
ACTIVITÉS DE LA SAISON 2024-2025
Première partie, le jeudi 26 septembre 2024 Pour les 70 ans de notre section locale, qui vit le jour le 23 novembre 1954, la séance de rentrée s'est voulue à la fois commémorative et festive.
Après la rétrospective de la saison 2023-2024, le bilan financier et l'annonce de la prochaine saison, Catherine Malissard, notre présidente, a ensuite rendu hommage aux quatre anciens présidents : Germain Martin, président fondateur, durant 10 ans, Lionel Marmin de 1965 à 1988, Alain Malissard qui, de 1989 à 2014, précède de peu L. Marmin dans la longévité dans le poste, et Bertrand Hauchecorne, actuel président d'honneur, excusé de ne pouvoir être présent. La présidente s'est ensuite adressée à Jean Nivet, ancien secrétaire et vice-président, actuel vice-président d'honneur; elle a rendu un hommage ému et appuyé à ce budiste présent depuis la fondation, attaché à l'esprit de l'association et d'une grande efficacité. Après un intermède littéraire festif, la commémoration s'est poursuivie par une invitation à la mairie, clôturée par un cocktail, en présence d'un représentant du maire-adjoint à la culture, William Chancerelle, qui s'était trouvé dans l'impossibilité d'être présent. Après le discours du représentant de la mairie, insistant sur l'intérêt d'avoir à Orléans une association comme "Budé" faisant preuve d'une exigence dans la pensée et les contenus, C. Malissard a repris la parole pour insister avec émotion et détermination sur la nécessité de tenir sans cesse le fil de l'Humanisme. Pour terminer, Diane Cuny a tenu à reprendre la parole afin de rendre un hommage à la belle personne qu'était Alain Malissard, non seulement pour son envergure intellectuelle, mais aussi et surtout pour la gentillesse et la simplicité qui constituaient son charisme. En intermède entre la réunion de rentrée et la mairie, dans un spectacle musclé et jubilatoire à son image, Christian Massas a interprété Un cœur sous une soutane, nouvelle de jeunesse méconnue d'Arthur Rimbaud, éditée dans la seule collection de la Pléiade. Mise au tiroir pendant 35 ans pour anticléricalisme, puis ressortie par André Breton pour "ennuyer" la famille qui voulait faire passer Rimbaud pour croyant, cette œuvre contient déjà tout l'humour et la poésie de Rimbaud. C. Massas est un acteur culturel d'Orléans depuis plus de quarante ans, connu aussi sous son nom de clown, Amédée Bricolo, atypique car sans gros nez ni grimage habituels et jamais au cirque mais au théâtre. Le mime, l'acrobatie et le jeu d'acteur sont sa triple formation de base, qu'il investit en bloc dans le comique et le travail de clown. Mais, depuis vingt ans, avec un diplôme d'État de professeur de théâtre de conservatoire, il enseigne au Conservatoire d'Orléans, dans un esprit d'ouverture et de recherche permanente. Professeur à temps partiel – pour pouvoir continuer à jouer, ainsi qu'à écrire des pièces et mettre en scène – il a joué en plusieurs langues, dans plus de quarante pays aux quatre coins du monde, s'imposant aussi devant des publics non préparés. Par amour de la littérature, il a monté maintes fois des textes de Novarina, Kafka, Beckett, Pirandello entre autres et interprété de grands auteurs au cours de lectures très personnelles, inspirées et animées. Un cœur sous une soutane raconte, sous forme de monologue, les premiers émois amoureux d'un jeune séminariste – comme Rimbaud a dû en rencontrer – alliés à une peinture, féroce jusqu'aux détails scabreux, de la bourgeoisie et de l'église de son temps, rejetées jusqu'à la nausée par Rimbaud dans ses écrits. L'interprétation brillante – et par cœur ! – de C. Massas, faisant appel à toutes les ressources du jeu – intonation, mimiques et pantomime – le métamorphose sous nos yeux en adolescent boutonneux étriqué et exalté, mêlant dans un même élan l'adoration de la petite bourgeoise à celle de la Vierge Marie et gambadant sur la scène en retroussant sa soutane. Il incarne ainsi toute la force de satire et de dérision du texte et c'est une comédie grinçante qu'il nous livre. Moments commémoratifs et ludiques conjugués, c'était une belle soirée de rentrée. C. Spenlé-Calmon Seconde partie, le vendredi 22 novembre 2024
Ce concert-conférence, proposé par DAPHNE CORREGAN et CAROLINE COLOMBEL-GENES, ressuscite les Ladie's concerts initiés par des compositrices dans les salons aristocratiques anglais de la fin du 18e au début du 19e. Daphne Corregan, soprano, a obtenu avec brio au sein du Conservatoire d'Orléans d'abord un Diplôme de Fin d'Etudes, principalement voix soliste et instrument, puis un 1er Prix de Perfectionnement lyrique. Elle mène de front et avec rigueur sa carrière et l'enseignement du chant. Son répertoire embrasse tous les aspects du chant lyrique jusqu'à la musique contemporaine, en concerts solistes, dans des formations de qualité dont La Rêveuse et les Folies Françoises, des opéras ou des collaborations la menant sur des sentiers originaux. La harpiste Caroline Colombel-Genest est détentrice aussi à l'unanimité du jury d'un DFE de harpe au Conservatoire de Boulogne-Billancourt et d'un Capes d'enseignement musical et choral. Elle se produit dans des ensembles et des orchestres symphoniques comme celui d'Orléans, où elle enseigne depuis deux ans. Sa curiosité la poussant à sortir des sentiers battus, elle s'est produite à travers la France pendant dix ans au sein de l'excellent ensemble Naccara, unique en son genre car comprenant pas moins de six harpes. Elle participe aussi au Symposium de la harpe en Pays de Galles. Étendant les Ladie's concerts hors de Grande-Bretagne, notamment en France, les musiciennes ont offert, tant par leur qualité que celle des airs interprétés, un merveilleux moment musical de grande tenue, empli de douceur et non sans humour, car avec un parti pris féministe très malicieux. En effet beaucoup de ces compositrices, quoique reconnues et célébrées pour leur talent, ont été amenées à abandonner leur carrière pour celle de leur mari ou sont tombées dans l'oubli après leur mort, personne, dans une sphère musicale très masculine, n'ayant eu à cœur de perpétuer leur mémoire. Elles ont donc interprété quatre Canzonets d'Elisabeth Pym Cumberland (1779-1840) harpiste dont la biographie, hélas, reste à faire ; puis Elévation de Louise Farrenc (1804- 1875), très active dans l'édition musicale, connue et soutenue par les plus grands musiciens de son temps pour ses talents de pianiste, compositrice et – chose rare – professeur au Conservatoire de Paris et dont le mari, musicien aussi, conscient de ses dons exceptionnels, se fit l'impresario. Le concert s'est poursuivi avec un Nocturne et une Romance de la compositrice française Pauline Duchambge (1776-1858) sur des poèmes de Marceline Desbordes-Valmore. Élève de Cherubini et compagne d'Auber, elle eut beaucoup de succès de son vivant et mit en musique les grands écrivains qu'elle fréquentait, dont Hugo, Chateaubriand, Lamartine, Vigny. Il y eut ensuite trois chants de Sophie Gail (1775-1816), également sur des poèmes de M. Desdordes-Valmore. Épouse de l'helléniste J.-P. Gail, dont elle se sépara pour mener une vie libre, elle fut très célèbre aussi pour ses opéras. En fin de concert, trois Canzoncine ou Petits airs italiens d'Isabella Colbran (1785-1845), grande soprano dramatique d'origine espagnole, adulée pour l'amplitude phénoménale de trois octaves et le timbre magnifique de sa voix, qui fut l'épouse puis l'amie très chère de Rossini, qui composa pour elle nombre de ses airs d'opéras. La complicité amicale et musicale des deux interprètes ajouta à la grâce et à la distinction du concert, le doigté rigoureux, poétique et parfois malicieux de Caroline soutenant le timbre à la fois rond et cristallin de Daphne, un chant pur à la diction parfaite. Ce moment suspendu créé par nos deux Ladies françaises a ravi le public, ainsi que notre président national Michel Farztoff, qui était venu à Orléans pour le colloque sur Étienne Dolet prévu pour le lendemain. C. Spenlé-Calmon |
Jeudi 3 octobre 2024
L'humanisme, terme du XIXe siècle, désigne un mouvement culturel européen, littéraire et philosophique, des XVe et XVIe siècles, période qui correspond à la Renaissance. Les principales figures de l'humanisme comme mouvement littéraire sont, en France, Rabelais (vers 1494–1553), Marot (1496–1544), Montaigne (1533–1592) et les poètes de la Pléiade. Le néerlandais Érasme (1467–1536) est cependant l'auteur qui incarne le plus, comme symbole, l'humanisme européen. L'humanisme se caractérise avant tout par le statut qu'il confère aux sources antiques. Les grands auteurs de l'Antiquité grecque et latine (par exemple Platon, Aristote, Cicéron, Plutarque, Homère, Virgile, etc.) deviennent des modèles à imiter ; la redécouverte et l'appropriation de ces œuvres s'accélère. Ce « retour » aux sources antiques est favorisé par les bouleversements que connaît l'Europe de la Renaissance, qui naît dans l'Italie du XIVe siècle. À côté des peintres qui s'inspirent de la mythologie antique, ou des érudits qui veulent renouveler le savoir, des auteurs italiens (Boccace, Dante, Pétrarque) ont initié, en littérature, ce mouvement d'imitation des « Anciens » (notamment Virgile ou Horace). Vers 1450 ensuite, l'Allemand Gutemberg (1400–1468) perfectionne l'imprimerie en inventant les caractères métalliques mobiles, ce qui permettra une beaucoup plus grande diffusion du livre et donc des savoirs. Enfin, la rétractation de l'Empire byzantin, héritier de l'Empire romain et porteur de sa culture greco-latine, puis sa chute finale à la prise de Constantinople par les Ottomans en 1453, favorise le transfert des savoirs antiques vers l'Italie et donc vers l'Europe. Les textes des Anciens sont connus, par les humanistes, en langue originale. Les lettrés apprennent le latin, la langue savante de l'époque, mais aussi le grec et l'hébreu. Ils traduisent les textes et veulent en retrouver la forme originelle. On revient directement à la source en écartant, parfois, les commentaires et les erreurs de traduction du Moyen Âge. Ce dernier est érigé en repoussoir. Le mythe du Moyen Âge, barbare, gothique, sombre, naît à cette époque. Ce retour aux sources sert un idéal : la place centrale conférée à l'homme dans la réflexion savante. Humanisme vient du latin humanus « humain », et humanitas signifie « culture ». L'effervescence intellectuelle de l'âge humaniste se traduit par un optimiste général et une foi dans l'homme qui, par l'éducation, peut s'améliorer. On se soucie de son sort et de son bonheur. L'Anglais Thomas More (1478–1535) invente notamment L'Utopie (1516), un projet de cité idéale et bien réglée. La « découverte » de l'Amérique nourrit le renouvellement intellectuel européen. Les lettrés de l'Europe se passionnent pour les récits de voyages des colons et explorateurs. La figure de l'Amérindien, le « bon sauvage », pousse une interrogation sur l'Autre, l'homme préservé des vices de la civilisation, et sur le Même, l'humanité qui nous lie à cette homme (Les Cannibales de Montaigne). Cette interrogation est critique de la société : les Essais de Montaigne contiennent une dimension subversive. C'est aussi le cas chez Rabelais qui, dans Pantagruel (1532) et Gargantua (1534), moque la société de son temps. Dans son Discours sur la servitude volontaire (1576, posthume), Étienne de la Boétie (1530–1563), ami de Montaigne, formule l'une des premières grande critique moderne du pouvoir. Enfin, l'Europe humaniste est une Europe chrétienne. La même démarche, appliquée aux textes des Anciens, est utilisée sur le texte biblique : on veut revenir au texte originel et se libérer des lectures traditionnelles. Cette tendance est contemporaine au développement de la réforme protestante duquel nombre d'humanistes se sentent proches. En France, Lefevres d'Étaples (1460–1536) traduit les Évangiles à partir de la Vulgate latine mais à l'aide de corrections grecques. En Allemagne, Martin Luther (1483–1546), réalise en 1522, à partir des textes originaux, la première traduction en allemand de la Bible. H. Courtemanche |
Vendredi 15 novembre 2024 Ancien élève de l'ENS et diplômé en lettres et philosophie, collaborateur à Libération et au Nouvel Observateur, Olivier Rolin est essentiellement écrivain, écrivain-voyageur, arpenteur des quatre coins du monde. Il est l'auteur de 17 romans et de récits géographiques ou essais. Prix Femina pour Port Soudan en 1994 et France Culture pour Tigre en papier en 2003, en 2014 prix du Style pour Le Météorologue, grand prix de littérature de l'Académie française pour son œuvre et sujet d'un grand dossier dans la revue Europe. C. Malissard soulève un des thèmes essentiels, à savoir l'individuel dans le collectif. O. Rolin confirme que ce sont des personnages pris individuellement dans de grandes espérances qui l'intéressent le plus souvent, mais poursuit en rapprochant cet affrontement avec la période maoïste de sa jeunesse, où les haines provoquaient des bagarres sectaires, face sombre de toutes ces grandes espérances. Il précise avec humour que Barthélémy l'intéresse plus quoiqu' il aurait préféré être copain avec Cournet… tout comme Hugo qui connaissait Cournet et n'aurait sûrement aucune sympathie pour Barthélémy ! Sur la remarque de C. Malissard que c'est en exil à Londres que se révèle et s'exacerbe leur opposition, O. Rolin décrit la communauté internationale des exilés politiques de l'époque, dont des Allemands (Marx entre autres), la plupart vivant dans le plus grand dénuement, sauf quelques uns dont Cournet. Un milieu où règne la paranoïa entre factions, entre hommes du peuple et ces bourgeois contre lesquels Barthélémy radicalise sa position en la personne de Cournet avec qui il veut en finir. Jusqu'à provoquer un duel où il le tuera dans la campagne londonienne, explication du titre tiré de la formule de la condamnation à mort dans la juridiction anglaise. Cela amène au contexte géo-historique magnifiquement envisagé à propos des deux villes, Paris et Londres, et de leurs quartiers. O. Rolin applique aussi à l'étude des lieux sa méthode de documentation à la fois livresque et in situ. «J'ai besoin de voir, de marcher, de reconstituer les lieux ». Une écriture « photographique » pour C. Malissard, mais aussi éminemment géographique et historique qui donne à voir des rues et quartiers disparus du Paris de Napoléon III d'avant les travaux d'Haussmann et du Londres noir et déjà industriel des années 1850. Longues digressions détaillées – dignes de Hugo – faisant appel aux cinq sens, comme à Paris celle de l'enfer de la grande voirie de Monfaucon avec en son centre la grande écorcherie et sa puanteur, son sang, ses boyaux… Mais aussi reconstitution de l'épouvantable bagne de Brest, avec ses lieux et ses règlements où Barhélémy fut emprisonné. Tout cela tressé avec le contraste des mêmes quartiers de nos jours: comme les quartiers miséreux de Londres devenus bourgeois de nos jours. Vient ensuite le sujet du duel qui met fin à la vie du modéré Cournet sous la balle de l'implacable Barthélémy, duel retentissant à l'époque, le dernier en Angleterre. O. Rolin en a retrouvé sur place la mémoire tangible (par ex. la même auberge et certainement le champ qui en fut le théâtre). Le thème du duel appelle celui du double qui traverse tout le récit, jusqu'à la fin avec le double meurtre dans lequel Barthélémy trouve la mort. De manière passionnante O. Rolin tisse donc, sans jamais en lâcher un, une tapisserie à quatre fils : la biographie, forcément lacunaire, des deux protagonistes ; la géographie historique, sociale et politique des lieux qu'ils sont amenés à habiter ; sans oublier le fil de l'accompagnement à la fois admiratif et malicieusement critique de celui qui est à l'origine de sa démarche, le grand V. Hugo. Tout cela – 4ème fil – à travers une mise en perspective minutieuse avec notre siècle : sa propre biographie d'ancien de la gauche prolétarienne et les dédales dans lesquels il nous entraîne au cours de ses multiples promenades-enquêtes pour « reconnaissances des lieux » toujours là, disparus ou transformés par les activités modernes. La conférence se termine sur une affirmation, dont le XXIe siècle devrait prendre leçon, l'importance du passé qui « fabrique » les hommes, même à leur insu, la connaissance du passé étant un des principaux moyens de vivre bien. Un entretien, à la fois dense et fluide de bout en bout, illustré par la lecture de certains passages montrant une écriture d'amples périodes et digressions très travaillées, alliée à un style plus lapidaire et familier, et pimentée par un humour jamais bien loin. Un entretien invitant à découvrir l'œuvre d'un écrivain travaillant sur son sujet loupe en main tel S. Holmes ! |
Samedi 23 novembre 2024 JOURNÉE D'ÉTUDES ÉTIENNE DOLET Pour clore les festivités organisées pour son 70e anniversaire, notres Association a consacré une journée d'études à ÉTIENNE DOLET, cet humaniste qui, né à Orléans en 1509, mourut sur le bûcher à Paris en 1546, victime d'une société intolérante qui lui reprochait sa trop grande liberté de pensée.
|
||||||||||||||||||||||||
Mardi 14 janvier 2025
Eric Fottorino est journaliste et écrivain. Il a longtemps été journaliste au « Monde » et est cofondateur de l'hebdomadaire « Le 1 » et de plusieurs trimestriels. Auteur d'une quinzaine de romans, il a reçu plusieurs prix. Jean-Pierre Siméon, agrégé de lettres modernes, est poète, romancier, dramaturge et critique. Il a reçu lui aussi plusieurs prix et a été directeur artistique du Printemps des Poètes. Certes il peut sembler paradoxal d'allier poésie et journalisme, mais l'entretien va mettre en évidence les liens étroits qui unissent ces deux domaines. Jean-Pierre Siméon rappelle la relation au monde qu'avaient Grecs et Romains à travers la poésie, la tragédie. Or l'exclusion des poètes de l'expression de la réalité entraîne une compréhension unique du monde et l'on constate que, si la philosophie et la poésie sont exclues, elles sont remplacées par des experts, des scientifiques. Jean-Pierre Siméon évoque le poète Novalis selon lequel plus il y a de poésie, plus il y a de réalité. Pour Eric Fottorino les poètes sont les reporters de leur époque, et il pense au poème de Marguerite Yourcenar « Gares d'émigrants : Italie du sud » (1934). Le journal « Le 1 » propose d'ailleurs chaque semaine un poème. Jean-Pierre Siméon déplore qu'actuellement on ne lise plus les poètes qui auraient beaucoup à nous dire, comme Ronsard dans « Discours des misères de ce temps, à la reine mère du roi » (1562), et bien d'autres tels Agrippa d'Aubigné, Lorca, Hugo, Lamartine. Les poètes parlent de tout, de la réalité. Pensons à Virgile qui mettait déjà en garde contre la mort des abeilles dans les « Géorgiques » (années trente avant J.-C.) ! Ou à Hugo : « Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne … », poème où s'exprime toute la douleur d'un père après la disparition de sa fille. La réalité, c'est ce que les cinq sens nous disent. Eric Fottorino voit dans la poésie un refuge par rapport au réel. Il en veut pour preuve qu'après le 11 septembre 2001 les rayons de poésie ont été dévalisés à New York. Il en a été de même au début de la pandémie du Covid. Tout poème a pour arrière-plan la mort et on pense à Primo Lévi. On se souvient du Président Georges Pompidou citant, lors d'une conférence de presse, Éluard pour répondre à une question concernant l'affaire Russier. Eric Fottorino raconte son émotion à la lecture du poème d'Henry Michaud « Je suis né troué », alors qu'il avait 17 ans. Grâce à l'écriture, il a pu élucider ses origines, s'approcher au plus près de ses ancêtres. Pour lui, le journaliste restitue le réel. Jean-Pierre Siméon voit dans la poésie un corps-à-corps avec le réel. Elle dit le réel, alors que les experts le mettent en concept. Jean-Pierre Siméon montre l'investissement du corps dans l'écriture. Les premiers textes étaient des incantations, comme les grands mythes, des chants. Eric Fottorino indique qu'il a écrit et non tapé le texte de « Mon enfant, ma sœur », sœur dont il ne sait rien mais qu'il interpelle. Pour lui, lire son texte à haute voix, donc l'entendre, est primordial pour saisir la musicalité. Jean-Pierre Siméon considère que la langue des hommes et femmes politiques est asphyxiée, le discours d'André Malraux lors de l'entrée au Panthéon de Jean Moulin étant une exception. Il déplore que l'image se substitue à la langue et pense que l'acronyme est l'aboutissement absolu de la perte du réel. Une langue monosémique est parfois indispensable, mais son emploi doit être limité, car elle réduit le réel. En conclusion de cet échange passionnant, Jean-Pierre Siméon et Eric Fottorino rappellent que comprendre vient de cum prehendere. |
Mardi 21 janvier 2025
|
Jeudi 13 mars 2025
|
|