électoraux (T 5), les batailles rangées et les interventions armées deviennent monnaie courante; quand tout se déroule dans le calme, c'est que l'or et la corruption ont exercé leur office.

En fait, tout est miné de l'intérieur par les besoins d'argent: il faut de l'argent pour paraître et pour vivre dans le luxe, il en faut pour donner des jeux qui plaisent, il en faut encore pour acheter des clients, des bandes et des électeurs. Aussi Rome ne vit-elle plus que de l'exploitation et même de la déprédation des provinces, dont elle tire tous ses revenus; ces provinces, il faut les garder ou les accroître: c'est bien l'heure des généraux; les Pompées, les Césars et les Crassus l'ont mieux compris que les Patres et que Cicéron.

LE SCANDALE DES DAMIA :

Il éclate en décembre 62, dans cette ambiance complexe et anarchique. Il mettra en évidence toutes les failles du système et aura d’importantes conséquences sur la vie politique romaine.


LE HEROS PRINCIPAL: CLODIUS.

Publius Claudius Pulcher est le sixième fils de Appius Claudius Pulcher, consul en 76, et de Caecilia Metella, fille de Quintus Metellus Balearicus.

Rattaché à l'illustre famille des Metelli, et appartenant à la célèbre gens Claudia, descendant notamment d’Appius Claudius Caecus, qui fut censeur de 312 à 308 et accomplit une oeuvre immense et originale (Cf. la Voie Appienne), Claudius est un aristocrate de haute lignée, mais il semble marqué, comme Catilina, par l'excès et la fureur.

Une de ses sœurs, Claudia (P 4), est, à Rome, aussi célèbre que lui; mariée au consulaire Q. Metellus Celer (P 4) elle fut, entre autres, la maîtresse de Catulle, qui la chante sous le nom de Lesbie, et celle de Caelius, que Cicéron défendit contre elle (Pro Caelio, 56).

68 - Lieutenant de son beau-frère Lucullus (P 3) en Asie, Claudius soulève les troupes contre lui. – Commandant ensuite une escadre en Cilicie pour son autre beau-frère, Q. Marcius Rex (V 11), il est battu et fait prisonnier par les pirates. Pompée le délivrera en 67.
65 - Les Africains le chargent d'accuser d'exactions leur Propréteur Catilina: Claudius se laisse acheter par le coupable, que Cicéron avait refusé de défendre, et le fait acquitter.
64 - Claudius est en Gaule, aux côtés de L. Murena, qui sera poursuivi pour exactions par les Allobroges, et défendu par Cicéron en 63.
62 - Claudius est élu Questeur, avec le soutien des Populares.
62 - Décembre: scandale des Damia.
61 - mai: acquittement de Claudius, qui part ensuite comme questeur en Sicile. 59 - Claudius renonce au patriciat: il se fait adopter par le jeune plébéien L. Fonxeius; on l'appellera désormais Clodius. Il devient l'agent officiel de César, à la solde duquel il était sûrement depuis 62.
58 - Clodius, Tribun de la plèbe. – Exil de Cicéron, attaques multiples contre Pompée, renforcement du pouvoir des tribuns, mais les bandes de Clodius commencent à trouver devant elles celles de Milon, payées par les ennemis de César.
57 - Clodius, simple citoyen. Milon, Tribun de la plèbe. Combats de rues.
56 - Clodius, Edile curule. Milon, simple citoyen. Batailles rangées de plus en plus violentes.
53 - Clodius, candidat à la préture pour 52, renonce à son projet parce que, les élections ayant été retardées, son mandat d'un an serait trop écourté.
52 - Clodius, candidat à la préture. Milon, candidat au consulat; si les deux ennemis sont élus, la situation risque de devenir totalement impossible.
52 - 20 janvier: Clodius est assassiné par Milon à Bovillae (Marino) sur la Voie Appienne, à 15 kms de Rome. Violentes émeutes à Rome: la Curie et la Basilique Porcia sont incendiées, la vie politique est arrêtée. Senatus Consulte ultime (= état de siège) voté par le Sénat. Pompée reçoit le droit de lever des troupes.
52 - 9 avril : Malgré la défense de Cicéron, Milon est condamné; il s'exile à Marseille: les « deux grands », César et Pompée, se sont en fait entendus pour vider l'abcès.
52 - Fin de l'année: Cicéron, aidé par l'affranchi Philotimus, essaie de récupérer pour lui-même les biens de son ex-client Milon, que l'on vend à l'encan ; mais il est berné par son complice et ne récolte rien !


LE CADRE CHRONOLOGIQUE

62 - Préture de César
Janv. : mort de Catilina, tué à Pistoia (Pistoria)
Déc. : retour de Pompée – affaire des Damia

63 - Consulat de Cicéron
Nov.-Déc. : les Catilinaires – Pro Murena
5 Déc. : Vixerunt! Exécution au Tullianum des complices de Catilna : Lentulus (V 8), Cethegus, Statilius, Gabinius et Ciparius.

61 - Janv. : Pompée licencie son armée à Brindes (Brindisi)
Mai : acquittement de Clodius.
départ pour l'Espagne du propréteur César
départ pour la Sicile du questeur Clodius
Sept. : triomphe de Pompée

60 Juin : retour de César à Rome – accord secret entre César, Crassus et Pompée.
Août : César est élu au consulat pour 59.

59 - Consulat de César
Mars : Clodius est intégré à la plèbe.
Avril: Pompée épouse Julia (P 4), fille de César – Lex Vatinia : César obtient, à partir de 58, un proconsulat de cinq ans sur la Gaule Cisalpine, l'Illyricum et la Narbonnaise.

58 - Tribunat de Clodius.
Mars : exil de Cicéron
Juin : victoire de César sur les Helvètes
Sept. : victoire de César sur Arioviste

57 - Janv. : manifestation à Rome pour le retour de Cicéron: violentes émeutes. Le frère de Cicéron, Quintus, échappe à la mort.
Juin : en Gaule, insurrection des Belges
campagne de César contre les Suessions et les Nerviens
Août : rappel de Cicéron – Sept. : retour triomphal de Cicéron.
Nov. -Déc. : violents combats de rues à Rome – Les élections pour 56 sont reportées de juillet 57 à janvier 56.

56 - Edilité de Clodius – Mars : Pro Sestio – Avril: Pro Caelio.
15 Avril : accords de Lucques entre César, Crassus et Pompée: débuts du « Premier Triumvirat ».

55 - Consulat de Crassus et Pompée.
Mars : Vote de la Lex Trebonia (T 9): Crassus et Pompée obtiennent, pendant cinq ans, les deux Espagnes et la Syrie
Vote de la Lex Pompeia Licinia: le proconsulat de César est prolongé de cinq ans en Gaule (mais à partir de quelle date? la loi ne le précise pas) – L'interprétation de ces deux lois sera la cause pratique de la guerre civile en 50.
Juin: César franchit le Rhin.

54 - Soulèvements en Gaule contre César.
Sept. : mort de Julia, femme de Pompée, fille de César.
troubles continuels à Rome: les élections de juillet 54 pour 53 sont remises de en mois jusqu'à Juillet 53 ! Il y a 6 mois d'interregnum sans magistrats élus.

53 - Crassus est battu et tué par les Parthes à la bataille de Carrhes

52 - 20 Janv. : assassinat de Clodius.
Janv.: soulèvement des Gaules sous le commandement de Vercingetorix
Mars-Avril: procès de Milon
Pro Milone : dernière entente entre César et Pompée
Sept . : Alésia

50, 17 décembre: César franchit le Rubicon – Début de la guerre civile: la République Romaine est virtuellement morte.

A cette date, il reste pour Cicéron sept ans à vivre, César six ans à vivre, Pompée un an et demi à vivre, Milon deux ans à vivre ; Octave, futur Auguste, né un an avant le scandale, vient d'avoir treize ans.

II- LE DEROULEMENT DE L' AFFAIRE

LE SCANDALE

En décembre 62, les fêtes de la Bona Dea se déroulent dans la résidence officielle du préteur en exercice, Jules César. Elles sont donc présidées par Pompeia (P 1), seconde épouse de César depuis six ans.

Une harpiste, aux allures un peu étranges, s'égare dans la vaste « domus publica » du préteur et s'adresse à une esclave: elle désire voir, dit-elle, Aura (ou Habia, selon Plutarque), servante favorite de Pompeia. Mais ses hésitations, sa voix, son attitude un peu tendue la trahissent: cette harpiste inconnue, c'est un homme!

Aussitôt prévenue, Aurelia (P I), mère de César, fait arrêter le rituel et voiler les objets sacrés; profitant du trouble, l'étrange harpiste à la voix masculine a pu s'enfuir.

A Rome, le lendemain, dans les groupes tôt rassemblés sur le Forum, on discute avec animation; tout se sait déjà! c'est Publius Clodius Pulcher qui, déguisé en musicienne, s'est introduit dans la cérémonie interdite et sacrée, pour y rencontrer l'épouse de César [Mais, en réalité, rien ne prouve que Clodius ait eu rendez-vous avec la femme de César ; on ne sait pas ce qu’il venait faire dans les Damia.]

Le scandale est de taille. Un homme, libre et de très haute noblesse, a pris un vêtement de femme et d'esclave; il a violé les lois antiques d'une cérémonie religieuse à caractère officiel célébrée pour le peuple entier; ces fautes ont été commises afin d'aller « discrètement » rejoindre, dans son appartement, la femme du préteur, qui est aussi Grand Pontife depuis 63 ; cette femme, c'est la petite-fille de Sylla; son époux, c'est César. Trois des plus illustres familles romaines: les Claudii, les Julii, et les Cornelii, la préture, seconde magistrature de l'Etat, le Grand Pontificat, la plus haute des charges religieuses, sont éclaboussés d'un seul coup !

PERSONNAGES I (P 1)

– POMPEIA : Fille de Q. Pompeius Rufus, consul en 88, et de Cornelia, fille de Sylla, seconde épouse de César de 67 à 61.
– AURELIA : Mère de César. Elle fut comparée par Tacite à Cornélie, mère des Gracques, et appartient à l'illustre famille des Aurelii Cottae.
– CORNELIA : Fille de Cinna; première épouse de César, mère de Julia (P 4).

REM ESSE INSIGNI INFAMIA...

Le premier janvier 61, Cicéron écrit à Atticus (T 4) et lui rapporte brièvement l'affaire, dont il n'entrevoit pas encore les développements possibles.

P. Clodium Appi f. credo te audisse cum ueste muliebri deprehensum domi C. Caesaris cum sacrificium pro populo fieret, eumque per manus seruulae seruatum et eductum: rem esse insigni infamia. Quod te moleste ferre certo scio.

Cicéron, Ad Atticum, I, 12, 3.

Vous savez sans doute l'histoire de P. Clodius, fils d'Appius : on l'a surpris déguisé en femme dans la maison de César, pendant qu'on célébrait un sacrifice pour le peuple; il n'a dû la vie qu'à une petite esclave qui l'a fait évader. C'est une abomination; je ne doute pas que vous n'en soyez profondément affligé.


César, qui tient « peut-être à sa femme et sûrement à sa réputation » (Carcopino, Jules César, p. 191, tente d'arrêter l'affaire. Mais ses ennemis y voient une occasion de le brouiller avec Clodius et de casser le parti des Populares, en séparant – si l'on peut dire – la tête et le bras.

Dès le début, et malgré les apparences, l'affaire est donc bien moins religieuse que politique; c'est le cas de presque tous les scandales qui ont un jour secoué Rome.

Parmi les conservateurs opposés à César se trouvent un consul, Messala, et Q. Cornificius; l'autre consul, Pison, est un ami de Clodius. Pison (P 2), malgré tous ses efforts, ne peut empêcher Q. Cornificius (P 2) d'informer le Sénat; bien soutenu par Caton (P 2) et par Messala, Cornificius emporte la décision. Les Pères font, dans un premier temps, demander aux Pontifes (P 2) et aux Vestales (P 2) s'il y a eu sacrilège; la réponse étant positive, ils décident de mettre Clodius en jugement et chargent, conformément aux lois (T 6), les deux consuls de déposer devant les comices tributes (T 5) un projet de mise en accusation.

PERSONNAGES 2 (P 2)

– MESSALLA : M. Valerius Messala Niger, consul en 61, mort en 50 av, J.-C., Censeur en 55. Père de M. Valerius Messala Corvinus, consul en 31, célèbre ami d’Ovide et de Tibulle.
– PISON : M. Pupius Piso Calpurnianus, consul en 61. Voir aussi T 10
– CORNIFICIUS: Tribun de la plèbe en 69, préteur en 66, rival malheureux de Cicéron pour le consulat de 63, où il se présentait également comme « homo novus ».
– CATON : M. Porcius Cto Uticensis, né en 95, tribun de la plèbe en 62, préteur en 54. Principal chef de file des ennemis de César, se suicide à Utique après la défaite de Thapsus.
– PONTIFES : Théologiens, législateurs du culte ou professeurs de droit sacré plutôt que prêtres (les prêtres sont les Flamines et les Vestales) ; ils sont groupés au nombre de 15 dans un collège présidé par le Grand Pontife, qui est élu par les comices. Leur rôle est de maintenir les traditions religieuses et d'indiquer au peuple et au Sénat les obligations nées du droit sacré; par exemple, ils fixent les dates des fêtes religieuses, la liste des jours chômés (dies festi ou nefasti) et des jours ouvrables (dies profesti ou fasti) ; c'est en tant que Grand Pontife que César a pu réformer le calendrier.
– VESTALES : Jeunes filles (Virgines Vestales) chargées d'entretenir le feu sacré de Vesta; elles sont six et jouissent de grands honneurs; très respectées, elles doivent cependant rester pures comme la flamme qu’elles représentent. Le Grand Pontife les choisit dès leur enfance parmi les grandes familles ; elles doivent demeurer en fonction pendant trois décades au moins (de 10 à 40 ans environ).


Aussitôt, puisque Clodius est désormais suspect de crime, César riposte en répudiant Pompeia (janvier 61).

In Corneliae autem locum Pompeiam duxit Quinti Pompei filiam, L. Suliae neptem; cum qua deinde diuortium fecit, adulteratam opinatus a Publio CIodio, quem inter publicas caerimonias penetrasse ad eam muliebri ueste tam constans fuma erat, ut senatus quaestionem de pollutis sacris decreuerit.

Suétone, Divus Julius, VI

Pour remplacer Cornélie, il épousa Pompeia, fille de Q. Pompée et petite-fille de L. Sylla; mais, dans la suite, il divorça d'avec elle, sur le soupçon d'un commerce adultère avec Publius Clodius, si publiquement accusé de s'être introduit chez elle sous un costume de femme, pendant une fête religieuse, que le sénat dut ordonner une enquête pour sacrilège.


TABLEAU 4 (T 4) – LES LETTRES A ATTICUS (EPISTULAE AD ATTICUM)

La correspondance de Cicéron regroupe 931 lettres, dont environ 70 envoyées à Cicéron par ses correspondants.
On y distingue ordinairement :
1 - Epistulae ad familiares (16 livres) : à Lentulus, Appius Pulcher, Terentia, Tiron, de Caelius à Cicéron, entre 62 et 43.
2 - Epistulae ad Brutum (2 livres) de l'année 43
3 - Epistulae ad Quintum fratrem (3 livres) entre 60 et 54
4 - Epistulae ad Atticum (16 livres) qui s'échelonnent de 68 à novembre 44, et constituent la partie la plus riche. Voir, par ex., V 15.

T. Pomponius Atticus fut le condisciple et l'ami intime de Cicéron, son éditeur et son banquier. Homme d'affaires très riche, il vit fréquennnent hors de Rome et demeure à Athènes de 87 à 68; il contribue largement à l'embellissement de la ville, qui lui donne son surnom d’Atticus. Epicurien cultivé, historien à ses heures, trafiquant d'armes à l'occasion, c'est l'ami fidèle et le correspondant privilégié, l'homme de toutes les confidences. « Qui aura lu les lettres à Atticus se passera aisément d'une histoire suivie de notre époque » (Cornelius Nepos, Vie d’Atticus, 16).

TABLEAU 5 (T 5) – LES COMICES. Voir aussi: T 6, T 8, T 9 et T 12.

Nom porté par les assemblées du peuple. On distingue:
1 - Comices Curiates : Ancienne assemblée du peuple sous les rois en désuétude sous la République, ils ne servent qu'à décerner l'imperium.
2 - Comices Centuriates : Assemblée du peuple en armes à l'origine. Le peuple est regroupé en 193 centuries pour élire les consuls, les préteurs, les censeurs, voter la guerre et servir de cour d'appel en justice.
3 - Comices Tributes : Ancienne assemblée des plébéiens, puis du peuple entier depuis le 2ème Siècle. Le peuple y est regroupé en 35 tribus pour voter les lois et élire les questeurs et les édiles plébéiens ainsi que les tribuns.

TABLEAU 6 ( T 6) – LE VOTE D'UNE LOI OU D'UNE MISE EN ACCUSATION. Voir aussi T 5, T 8, T 9 et T 12.

1 - Projet préparé par le Consul, le Préteur, ou un Tribun du peuple (rogatio, rogationis).
2 - Rogatio présentée devant le Sénat (rogationem ferre) qui donne son accord préalable (ex senatus consulto); avant 339, c'était l'inverse: le Sénat, ayant plus d'importance, validait les lois après le vote des comices (auctoritas patrum).
3 - La rogatio est alors déposée devant les comices centuriates ou tributes et affichée pendant 24 jours (rogationem ex s. c. promulgare).
4 - Au bout de 24 jours, vote des comices: si la loi n'est pas rejetée (antiquare), elle entre en vigueur (plebiscitum), et prend le nom de celui qui l'a déposée (Lex Julia, Lex Hortensia, etc.), car, depuis 287, les lois des comices s'appliquent à tous.

TABLEAU 7 (T 7) – SUETONE

Né entre 69 et 77 ap. J.-C., mort vers 141. Contemporain de Juvénal (T 1), de Tacite et de Pline.
Secrétaire ab epistulis d'Hadrien, il est en quelque sorte ministre de la correspondance impériale; ce poste, très important, lui permet de consulter des archives interdites au public.
D'une oeuvre énorme et variée, il ne nous reste que des fragments du De Viris Illustribus et La Vie des Douze Césars.
Suétone a vécu un siècle après le scandale.

VEREOR NE HAEC ... MAGNORUM REl P. MALORUM CAUSA SIT...

Dès le 25 Janvier, Cicéron s'inquiète. Il voit s'organiser des bandes à la solde de César et de Clodius. Il devine que les comices vont être houleux, il sent que les troubles vont venir. Sans doute voudrait-il maintenant qu'on arrête l'affaire, qui va lui coûter finalement si cher, mais il est déjà trop tard.

Qui nunc leuiter inter se dissident ; sed uereor ne hoc quod infectum est serpat longius. Credo enim te audisse, cum apud Caesarem pro populo fieret*, uenisse eo muliebri uestitu uirum, idque sacrificium cum uirgines* instaurassent*, mentionem a Q. Cornificio in senatu factam* (is fuit princeps*, ne tu forte aliquem nostrum putes) ; postea rem ex s. c. ad uirgines atque ad pontifices relatam idque ab iis nefas esse decretum ; deinde ex s. c. consules rogationem promulgasse* ; uxori Caesarem nuntium remisisse*. In hac causa Piso amicitia P. Clodi ductus operam dat ut ea rogatio quam ipse fert et fert ex s. c. et de religione* antiquetur*. Messalla uehementer adhuc agit seuere. Boni uiri precibus Clodi remouentur a causa, operae* comparantur, nosmet ipsi, qui Lycurgei* a principio fuissemus, cotidie demitigamur ; instat et urget Cato. Quid multa ? uereor ne haec infecta a bonis, defensa ab improbis magnorum rci p. malorum causa sit.

Cicéron, Ad Atticum, I, 13,3.

Aussi commencent-ils déjà à n'être pas trop bien ensemble. - Il y a ici une vilaine affaire, et je crains bien que le mal n'aille plus loin. Vous savez, je le suppose, qu'un homme déguisé en femme s'est introduit dans la maison de César, pendant le sacrifice qu'on offrait pour le peuple; que les vestales ont dû recommencer le sacrifice, et que Cornificius a déféré ce scandale au sénat; Cornificius, entendez-vous, pour que vous n'alliez pas croire qu'aucun des nôtres ait pris l'initiative. Renvoi du sénat aux pontifes. Les pontifes déclarent qu'il y a sacrilège; là-dessus, et en vertu d'un sénatus-consulte, les consuls publient leur réquisitoire pour informer; et César répudie sa femme. Or voilà que Pison, qui ne voit que son amitié pour Clodius, manoeuvre pour faire rejeter par le peuple le réquisitoire qu'il a présenté lui-même, et par ordre du sénat, dans un intérêt sacré. Messalla, au contraire, jusqu'ici se prononce fortement pour la sévérité. Mais à force de supplications, Clodius éloigne les gens de bien du tribunal. Il s'assure en même temps main-forte. Moi-même, vrai Lycurgue d'abord, je sens que je mollis de jour en jour. Caton reste ferme, et crie justice. Enfin que vous dirai-je? Je tremble que, grâce à l'indifférence des bons et à l'activité des méchants, cette affaire ne devienne la source de bien des maux pour la république.

 

VOCABULAIRE 3 (V 3)

Pro Populo fieret : Célébrer une cérémonie pour le peuple, une cérémonie officielle (Cf. sacrificium pro populo).

Virgines : Les Vestales (Cf. P 2).

Instaurare : Renouveler, recommencer une cérémonie, un sacrifice, des jeux, etc. qui ont été entachés par un vice de forme. L'instauratio est une procédure fréquente pour les jeux qu'elle permet de prolonger.

Mentionem facere : Déposer une proposition, une motion, faire un rapport.

Princeps, ipis : Ici, au sens courant de chef de file, premier à faire quelque chose, guide, conseiller, instigateur. Ne pas confondre avec princeps senatus, titre par lequel on désignait celui que les censeurs, ou un censeur tiré au sort, avaient placé en tête de la liste des Sénateurs et qui donnait le premier son avis. En 61, le princeps senatus était C. Calpurnius Pison, frère du consul ; puis venaient Cicéron, Catulus (P 4), et Hortensius (P 3). Cornificius, n'étant qu'ancien préteur, ne peut figurer parmi les principes désignés ici par l'expression aliquem nostrum et tous consulaires, c'est-à-dire anciens consuls.

De religione : voir V 13.

Rem ad aliquem referre : Renvoyer une affaire devant quelqu'un.

Rogationem promulgare : Afficher une proposition de loi ou un projet de mise en accusation. (Cf. T 6).

Nuntium remittere : Annoncer le divorce, divorcer. L'expression s'explique par le fait que l'époux envoyait à sa femme une notification écrite, annonçant son intention, et transmise par un affranchi de la famille. (Cf. T 15).

Rogationem ferre : Déposer un projet de loi ou de mise en accusation. L'auteur du projet est le rogationis lator. (Cf. T 6).

Antiquare : Rejeter une loi ou un projet de loi, voter non. (Cf. T 6).

Opera, ae : 1- sens abstrait: travail, activité, soin, peine ; operam dare ut: donner son activité, ses soins, s'employer à ce que, faire tout pour que. – 2- sens concret journée de travail; au pluriel; ouvriers, manoeuvres, journaliers. En mauvaise part: bandes, nervis, mercenaires.

Lycurgeus, a, um : Qui concerne Lycurgue. Lycurgue (vers 880 av. J.-C.) fut un des grands législateurs de Sparte, à laquelle il imposa des lois très dures. Lycurgeus (ici au pluriel de majesté) signifie donc : sévère, inflexible, un vrai Lycurgue.


CUM DIES VENISSET...

Pendant la tenue des comices, en effet, les bandes de Clodius, principalement conduites par le fils de Curion (P 3), occupent les passerelles et empêchent la distribution normale des bulletins de vote (T 8). L'intervention vigoureuse de Caton, puis celle d’Horensius (p 3), conduisent à la suspension légale de la séance et à la convocation du Sénat.

Dans une lettre du 13 février, Cicéron rapporte cet épisode, mais sans trop s'en étonner: depuis les débuts de la République, et spécialement au 1er siècle av. J.-C., le cas est extrêmement fréquent (T 9).

Nam cum dies uenisset rogationi ex s. c. ferendae, concursabant barbatuli iuuenes*, totus ille grex Catilinae*, duce filiola Curionis*, et populum ut antiquaret rogabant. Piso autem consul latorrogationis eidem reat dissuasor. Operae Clodianae pontis occuparant; tabellae ministrabantur ita ut nulla daretur « Uti Rogas ». Hic tibi in rostra* Cato aduolat, commulcium* Pisoni consuli mirificum facit, si id est commulcium, uox plena grauitatis, plena auctoritatis, plena denique salutis. Accedit eodem etiam noster Hortensius, multi praeterea boni ; insignis uero opera Favoni fuit. Hoc concursu optimatium comitia dimittuntur, senatus uocatur.

Cicéron, Ad Atticum, I, 14, 5

Le jour choisi pour le réquisitoire prescrit par le sénatus-consulte, on vit se répandre dans la ville des bandes de jeunes barbes, tout le train de Catilina, et à la tête Curion, véritable poupée. Ils suppliaient chacun de mettre "A{ntiquo}". Le consul Pison lui-même, l'auteur du réquisitoire, était le premier à travailler le peuple. Les gens de main de Clodius s'étaient emparés de tous les ponts, et ils distribuaient si bien leurs bulletins, qu'il n'y aurait peut-être pas eu un seul "U{t} R{ogas}". Caton voit ces manœuvres, court aux rostres, interpelle Pison, et éclate contre lui en invectives, si l'on peut appeler toutefois invectives le langage qui porte toujours avec lui la sagesse, l'autorité, le salut. Après Caton, vint Hortensius, puis une foule de gens de bien ; Favonius surtout fut remarquable. Devant ce concours imposant, on rompt les comices; le sénat s'assemble;


VOCABULAIRE 4 (V 4)

Rogationem ferre, antiquare, rogationis lator, operae, opera : Cf. V 3 – Pons, pontes, tabella, uti rogas : Cf. T 8 – Comitia : cf. T 5).

Rostra, orum, n pl : Les rostres, la tribune ; par extension: le Forum, les Comices. Le singulier rostrum, i désigne un éperon de navire (rostre), pointe d'airain placée à la proue des navires de guerre pour leur permettre de percer les bateaux ennemis. Depuis la guerre latine (du Latium) de 340-338, la tribune du Forum était ornée des rostres pris à l'ennemi; on a fini par dire "les rostres" au lieu de" la tribune".

Commulcium, ii, n : Rossée, raclée, volée ; mot rare et familier.

Barbatuli juvenes : A l'époque de Cicéron, la mode pour les hommes est d’avoir les cheveux courts et le visage rasé. Les jeunes élégants de Rome et, de façon générale, tous ceux qui prétendent à l'originalité, se distinguent, entre autres, par une barbe courte portée en collier et des cheveux un peu plus longs. Sous la plume de Cicéron, le terme est évidemment péjoratif.

Grex Catilinae : Autre expression péjorative pour désigner tous ceux qui s'étaient rangés sous Catilina.

Filiola Curionis : La gamine à Curion, sobriquet ironique et malveillant pour désigner Curion le Fils, alors âgé de 23 ans (P 3). Clodius Pulcher est aussi appelé Pulchellus (le Mignon), ce qui sous-entend des mœurs peu viriles (V 9 et 10)

Au Sénat, qui doit maintenant demander aux consuls de convoquer une seconde fois les comices, Clodius ne parvient pas à empêcher le vote.

Cum decerneretur frequenti senatu, contra pugnante Pisone, ad pedes omnium singillatim accidente Clodio, ut consules populum cohortarenlur ad rogationem accipiendam, homines ad quindecim Curioni nullum senatus consultum facienti adsenserunt; facile ex allera parte CCCC fuerunt. Acta res est. Fufius tertium* concessit. Clodius contiones miseras habebat, in quibus Lucullum, Hortensium, C. Pisonem, Messallam consulem contumeliose laedebat ; me tantum « comperisse » omnia criminabatur. Senatus et de prouinciis praetorum et de legationibus et de ceteris rebus decernebat ut ante quam rogatio lata esset ne quid ageretur*.

Cicéron, Ad Atticum, I, 14, 5.

il y avait foule, et, en dépit de Pison, en dépit de Clodius tombant lâchement tour à tour aux pieds de chaque sénateur, on signifie aux consuls qu'ils aient à s'employer pour faire passer le réquisitoire. Quinze voix demandèrent, avec Curion, qu'on ne fit pas de décret. Il y en eut, haut la main, quatre cents pour. Le décret passa. Le tribun Fufius prit le parti de se retirer. Clodius se lamentait devant le peuple, et chargeait d'injures Hortensius, Lucullus , C. Pison et le consul Messalla. Quant à moi, ce sont toujours mes découvertes qu'il me jette à la tête. La décision du sénat est qu'on ne s'occupe ni du partage des provinces, ni des légations, ni d'aucune affaire enfin, avant celle-là.

 

VOCABULAIRE 5 (V 5)

Tertium : Pour la troisième fois, Fufius (P 3) aurait pu utiliser son droit d'intercession et empêcher le vote; il ne l'a pas plus fait que les deux fois précédentes: il a cédé pour la troisième fois.

Senatus... ne quid ageretur : En décidant qu'on ne s'occupera de rien avant que le projet ait été présenté au peuple, le Sénat subordonne toute la vie politique romaine à cette affaire; c'est – toute proportion gardée – une espèce de grève des Sénateurs.

TABLEAU 8 (T 8) – COMMENT ON VOTE AUX COMICES. Voir aussi T 5, T 6, T 9 et T 12.

1 - Les citoyens sont enfermés dans un premier parc (saeptum).

2 - Ils en sortent un à un et franchissent une passerelle (pons suffragiorum) ; il y a parfois plusieurs passerelles (pontes). A l'entrée de la passerelle, on leur donne une tablette (tabella) portant les lettres "U.R." (Uti rogas = oui) et "A" (Antiquo = non) pour une loi, "D" (damno) et "L" (libero) pour un jugement, ou le nom des candidats pour une élection. Ils disposent cette tablette dans une urne placée au bout de la passerelle, après avoir rayé un nom ou une lettre. Ils se trouvent alors dans un second parc (ovile) et ne peuvent plus revenir dans le premier.

3 - Le vote est à deux degrés :
• A - Chaque citoyen vote personnellement (viritim) à l'intérieur de son groupe (tribus pour les comices tributes et centurie pour les comices centuriates - Cf. T 5). On détermine ainsi, à la majorité relative, le vote de chaque tribu ou centurie.
• B - Chaque groupe vote alors en bloc et détermine, à la majorité absolue, la décision finale.

4 - La procédure n'est pas démocratique:
• A - Dans les comices centuriates, le vote des centuries de 1ère classe (158 centuries dans les deux premières classes sur un total de 193 centuries pour 5 ou 6 classes) se fait d'abord; elles emportent donc toujours la décision. Or, ce sont les centuries les plus riches,
• B - Dans les comices tributes, les tribus rurales, celles des riches propriétaires terriens, sont les plus nombreuses et votent également les premières; les tribus urbaines, celles des pauvres, ne se font jamais entendre par le vote.

 

TABLEAU 9 (T 9) – QUELQUES EXEMPLES D’IRREGULARITE AUX COMICES. Voir aussi T 5, T 6, T 8 et T 12.

En 213 av. J.-C., les Chevaliers attaquent les comices centuriates pour empêcher la condamnation de leur ami Postumius.

En 55 av. J.-C., le Tribun Trebonius barre les rues pour empêcher ses adversaires de se rendre aux comices; les bagarres qui s'ensuivent font quatre morts et Crassus assomme le Sénateur S. Aurelius; pendant ce temps, Caton est jeté en prison et l'un de ses amis enfermé dans la Curie! La loi votée dans ces conditions est la Lex Trebonia, une des causes de la guerre civile,

De façon générale, les comices tributes, qui votent la plupart des lois, sont devenus squelettiques au 1er siècle av. J.-C., car les électeurs latins, qui habitent hors de Rome, ne se dérangent plus. Les assemblées se réduisent parfois à 35 votants, un par tribu; encore les présents sont-ils généralement des électeurs professionnels, ouvertement et officiellement payés par les divisores des groupes politiques! On admirera, par exemple, César de s'être fait élire, en 63, au Grand Pontificat: pour cette élection spéciale, les tribus ne votant pas dans l'ordre traditionnel, mais après tirage au sort, il fallait en effet payer, non pas 18 électeurs au minimum, mais l'ensemble des 35 !

Etonnante Rome, dont les lois s'appliquaient à des milliers d'hommes!

PERSONNAGES 3 (P 3)

CURION LE FILS : C. Scribonius Curio, né en 84, tribun de la plèbe en 50, ami intime de Clodius, dont il épousera la veuve. Est déjà – mais en secret – l'un des plus sûrs agents de César, avant d'être, à partir de 49, l'un de ses meilleurs lieutenants. Vaincu et tué pendant la guerre civile, près d’Utique, par le roi Juba Ier.

CURION LE PERE : Né en 125, consul en 76, mort en 53. Fut l'un des consulaires les plus écoutés et les plus cultivés de son temps.

HORTENSIUS : Q. Hortensius Hortalus, né vers114, consul en 69, mort vers 50. Orateur très important, dont les œuvres sont perdues, il fut le grand rival de Cicéron et l'ami de César. On ne connaît le talent d'Hortensius que par les jugements qu'a portés Cicéron (Brutus, De Oratore).

FAVONIUS : M. Favonius, édile en 52, préteur en 49, l'un des partisans les plus ardents du Sénat et de Caton, bien qu'il ne soit pas noble. Tué près de Brutus à la bataille de Philippes en 42.

FUFIUS : Q. Fufius Calenus, tribun de la plèbe en 61, préteur en 59, consul en 47. Mort en 40, après avoir combattu près de César, puis aux côtés d’Antoine, dont il fut le confident.

LUCULLUS : L. Licinius Lucullus, édile en 79, préteur en 78, consul en 74. Mort vers 57. Grand aristocrate, membre très conservateur du Sénat, général brillant mais un peu mou, célèbre aussi par ses jardins, ses richesses, sa grande culture et son goût raffiné pour la cuisine et la vie fastueuse.

Pour Cicéron, l'affaire est maintenant bien engagée; la fermeté de Messalla (P 2) semble imiter celle du consul de l'affaire Catilina; les tribuns paraissent également très décidés; seul, Pison (P 2, T 10) n'est qu'un incapable, et le restera toujours.

Habes res Romanas. Sed tamen etiam illud quod non speraram audi. Messalla consul est egregius, fortis, constans, diligens, nostri laudator, amator, imitator. Ille alter uno uitio minus uitiosus quod iners, quod somni plenus, quod imperitus. Itaque mirum in modum omnis a se bonos alienauit. Neque id magis amicitia Clodi adductus fecit quam studio perditarum rerum atque partium. Sed habet sui similem in magistratibus praeter Fufium neminem.

Cicéron, Ad Atticum, I, 14, 6

Voilà ce que j'avais à vous dire de Rome. Écoutez cependant encore, et c'est une chose sur laquelle je ne comptais point. Messalla est un admirable consul. Il a de la décision, de la suite, une activité qui pourvoit à tout. Il me loue, m'aime, et suit mes traces. Quant à l'autre, il serait pire avec un vice de moins, c'est-à-dire, s'il n'était pas aussi paresseux, aussi dormeur, aussi sot, aussi engourdi : mais en fait d'intentions, les siennes sont si mauvaises qu'il a pris Pompée en haine depuis le jour où il l'a entendu louer le sénat. Aussi c'est merveille de voir comme les honnêtes gens le fuient. Encore agit-il bien moins par amitié pour Clodius que par mauvais instinct politique ou autre. A l'exception de Fufius, il n'y a heureusement parmi les magistrats personne qui lui ressemble.

Pourtant, les choses ne sont pas du tout terminées : il faut juger Clodius.

TABLEAU 10 (T 10) : LE CONSUL PISON

Cum uero in circo Flaminio non a tribuno plebis consul in contionem, sed a latrone archipirata productus esset, primum processit qua auctoritate uir ! uini, somni, stupri plenus, madenti coma, composito capillo, grauibus oculis, fluentibus buccis, pressa uoce et temulenta, quod in ciuis indemnatos esset animaduersum, id sibi dixit grauis auctor uehementissime displicere. Vbi nobis haee auctoritas tam diu tanta latuit ? cur in lustris et helluationibus huius calamistrati saItatoris tam eximia uirtus tam diu cessauit ?

Et au cirque de Flaminius, introduit dans l'assemblée, non pas comme un consul par un tribun de la plèbe, mais comme un chef de pirates par un brigand, il se présenta d'abord avec quelle autorité ! plein de vin, de sommeil et de débauche, la chevelure humide de parfums, les mèches bien arrangées, les yeux alourdis, les joues pendantes, d'une voix étouffée et avinée, ce personnage déclara avec le poids de son autorité que le châtiment infligé à des citoyens sans jugement lui déplaisait fort. Où donc une telle autorité est-elle restée si longtemps cachée pour nous? pourquoi dans les tavernes et les bouges l'éminente vertu de ce danseur frisé au petit fer a-t-elle si longtemps sommeilé ?

Cicéron, Remerciements au Sénat, VI, 13.


UN NOUVEAU SCANDALE: LE PROCES DE CLODIUS.

Le sacrilège une fois reconnu, le Sénat a ordonné le renouvellement des Damia, puis décidé que le présumé coupable serait poursuivi devant un tribunal dont les membres ne seraient pas tirés au sort, mais désignés par le préteur; il s'agit là d'une procédure exceptionnelle, évidemment défavorable à l'accusé, puisque l'on peut choisir les juges uniquement parmi ses ennemis.

QUID ACCIDERIT DE JUDICIO QUAERIS…

Avant que le procès ne commence, de nombreuses discussions ont eu lieu; Cicéron y participe activement pour défendre l'autorité des sénateurs et faire en sorte qu'ils conservent un poids politique réel, face aux menées de César et de ses hommes.

Au centre des débats se trouve placé le grave problème du choix des juges. Leur désignation par le préteur déplaît à un certain nombre d'hommes politiques, parmi lesquels se trouve Hortensius (P 3). Le crime commis par Clodius est si grave et si évident qu'on peut, leur semble-t-il, revenir sans risque au tirage au sort; quel juge, inscrit sur l'album judicum (T 11) serait assez léger pour acquitter un homme accusé de sacrilège ?

César profite évidemment de ces hésitations, qui sont aussi destinées à lui rendre service; avec l'appui du tribun Q. Fufius Calenus (P 3), ami de César, Hortensius fait voter un autre texte et rétablir le tirage au sort.

La procédure est maintenant plus régulière mais, comme le craint Cicéron, elle peut conduire à l'aventure.

Cicéron, dont l'attitude est parfois très ambigue, renonce alors à se battre et « cargue prudennnent les voiles » au moment critique. Il laisse finalement le champ libre à Hortensius. (T 4)

Fin juin 61, il expliquera son attitude à Atticus (T 4) avec une emphase qui dissimule sans doute un certain embarras.

Quaeris ex me quid acciderit de iudicio quod tam praeter opinionem omnium factum sit, et simul uis scire quomodo ego minus quam soleam proeliatus sim. Res- pondebo tibi « usteron proteron Omericos ». Ego enim quam diu senatus auctoritas mihi defendenda fuit, sic acriter et uehementer proeliatus sum ut clamor concursusque maxima cum mea laude fierent. Quod si tibi umquam sum uisus in re p. fortis, certe me in illa causa admiratus esses. Cum enim iIIe ad contiones confugisset in iisque meo nomine ad inuidiam uteretur, dei immortales ! quas ego pugnas et quantas strages edidi ! quos impetus in Pisonem, in Curionem, in totam iIIam manum feci ! quo modo sum insectatus leuitatem senum, libidinem iuuentutis ! Saepe (ita me dii iuuent !) te non solum auctorem consiliorum meorum, uerum etiam spectatorem pugnarum mirificarum desideraui. Postea uero quam Hortensius excogitauit ut legem de religione Fufius tr. pl. ferret, in qua nihil aliud a consulari rogatione differebat nisi iudicum genus (in eo autem erant omnia), pugnauitque ut id ita fieret, quod et sibi et aliis persuaserat nullis illum iudicibus effugere posse, contraxi uela perspiciens inopiam iudicum.

Cicéron, Ad Atticum, I, 16, 1-2.

Vous me demandez l'histoire de ce jugement qui a si étrangement trompé l'attente générale, et vous voulez savoir pourquoi je n'ai pas pris au combat autant de part qu'à mon ordinaire. Je répondrai à vos questions, en commençant par la fin, à la façon d'Homère. Tant qu'il s'est agi de défendre l'autorité du sénat, j'ai combattu avec une ardeur et une énergie telles qu'on criait, qu'on accourait, qu'on applaudissait de toutes parts. Certes, si vous avez été frappé quelquefois de ma vigueur à soutenir les intérêts publics, vous n'auriez pu, dans cette circonstance, me refuser votre admiration. Clodius en était réduit à recourir au peuple, et ne s'épargnait pas à lui rendre mon nom odieux. oh ! alors, dieux immortels! quels combats! quel carnage! comme je me suis rué sur Pison, sur Curion, sur toute la clique! Quels traits j'ai lancés sur ces vieillards imbéciles et sur cette jeunesse effrénée! Que j'aurais été heureux, les dieux m'en soient témoins! que j'aurais été heureux de vous avoir près de moi, de profiter de vos bons conseils, et de vous voir spectateur de cette mémorable lutte. Mais quand Hortensius se fut avisé de faire proposer par Fufius, tribun du peuple, une loi sur le sacrilège , loi qui ne différait en rien de la proposition des consuls, si ce n'est pour le choix des juges, et tout était là; quand je vis Hortensius s'entêter dans son opinion, et finir par amener à lui toutes les autres, croyant de bonne foi, et ayant fait croire à chacun que le coupable n'échapperait pas, quels que fussent les juges, alors je crus à propos de caler mes voiles, moi qui sais combien les véritables juges sont rares.

 

– Usteron proteron Omericos : En commençant par la fin comme Homère
– Ut clamor … fierent : Que l'on m'a acclamé et entouré d'une manière tout à fait élogieuse pour moi.
– Ille, illum : Clodius.
– Lex de religione : Religio prend ici le sens de sacrilège: loi sur le sacrilège. Cf. V 13.
– Inopia judicum : Non pas manque de juges, mais manque de ressources des juges: ils pourront se laisser acheter parce qu'ils manquent d'argent.

JUDICIUM ... INCREDIBILI EXITU...

Le procès commence au milieu de mai 61. La procédure de récusation des juges (T 12) est l'occasion de scènes scandaleuses, et le tribunal ressemble finalement plus à une réunion de joueurs tarés dans le fond d'un tripot qu'à une assemblée de gens honnêtes et décidés.

Pourtant, au commencement des débats, les juges se montrent souvent sévères, et l'intégrité paraît l'emporter. Mais Clodius plaide en quelque sorte non coupable et produit un alibi : « le soir de la cérémonie, vient dire C. Causinius Schola, Clodius était chez moi, à Interamna ». D'autres comparses témoignent dans le même sens. Quant aux esclaves de l'accusé, ils ont tous disparu, qui en Gaule, qui en Grèce, et il est impossible de les interroger. Enfin, ni Julia, fille de César (P 4), ni Aurelia, sa mère (P 1), ne peuvent reconnaître formellement en Clodius l'homme qu'elles ont aperçu dans l'ombre des Damia.

Il devient malaisé de prouver sa culpabilité.

Cependant, l'attitude des juges a rendu courage à Cicéron: il est également poussé par son épouse, Tetentia (P 4), qui déteste la belle Claudia, sœur de Clodius (P 4), dont elle a quelque raison d'être jalouse; il désire surtout se mettre en avant face aux César, aux Crassus, et aux Hortensius, qui sont en train de lui prendre la première place dans les débats; il se laisse emporter aussi par son goût pour les succès faciles, et par un orgueil naïf. C'est pourquoi, lorsqu'il vient à son tour déposer comme témoin, il proclame ce que tout le monde sait mais que personne encore n'a eu le courage de dire sous serment et en public: « Clodius n'était pas à Intermana le soir du sacrilège ! Il était à Rome, il est venu me voir dans ma maison du Palatin! »

Son courage, que peut-être il exagère après coup, lui vaut d'être raccompagné chez lui en triomphe; le lendemain encore, une grande foule lui fait escorte: on dirait qu'il a de nouveau sauvé Rome et la patrie.

PERSONNAGES 4 (P 4)

JULIA : Fille de César et de Cornelia. Née vers 76, elle épouse, en 59, Pompée, qui a 29 ans de plus qu'elle. Ce mariage, à l'origine purement politique, fut en fait très heureux, mais Julia mourut en 54. La mort de Julia plongea Pompée dans le désespoir, et fut une cause de conflit avec César: Pompée désirait que son épouse fût enterrée familialement dans sa maison de campagne, mais César voulut que sa fille fût solennellement inhumée sur le Champ de Mars.

TERENTIA : Epouse de Cicéron, sur lequel elle exerça une forte influence. Mariés en 79, ils divorcent en 46, ce qui est – pour l'époque – un record de durée; en secondes noces, Terentia épousera l'historien Salluste.

CLAUDIA : Seconde fille d’Appius Claudius, sœur de Clodius, épouse de Metellus Celer. L'une des femmes les plus intéressantes, voire fascinantes, de cette époque; elle fut la Lesbie de Catulle et une fidèle sectatrice de son frère. Très décriée par Salluste, avec cependant une nuance d'admiration (Catilina), et par Cicéron, qui songea peut-être à l'épouser.

METELLUS CELER : Q. Metellus Celer, préteur en 63, consul en 60. Grand aristocrate qui avait pour beaux-frères à la fois Clodius et Pompée. Il meurt en 59, empoisonné – dit la rumeur – par sa femme Claudia.

CRASSUS : M. Licinius Crassus Dives, né en 115, mort en 53, consul en 70 et 55, censeur en 65, avec Catulus. Banquier très riche et, de ce fait, homme politique important. Cicéron (De Officiis, I, 25) cite un de ses princimes : « Celui qui veut être le premier dans l'Etat doit avoir toujours assez d'argent pour être en mesure de lever une armée ». Voir aussi T 15.

CATULUS : Q. Lutatius Catulus, consul en 78, censeur en 65, avec Crassus, dont il déjoue les projets. L'un des hommes les plus importants du Sénat, dont il essaie de défendre les prérogatives. Déjà vieux, il meurt en 61, peu de temps après le procès de Clodius.

 

Mais si l'orateur croit revenus les temps glorieux de son consulat, les menaces des amis et des nervis de Clodius deviennent telles que les juges prennent peur et demandent une garde pour les protéger. Le Sénat délibère, les félicite pour leur intégrité, leur accorde ce qu'ils demandent ; ils pourront, semble-t-il, rester parfaitement impartiaux et sereins.

Clodius paraît perdu.

Sed iudicium si quaeris quale fuerit, incredibili exitu, sic uti nunc ex euentu ab aliis (a me tamen ex ipso initio) consilium Hortensii reprehendatur. Nam ut reiectio facta est clamoribus maximis, cum accusator tamquam censor bonus homines nequissimos reiceret, reus tamquam clemens lanista frugalissimum quemque secerneret, ut primum iudices consederunt, ualde diffidere boni coeperunt. Non enim umquam turpior in ludo talario consessus fuit, maculosi senatores, nudi equites, tribuni non tam aerati quam, ut appellantur, aerari. Pauci tamen boni inerant quos reiectione fugare ille non potuerat, qui maesti inter sui dissimilis ct maerentes sedebant et contagione turpitudinis uehementer permouebantur. Hic ut quaeque res ad consilium primis postulationibus referebatur, incredibilis erat seueritas nulla uarietate sententiarum. Nihil impetrarat reus : plus accusatori dabatur quam postulabat ; triumphabat (quid quaeris ?) Hortensius se uidisse tantum ; nemo erat qui ilIum reum ac non miliens condemnatum arbitraretur. Me uero teste producto credo te ex acclamatione Clodi aduocatorum audisse quae consurrectio iudicum facta sit, ut me circumsteterint, ut aperte iugula sua pro meo capite P. Clodio ostentarint. Quae mihi res multo honorificentior uisa est quam aut ilIa, cum iurare tui ciues Xenocratem testimonium dicentem prohibuerunt, aut cum tabulas Metelli Numidici, cum eae ut mos est circumferrentur, nostri iudices aspicere noluerunt. Multo haec, inquam, nostra res maior. Itaque iudicum uocibus, cum ego sic ab iis ut salus patriae defenderer, fractus reus et una patroni omnes conciderunt ; ad me autem eadem frequentia postridie conuenit quacum abiens consulatu sum domum reductus. Clamare praeclari Ariopagitae se non esse uenturos nisi praesidio constituto. Refertur ad consilium. Vna sola sententia praesidium non desiderauit. Defertur res ad senatum. Grauissime ornatissimeque decernitur : laudantur iudices, datur negotium magistratibus. Responsurum hominem nemo arbitrabatur.

Cicéron, Ad Atticum, I, 16, 3-5.

Peut-être voulez-vous des détails sur le jugement : personne n'en prévoyait l'issue. L'événement seul a fait ouvrir les yeux, non pas à moi qui dès l'abord ai vu la faute d'Hortensius. Les récusations furent faites au milieu du tumulte. En censeur intègre, l'accusateur rejeta les plus mauvais juges. De son côté, l'accusé, comme un maître de gladiateurs qui veut ménager ses meilleurs esclaves, donna congé aux bons. Les gens de bien alors commencèrent à trembler. Jamais tripot ne réunit pareil monde : des sénateurs flétris, des chevaliers en guenilles, des tribuns, gardiens du trésor, aussi cousus de dettes que décousus d'argent, et, au milieu de tout cela, quelques hommes honnêtes que la récusation n'avait pu atteindre, siégeant, le deuil dans l'âme, 1'œil morne et la rougeur au front. Aux premiers interrogatoires, ce fut pourtant une sévérité sans pareille. Rien pour l'accusé; tout pour l'accusateur, plus même qu'il ne demandait. Hortensius triomphait de son excellente idée. Personne qui ne crût l'accusé condamné cent fois. Au moment où je parus pour déposer, la renommée vous aura dit et les vociférations des gens de Clodius et le mouvement spontané des juges se levant comme un seul homme, me couvrant de leur corps et montrant leur gorge, pour marquer à Clodius qu'ils me défendraient tous au péril de leur vie. Je crois cette démonstration plus glorieuse que ce qui arriva, chez vos concitoyens, à Xénocrate, lorsqu'ils le dispensèrent de confirmer sa déposition par un serment; ou, chez nos pères, à Métellus Numidicus, lorsque les juges refusèrent d'examiner ses comptes qu'il leur apportait, selon l'usage. Oui, je trouve qu'il y a là pour moi quelque chose de plus grand. Ce fut, au surplus, un coup de foudre pour l'accusé que ce mouvement qui s'adressait à moi comme au symbole de la patrie ainsi que le chef, les suppôts furent consternés. Le lendemain, il y eut foule chez moi comme le jour où l'on me reconduisit à ma demeure, à ma sortie du consulat. Cependant l'illustre aréopage déclarait qu'il ne reviendrait pas sans une garde de sûreté. On délibère: une seule voix s'oppose. On en réfère au sénat. Le sénat répond par la décision la plus sage et la plus honorable: il loue la conduite des juges, et charge les magistrats de pourvoir à tout. Nul ne pouvait croire que ce misérable eût assez de front pour reparaître.


VOCABULAIRE 6 (V 6)

Rejectio, onis, f : Récusation des juges, c’est-à-dire rejet par chacune des deux parties des juges qui ne lui conviennent pas (T 12).

Lanista, ae, m : Chef d'une école ou d'une troupe de gladiateurs, laniste.

Accusator, oris, m : L'accusateur, on dirait aujourd'hui le procureur, était L. Lentulus Crus.

Ludus talarius : La tunica talaris est une tunique descendant jusqu'aux talons (talus), mais faite d'un tissu léger et transparent. Un ludus talarius est un jeu, c'est-à-dire un spectacle, sans doute licencieux, dans lequel les acteurs portent cette tunique. La traduction ne peut se donner que par équivalence : tripot.

Aerarius, aeratus : Jeu de mots sur les tribuni aerarii (T 13): tribuns du trésor sans trésor, tribuns de l'argent désargentés, moins chargés d'argent que chargés de l'argent, etc.

Ille : Clodius.

Hic ut quaeque res… referebatur : Au début, à chaque fois qu'on délibérait pour répondre aux requêtes...

Tantum : Autant, si bien.

Non miliens : A mille contre un.

Advocatus, testis : Cf. T 12. Le défenseur était Carbo le Père.

Xenocrates, i : Athénien, disciple de Platon, célèbre par son honnêteté et son intégrité. Tui cives, parce qu’Atticus était à Athènes.

Tabulae : Les tables, les comptes, les livres de compte.

Metellus Numidicus : Consul en 109. Il fut accusé de concussion, pendant la guerre contre Jugurtha, par les amis de Marius, mais bien soutenu par les Sénateurs.

Patronus, i, m : Défenseur. Cf. T 12.

Ariopagitae : Aréopagites, membres du célèbre tribunal athénien de l’Aréopage. L’expression est ici ironique.

Ad consilium referre : Soumettre à délibération, délibérer, voter. Cf. T 12.

Sententia, ae, f : Cf. V 11.

Ad senatum deferre : Soumettre (une affaire) au Sénat.

Datur negotium magistratibus : L'affaire est confiée aux magistrats, on demande aux magistrats de s’en occuper.

Respondere : Répondre à une convocation, se présenter à la séance suivante. Cf. T 12.

PRAETER OPINIONEM OMNIUM…

Pourtant, quand la sentence est rendue, c'est la stupéfaction presque générale! Clodius est acquitté !

César, d'abord, a quelque peu ruiné l'effet produit par Cicéron. Le rituel propre au Grand Pontificat l'avait contraint à quitter Rome pendant qu'on y examinait une affaire de sacrilège! il ignorait donc l’essentiel des débats quand il put comparaître, et ses paroles n'en eurent que plus de poids.

En fait, il ne paraissait pas très convaincu de la culpabilité de Clodius et de sa femme. Mais, dans ces conditions, pourquoi donc avait-il répudié Pompeia?

Il fit alors une réponse devenue presque proverbiale.

In Publium Clodium, Pompeiae uxoris suae adulterum atque eadem de causa pollutarum caeremoniarum reum, testis citatus negauit se quicquam comperisse, quamuis et mater Aurelia et soror Iulia apud eosdem iudices omnia ex fide rettulissent ; interrogatusqu cur igitur repudiasset uxorem : « Quoniam », inquit, « meos tam suspicione quam crimine iudico carere oportere. »

Suétone, Divus Julius, LXXIV

Mais une heureuse formule ne suffit certainement pas. Le véritable auteur du coup de théâtre est resté dans l'ombre; Cicéron l'appelle à peu près le Nannéen Chauve (V 7), et il s'agit vraisemblablement de Crassus (P 4), qui vient de jouer, par hostilité pour Pompée, la carte de César contre le Sénat.

Dans la nuit qui a précédé la sentence, il a probablement fait acheter les juges par l'intermédiaire agréable de jeunes personnes chargées de proposer de l'argent et quelques plaisirs aux plus faibles et aux plus corrompus des membres du tribunal. Vingt cinq ont résisté, ou n'ont pas été sollicités, mais trente et un se sont laissé faire.

Le tour est donc joué ! à la stupeur quasi générale, c'est l'acquittement du coupable par 31 voix contre 25.

Un autre scandale commence, celui de la corruption des juges.

Nosti caluum ex Nanneianis ilIum, ilIum laudatorem meum, de cuius oratione erga me honorifica ad te scripseram. Biduo per unum seruum et eum ex ludo gladiatorio confecit totum negotium ; arcessiuit ad se, promisit, intercessit, dedit. Iam uero (o dii boni, rem perditam !) etiam noctes certarum mulierum atque adolescentulorum nobilium introductiones nonnullis iudicibus pro mercedis cumulo fuerunt. Ita summo discessu bonorum, pleno foro seruorum XXV iudices ita fortes tamen fuerunt ut summo proposito periculo uel perire maluerint quam perdere omnia; XXXI fuerunt quos fames magis quam fama commouerit. Quorum Catulus cumuidisset quendam, « Quid uos » inquit « praesidium a nobis postulabatis? an ne nummi uobis eriperentur timebatis?

Cicéron, Ad Atticum, I, 16, 5

Vous connaissez ce chauve (Crassus), héritier des Nannéius, mon panégyriste, qui fit en mon honneur un discours dont je vous dis un mot. Eh bien ! voilà l'homme qui, a tout conduit en deux jours, à l'aide d'un seul esclave, d'un vil esclave sorti d'une troupe de gladiateurs. Il a promis, cautionné, donné; bien plus, quelle infamie, bons dieux ! les faveurs de quelques belles dames et de quelques nobles mignons sont entrées dans certains traités par forme d'appoint. Les gens de bien firent retraite en masse. On ne vit plus que des bandes d'esclaves inondant le forum. Cependant vingt-cinq juges tinrent bon, et, la mort sous les yeux, ils aimèrent mieux en affronter le péril que de tout perdre. Mais il y en eut trente et un qui eurent plus peur de la faim que de l'infamie. Voici un mot de Catulus à l'un d'eux : - «A quel propos, lui dit-il, nous avez-vous demandé des gardes ? Craigniez-vous donc pour l'argent que vous avez reçu? »


VOCABULAIRE 7 (V 7)

Nanneiani : Surnom donné à ceux qui, pendant les proscriptions de Sylla, avaient acheté les biens de Nanneius ; parmi eux, Crassus (P 4).

Ludus gladiatorius : Ecole de gladiateurs.

Pro mercede cumulo : Pour compléter le prix.

Pleno foro servorum : Sans doute des esclaves à la solde de Clodius et prêts à tout.

Fames, fama : Allitération et jeu de mots: faim, infamie; faim plutôt que fama: affamés, infâmes. L'expression donne une idée de l'état de dénuement dans lequel se trouvaient beaucoup de citoyens romains ; ce sont les mêmes qui vendaient leurs voix pour vivre. Sur les problèmes d'argent : Cf. T 15.

Dans l'immédiat, le Sénat et ses défenseurs sont bafoués. César, qui s'est montré généreux envers son épouse et fidèle à ses amis, triomphe sur toute la ligne et s'en tire en plus avec le mot historique.

Cicéron n'a même pas le bénéfice du mot d'esprit, qui revient à la fougue encore juvénile du vieux Catulus (P 4). Il comprendra, mais un peu tard, qu'il n'aurait jamais dû s'engager dans cette « histoire de femmes ».

TABLEAU 11 (T 11) – LES TRIBUNAUX ROMAINS. Voir aussi T 5, T 6, T 12 et T 13

Pour les affaires criminelles, la justice est normalement rendue par les comices, mais le nombre et la complexité croissante des cas ont conduit à la création de tribunaux, les quaestiones ; on ne vient plus aux comices, devant le peuple, qu'en cas de provocatio ad populum (appel) (T 12).

Il y a deux types de quaestiones :
A - Quaestiones Perpetuae : ce sont des tribunaux permanents, organisés par Sylla, et destinés à donner une base plus stable à la justice. Il y en a sept à l'époque de Cicéron; ils remplacent les comices, qui ne jugent plus que les appels.
B - Quaestiones Extraordinariae : ce sont des tribunaux exceptionnels, les seuls existants avant Sylla. Ils se réunissent encore en cas de faute grave, sont présidés par des magistrats auxiliaires en présence du Consul, et sont organisés par une loi spéciale.
C - Les Juges: Ils sont tirés au sort sur une liste (album judicum); leur nombre est variable selon les cas à juger. La composition de l'album est l'objet de lois diverses à caractère politique (T 13).

TABLEAU 12 (T 12) – LA PROCEDURE DE JUGEMENT. Voir aussi T 5, T 6, T 8, T 9, T 11 et T 13

A - LA PROCEDURE.

Quand un citoyen est mis en accusation pour une affaire criminelle, la procédure est, en gros, la suivante :
1 - Dénonciation: nomen deferre (ici Cornificius au Sénat).
2 - Enquête : quaestio.
3 - Interrogatoire : interrogatio in jure. En cas d'aveu ou de flagrant délit: reus manifestus (accusé en flagrant délit): peine immédiate. Sinon:
4 - Citation à comparaître par héraut: diem dicere.
5 - Trois débats avec au moins un jour libre : diem prodicere (prima, secunda, tertia accusatio). Arrêt possible par désistement de l'accusateur ou action d'un tribun.
6 - Verdict: Acquittement = fin de l'action. Peine acceptée = fin de l'action. Peine refusée = provocatio ad populum; l'affaire revient aux comices.
7 - Les comices se réunissent dans un délai de 24 ou 30 jours; pendant ce temps l'accusé, même condamné à mort, est laissé libre et a le droit d'exil.

Remarque : Les phases 1, 2, 3 sont dites in jure et dépendent d'un magistrat (consul, préteur) ; les autres sont dites in judicio et dépendent des juges seuls.

B - LES DEBATS.

1 - Au jour dit (die dicto): constitution du jury par récusation des juges (rejectio).
2 - Dans les débats, l'accusé (reus) est face à un accusateur (accusator); il est assisté par des avocats (advocati, patroni) qui, en principe, et selon la loi, ne doivent pas être rétribués; il y a des témoins (testis) à décharge (laudatores). Il y a beaucoup de souplesse dans les débats et les témoignages.
3 - La sentence est rendue par votes secrets (sententia, ire in consilium). Les juges reçoivent des tablettes (sors, sorticula) portant les deux lettres "A" (absolvo) et "C" (condemno); ils en rayent une et placent la tablette dans une urne (sitella) ; s'ils rayent les deux, il y a abstention (sine suffragio). Quand il y a une majorité de sine suffragio, il faut procéder à un supplément d'enquête (ampliatio).
4 - Après sa condamnation, l'accusé peut faire appel auprès du peuple (Cf. supra)
Cette justice est d'apparence équitable, mais tout dépend du choix des juges (T 13), et du fonctionnement réel des comices (T 8, T 9)


LES CONSEQUENCES DU SCANDALE.

Malgré ses aspects parfois rocambolesques, l'affaire Clodius tient une place importante dans la vie politique romaine des années 60.

1 - LE CONFLIT CLODIUS/CICERON

Cicéron, qui a poussé les sénateurs à l'action, puis est venu pour accabler Clodius, sort très affaibli de l'affaire.

Il passe désormais pour un « leader » des Optimates, alors qu'il est plutôt l'homme des Equites, et que son idéal politique est celui de la concordia ordinum, qui le situe nettement au centre.

Comme il s'est mis à dos la belle Claudia (P 4) dont l'influence dans les milieux conservateurs n'est pas négligeable et, du même coup son complaisant mari, le puissant Metellus Celer (P 4), il doit compter à la fois sur l'hostilité active d'une partie des Populares et sur l'opposition tacite d'une fraction des Optimates.

Enfin, s'il n'est pas vraiment l'ennemi de César, il est clairement celui de Clodius, qui lui voue désormais une haine inexpiable. C'est donc dans l'ombre du puissant César, qui ne veut pas perdre totalement Cicéron, mais a besoin de Clodius, que les deux hommes vont maintenant se livrer un combat acharné.

Quelques jours après le procès, par exemple, Cicéron, qui essaie de redresser l'énergie du Sénat, ne peut s'empêcher d'attaquer directement Clodius.

Nam ut Idibus Maiis* in senatum conuenimus, rogatus ego sententiam* multa dixi de summa re p., atque ille locus* inductus a me est diuinitus, ne una plaga accepta patres conscripti conciderent, ne deficerent ; uulnus esse eiusmodi quod mihi nec dissimulandum nec pertimescendum uideretur, ne aut ignorando stultissimi aut metuendo ignauissimi iudicaremur ; bis absolutum esse Lentulumm, bis Catilinam*, hunc tertium iam esse a iudicibus in rem p.* immissum. « Erras, Clodi; non te iudices urbi sed carceri reseruarunt, neque te retinere in ciuitate sed exsilio priuare uoluerunt. Quamobrem, patres conscripti, erigite animas, retinete uestram dignitatem. Manet illa in re p. bonorum consensio; dolor accessit bonis uiris, uirtus non est imminuta ; nihil est damni factum noui, sed quod erat inuentum est. In unius hominis perditi iudicio plures similes reperti sunt.»

Cicéron, Ad Atticum, I, 16, 9.

Le sénat était réuni le jour des ides de mai : quand vint mon tour de parler, je débutai par des généralités politiques; puis, par une image que je plaçai avec un véritable bonheur, je m'écriai que pour une blessure, les pères conscrits ne devaient ni lâcher pied ni abandonner la place; qu'il ne fallait ni nier les coups, ni s'en exagérer la portée; qu'il y aurait stupidité à s'endormir, et par trop de lâcheté à s'effrayer; que déjà on avait vu acquitter Catulus deux fois, Catilina, deux fois; que ce n'était qu'un de plus de lâché par les juges sur la république. Tu te trompes, Clodius: les juges ne t'ont pas renvoyé libre, ils t'ont donné Rome pour prison. Ils ont voulu, non pas te conserver comme un citoyen, mais t'ôter la liberté de l'exil. Courage, pères conscrits; soutenez votre dignité! les gens de bien sont toujours unis dans l'amour de la république. On les a blessés au coeur, mais ils sont restés fermes. Le mal n'est point un mal nouveau. Il existait; il se manifeste; et l'acquittement d'un misérable nous prouve seulement qu'il y a dans Rome d'autres misérables que lui.

 

VOCABULAIRE 8 (V 8)

* Idibus Maiis : Le quinze Mai.
* Locus, i, m : Développement, passage d'un discours,
* Lentulus et Catilina : Ils avaient été acquittés plusieurs fois avant leur condamnation de 63: Lentulus 2 fois, Catilina 3 fois, Cependant, Cicéron omet volontairement le premier acquittement de Catilina qui mettait en cause la belle-soeur de l'orateur, la Vestale Fabia. En déclarant que Clodius est maintenant privé de l'exil, Cicéron reprend un thème des Catilinaires.
* Sententia : voir V 11.
* Res publica : voir V 12.

Mais CLODIUS arrive et réplique.

L'homme nouveau, si fier encore de son consulat de l'année précédente, chef de file des gens silencieux et honnêtes, génial orateur, mais émotif et quelque peu ridiculisé, se heurte alors au jeune chef de bande, à l'homme scandaleux et insolent, qui est aussi le rejeton sûr de lui d'une vieille et grande famille romaine. Clodius savoure sa victoire et se fie à César; dressé quelque part dans la salle au milieu des sénateurs, il se moque de Cicéron, essaie de souligner ses défauts de parvenu, l'accuse déjà de s'être comporté en roi tout-puissant, et montre aussi quel intérêt jaloux il porte à la maison de l'orateur. Mais il n'aura pas, cette fois, le dernier mot, et les Pères l'obligeront à se taire.

Surgit pulchellus* puer, obicit mihi me ad Baias* fuisse. Falsum, sed tamen quid huic ? « Simile est », inquam, « quasi in operto* dicas fuisse. « Quid », inquit « homini Arpinati* cum aquis calidis ? » « Narra », inquam, « patrono tuo*, qui Arpinatis aquas concupiuit. » Nosti enim Mari marinas. « Quousque », inquit, « hunc regem feremus ? » « Regem appellas », inquam, « cum Rex tui mentionem nullam fecerit ? » Ille autem Regis* hereditatem spe deuorarat. « Domum », inquit, « emisti. » « Putes », inquam, « dicere : Iudices emisti. » « Iuranti », inquit « tibi non crediderunt. » « Mihi uero », inquam, « xxv indices crediderunt. » « Mihi uero », inquam, « xxv iudices crediderunt, xxxi, quoniam nummos ante acceperunt, tibi nihil crediderunt. » Magnis clamoribus afflictus conticuit et concidit.

Cicéron, Ad Atticum, I, 16, 10.

Le mignon se dresse, il me reproche d'avoir été à Baies. C'est faux, et d'ailleurs, que lui importe? – « A t'entendre, dis-je, c'est comme si j'avais été dans un lieu interdit. » – « Qu'est-ce qu'un Arpinate a à faire avec les eaux chaudes ? » – « Raconte-le, dis- je, à ton avocat, qui a tant désiré les bains d'un Arpinate ! » (Tu connais en effet les thermes marins de Marius). – « Jusque à quand, dit-il, supporterons-nous ce roi ? » – « Tu parles de roi, dis-je, mais Roi, tu ne l'as pas mentionné. » (C'est qu'il avait en espérance dévoré l’héritage de Roi). – « Tu as acheté une maison » – « Tu as acheté des juges ! » – « Tu as prêté serment mais ils ne t'ont pas cru » – « 25 juges m’ont fait confiance, 31 en se faisant payer d’avance ne t'ont fait aucun crédit ! » Assailli par des grands cris, il se tut et s’assit.


VOCABULAIRE 9 (V 9)

Pulchellus : Jeu de mots sur le cognomen de Clodius Pulcher. Cf. V 4 et V 10.
Baiae, arum : Baies, en Campanie, une des plus célèbres villes d'eaux romaines.
In operto : Allusion aux mystères de la Bonne Déesse.
Arpinas : Né à Arpinium, Arpinate ; c'était la patrie de Cicéron et de Marius.
Patrono tuo : Carbo le Père, défenseur de Clodius, avait acheté à bon prix la maison de Marius à Baies pendant les proscriptions.
Rex : Q. Marcius Rex était un des beaux-frères de Clodius ; il semble qu'il n'ait pas favorisé Clodius dans sa succession. L'accusation de se comporter en roi est fréquente à l'époque répuhlicaine se référant à un régime politique détesté, elle correspond, en gros, à l'actuel emploi des mors fasciste, nazi, SS. S'agissant de Cicéron, c'est à la manière dont il procéda avec les complices de Catilina qu'on se rapporte pour le traiter ainsi: il avait fait exécuter sans jugement des citoyens romains.

FUROR CLAUDIANA

En mars 59, l'attitude de Cicéron dans le procès de C. Antonius Hybrida déplut à César: en tant que Grand Pontife et Consul, et avec l'appui de Pompée, augure, il fit, en quelques heures, passer Clodius du patriciat à la plèbe (translatio ad plebem), et lui permit ainsi d'obtenir le tribunat en octobre.

Le deux décembre de la même année, Clodius promulgua la Lex Clodia de Capite Ciuis Romani (T 6), qui aurait pu permettre de condamner Cicéron pour les exécutions capitales qu'il avait un peu rapidement ordonnées pendant sa lutte contre Catilina.
Cicéron ayant préféré s'enfuir de Rome, Clodius fait voter la Lex Clodia de Exsilio Ciceronis du 25 avril 58, qui relègue l'orateur à 500 milles de l'Italie, punit de mort ses hôtes éventuels et confisque tous ses biens.

Aussitôt le tribun et ses amis s'acharnent sans pudeur sur les richesses, un peu voyantes, de Cicéron. La luxueuse maison de parvenu, qu'il possédait au Palatin et dans laquelle Clodius lui avait malencontreusement rendu visite en décembre 62, fut pillée, mise en vente, et rachetée par le tribun; ce dernier la détruisit, remania totalement les lieux et en consacra une partie à la déesse Liberté, afin d'empêcher son ennemi d'en reprendre éventuellement possession, tout en soulignant, à titre de propagande, l'aspect royal et tyrannique du consulat de Cicéron (V 9). En même temps, on dispersait les collections privées, les bibliothèques et les oeuvres d'art de l'Arpinate.

Grâce à l'intervention de Pompée, Cicéron rentra triomphalement à Rome le 4 septembre 57, après deux ans d'exil; il trouva, pour l'aider et le protéger dans la rue, les bandes du tribun Milon, presque aussi dangereuses que celles de Clodius, et reprit le combat contre son adversaire,

Il prononça alors, pour remercier le peuple et le Sénat, accabler ses adversaires, ou définir ses positions politiques, toute une série de discours, dans lesquels il ne manque pas une occasion de s'en prendre à Clodius, en rappelant le scandale honteux de décembre 62 ! De Reditu (57), De Domo (57), De Haruspicum Responsis (57), Pro Sestio (mars 56), Pro Caelio (avril 56), In Pisonem (55), Pro Rabirio Postumo (55), Pro Milone enfin (avril 52)


Non ignouit, mihi crede, non. Nisi forte tibi esse ignotum putas, quod te iudices emiserunt, excussum et exhaustum, suo iudicio absolutum, omnium condemnatum, aut quod oculos, ut opinio illius religionis* est, non perdidisti. Quis enim ante te sacra illa uir sciens uiderat, ut quisquam poenam quae sequeretur id scelus scire posset ? An tibi luminis obesset caecitas plus quam libidinis? ne id quidem sentis, coniuetis illos oculos abaui tui* magis optandos fuisse quam hos flagrantis sororis*? Tibi uero, si diligenter attendes, intelleges hominum poenas deesse adhuc, non deorum.

Cicéron, De haruspicum responsis, XVIII, 37-38

Clodius, elle ne vous a point pardonné. Peut-être penserez-vous avoir trouvé grâce devant elle, parce que des juges avides et corrompus vous ont permis d'échapper, absous par leur sentence, et condamné par l'opinion publique, ou parce que vous n'avez point perdu la vue : il est vrai que, selon la croyance générale, tel devait être le châtiment de cette impiété. Mais comment pouvait-on le savoir, puisque personne jusqu'à vous n'avait eu cette audace? D'ailleurs la perte de la vue aurait-elle été une plus grande punition que cet aveuglement où vous plongent vos passions? Ne sentez-vous pas même que les yeux faibles et éteints de votre aïeul sont plus à désirer que les regards enflammés de votre soeur? Au surplus, une mûre réflexion vous convaincra qu'au défaut des hommes, les dieux du moins vous ont puni.


VOCABULAIRE 10 (V 10)

* Abaui tui : Appius Claudius Caecus. Cf. supra, note 1, page 7.
* Sororis : Claudia. Cf. p. 4. A l’accusation de meours ambiguës (pulchellus) (V 4 et V 9), Cicéron ajoute fréquemment, et d’une manière bien plus directe, le thème de l’inceste.
* Religio : voir V 13.

 

Publiusne Clodius, qui ex pontificis maximi domo religionem eripuit, is in meam intulit ? huncin* uos*, qui estis antistites* caerimoniarum et sacrorum, auctorem habetis et magistrum publicae religionis ? O di immortales ! – uos enim haec audire cupio – P. Clodius uestra sacra curat, uestrum numen horret, res omnis humanas religione uestra contineri putat ? Hic non inludit auctoritati horum omnium qui adsunt summorum uirorum, non uestra, pontifices, grauitate abutitur? Ex isto ore religionis uerbum excidere aut elabi potest ? quam tu eodem ore accusando senatum, quod seuere de religione decerneret, impurissime taeterrimeque uiolasti. Aspicite, pontifices, hominem religiosum et, si uobis uidetur, quod est bonorum pontificum, monete eum modum quendam esse religionis, nimium esse superstitiosum non oportere. Quid tibi necesse fuit anili* superstitione, homo fanatice, sacrificium, quod alienae domi fieret, inuisere ? quae autem te tanta mentis imbecillitas tenuit ut non putares deos satis posse placari, nisi etiam muliebribus religionibus* te implicuisses? Quem umquam audisti maiorum tuorum, qui et sacra priuata coluerunt et publicis sacerdotiis praefuerunt, cum sacrificium Bonae Deae fieret, interfuisse? neminem, ne ilIum quidem qui caecus est factus*. Ex quo intellegitur multa in uita falso homines opinari, cum ille, qui nihil uiderat sciens quod nefas esset, lumina amisit, istius, qui non solum aspectu, sed etiam incesto, flagitio et stupro caerimonias polluit, poena omnis oculorum ad caecitatem mentis est conuersa. Hoc auctore tam casto, tam religioso, tam sancto, tam pio, potestis, pontifices, non commoueri, cum suis se dicat manibus domum ciuis optimi euertisse et eam isdem manibus consecrasse ?

Cicéron, De Domo sua, 104-105.

Quoi! ce même Clodius, qui a profané la maison du souverain pontife, aura consacré la mienne ! et vous, ministres de nos autels et de nos sacrifices, voilà donc votre maître, voilà le chef suprême de la religion! Grands dieux! daignez m'entendre. Est-il bien vrai que P. Clodius s'intéresse à votre culte, qu'il redoute votre puissance, qu'il croit le monde entier soumis à vos lois? Ici même, ne se joue-t-il pas de l'autorité imposante de nos juges? n'abuse-t-il pas, pontifes, de l'attention que vous nous prêtez? Lui! proférer, lui! laisser échapper de sa bouche le nom même de la religion; de cette bouche qui l'a indignement profanée, en déclamant contre le sénat, cet austère défenseur du culte des dieux! Regardez, regardez, pontifes, cet homme religieux, et, avec cette bonté qui sied au sacerdoce, daignez, je vous prie, l'avertir que la religion même a ses bornes; qu'elle ne doit pas être portée jusqu'au fanatisme. Qu'aviez-vous besoin, enthousiaste que vous êtes, d'aller, avec une superstition de vieille femme, prendre part à des sacrifices dans une maison étrangère? Comment avez-vous été assez simple pour croire que les dieux ne vous seraient propices qu'autant que vous vous seriez initié dans les dévotions des femmes? Avez-vous jamais appris qu'aucun de vos ancêtres, fidèles à leur culte domestique, et revêtus des sacerdoces de l'État, ait jamais assisté aux mystères de la Bonne Déesse? Aucun, pas même celui qui devint aveugle. La destinée de ces deux Clodius prouve l'erreur populaire : l'un, qui n'avait rien vu volontairement de ce qu'il n'est pas permis de voir, perdit la vue; tandis que l'autre, après avoir profané des cérémonies religieuses, non seulement par ses regards, mais par un crime, par un infâme adultère, en est quitte pour un aveuglement d'esprit. L'autorité d'un personnage si chaste, si religieux, si saint, ne doit-elle pas vous toucher, pontifes, quand il déclare qu'il a renversé, de ses propres mains, la maison d'un bon citoyen, et que de ces mêmes mains, il l'a consacrée aux dieux?

* Huncin ? Huncine ? de Hicine ? Haecine ? Hocine ? : Est-ce que celui-ci, celle-ci? un tel homme !
* Vos : Désigne les Pontifes devant lesquels le discours fut prononcé le 30 septembre 57.
* Antistes, itis, m : Préposé à, maître de.
* Anilis, e : de vieille femme.
* Qui caecus est factus : Il s'agit d’Appius Claudius Caecus, un des ancêtres de Clodius. Cf. V 10.
* Religio : : voir V 13.

VOCABULAIRE 11 (V 11) – Le mot SENTENTIA

1 - Sentiment, opinion, façon de voir, avis :
Sententiam dicere : donner son avis
Rogatus sententiam : comme on m'avait demandé mon avis.
In sententiam alicujus ire: se ranger à l'avis de quelqu'un.
Donc: vote, suffrage : sententiam ferre, voter (aux comices). Cf. T 8.
sentence, jugement : sententiam dicere : prononcer la sentence. Cf. T12.

2 - Idée, pensée, signification :
In eam sententiam dicere : parler en ce sens.
Id habet hanc sententiam : cela veut dire que.
Donc: pensée exprimée, phrase, maxime: haec sententia Platonis.

VOCABULAIRE 12 (V 12) – Les sens du mot RESPUBLICA

1 - Le Chose publique, l’État
In rem publicam inmissus : lâché contre l'Etat

2 - L’Administration, les affaires publiques
Rei publicae usus : la pratique des affaires

3 - La situation politique.
De summa rei publicae : sur l'ensemble de la situation politique
Hac re publica: dans la situation politique actuelle

4 - La forme de gouvernement
Genera rei publicae : les genres de gouvernement

VOCABULAIRE 13 (V 13) – Les sens du mot RELIGIO

1 - Scrupule, cas de conscience
Judicum religiones : les scrupules des juges.

2 - Scrupule religieux, respect des dieux
Pietate et religione : par la piété et le sens religieux
Religionis verbum : un mot de respect pour les dieux

3 - Manifestation de respect pour les dieux
Culte, vénération : Opinio illius religionis : la croyance propre à ce culte
Res omnes humanae religione vestra continentur : toutes les choses humaines sont contenues dans le respect que l'on vous doit.
Croyance, religion : Magister publicae religionis : maître de la religion publique (religio supersitio)

4 - Respect religieux dont quelque chose est entouré :
Caractère sacré, sainteté de quelque chose :
Jusjurandi religio : caractère sacré du serment
Ex pontificis maximi domo religionem eripuit : il a arraché son caractère sacré à la demeure du Grand Pontife.
Engagement sacré : Religione obligari: être lié par un engagement sacré
Choses sacrées, saintes (au pluriel) religiones: lieux sacrés.

5 - Scrupule provoqué par un manquement aux choses sacrées
Impiété, sacrilège : Lex de religione: loi sur le sacrilège
Quod severe de religione decerneret: parce qu'il avait pris un décret rigoureux sur le sacrilège.

 

P. Clodius a crocota*, a mitra*, a muliebribus soleis purpureisque fasceolis*, a strophio*, a psalterio*, a flagitio, a stupro est factus repente popularis. Nisi eum mulieres exornatum ita deprendissent, nisi ex eo loco quo eum adire fas non fuerat ancillarum beneficio emissus esset, populari homine populus Romanus, res publica ciue tali careret. Hanc ob amentiam in discordiis nostris, de quibus ipsis his prodigiis recentibus* a dis immortalibus admonemur, adreptus est unus ex patriciis* cui tribuno plebis fieri non liceret. Quod anno ante frater Metellus* et concors etiam tum senatus, principe Cn. Pompeio sententiam dicente, excluserat acerrimeque una uoce ac mente restiterat, id post discidium optimatium, de quo ipso nunc monemur, ita perturbatum itaque permutatum est ut, quod frater consul ne fieret obstiterat, quod adfinis et sodalis*, cIarissimus uir, qui ilIum reum non laudarat, excIuserat, id is consul* efficeret in discordiis principum, qui illi unus inimicissimus esse debuerat, eo fecisse auctore* se diceret cujus auctoritatis neminem posset paenitere. Iniecta fax est foeda ac luctuosa rei publicae; petita est auctoritas uestra, grauitas amplissimorum ordinum, consensio bonorum omnium, totus denique ciuitatis status. Haec enim certe petebantur, eum in me, cognitorem harum omnium rerum, illa flamma illorum temporum coniciebatur. Excepi et pro patria solus exarsi, sic tamen ut uos, eisdem ignibus circumsaepti, me primum ictum pro uobis et fumantem uideretis.

Cicéron, De Haruspicum responsis, XXI, 44-45.

Mais Clodius, comment est-il devenu tout à coup partisan du peuple? Une robe de couleur de safran, une coiffure, une chaussure de femme, des rubans de pourpre, une harpe, l'infamie, l'inceste, voilà les causes de ce changement. Si les femmes ne l'avaient pas surpris dans ce déguisement honteux, si la bonté des servantes n'avait pas facilité son évasion d'un lieu où il n'avait pas droit d'entrer, le peuple romain n'aurait pas cet homme populaire, la république serait privée d'un tel citoyen. C'est pour cet excès d'extravagance que, dans ces discordes sur lesquelles les dieux daignent nous donner leurs avertissements, il a été choisi parmi les patriciens, quoiqu'il lui fût moins permis qu'à tout autre de devenir tribun. Métellus son frère et le sénat, qui dans ce temps agissait encore de concert, s'étaient opposés à ses projets ; et , sur l'avis de Pompée, premier opinant, sa demande avait été rejetée d'une voix unanime. L'année suivante, quand ces malheureuses dissensions eurent éclaté, tout changea de face. Ce que le consul son frère avait empêché, ce qu'avait rejeté son allié, son ami, ce grand citoyen qui lui avait refusé son témoignage lorsqu'il était accusé, fut accompli par le consul qui devait le haïr plus que personne; et ce consul prétendait suivre les conseils d'un homme dont l'autorité doit imposer à tous. Ce brandon funeste fut lancé sur la république. Votre autorité, la majesté des ordres les plus respectables, la concorde des bons citoyens, en un mot, la tranquillité de tout l'État, furent attaquées : car c'étaient elles qu'on voulait détruire, quand ou attaquait en moi celui qui les avait sauvées. J'ai été frappé de ces coups : j'en ai été d'abord la seule victime ; mais vous pouviez dès lors vous apercevoir que l'incendie qui me consumait étendait ses flammes autour de vous.


VOCABULAIRE 14 (V 14)

Crocota, ae, f : Robe de couleur safran portée par les femmes. Cf. crocus, i, m et crocum, i, n : safran
Mitra, ae, f : Mitre, turban
Fasceola, ae, f : Fasciola, ae, f: diminutif de fascia, ae, f: petit ruban, bandelette.
Strophium, ii, n : Bande de tissu soutenant la poitrine, soutien-gorge
Psalterium, ii, n : Cithare, psalterion
His prodigiis recentibus : Ces prodiges (grondements près de Rome, tremblement de terre à Potenza) sont à l'origine du discours. Les haruspices en avaient en effet tiré des conclusions très favorables à l'aristocratie sénatoriale, dont ils faisaient partie, et visant en bloc Pompée, César et Cicéron.
Adreptus est ex patriciis : Allusion à la translatio ad plebem de Clodius.
Frater Metellus : Metellus Celer, mari de Claudia, et neveu de la mère de Clodius. Cf. P 4.
Adfinis et sodalis : Pompée, dont le frère avait épousé la nièce de Clodius.
Is consul : César, Consul en 59, mais aussi Grand Pontife.
Eo auctore : Pompée, qui était augure.
Fax, flamma illorum temporum, exarsi, ignibus, fumantem : Beau développement d'une métaphore souvent utilisée par Cicéron (Incendium rei publicae), mais rarement menée jusqu'à ce point ; seuls, le ton, le geste, et l'éclat de l'orateur peuvent faire passer l'image finale.
On remarquera par ailleurs dans ce texte, d'une part la complexité des imbrications familiales et politiques à Rome, d'autre part tout un fonds d'humour et d'ironie acerbes, qui en disent long sur l'état d'esprit de Cicéron; il n'était sûrement pas commode tous les jours d'être un homme nouveau!

Le combat ne cessa qu'à la mort de Clodius, assassiné par Milon et ses hommes près de Bovillae, à 15 kms de Rome sur la Voie Appienne, non loin d'un sanctuaire de la Bona Dea, qui semblait ainsi régler, par dessus les hommes, le sort du sacrilège.
Mais on voit combien son témoignage et les maladresses qu'il commit par la suite coûtèrent à Cicéron de temps, de peine et d'argent.

APUD BONOS IIDEM SUMUS

Pourtant, au lendemain du verdict, Cicéron, qui cherchait peut-être à se rassurer un peu, ne jugeait pas sa situation si mauvaise. Reconnaissant qu'il n'avait rien gagné dans l'affaire, il estimait n'y avoir rien perdu. Surtout, il se flattait, avec une complaisance trop habituelle chez lui, de l'amitié de Pompée: voilà même que leurs ennemis les confondent en un seul nom et que les deux hommes semblent n'en plus faire qu'un.

L'amitié du cher grand Pompée a toujours été un thème d'élection dans les lettres de Cicéron; surtout, César hostile et devenu puissant, c'est bien vers Pompée qu'il faut maintenant se tourner. Le chemin que prend Cicéron, c'est celui que les Optimates emprunteront à leur tour, mais plus tard, lorsqu'ils auront enfin compris que leur pouvoir ne représente plus grand chose en face de celui des Imperatores.

C'est malheureusement le chemin de la guerre civile, qui commencera douze ans plus tard, en 49.

Noster autem status est hic. Apud bonos iidem sumus quos reliquisti, apud sordem urbis et faecem muIto melius nunc quam reliquisti. Nam et illud nobis non obest, uideri nostrum testimonium non ualuisse ; missus est sanguis inuidiae* sine dolore atque etiam hoc magis quod omnes illi fautores illius flagitii rem manifestam illam redemptam esse a iudicibus confitentur. Accedit illud, quod illa contionalis hirudo* aerari, misera ac ieiuna plebecula, me ab hoc Magno unice diligi putat, et hercule multa et iucunda consuetudine coniuncti inter nos sumus usque eo ut nostri isti comissatores coniurationis, barbatuli iuuenes*, illum in sermonibus « Cn. Ciceronem » appellent. Itaque et ludis et gladiatoribus mirandas episèmasias* sine ulla pastoricia fistula* auferebamus.

Cicéron, Ad Atticum, I,16, 11

Voici maintenant ma position personnelle. Je n'ai rien perdu auprès des honnêtes gens, et j'ai beaucoup gagné auprès de la canaille. Ce n'est rien pour elle que l'affront fait à mon témoignage. L'envie y a mordu sans me blesser, et j'en souffre d'autant moins que les misérables disent partout eux-mêmes, ce qui est clair comme le jour, qu'ils ont acheté les juges. Ajoutez que la tourbe du forum, cette sangsue du trésor, toujours demandant et toujours affamée, que la populace enfin me regarde comme l'ami le plus chéri du grand Pompée. Il est certain qu'il y a entre lui et moi des rapports assez intimes et un échange de bons procédés. L'opinion là-dessus est telle, que parmi ces jeunes et beaux mignons, conspirateurs d'orgie , on n'appelle plus Pompée que Cnéius Cicéron. Aussi dans les jeux publics et dans les combats du cirque, ma présence est-elle toujours accueillie par les manifestations les plus favorables, sans aucun accompagnement de l'instrument du berger (le sifflet).


* Missus est sanguis invidiae : Le sang de la haine est sorti = mon impopularité a subi une saignée.
* Hirudo, inis, f : Sangsue. Illa contionalis hirudo aerari : ces sangsues du Trésor Public que 'l’on trouve dans les assemblées. Cf. T 9.
* Barbatuli juvenes : Cf. V 4.
* Episèmasias : Mot grec = marques de sympathie (acc. plur.)
* Fistula pastoricia : Flûte pastorale, sifflet.

Pour l'heure, et malgré le triomphe que le Sénat lui accorde enfin (septembre 61), Pompée ne peut rien sans César; c'est alors la rencontre de Lucques (juillet 60), l'élection de César au consulat pour 59 (août 60), et l'accord tacite de mars 59, qui ouvrait à Clodius la voie du tribunat.

2 - L'AFFAIBLISSEMENT DU SENAT

Après le procès de Clodius, certains des sénateurs, conduits par Caton (P 2), ordonnèrent des enquêtes destinées à confondre ceux des juges qui avaient été corrompus. Or, les Chevaliers tenaient un rôle important qu'ils jouaient à nouveau dans les quaestiones perpetuae (T 11) depuis le vote, en 70, de la Lex Aurelia (T 13).

TABLEAU 13 (T 13) – LES LOIS JUDICIAIRES. Voir aussi T 11, T 12.

Ce sont des lois très importantes, parce qu'elles règlent l'établissement de l'album judicum, et fixent par conséquent la qualité de ceux qui seront appelés à juger les autres. En politique notamment, il est essentiel de savoir qui jugera éventuellement les magistrats sortant de charge, ce qui peut jouer un rôle fondamental dans leur carrière à venir. Ici se place donc l'essentiel du conflit entre les Sénateurs et les Chevaliers.

PRINCIPALES "LEGES JUDlCARlAE"
1 - AVANT LES GRACQUES: liste des juges = liste des Sénateurs. Les Magistrats sont jugés par leurs pairs.
2 - CAlUS GRACCHUS fait passer la liste des juges chez les Chevaliers : les tribunaux deviennent équestres.
3 - LEX CORNELIA JUDlCARIA (votée en 81 à la demande de Sylla): les juges sont de nouveau pris sur la liste des Sénateurs disponibles. Pour chacun des tribunaux permanents qui viennent d'être créés, les Sénateurs sont répartis en décuries ; on les tire au sort et l'on peut en récuser un certain nombre. La justice appartient de nouveau au Sénat.
4 - LEX AURELIA (70): votée après l'affaire Verrès, à la demande du Sénateur modéré Aurelius Cotta, parce que les Sénateurs venaient de prouver leur partialité et leur vénalité. La liste est divisée en trois :1/3 de Sénateurs, 1/3 de Chevaliers, 1/3 de tribuni aerarii. Mais les tribuni aerarii, qui s'occupaient jadis de certains impôts, sont en fait de futurs Chevaliers: il y a donc désormais 1/3 de Sénateurs et 2/3 de Chevaliers et assimilés; la justice redevient équestre.


ALIENATI EQUITES ROMANI...

Comme les sénateurs le faisaient souvent eux-mêmes – ce fut le cas notamment pendant l'affaire Verrès – les Chevaliers se soutenaient les uns les autres, et l'esprit de corps ou de classe venait facilement au secours des brebis galeuses. Les enquêtes demandées par le Sénat indisposèrent donc l'ensemble de l'ordre équestre et le rendirent hostile aux Patres; son glissement vers César s'en trouva favorisé.

Cicéron, qui est un homme des Chevaliers, mais aussi un sénateur fier de son rang, a-t-il tenté quelque chose pour apaiser un conflit dont il était l'un des responsables indirects? Toujours est-il qu'il a, curieusement et une fois de plus, manqué la séance essentielle et n'a pu parler qu'après coup.

Nos hic in re p. infirma, misera commutabi Iique uersamur. Credo enim te audisse nostros equites paene a senatu esse diiunctos; qui primum illud ualde grauiter tulerunt, promulgatum ex s. c. fuisse ut de eis qui ob iudicandum accepissent quaereretur. Qua in re decernenda cum ego casu non affuissem sensissemque id equestrem ordinem ferre moleste neque aperte dicere, obiurgaui senatum, ut mihi uisus sum, summa cum auctoritate et in causa non uerecunda admodum grauis et copiosus fui.

Cicéron, Ad Atticum, I, 17, 8.

Nous sommes ici dans une situation fausse, misérable, sans lendemain; vous avez su sans doute que les chevaliers se sont presque détachés du sénat. Leur mécontentement vient en premier lieu du décret d'information contre les juges qui ont reçu de l'argent. Je n'étais malheureusement pas au sénat lors de cette mesure. Je vis que l'ordre des chevaliers s'en offensait, bien qu'il n'en témoignât rien ouvertement. Je m'en plaignis au sénat de manière à produire, à ce qui me parut, une très grande sensation. La question était scabreuse; je la traitai d'une manière large et digne.


Le conflit qu'évoque ici l'orateur est fondamental, dans la mesure où il peut remettre en cause tout l'équilibre politique de Rome. Les Optimates et les Chevaliers sont en effet des alliés objectifs; mais l'ordre équestre peut, lorsqu'il est mécontent, se ranger près des Populares. César, qui n'a guère aimé les Chevaliers, cherchera cependant à leur plaire à partir de 59, et parviendra finalement à les détacher de Pompée; ce mouvement fondamental est amorcé dès 61.

Quoi qu'il en soit, la scission entre les sénateurs et les Chevaliers marque nettement l'échec de cette concordia ordinum, dont Cicéron avait fait son grand idéal politique.

Afflicta res p. est empto constupratoque iudicio. Vide quae sint postea consecuta. Consul est impositus is nobis* quem nemo praeter nos philosophos aspicere sine suspiritu posset. Quantum hoc uulnus ! facto s. c. de ambitu, de iudiciis, nulla lex perlata*, exagitatus senatus, alienati equites Romani. Sic iIle annus duo firmamenta rei p. per me unum constituta euertit ; nam et senatus auctoritatem abiecit et ordinum concordiam diiunxit.

Cicéron, Ad Atticum, I, 18, 3.

La vénalité et la prostitution se sont réunies pour accabler l'État d'un jugement funeste. Voyez ce qui a suivi : un consul s'est rencontré que personne, s'il n'est philosophe comme nous, ne peut voir sans pousser un soupir. Quelle plaie qu'un pareil homme ! On rend un sénatus-consulte contre la brigue et la corruption : mais on ne peut obtenir une loi pour le sanctionner. On vilipende le sénat. L'ordre des chevaliers s'en sépare. Ainsi cette année aura vu renverser à la fois les deux bases solides sur lesquelles j'avais, à moi seul, assis la république: elle a jeté bas l'autorité du sénat, et, des deux ordres, fait deux camps.-


* Consul est impositus nobis : Il s'agit de L. Afranius, un honnne, dit plus loin Cicéron, « lâche et sans coeur » ; en fait, un agent très docile de Pompée.
* Nulla lex perlata : legem perferre: Voter une loi. Les senatus consultes sur la fraude et les tribunaux n'avaient pas été votés par les comices: on n'écoutait donc plus le Sénat.

ILLE ANNUS... SENATUS AUCTORITATEM ABJECIT

Ainsi s'écroule une idée, qui était peut-être la seule possible pour sauver la République Romaine. Il faut maintenant laisser la parole aux Imperatores qui, pour l'heure, ont tout intérêt à s'entendre autour d'un banquier. La concordia imperatorum du « triumvirat » succède au rêve politique de l'intellectuel sans armées [César cependant avait demandé à Cicéron de « parrainer » le futur triumvirat, mais l'orateur avait décliné l’offre.]

A la fin de l'année 61, César, préteur en 62, va partir comme propréteur en Espagne Ultérieure; il vient de rembourser toutes ses dettes en empruntant d'un seul coup 830 talents à

Crassus (environ 25 millions de nouveaux francs). Les deux hommes sont ainsi liés l'un à l'autre et Crassus sera, bien sûr, le troisième du « triumvirat ».

En s'introduisant, en décembre 62, dans la fête de la Bona Dea, Clodius n'a sans doute pas changé l'histoire, mais il en a singulièrement facilité le cours.

III- QUELQUES ECHOS

 

1- DEUX ÉCHOS ANTIQUES

C'est toujours l'aspect moral de l'affaire que reprennent les auteurs postérieurs quand ils parlent de Clodius.

Et ils en parlent souvent: le tribun est entré dans une espèce de légende scandaleuse, qui sert, le plus souvent d'une manière symbolique, à dénoncer les vices d'une époque jugée rétrospectivement, et à tort, comme extrêmement vertueuse.

Atque utinam ritus ueteres et publica saltem
his intacta malis* agerentur sacra! Sed omnes
nouerunt Mauri atque Indi quae psaltria penem
maiorem, quam sunt duo Caesaris Anticatones*,
iIluc, testiculi sibi conscius unde fugit mus,
intulerit, ubi uelari pictura iubetur
quaecumque alterius sexus imitata figuras.
Et quis tunc hominum contemptor numinis? Aut quis
simpuuium ridere Numae nigrumque catinum
et Vaticano fragiles de monte patellas
ausus erat? Sed nunc ad quas non Clodius aras?

Juvénal, Satires, VI, v. 335-345.

Plût aux Dieux que la célébration des rites anciens et des cultes publics pût, du moins, rester à l'abri de ces maux. Mais tous les Maures et tous les Indiens savent quelle joueuse de flûte a introduit son membre, plus volumineux que les deux Anticatons de César, dans un endroit d'où fuit le rat, s'il prend conscience de ses testicules, et où l’on fait voiler toute peinture qui donne une image de l'autre sexe. Pourtant, à cette époque, quel homme méprisait la divinité ? Qui aurait osé rire de la coupe et du bassin noir de Numa, des fragiles vaisselles venues du mont Vatican ? Mais, maintenant, quel autel n'a pas un Clodius?

* His malis : Désigne les désordres que Juvénal vient de dénoncer à propos des mystères de la Bonne Déesse.
* Caesaris Anticatones : César avait rédigé, contre Caton d’Utique (P 2) et après sa mort, deux ouvrages qui répondaient à un éloge de Caton, publié par Cicéron. Présentés dans un seul volumen, ces deux ouvrages devaient constituer un rouleau de grande taille. Ils ont été perdus.

Le plus intéressant pour nous se trouve cependant dans la lecture que Sénèque a faite (T 14), à propos de cette affaire, de la correspondance de Cicéron, un siècle environ plus tard.

Pour le philosophe évidemment, le scandale est essentiellement moral; on se plaint, nous dit-il, de son propre temps, mais il faut savoir regarder le passé; il y a toujours eu, et il y aura toujours, des Clodius, c'est-à-dire des sacrilèges, des impies, des débauchés, des dévoyés; ils peuvent même se manifester en même temps que les esprits les plus vertueux.

TABLEAU 14 (T 14) – SÉNÈQUE

Né en 4 av. J.-C. à Cordoue, mort en 65 ap. J.-C. à Rome. Tente une carrière politique, est exilé en Corse (41-48) par Messaline, puis devient, à la demande d’Agrippine et avec Burrhus, le précepteur du jeune Néron. Conseiller tout-puissant de l'empereur, il se rend suspect par ses rapports avec Pison, et doit s'ouvrir les veines en 65.
De son oeuvre très importante, il nous reste des Dialogues Philosophiques, des Consolations, un ouvrage satitique dirigé contre Claude, des tragédies et les 120 Lettres à Lucilius.
Texte extrait de la Lettre 97 (Livre 16). Elle montre assez bien comment Sénèque « fait de la morale une science expérimentale et intuitive » (R. Chevallier). On peut y remarquer aussi, à travers l'apparent désordre, un art remarquable de la persuasion, fruit de toute une vie consacrée à la direction de conscience.

Au fil de son développement cependant, le philosophe ne retient plus qu'un seul point: la corruption des juges par le recours à l'adultère. Le propos, déjà restreint, se trouve ainsi réduit à un fait très particulier. Les problèmes d'argent, pourtant fondamentaux et tout aussi éternels, l'utilisation des caisses noires, les tractations et compromissions de tous ordres, le grouillement politique et financier, le trafic d'influence autour des 31 juges, tout cela se résume simplement dans la boutade finale du vieux Catulus.

De même le peu d'importance que l'on accorde au sacrilège est totalement passé sous silence. Le fait, par exemple, que Cicéron ne parle jamais dans ses lettres du viol des mystères sacrés par Clodius, alors qu'il développe abondamment ce thème dans ses discours, en dit long sur le degré de formalisme qui régnait dans les cérémonies sacrées: on punissait une atteinte aux règles plutôt que le mépris des dieux. Pourtant, la religiosité du peuple de Rome restait profonde; l’argument demeurait donc valable pour le public, même si Clodius n'est pas devenu aveugle, et même si l'orateur ne se scandalise pas en privé de l'atteinte portée à la Bona Dea.

En fait, tout est ramené, chez Sénèque, au thème, très littéraire et très édifiant, de l'adultère effacé par l'adultère; comme si l'adultère n'avait pas été monnaie très courante à l'époque de Cicéron, comme si la loi sur les divorces n'avait pas instauré ce qu'on pourrait appeler l'adultère légal, comme si Caton, par exemple, n'avait pas répudié, puis réépousé, Marcia, après qu'un mariage intermédiaire plus fructueux fut venu rehausser sa dot! (T 15).

A vrai dire, la plaidoirie du vertueux stoïcien ne finit-elle pas par justifier les moeurs, tout aussi désastreuses, de son époque ?

TABLEAU 15 (T 15) – DIVORCES ET ARGENT A LA FIN DE LA REPUBLIQUE.

A - LES DIVORCES.
A l'époque de Cicéron, « les répudiations sans motif étaient devenues monnaie courante. Les nobles, à l'ordinaire. se mettent à compter chacun plus de femmes que d'enfants; et après Sulla, selon les convenances de leur politique, ou l'intérêt de leur bourse ou leur simple caprice, Pompée, Cicéron, César, Caton ont divorcé au moins une fois, sans d'ailleurs que la place que tiennent leurs épouses dans leur existence supprime toujours celle qu'occupent, à côté, les hétaïres en vogue. Catilina, Clodius, Marc Antoine, entretiennent des mimae et des danseuses, et le vertueux Cicéron, qui fulmine en public contre leur impudence, ne dédaigne pas, dans le privé, de souper joyeusement avec leurs maîtresses". (Carcopino, Jules César, Paris, 1935-1968, p. 120).

B - L'ARGENT
En fait, les problèmes d'argent et le rôle essentiel qu'ils jouent dans la vie politique sont encore plus scandaleux et marquent encore plus la décomposition d'un régime à l'agonie. Quelques exemples:
1 - ATTICUS, pendant les guerres civiles, trafique de terrains et de prêts en Grèce; il vend des armes aux deux partis selon leurs offres.
2 - BRUTUS, si austère, prête aux Salaminiens des sommes énormes au taux de 48 % (taux légal: 12 %). Au bout de six ans, il réclame 200 talents pour les 53 qu'il a prêtés.
3 - CATON, si vertueux, revient de sa gestion à Chypre avec des sommes considérables et une comptabilité en règle; elle a même été établie en double! Malheureusement, le double, remis à un affranchi qui s'est noyé accidentellement, est perdu dans le fond d'un fleuve d'Orient; quant à l'original, il a été brûlé, avec les bagages de Caton, par des marins imprudents qui voulaient se réchauffer les mains sur une plage de Corfou ! Aucune vérification n'est donc plus possible.
4 - CICERON ne cesse, comme César, d'emprunter de l'argent, et ne défend que les hommes d'affaires. Peut-il vraiment choisir ses causes et défendre le parti de la liberté, comme il le déclare, s'il est tenu en laisse par ses besoins financiers? Sa profession d'avocat ne devrait, par ailleurs, rien lui rapporter (T 12).
5 - CRASSUS, dit LE RICHE, possède en Espagne des mines d'argent et pille les temples de Syrie; il place des fonds dans de nombreuses sociétés; il est le premier grand spéculateur immobilier connu, puisqu’il rachète à bas prix les maisons de Rome détruites par le feu, afin d'en rebâtir de plus belles, qu'il louera au prix fort ; quand le feu éclate, on peut d'ailleurs faire appel aux vigiles, pompiers officiels, ou aux esclaves pompiers de Crassus !

 

Erras, mi Lucili, si existimas nostri saeculi esse uitium luxuriam et neglegentiam boni moris et alia quae obiecit suis quisque temporibus. Hominum sunt ista, non temporum : nulla aetas uacauit a culpa. Et si aestimare licentiam cuiusque saeculi incipias, pudet dicere, numquam apertius quam coram Catone peccatum est. Credat aliquis pecuniam esse uersatam in eo iudicio, in quo reus erat Clodius ob id adulterium, quod cum Caesaris uxore in operto commiserat uiolatis religionibus eius sacrificii quod pro populo fieri dicitur, sic summotis extra consaeptum omnibus uiris ut picturae quoque masculorum animalium contegantur ? Atque dati iudicibus nummi sunt et, quod hac etiamnunc pactione turpius est, stupra insuper matronarum et adulescentulorum nobilium stillari loco exacta sunt*. Minus crimine quam absolutione peccatum est : adulterii reus adulteria diuisit nec ante fuit de salute securus quam similes sui iudices suos reddidit. Haec in eo iudicio facta sunt in quo, si nihil aliud, Cato testimonium dixerat. Ipsa ponam uerba Ciceronis quia res fidem excedit: Ciceronis Epistularum ad Atticum liber I* « Accersiuit ad se, promisit, intercessit, dedit. Iam uero – o di boni, rem perditam ! – etiam noctes certarum mulierum atque adulescentulorum nobilium introductiones nonnullis iudicibus pro mercedis cumulo fuerunt. » Non uacat de pretio queri, plus in accessionibus fuit. « Vis seueri illius uxorem ? dabo ilIam. Vis diuitis huius ? huius quoque tibi praestabo concubitum. Adulterium nisi feceris, damna. IlIa formonsa quam desideras, ueniet ; illius tibi noctem promitto nec differo : intra comperendinationem fides promissi mei stabit. » Plus est distribuere adulteria quam facere : hoc uero matribus familiae denuntiare est. Hi iudices Clodiani a senatu petierant praesidium, quod non erat nisi damnaturis necessarium, et impetrauerant. Itaque eleganter illis Catulus absoluto reo : « Quid uos » inquit « praesidium a nobis petebatis ? an ne nummi uobis eriperentur ? » Inter hos tamen iocos inpune tulit ante iudicium adulter, in iudicio leno, qui damnationem peius effugit quam meruit. Quicquam fuisse corruptius illis moribus credis, quibus libido non sacris inhibcri, non iudiciis poterat, quibus in ea quaestione quae extra ordinem senatusconsulto exercebatur, plus quam quaerebatur, admissum est ? Quaerebatur an post adulterium aliquis posset tutus esse: apparuit sine adulterio tutum esse non posse. Hoc inter Pompeium et Caesarem; inter Ciceronem Cato- nemque commissum est. Et fient et facta sunt ista, et licentia urbium aliquando disciplina metuque, numquam sponte considet. Non est itaque quod credas nos plurimum Iibidini permisisse, legibus minimum. Longe enim frugalior haec iuuentus est quam illa, cum reus adulterium apud iudices negaret, iudices apud eum confiterentur, cum stuprum committeretur rei iudicandae causa, cum Clodius, isdem uitiis gratiosus quibus nocens, conciliaturas exerceret in ipsa causae dictione. Credat hoc quisquam ? qui damnabatur uno adulterio, absolutus est multis. Omne tempus Clodios, non omne Catones feret.

Sénèque, Epistulae ad Lucilium, XVI, 97, 1-3.

Tu te trompes, cher Lucilius, si tu regardes comme un vice propre à notre siècle la soif du plaisir, l'abandon des bonnes mœurs et autres désordres que chacun reprocha toujours à ses contemporains.[154] Tout cela tient aux hommes, non aux temps, aucune époque n'a été pure de fautes. Suis de siècle en siècle l'histoire de la corruption, je rougis de le dire, mais jamais elle n'agit plus à découvert qu'en présence de Caton. Croira-t-on que l'or joua un si grand rôle dans la cause où Clodius était accusé d'adultère ostensiblement commis avec la femme de César en profanant la sainteté d'un de ces sacrifices qui s'offrent pour le salut du peuple, en un lieu où l'aspect seul d'un homme est si sévèrement interdit que jusqu'aux peintures d'animaux mâles y sont voilées? Eh bien, de l'or fut compté aux juges; et, chose plus infâme qu'un tel pacte, la jouissance de patriciennes et d'adolescents nobles fut exigée comme supplément de prix. Le crime fut moins révoltant que l'absolution. L'accusé d'adultère se fait distributeur d'adultères et n'est assuré de son salut qu'en rendant ses juges semblables à lui. Voilà ce qui s'est fait dans une cause où, n'y eût-il pas eu d'autre frein, Caton avait porté témoignage. Citons les paroles mêmes de Cicéron, car le fait passe toute croyance: « Il a mandé les juges, il a promis, il a cautionné, il a donné. Bien plus, bons dieux, quelle horreur! des nuits de femmes qu'ils désignèrent, et de nobles adolescents qu'on dut leur amener, tel a été, pour quelques juges, le pot-de-vin du marché.[155] « Ne disputons pas sur le prix : l'accessoire fut plus monstrueux. Tu veux la femme de cet homme austère? je te la donne. De ce riche? je la mettrai dans ton lit. Si je ne te procure pas l'épouse de cet autre, condamne-moi. Cette belle que tu désires, elle viendra; je te promets une nuit de cette autre, et je ne serai pas long : dans les vingt-quatre heures ma promesse sera tenue. Distribuer des adultères, c'est faire pis que de les commettre: l'un est pour de nobles dames une injonction méprisante, l'autre un jeu de libertin. Ces juges, si dignes de l'accusé, avaient demandé au sénat une garde, qui n'était nécessaire qu'en cas de condamnation, et l'avaient obtenue, ce qui leur valut ce mot piquant de Catulus, après l'absolution: « Pourquoi nous demander une garde? Craigniez-vous qu'on ne vous reprit l'or de Clodius? » Mais ces plaisanteries n'empêchaient pas l'impunité d'un homme adultère avant le jugement, courtier de prostitution pendant qu'on le jugeait, qui, pour échapper à son arrêt, avait fait pis que pour le mériter. Crois-tu qu'il y ait eu rien de plus corrompu que ces mœurs, quand ni religion ni justice n'arrêtaient la débauche, qui dans cette même enquête, suivie extraordinairement par décret du sénat, consommait de plus graves attentats que ceux qu'on recherchait? Il s'agissait de savoir si après l'adultère on pouvait être en sûreté; il fut reconnu qu'on ne pouvait l'être qu'au moyen de l'adultère. Et ceci s'est commis sous les yeux de Pompée et de César, sous les yeux de Cicéron et de Caton, de ce Caton, disons-nous, en présence duquel le peuple n'osa demander, aux jeux floraux, qu'on fît paraître les courtisanes nues. Crois-tu les hommes d'alors plus austères comme spectateurs que comme juges? Tout cela se verra, tout cela s'est vu; et l'immoralité des villes, momentanément contenue par les lois et la crainte, ne s'arrêtera jamais d'elle-même. Ne va donc pas te figurer que la débauche soit aujourd'hui plus autorisée et les lois moins libres d'agir. De nos jours, la jeunesse est bien plus retenue qu'au temps où un accusé se défendait d'un adultère devant ses juges, tandis que les juges s'avouaient coupables du même crime devant l'accusé ; lorsque pour juger l'infamie on la commettait; lorsqu'un Clodius, plus en crédit que jamais par les vices qui l'avaient rendu criminel, se faisait entremetteur au moment où se plaidait sa cause. Qui le croira? Un seul adultère l'eût fait condamner ; sa complicité dans plusieurs le fit absoudre. Tout âge aura ses Clodius, mais tout âge n'aura point ses Catons.

 

VOCABULAIRE 15 (V 15)

Stupra … exacta sunt : On a exigé en plus que soient à l'occasion distillés des contacts déshonorants avec des matrones et des jeunes gens de la noblesse.
Ciceronis... liber I : Citation extraite par Sénèque de la lettre à Atticus (l, 16, 5) (T 4, V 7). La suite (de « vis severi illius » à « stabit » est un commentaire de Sénèque ; la citation ne reprend que pour le mot de Catulus.
Intra comperendinationem fides promissi mei stabit : Dans trois jours, j'aurai honoré ma promesse.
Haec juventus : Notre jeunesse ≠ illa, celle de ce temps-là.

Mais le plus étonnant dans ce passage est certainement l'idée que Sénèque paraît se faire de la République au premier siècle.
Pour lui, rien n'a changé depuis les débuts: les Cincinnatus, les Fabricius, et les vieux Catons sont toujours là., sous d'autres noms. Les lois sont respectées, les mœurs idéales, et le philosophe utilise ce fond de lin blanc pour faire mieux ressortir les vices de Clodius et de ceux qui le défendaient; ces défenseurs pourtant, c'était César, Pompée par instants, Crassus, et quelques autres ; et pour Caton lui- même, Clodius n'était sans doute qu'un représentant trop turbulent du parti des lmperatores.

Tout ce que remue une affaire de ce genre, les calculs financiers, les peurs, les intérêts et les pressions politiques, en constitue justement l'aspect, hélas, éternel, et donne une tout autre idée de la République Romaine et de ses hommes à l'époque de Cicéron. La corruption des moeurs n'est qu'une des conséquences de la décomposition générale des institutions, car tout se tient en ce domaine et les individus au pouvoir – et ils y sont tous à des titres divers – luttent déjà bien plus pour des intérêts particuliers – le plus souvent d'ailleurs financiers – que pour le fameux salus urbis dont parle si souvent Cicéron.

Le jugement du moraliste nous apparaît donc bien fragmentaire et bien incomplet. Le passé ne doit pas servir de caution au présent, il doit plutôt lui servir de leçon; c'est pourtant une idée romaine.


2 - UN ECHO MODERNE : BERTOLD BRECHT

Cette idée semble précisément marquer aussi l'oeuvre de Bertold Brecht.

BERTOLD BRECHT

Né à Augsbourg (Bavière) en 1898, mort à Berlin (RDA) en 1956. Quitte l'Allemagne nazie en 1933, vit successivement en Autriche, en France, en Finlande, au Danemark, aux U.S.A. et en Suisse ; obtient en 1950 la nationalité autrichienne, mais s'installe, dès 1948, en RDA, où il dirige le « Berliner Ensemble », qu'il a créé. Marxiste, ennemi acharné de tous les fascismes, poète, dramaturge et théoricien de l'art dramatique, Brecht a exercé une très forte influence sur le théâtre populaire contemporain.

Ses principales oeuvres sont : "L'Opéra de Quatre Sous" (I928), "Le Brave Soldat Schweik" (1928), "L'Exception et la Règle" (1930), "La Résistible Ascension d'Arturo Ui" (1934), "Les Fusils de la Mère Carrar" (1937), "Mère Courage" (1938), "Grand'Peur et Misères du IIIème Reich" (1938), "Galilée" (1947), "Maître Puntila et son valet Matti" (1948), "Le Cercle de Craie Caucasien" (1955). Brecht n'a écrit que deux romans: "L'Opéra de Quat' Sous" (1952, publié en France) et "Les Affaires de Monsieur Jules César" (1959, en France).


Dans "Les Affaires de Monsieur Jules César", un roman publié après sa mort, et malheureusement inachevé, le grand dramaturge décrit l'ascension politique de César en insistant sur le rôle qu'y jouent les financiers et les banquiers, afin de montrer comment les questions économiques et les problèmes d'argent guident le cours de l'histoire et prennent la place des héros.

Evoquant les évènements de Mai 61, Brecht suppose que le dénouement de l'affaire Clodius donne à César l'occasion de trouver les 30 millions qui lui sont nécessaires pour quitter Rome et commencer en Espagne sa vraie carrière. Comme ses créanciers refusent de le laisser partir s'il ne peut d'abord les rembourser ou leur fournir une caution valable, César va contraindre Crassus à le soutenir en le menaçant de mettre au jour sa complicité financière avec Catilina. Mais les documents qui peuvent compromettre le banquier sont entre les mains de Clodius; pour les obtenir, César acceptera de prendre sa défense au moment du procès. Ainsi, en Mai 61, Crassus paie, Clodius est libre, et César peut quitter Rome.

C'est Mummlius Spicer, un personnage inventé par l'auteur, qui raconte l'affaire quarante ans plus tard à un historien venu l'interroger.

Il [César] avait dû répudier Pompeira, sa femme. Un terrible scandale venait en effet de se produire, auquel était mêlé Clodius. Les fêtes en l’honneur de Ceres, qui étaient célébrées par les femmes nobles et les Vestales, et dont les hommes étaient strictement exclus, avaient eu lieu cette année dans la maison de C. [César], puisqu'il était Préteur. Pour coucher avec Pompeia, Clodius s'était introduit dans la maison, déguisé en femme. Il avait été démasqué et attendait que vînt le procès qui lui avait été intenté pour sacrilège.
C. [César] tenait à sa femme. Clodius, le "Pommadin" comme l'appelle Rarus [esclave de César, inventé par l’auteur], avait en vain cherché à l'apaiser en alléguant que c'était à cause de Clodia, sa propre sœur, avec qui il avait une liaison connue de tout Rome, qu'il s'était faufilé dans la maison. Uniquement à cause de sa soeur. Parce qu'il était jaloux de l'amitié de Clodia pour Pompeia, C. l'avait jeté dehors et avait envoyé à Pompeia la lettre de répudiation. Quand je revins le soir, je fus malheureusement mêlé, moi aussi, à cette affaire désagréable. J'avais amené mes gens et apporté une décision de justice, en vertu de laquelle j'avais pouvoir de m'opposer au départ de C. Avant d’entrer, je postai une cinquantaine d 'hommes autour de l'immeuble. Je savais que C. était très prompt quand il se sentait en danger.
Je me fis d'abord présenter les documents établissant combien la Province d'Espagne rapportait par an à l'Etat. Ces revenus (douanes, impôts, tributs) s'élevaient à environ vingt cinq millions. L'affaire était sans espoir.
« Pour l'Espagne, c’est beaucoup » dis-je. « Comment voulez-vous, dans ces conditions, tirer de ce pays, en sus d'une telle somme, beaucoup d'argent pour vous personnellement ? » – « Je le ferai, parce qu'il me le faut. » – « Vous en tirerez dix millions » dis-je. Après quoi, vous aurez des procès sur les bras » – « J’en tirerai vingt » dit-il, et il n'y aura pas de procès. Je briguerai le consulat sans quitter l'Espagne ».
C'est en entrant dans les détails que nous en vînmes à parler de sa rupture avec Clodius. Le seul homme qui pût encore aider C., c'était Crassus. Et il n'y avait qu’un moyen, et un seul, d'amener Crassus à fournir cette aide: se rabattre une fois de plus sur l'affaire Catilina, presser une fois de plus ce citron. C., pour l’heure, était encore Préteur. Il pouvait citer Crassus devant le tribunal. C'est lorsque se posa la question des preuves que nous tombâmes sur le nom de Clodius.

On fait donc venir Clodius.

Les deux hommes se saluèrent froidement, mais la conversation s'engagea vite. Clodius avait besoin, dans son procès, de la déposition de C., et il était prêt à payer en fournissant, en contrepartie, les charges contre Crassus. Nous venions d'aboutir à cet accord lorsqu'entra la mère de C.. C'était une petite vieille très distinguée, mais qui avait la langue bien pendue. Quand elle aperçut, en compagnie du mari trompé, l’homme qui avait deshonoré sa famille, elle ne se maîtrisa plus. Elle dit ce qu'elle pensait non seulement de Clodius, mais de son fils. Elle dit qu'elle attendait de lui qu'il flanquât ce type-là dehors. Ses expressions étaient même sensiblement plus vigoureuses. Je fus surpris d'entendre les locutions que l'aristocratie pouvait employer pour défendre l'honneur familial.
C., qui avait besoin de Clodius, était en pénible posture. Il se montra à la hauteur de la situation. A sa mère, qui demandait s'il avait l'intention de faire passer ses « sales affaires » avant son honneur, il répondit avec force et dignité: « Parfaitement ». Il se refusa énergiquement à laisser des sentiments privés intervenir dans les questions politiques. Ses phrases concises me donnaient l'impression qu'il avait bien la conviction, à ce moment même, de faire passer le destin de l'empire avant le sien propre. Sa mère, muette d'étonnement, n'eut sans doute pas le même sentiment que moi: elle quitta la pièce.
Le marché fut conclu; je partis avec Clodius pour aller chercher les documents, et C. fit appeler Crassus.

La version que donne Brecht n'est cependant qu'une extrapolation possible, sinon convaincante, imaginée à partir de faits dont le détail nous est totalement inconnu.

On doit sans doute, et plus simplement, penser que César avait besoin de Clodius, de ses bandes, et de ses « indics »; quant à Crassus, qui ne fut jamais un ami de Pompée, l'intérêt politique et le sens des affaires le rapprochaient naturellement de César; loin de céder à un chantage, il pariait avec audace et délibérément sur l'avenir: César vainqueur le rembourserait largement ou resterait un puissant débiteur. Mais Crassus fut tué par les Parthes, et César resta seul avec l'argent et le pouvoir. Quel roman ne pourrait-on imaginer encore autour de la mort de Crassus?

Même si, dans ce passage, l'imagination du poète et ses convictions politiques l'emportent manifestement trop sur son sens historique, il n'en reste pas moins que les « res gestae » des grands hommes deviennent ici des « negotia », ce que Brecht voulait certainement faire sentir. Mais le « roman de César » nous montre aussi combien l'histoire de Rome reste vivante et, d'une manière ou d'une autre, exemplaire.


LE TEMOIGNAGE DE SUETONE...

A l'issue de sa préture, le sort lui (César) lui attribua l'Espagne Ultérieure; retenu par ses créanciers, il se débarrassa d'eux en se faisant cautionner, puis, contrairement à l'usage et à la loi, il partit sans attendre que les nouveaux gouverneurs fussent pourvus du nécessaire, peut-être parce qu'il redoutait les poursuites dont il était menacé dans l'intervalle entre ses deux charges… [Divus Julius, XVIII].

…ET CELUI DE PLUTARQUE

Aussitôt après sa préture, César reçut la province d'Espagne. Comme il ne parvenait pas à un arrangement avec ses créanciers qui, le voyant sur le point de partir, l'assiégeaient de leurs réclamations et de leurs cris, il eut recours à Crassus, le plus riche des Romains, qui avait besoin de la force et de l'énergie de César dans la lutte politique qu'il menait contre Pompée. Crassus se chargea des créanciers les plus difficiles et les plus intraitables, et se porta garant pour huit cent trente talents ; César put alors partir pour sa province. [César, 11, 1-2].


ILLUSTRATIONS

Torse d'Hercule trouvé près du Forum Boarium
Temple d'Hercule Vainqueur sur le Forum Boarium
La Bona Dea
Patricien portant deux bustes d'ancêtres
Caton le Jeune, buste trouvé à Volubilis
Tête de Pompée du Musée de Copenhague
Buste de César trouvé à Tusculum, musée d'Aglie
Denier à l'effigie de César
Denier à l'effigie de Pompée
Buste de Cicéron, Florence, musée des Offices

Scène de vote sur un denier frappé par L. Licinius Nerva
Scène de vote sur un denier grappé par Cassius Longinus
Provocatio, sur un denier frappé par P. Porcius Laeca
Rome au IVe siècle, maquette du musée de la Civilisation romaine
Cicéron, Musée des Offices, Florence
Harpe, cithare et lyre
Trois bustes de Cicéron
Trois bustes de César
Le Forum vu du Capitole
La Curie, état actuel: façade et intérieur.


 

Rome Forum Le Forum romain

 

Hercule Boarium

Temple d'Hercule vainqueur sur le Forum Boarium, élevé vers 100 av. J.-C, restauré à l'époque d'Auguste.

Ce temple, d'une conservation exceptionnelle, a été érigé par le commerçant d'huile M. Octavius Herennus (Hercule Vainqueur fut ironiquement rebaptisé par le peuple "Hercules Olivarius"!) L'absence de podium montre l'influence grecque.

L'Hercule romain, divinité originale, est le protecteur du grand commerce et un dieu qui donne la victoire. Jusqu'à l'Empire, le rite persista de lui offrir la dîme des bénéfices du commerce ou du butin de guerre. Mummius, le vainqueur de Corinthe (146 av. J.-C.), Sylla et d'autres luivouèrent un culte.

 

Bona Dea

Bona Dea

statuette aujourd'hui perdue

 

Patricien

Patricien portant deux bustes d'ancêtres

"Statue Barberini (époque d'Auguste). Rome, Musée des Conservateurs.
La tête du patricien est antique, mais n'est pas d'origine.

Les images des ancêtres accompagnent le convoi funèbre d'un patricien; ordinairement, elle sont rangées dans l'atrium. Avoir l'atrium de sa maison rempli "d'images enfumées" (Sénèque) est un signe de vieille noblesse?

 

Pompée

Tête de Pompée

Trouvée à Rome au sépulcre des Licini. Musée de Copenhague.

Les portraits conservés de Pompée sont rares. Les monnaies siciliennes émises par son fils Sextus Pompée ont permis l'identification du buste de Copenhague.

Il existait un autre type (Pompée vers 60?), qui est représenté par un portait conservé au Musée archéologique de Venise (réplique du Ier s., restaurée).

 

César Aglie
César Pise
César Berlin
Trois portraits de César
Type réaliste. Castello d'Aglie
Type idéalisé. Pise, Campo Santo
Type égyptien. Musée de Berlin

 

César denier Denier Pompée
Denier à l'effigie de César. Légende: "Caesar Dict[ator] quar[um]" : César dictateur pour la quatrième fois.

Denier à l'effigie du Grand Pompée. Légende : Magnus Imp[erator] Iter[um]" : Le Grand [Pompée] imperator pour la seconde fois.

A gauche de César et à droite de Pompée se trouve le lituus, bâton sans noeud, dont l'extrémité supérieure est recourbée: c'est l'insigne des augures. A gauche de Pompée, l'urceus, vase à eau servant pour les sacrifices. Sur d'autres monnaies de César, le lituus figure près de l'urceus et de la hache (securis), qui sont des insignes du pontificat.
(Paris, BN, Cabinet des Médailles)

 

Cicéron buste

Cicéron (Florence, Musée des Offices)

Il existait de nombreux portraits de Cicéron dans le monde romain. Il semble que les portraits conservés se ramènent à trois types: le premier type dériverait d'un portrait idéalisé datant de 60 av. J.-C. (buste d'Apsley House, époque de Trajan); le deuxième dériverait d'un bronze de 50 av. J.-C. (Musée du Vatican, copie du IIe siècle); le troisième dériverait d'un original de 43 av. J.-C. environ (exemplaires du Musée du Capitole, d'époque augustéenne, et du Musée de Florence, d'époque flavienne). Certains rattachent le portrait de Florence à l'original de 60 environ.

 

Denier Nerva
Denier Longinus
Denier Laeca
Denier frappé par L. Licinius Nerva (Paris, BN, Cabinet des Médailles). Le revers de ce denier frappé vers 105 av. J.-C. représente le pont qui donne accès à l'urne et fait communiquer le saeptum avec l'ovile (cf. T 8). Un citoyen s'engage sur la passerelle et reçoit son bulletin de vote; un autre dépose son bulletin dans l'urne. Derrière, deux lignes font barrière, évoquant le saeptum. Le monétaire entend rappeler que c'est un membre de sa famille, le tribun C. Licinius Crassus qui, en 145, rassembla le premier le peuple dans une enceinte clôturée pour le vote des comices.
Denier frappé par Cassius Longinus. Le dépôt d'un bulletin dans l'urne. La provocatio. Denier frappé par P. Porcius Laeca. Le revers représente un soldat (au centre), derrière lui, un licteur; le soldat tend la main vers un citoyen en toge, figurant le peuple auquel il fait appel (provoco). Le monétaire veut rappeler les "leges Porciae", lois de Caton l'Ancien (gens Porcia), qui autorisaient, entre autres prescriptions, un soldat citoyen à faire appel d'une punition de mort prononcée par le général. Cicéron déplorait cette retriction apportée à l'imperium (De Legibus, III, 3, 6).

 

Harpe lyre Harpe, cithare, lyre

 

Curie ext
Curie intérieur
Le Curie, siège du Sénat (façade et intérieur actuels)
La vénérable Curia Hostilis, attribuée au troisième roi de Rome, fut reconstruite ou restaurée à diverses époques. César la rebâtit et en changea l'orientation; Auguste l'acheva. L'édifice actuel date de Dioclétien. Transformée en église au VIIe siècle, la Curie fut remise dans son était ancien en 1930-1936, mais les battants de bronze de sa porte continuent de fermer l'entrée pricipale de Saint-Jean de Latran. Les marbres et les stucs qui recouvraient la brique ont disparu. L'intérieur est solennel (27 m x 18, hauteur 20 m). Les côtés sont garnis de trois gradins sur lesquels se trouvaient les sièges de bois des sénateurs. Au fond, un podium bas, pour la présidence. Le pavage est en marbre polychrome. Près de l'entrée se trouvaient un autel et une statue de la Victoire.

Publié comme Supplément au Bulletin n° 15 de l’Association Régionale des Enseignants en Langues Anciennes
de l’Académie de Besançon (ARELAB), Besançon, 1980, 47 pages, ill.


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